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Les centres ouvriers : une nouvelle forme d’organisation prolétarienne

Des centres sociaux spontanés sont apparus dans les villes des Etats-Unis où les immigrés sont nombreux, afin de jouer un rôle de soutien et de solidarité

mercredi 31 décembre 2008

Ce texte est paru dans Echanges n° 126 (automne 2008).

Nous avons eu l’occasion, à propos des manifestations imposantes qui ont eu lieu aux Etats-Unis en 2006 contre le projet d’une nouvelle loi sur l’immigration (1), de souligner le rôle joué presque malgré eux dans la mobilisation des immigrés par des centres sociaux bénévoles répartis sur tout le territoire de ce pays. Ce sont des « associations de solidarité » suppléant plus ou moins à la carence totale des syndicats et fédérés sous le nom de « Tenants and Workers United » (locataires et travailleurs unis) et jouant à l’égard des immigrés sans distinction, principalement latinos (de loin la plus forte communauté d’immigrés dans le pays) un rôle global de soutien et de solidarité.

Un ouvrage est consacré à cet aspect récent de l’histoire sociale aux Etats-Unis (2) ; cette première étude porte sur les 137 centres de ce genre existant dans le pays. Quarante ont été soumis à un examen approfondi, neuf ont fait l’objet d’entretiens avec leurs promoteurs et leurs utilisateurs. Leurs différences relèvent surtout de leur origine et du soutien extérieur qu’ils peuvent trouver, mais tous présentent des caractéristiques communes que l’auteur a regroupées. Tous se sont constitués au départ, même s’ils ont élargi ensuite leur champ d’activité, sur la base de communautés dont il fallait soutenir les membres les plus mal payés et les plus durement exploités. Ce soutien n’était, dès le début, nullement spécialisé, mais le plus large possible, touchant tous les besoins de ceux qui venaient y trouver de quoi surmonter leur misère – bien au-delà d’organisation caritative ou du foyer d’hébergement de jour ou de nuit, de la soupe populaire ou des « Restau du cœur ».

On ne peut que dresser une liste non exhaustive de ce que les exclus peuvent y trouver :

- tout ce qui concerne leur exploitation, dans des choses aussi simples que d’obtenir le paiement des salaires, des conseils et des cours pour leur apprendre à connaître leurs droits quant aux salaires et aux conditions de travail. Cela déborde le simple conseil ou la documentation car il y a aussi organisation et/ou promotion de démarches puis d’actions contre les patrons récalcitrants, avec la distribution d’informations par tracts mais aussi de piquets d’informations. Cela va aussi dans l’organisation de recours juridiques, de campagnes et de lobbies pour tenter de faire céder ou faire condamner les exploiteurs individuels ou de toute une branche d’activité. Accessoirement, pour toutes ces actions, les centres mettent à disposition des salles de réunion ;

- tout ce qui concerne leur vie hors travail et pouvant requérir une aide, pas tant matérielle mais permettant de vivre dans une société de plus en plus complexe – surtout pour des personnes venant de pays où les relations sociales sont fondamentalement différentes. Cela ne concerne pas seulement leur régularisation éventuelle comme immigrés et leurs déboires avec les services anti-immigration. Pour leur faciliter la vie, il peut leur être proposé des cours d’anglais, des conseils juridiques aussi simples que la manière d’ouvrir un compte en banque, le recours aux services médicaux et hospitaliers, les relations avec les propriétaires. Cela va jusqu’à fournir aux plus démunis des repas et des hébergements ou des soins médicaux ou dentaires ;

- d’une manière ou d’une autre, rompre l’isolement dans l’individualisation du système en établissant une liaison entre travailleurs et autres, les conseillant sur des actions diverses éventuelles, soit des actions directes dans le travail, soit dans des activités hors travail parfois sportives comme dans des équipes de basket ou de football.

Diffuser l’information sur les droits

L’origine de ces centres peut répondre à des critères uniques, ethniques, religieux, mais non politiques ni caritatifs. Comme nous l’avons dit ci-dessus, leur spécialisation de départ a été rapidement dépassée, tout comme leur champ d’intervention. La participation et le recours à ces centres, le « recrute- ment » pourrait-on dire s’il s’agissait d’une organisation traditionnelle, se fait d’après une grande variété de contacts dans les milieux où les immigrants ou les exclus se retrouvent presque obligatoirement, en raison de leurs besoins minimaux de vie sociale. Les centres ne se contentent pas « d’attendre le client », ils vont les trouver là où ils sont, non pour faire du prosélytisme mais simplement pour dire qu’ils existent et qu’on peut en toute confiance venir les trouver.

Diffuser les données sur les droits des travailleurs est le véhicule privilégié de ces contacts et cette information est distribuée dans une multiplicité de lieux – depuis les églises ou les stades jusqu’aux cours du soir d’alphabétisation ou d’anglais en passant par, simplement, les coins de rue, etc. L’auteur de l’ouvrage a remarqué chez ceux qui fréquentent ces centres une grande méfiance envers tout ce qui est officiel ou légal, agences gouvernementales ou syndicats.

L’activité multiforme de ces centres n’est pas exempte de conflits et de tensions. Leur utilisation systématique comme organes d’assistance risque d’en faire de simple associations caritatives ; l’assistance qu’ils apportent pour les démarches légales amène parfois ces organismes à servir d’appendices à l’administration en vue de la régularisation des sans-papiers. Dans un cas comme dans l’autre, les immigrés peuvent les considérer simplement comme des organes temporaires d’aide à leur survie aux Etats-Unis ; et, finalement, ces organismes se noient dans ces tâches, qui les détournent de leur vocation à favoriser la solidarité et l’action.

Certains de ceux qui s’adressent à eux peuvent y chercher la solution de problèmes tout personnels comme des confesseurs ou des psy, ce qui peut aussi contribuer à les détourner de leurs tâches essentielles.

Pas de stratégie

Est-ce un bien ou un mal que la plupart des centres n’aient pas de stratégie économique cohérente et ne se posent pas la question du pouvoir dont ils dépassent en fait la légalité ? Pas plus qu’ils ne cherchent à avoir un impact politique, ni même à jouer sur le marché local du travail ?

Peut-être se méfient-ils des risques d’infiltration (ce qui doit se produire inévitablement) par les groupes ou partis politiques ou par les syndicats officiels. On peut en trouver une trace dans l’article d’Industrial Worker, organe des IWW, auquel nous avons emprunté l’essentiel de cet article et dont la conclusion conseille aux branches locales des IWW d’approcher les « workers centers » pour leur apporter leur soutien et même discuter stratégies et, éventuellement, de construire leur propre centre.

Ils ne se demandent pas pourquoi les immigrants ne se sont pas adressés à leurs sections locales, ce qui est paradoxal pour une organisation qui bâtit sa grande période autour de la guerre de 1914 sur la défense et l’action des travailleurs récemment immigrés et des exclus.

H. S.

(1) Voir « Le géant s’éveille : comment, aux Etats-unis, s’est construit le mouvement contre la nouvelle loi pénalisant les immigrés. Comment s’est construit le mouvement contre la nouvelle loi pénalisant les immigrés », Echanges n° 117 (été 2006), p. 3, spécialement les pages 7 et 8.

(2) Worker Centers,Organizing Communities at the edge of the dream, de Janice Fine, Economic Policy Institute and ILR Press. La critique de cet ouvrage dont nous nous sommes inspirés est parue dans Industrial Worker, décembre 2007.

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