Aux Etats-Unis comme ailleurs, ces dernières années, les prix de la nourriture, de l’essence et du chauffage ont énormément augmenté ; les prix de bien des denrées de base, comme le pain et les œufs, ont grimpé de près de 30 %. Quand ce phénomène s’est associé avec la crise des crédits hypothécaires, la plupart des foyers ouvriers en ont ressenti les effets et se sont trouvés le dos au mur lorsque est survenue une urgence imprévue, une urgence particulière comme la maladie, une réparation de la voiture ou les soins d’un enfant.
Les familles aux revenus bas ou même moyens ont dû se tourner vers les organisations caritatives comme les soupes populaires ou les centres de distribution de nourriture gérés par les église ou les ONG. Ces dernières font état d’une augmentation record des demandes d’assistance, et bien souvent elles n’ont plus rien à distribuer dès les premières semaines de chaque mois. Partout le nombre des SDF s’accroît.
Pourtant, ces chiffres globaux dissimulent le fait que certaines régions sont tombées dans les pires conditions économiques, approchant maintenant la situation vécue dans les années 1930. A certains endroits, dans les Etats autrefois très industrialisés comme le Michigan, l’Ohio, la Floride et la Californie, les conséquences sont encore plus durement ressenties. Dans ces Etats, une maison sur trente-cinq est vide ou sur le point d’être vidée. Dans les faubourgs de Virginie, par exemple, on peut voir un exode massif de Latinos qui y furent attirés par le boom de la construction de la dernière décennie ; aujourd’hui c’est l’effondrement, qui laisse dans son sillage des rangées et des rangées de maisons vides.
Pourtant, une opposition à toute cette situation s’est développée, bien qu’elle reste peu visible. Dans le Michigan, par exemple, qui reste l’Etat le plus syndicalisé de tout le pays, une assemblée convoquée au printemps 2008 par les officiels locaux pour voir ce qui pouvait être fait pour les foyers menacés par leurs crédits hypothécaires et tenter d’en renégocier les termes (ce que presque personne ne réussit à obtenir) a rassemblé plusieurs milliers de personnes. Elles allaient et venaient silencieusement, cherchant des solutions individuelles à leurs problèmes. Une manifestation nationale de protestation contre la crise des crédits hypothécaires n’a rassemblé que quelques milliers de participants, presque tous des groupes existants de militants de gauche. A Baltimore, grâce à la politique de dérégulation mise en œuvre à la fin des années 1990 par le Parti démocrate, les notes de gaz et d’électricité ont grimpé de 70 %. Et là non plus, on ne vit aucune protestation. Des manifestations devant les sociétés concernées, organisées par les groupes activistes, ne rassemblèrent que quelques poignées de militants. Le manque de carburant dans le sud du pays, après que l’ouragan eut endommagé les raffineries, a provoqué de longues attentes dans les stations services des villes, leur fermeture, des rixes et des échanges de coups de feu devant les pompes, mais aucune manifestation ou action collectives.
Tout cela, c’était avant l’effondrement de Wall Street, qui poursuit son cours alors que j’écris. Il y a une colère largement répandue contre les mesures financières de sauvetage d’urgence (en témoignent 75 % des lettres et appels adressés aux officiels). Mais la crise n’a pas encore marqué de conséquences dans la vie quotidienne. Quand cela se produira, y aura-t-il des réactions comme dans les années 1930, comme en rêvent tous les gauchistes ? Un groupe militant communautaire, Acorn (Associated Communities Organizations for Reform Now), a organisé de petites manifestations de gens menacés de perdre leur logement devant les bureaux de la municipalité pour demander une aide. Bien que ces manifestations aient été organisées dans un but purement médiatique, et non pour entraîner des troubles sérieux, il y a des chances pour qu’elles trouvent un certain écho. Mais il semble plus vraisemblable que l’on assiste à la montée d’un courant populiste de droite alimenté par une angoisse légitime, le ressentiment et la théorie de la conspiration prônée par le nouveau « socialisme des fous » de l’extrême gauche et de l’extrême droite, et dirigé contre les banques (avec des sous entendus d’antisémitisme inavoué), contre le « lobby israélien » et contre les immigrés.
Déjà, on peut voir quelques signes de la manière dont un réalignement peut se développer, générant de nouvelles divisions sociales :
– des tentatives d’alliances entre une poignée de démagogues nationalistes noirs et des groupes blancs anti-immigrés, dans les votes locaux de lois anti-immigrés ;
– les conditions de vie dans les prisons californiennes, où de violents conflits entre Noirs et Latinos sont la continuation d’une concurrence entre ces groupes hors des murs. Ces conflits dominent tellement la vie des prisonniers qu’une ségrégation raciale stricte a été établie, pour essayer decontrôler les affrontements ;
– dans la campagne médiatique du milliardaire du pétrole W. Pickens, dénonçant le détournement de « nos » richesses par Poutine, Ahmadinejad [le président iranien], l’Arabie Saoudite et Chávez (les Etats-Unis sont une nation opprimée !) et dans les délires des émissions de radio.
Le sentiment sous-jacent d’insécurité économique engendré par l’idée diffuse d’un déclin national des Etats-Unis d’aujourd’hui s’exprime différemment suivant les positions de classe. Pour la classe ouvrière, la crainte se cristallise sur l’immigration latino et les accords économiques du type Alena (l’Accord de libre-échange nord-américain créant une zone de libre-échange entre le Mexique, les États-Unis et le Canada, entré en vigueur le 1er janvier 1994) que l’on blâme généralement comme la cause de la perte des emplois industriels. Pour les classes moyennes et les professionnels, la crainte se polarise sur la compétition de la Chine et de l’Inde, les délocalisations des emplois « cols blancs » outremer, une crainte qui transparaît dans des livres ou articles à sensation comme « La prochaine guerre navale avec la Chine » et « Trois milliards de nouveaux capitalistes. Le grand glissement de la richesse et du pouvoir vers l’Est ».
Mais, contrairement à ce qui se passe ailleurs, la crise est ici profondément ressentie aussi comme un déclin des Etats-Unis comme superpuissance capable d’imposer sa volonté quand et où elle le désire. Cela peut à lui seul constituer un terrain favorable à court terme au moins, et peut-être aussi à long terme – pour le développement d’un populisme de droite, un nouveau protectionnisme économique, une législation pour contraindre les entreprises à investir « patriotiquement » et autres mesures isolationnistes. La gauche conservatrice, des anarchistes aux sociaux-démocrates, continuera de s’amoindrir dans sont espace marginal alternatif et ses réseaux de bavardage sur Internet (anarchistes et ultra-gauche), le suivisme des syndicats (trotskystes) ou dans son rôle ouvert ou caché de soutien à Obama (ou n’importe qui d’autre).
Si, comme l’avançait le Spectator (britannique) lorsque fut prise la première mesure de sauvetage financier : « Le paradigme a changé. Nous entrons dans une nouvelle période d’austérité », ici, aux Etats-Unis, au moins pour l’instant, tous les paris sont ouverts pour savoir sous quelle forme, si jamais elle s’exprime, une opposition se développera.
C.P.
Sur la crise
Des camarades ont créé un site destiné à recueillir informations et analyses critiques concernant la crise financière et économique :
http://sites.google.com/site/radica... (en anglais).
On y trouve : News & Commentaries (Developments within the crisis and critical/radical commentaries on them) ; Crisis Theory (Marxian and other theories of the origins of the current crisis) ; Struggles (Articles and notes on potential and actual responses to the crises) ; Resources (Useful links) ; Crisis for Beginners (Some of the people who make this site are beginners too, so here are some of the texts we find most helpful in first getting a hold on what’s going on).
Voir aussi le blog de Gérard Bad : http://spartacus1918.canalblog.com/