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Qui a eu raison, les sionistes ou les socialistes ? (débat)

lundi 12 janvier 2009

Nous publions ci-dessous un texte du Mouvement socialiste mondial dont le site Internet est http://socialisme-mondial.blogspot....

et notre réponse. (Ni patrie ni frontières)

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Qui a eu raison, les sionistes ou les socialistes ?

Encore une fois Israël se révèle être un État militariste et impérialiste. Ce n’était pas de cela que les pionniers sionistes avaient rêvé, mais c’était bien là que devait mener leur projet de création d’un État juif. Car tout État est potentiellement militariste et expansionniste, "les raisons d’État" l’emportant en fin de compte sur toute autre considération.

Les premiers sionistes voulaient établir une patrie pour les Juifs. Ils partageaient donc le mythe accepté par tous les nationalismes selon lequel l’humanité serait composée de divers "peuples", chacun d’entre eux constituant une communauté "naturelle" ayant droit à son propre territoire et à son propre État. Nous ne sommes pas parmi ceux qui pensent que tout le monde, sauf les Juifs, a ce soi-disant "droit à l’autodétermination". Nous contestons dans sa totalité cette façon de voir l’humanité. Le peuple, tout peuple, est un mythe. L’autodétermination, ça ne veut rien dire.

Pour nous les hommes sont simplement . . . des êtres humains. La seule communauté "naturelle", c’est la race humaine, c’est l’humanité. Nous sommes tous des Terriens, des citoyens du monde. La division de l’humanité en peuples (et même en races), loin d’être un fait naturel, est éminemment politique, donc factice. Ce ne sont pas des peuples préexistants qui ont créé des États mais bien des États qui ont fabriqué des "peuples" par la propagande, par l’endoctrinement et par la répression de ceux qui refusaient de se conformer.

Ce qu’on appelle un peuple n’est en fin de compte qu’un groupe d’hommes soumis à l’autorité et aux lois d’un même État. Ce sont les sujets d’un État, ou plutôt de la classe qui contrôle cet Etat. Car le nationalisme, tout nationalisme, est une idéologie qui sert toujours l’intérêt, soit d’une classe qui est déjà dirigeante dans un Etat, soit d’une classe qui aspire à le devenir. Un peuple ne constitue donc pas une communauté, mais au contraire tout soi-disant peuple est divisé en classes ayant des intérêts opposés.

Dans le cas des sionistes, il est vrai, c’était un peu plus complexe que cela. Pour établir leur Etat ils avaient deux choses à faire. D’abord convaincre les Juifs de se considérer comme un peuple, et non comme une simple minorité religieuse. Puis convaincre un Etat impérialiste de leur accorder une terre à coloniser.

Dans leur propagande parmi les Juifs les sionistes se sont heurtés à deux oppositions : celle de ceux qui disaient que les Juifs n’étaient que des Français, des Allemands, des Autrichiens, selon le cas, de religion israélite et devraient donc s’identifier a l’Etat où ils se trouvaient (ce que la plupart des Juifs ont toujours fait) ; et celle des socialistes qui disaient (et qui disent toujours) que les travailleurs d’origine juive faisaient partie de la classe travailleuse mondiale et n’avaient aucun intérêt à l’établissement d’une soi-disant "patrie juive". Avant la dernière guerre mondiale les sionistes étaient très minoritaires parmi les Juifs. Ils restent minoritaires aujourd’hui (il y a beaucoup plus de Juifs aux Etats-Unis qu’en Israël) mais les expériences terribles des Juifs européens pendant cette guerre leur apportèrent assez de recrues pour procéder à l’étape finale du projet sioniste.

Quant à la terre sur laquelle ils devaient bâtir leur Etat, pendant la première guerre mondiale les sionistes réussirent à convaincre le gouvernement britannique. Dans sa fameuse déclaration de novembre 1917 le ministre anglais des Affaires étrangères de l’époque, Arthur Balfour, acceptait le principe d’un "foyer national juif"... en Palestine qui allait passer sous contrôle britannique après la chute de l’Empire ottoman. Avec l’exploitation des gisements pétrolifères du Moyen-Orient l’Angleterre eut sans doute eu l’occasion de regretter la "Declaration Balfour" mais les sionistes en firent plein usage. Ils amenaient de plus en plus d’immigrés juifs en Palestine provoquant, souvent délibérément, des frictions avec la population locale dont la présence gênait la réalisation de leur projet.

Après la dernière guerre mondiale les sionistes se sentirent assez forts pour forcer les choses et ils lancèrent une campagne de terreur – avec bombes, assassinats, etc – contre l’“occupant", c’est-à-dire contre les autorités britanniques qui gouvernaient toujours la Palestine sous mandat de la Societe des Nations. Finalement tous les Etats impérialistes tombèrent d’accord, y compris la Russie, pour établir un Etat juif en Palestine, ou plutôt y établir deux Etats, l’un juif, l’autre arabe. C’est ainsi que le 1er mai 1948 naquit l’Etat d’Israël.

Ce fut tout de suite la guerre avec les Etats de la Ligue arabe qui refusaient d’accepter ce nouvel Etat ... et avec la guerre les massacres, les intimidations, les réfugiés et toutes les autres horreurs qui accompagnent toujours ces conflits entre nationalistes rivaux qui se sont arrogé le droit de parler – et de combattre, d’assassiner, de bombarder – au nom des "peuples", qui ne sont en fin de compte que les victimes innocentes de conflits qui ne les concernent pas. L’Etat d’lsraël a gagné en ce sens qu’il a survécu comme il allait gagner dans toutes les autres guerres auxquelles il a participé, en 1956, en 1967, en 1973, en 1982 . . . .

Puisqu’aucun petit Etat ne peut survivre sans se lier dans une certaine mesure à l’un ou l’autre des deux blocs impérialistes qui rivalisent pour dominer le monde, Israël a dû choisir son camp. Dès le début il a choisi le camp américain et ce sont les Etats-Unis qui l’ont toujours financé et armé. II est vrai que récemment en cherchant des "frontières sûres" Israël a été amené à s’établir comme sous-impérialisme à son propre compte mais il reste le seul allié stable qu’ont les Etats-Unis dans la région, l’Arabie Saoudite et l’Egypte pouvant facilement basculer dans le chaos comme l’Iran.

Qui donc a eu raison, les sionistes ou les socialistes ? Les sionistes ont eu leur Etat, mais qui peut dire que les Juifs qui y habitent sont plus en sécurité que s’ils étaient restés en Europe, comme la propagande sioniste prétendait qu’ils le seraient ? L’établissement même de l’Etat d’Israël a rendu impossible la situation des Juifs qui habitaient des pays arabes, les obligeant à en fuir ... en Israël où ils forment aujourd’hui la majorité de la population, victimes non pas de l’antisémitisme européen mais du projet sioniste. Et les attentats antisémites en Europe n’auraient pas eu lieu si l’ Etat d’lsraël n’existait pas. Le seul "avantage" que les sionistes peuvent montrer, c’est le droit des Juifs israéliens d’agiter leur propre petit drapeau en entretenant les mêmes préjugés bêtes et le même sentiment de supériorité envers leurs voisins que certains Etats européens d’avant-guerre encourageaient leurs sujets à montrer aux Juifs. En même temps, les travailleurs salariés en Israël, qu’ils soient "juifs" ou "arabes", subissent les mêmes problèmes (chômage, inflation, crise du logement, etc...) que leurs frères de classe partout dans le monde, problèmes attribuables à la seule existence du capitalisme.

Ce sont donc nous, les socialistes, les antinationalistes, qui avons eu raison. L’établissement d’un "foyer national juif" n’a résolu en rien ce qu’on appelait la question juive. Il a même créé un nouveau problème tout à fait identique, "la question palestinienne”. Ceux qu’on appelle "les Palestiniens" (soi-disant peuple, non-juive – et non-bédouine ? – de l’ancienne division administrative de l’Empire ottoman de ce nom) sont, eux aussi, des Terriens ayant le même droit de vivre en paix et en sécurité que ces autres Terriens qu’on appelle "les Juifs" (soi-disant peuple, constitué facticement d’une secte religieuse). Mais ils risquent fort de déchanter s’ils suivent les "sionistes" palestiniens du Fatah et du Hamas qui prêchent pour l’établissement d’"un Etat palestinien” comme solution à leurs problèmes.

Le Fatah et le Hamas n’ont rien à offrir aux travailleurs palestiniens sauf un nouvel Etat où les dirigeants de ces organisations régneraient sur eux en nouveaux maîtres. S’ils ont des doutes à ce sujet, ils n’ont qu’à regarder vers les autres pays arabes.

Ni l’établissement d’un Etat palestinien, ni la destruction d’Israël, ni même une confédération israélo-palestinienne ou israélo-jordanienne ne résoudrait les problèmes des gens de cette région. Aussi longtemps que le capitalisme existera, le Moyen-Orient sera condamné à rester un panier de crabes à cause des rivalités impérialistes à propos du pétrole et des points stratégiques pour contrôler et protéger la route de pétrole.

La seule solution reste l’établissement d’un monde socialiste où tous les êtres humains, quelles que soient leurs origines ou leurs traditions, seront membres égaux d’une communauté humaine vivant en paix, en sécurité et dans l’abondance sur la base de la possession commune des ressources de la Terre. C’est vraiment la seule façon d’éviter d’autres Gaza, à Beyrouth, à Damas, à Bagdad . . . à Jérusalem.

Mouvement socialiste mondial

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Réponse de Ni patrie ni frontières

Je partage la critique de notions comme celles de « peuple », « nation », « race », etc., développées dans le texte précédent de Socialisme mondial. Je peux également ajouter (même si personne ne lit plus ce type de texte d’aujourd’hui) que ce genre de position (le « soutien inconditionnel aux luttes du peuple » X ou Y) découle directement des thèses de la Troisième Internationale au sujet de la question nationale et coloniale. Elle est étroitement liée à la façon dont l’Etat soviétique (sous la direction de Lénine et Trotsky) a essayé de se défendre et de se maintenir en vie, en concluant des alliances avec des mouvements de libération nationale et des mouvements religieux (notamment islamiques), afin de bloquer ou de lutter contre l’intervention impérialiste contre l’URSS, quitte à laisser massacrer les communistes locaux comme en Turquie puis après la mort de Lénine en Chine. On peut retrouver aussi cette idée chez Marx ou Bakounine au XIXe siècle, mais le monde d’aujourd’hui est davantage vu avec les lunettes d’un Lénine mal digéré que celles d’un Marx bien digéré, du moins par la plupart des militants, quelle que soit leur tendance ... De toute évidence, aujourd’hui, le monde est différent, l’URSS n’existe plus mais les trotskistes et les néo-trotskistes répétent les mêmes formules, sans se demander beaucoup quand et pourquoi ces formules ont été inventées.

Néanmoins, il y a un petit élément de « vérité » ou du moins de réflexion utile dans l’idée de « soutenir le peuple palestinien ». Tout dépend si nous voulons utiliser un vocabulaire purement marxiste et rigoureux dans notre propagande quotidienne, ou si nous sommes prêts à faire des concessions à des mots utilisés par la plupart des personnes non militantes ou peu politisées. Dans le second cas, il n’y a pas de différence de sens fondamentale entre le « peuple », les « exploités », les « travailleurs », les « opprimés », les « prolétaires », etc. Et beaucoup de gens auront l’impression que nous sommes des coupeurs de cheveux en quatre et des pinailleurs si nous refusons d’utiliser le mot « peuple ». Donc, je ne serai pas si dur envers des militants (et encore moins des gens non militants) qui utilisent le mot « peuple », s’ils le font uniquement pour des raisons pédagogiques.

Mais si (comme certains trotskystes) ils soutiennent les talibans contre l’intervention des armées impérialistes, je soulignerai la contradiction flagrante qui existe entre prétendre soutenir « le peuple afghan » et soutenir concrètement une organisation qui opprime ce même « peuple afghan ». Idem pour ceux qui soutiennent le Hamas, le Hezbollah ou la « Résistance irakienne » en prétendant soutenir « le peuple » palestinien, libanais ou irakien. Pour revenir à la question « Qui a eu raison les sionistes ou les socialistes ? » je pense que la question est très mal formulée. « Avoir eu raison »,en ce qui concerne la prétendue « question juive », je ne vois pas bien ce que cela pourrait bien signifier pour des socialistes. Pour les sionistes, leur objectif était clair et ils ont réussi : ils ont créé une langue et un Etat avec une armée, un territoire où les juifs peuvent venir se réfugier s’ils se sentent menacés (en France c’est ce que les radios qui prétendent représenter la "communauté juive" répètent à chaque heure et même plusieurs fois par heure. Elles vont jusqu’à proposer des promotions pour les billets d’avion en ce moment avec le soutien de leurs journalistes !!!) et même une bombe atomique ! Qu’est-ce que les sionistes auraient pu créer d’autre pour protéger les juifs dans ce monde capitaliste que ce qu’ils ont déjà créé ? En ce qui concerne les socialistes, quels pourraient être les critères pour mesurer notre « succès » jusqu’à présent ? Avons-nous éradiqué l’antisémitisme ? Avons-nous créé un havre de paix pour les Juifs quelque part sur cette planète ? Avons-nous créé un monde socialiste idéal dans lequel nous pouvons garantir qu’il n’y aura plus jamais de haine ou de discrimination ? NON. La réponse est malheureusement négative à ces 3 questions.

On peut penser que nous saurons un jour, dans un monde socialiste futur, réduire les causes les plus flagrantes des préjugés raciaux et des discriminations fondée sur la « race », le « genre » ou l’ « ethnie », mais croire que le socialisme sera un monde sans contradictions (y compris violentes) ne me semble pas juste. Pire, cela me semble une utopie dangereuse que de vouloir un monde sans contradictions. Je ne vois pas en quoi les socialistes ont eu « raison » contre les sionistes, du moins dans le sens où les socialistes n’ont jamais montré leur capacité dans le monde réel, tangible, à protéger les Juifs contre le génocide, les persécutions, les pogrommes, etc. De plus, les socialistes sont souvent ceux qui ont nié et nient encore l’existence de l’antisémitisme (de l’affaire Dreyfus jusqu’à aujourd’hui, sans oublier les mouvements de résistance en Europe durant la Seconde guerre mondiale) ou affirmé que c’était un problème « mineur » par rapport aux autres.

En ce qui concerne Israël, le fait même qu’il existe dans ce pays des antisionistes qui mènent une lutte prouve que cet Etat n’est pas pour eux l’enfer absolu, sinon ils en seraient tous partis, non ? Donc, pour résumer mon propos, je ne vois pas bien la finalité de ce texte, qui me semble plutôt de prêcher les convaincus (comme moi) que de montrer comment les socialistes auraient été plus efficaces que les sionistes pour protéger les Juifs dans le monde réel où nous vivons. Parler de socialisme mondial est en effet indispensable, mais je doute que cette étape soit pour demain matin. Et malheureusement, la plupart des gens (y compris les Juifs) ont à résoudre des problèmes pratiques de survie qui ne peuvent pas attendre 50 ans ou même 10 ans, voire un an.

Y.C. 12/01/2009 (Ni patrie ni frontières)

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