Devant le déferlement d’informations et de mesures qui semblent aller dans tous les sens, depuis celles qui tentent de nous instiller l’espoir « que tout va s’arranger » et qu’il suffit d’attendre, jusqu’à celles qui brossent le plus noir des tableaux pour nous faire accepter les « mesures » destinées à « sauver le système » (ce qui tout simplement signifie se serrer la ceinture), ce texte ne vise pas à apporter des réponses définitives aux questions que chacun peut se poser, mais à tenter une approche permettant à chacun de préciser ses propres réflexions et/ou ses concepts. Il importe d’abord de sérier ces questions et de voir ce qui pour nous, qui voyons la lutte de classe comme l’élément central d’une émancipation et de la sortie du capitalisme, dans cette crise de tout un système, peut conduire à ce dont nous rêvons : la fin de l’exploitation de la force de travail, et non une nouvelle réforme d’un monde qui ne recherche que sa survie et celle de la classe dominante (et de ceux qui la servent).
Nous ne voulons pas ici débattre des causes immédiates ou lointaines de la crise, qu’on nous présente uniquement comme financière, due à une sorte de folie aventureuse d’établissements divers manipulant et spéculant sur les placements, les crédits et les monnaies, avec des « responsables » qu’il faudrait sanctionner, des méthodes qu’il faudrait interdire, des opérations qu’il faudrait réglementer, des centres financiers hors circuit (les paradis fiscaux) qu’il faudrait interdire...
Tous les dirigeants financiers et politiques retrouvent les mêmes accents pathétiques que ceux qu’ils vilipendaient hier pour préconiser les vieilles ou nouvelles recettes réformistes, très similaires à celles qui avaient tenté de surmonter la fameuse crise des années 1930. Dans ces débats, l’activité même de l’économie est à peine abordée, comme si cette crise financière ne traduisait pas en la masquant la crise générale du capitalisme, comme si les tentatives de « résoudre » la seule crise financière n’étaient pas que des palliatifs, s’adressant à une conséquence de la crise fondamentale du capital – et qui reste une simple conséquence, malgré son ampleur.
Processus d’effondrement
Toute opération de crédit (quelles qu’en soient la forme et la destination), d’achat d’action ou de tout autre produit financier est une spéculation sur l’avenir. Chaque prêteur (banque ou actionnaire) parie sur l’avenir de l’autre individu ou entreprise ; chaque emprunteur, sur sa propre réussite d’abord économique.
Il est évident que si cette réussite n’est pas au rendez-vous, quelles qu’en soient les raisons, c’est le prêteur qui en pâtit. Ce n’est pas grave pour lui si ces défaillances restent limitées ( il ménage d’ailleurs lorsqu’il accorde ces prêts des garanties contre ces défaillances – assurance et/ou caution). Mais, si elles se multiplient, c’est tout le système qui se trouve remis en cause. Il est certain que dans le but de maximiser les profits de leur système, dans des pays comme les Etats-Unis et le Royaume-Uni (centres de mouvements de capitaux parmi les plus importants du monde), les établissements financiers ont forcé la main des emprunteurs ; les crédits « risqués » sont alors devenus encore « plus risqués », qu’ils soient accordés aux particuliers ou aux entreprises.
Quant aux particuliers , non seulement, pour engager les hésitants à souscrire « risqué », on leur proposait des remboursements réduits pendant les premières années, mais aussi des prêts ultérieurs sur l’augmentation de la valeur spéculative d’un immeuble déjà lourdement hypothéqué. Pour les entreprises, outre les crédits habituels nécessaires à l’investissement des entreprises (qui pouvaient aussi être risqués), d’énormes prêts furent consentis pour des sortes de pirates d’entreprises pratiquant le LBO (Leverage Buy Out, ou « rachat par effet de levier ») : c’est l’achat d’entreprises avec un crédit bancaire important suivi d’une liquidation des actifs « inutiles » (dégraissage, etc.) et d’une revente rapide en doublant la mise (la vente à la découpe d’ensembles immobiliers fait partie de cette gamme de spéculations). Il est évident que tout cet ensemble d’opérations de crédit ne pouvait tenir que dans le cadre d’une économie en progression constante, qui au moins maintiendrait pour les salariés le niveau de vie. et qu’une chute même légère de ce niveau de vie entraînerait le début d’un processus d’effondrement de cette bulle de spéculation liée à l’immobilier. Contrairement à ce que l’ensemble des médias tentent de faire croire, ce n’est pas la crise des « subprimes » (crédits hypothécaires aux particuliers) qui est à l’origine de la crise économique, mais un développement antérieur d’une récession économique (notamment saturation des marchés, surproduction ) qui a conduit aux Etats-Unis, où les prêts aux particuliers, aux entreprises et aux spéculateurs avaient atteint des proportions colossales, à une chute des revenus des particuliers ; ce qui a restreint les possibilités de remboursement des emprunts trop fragiles, d’abord en proportion limitée. Par un effet boule de neige, tout ce système basé sur cette spéculation immobilière s’est effondré, touchant tout le système bancaire du crédit.
A la mesure de la mondialisation des échanges
Cet effondrement d’un seul marché spécifique, celui des opérations immobilières, a eu un effet encore plus pervers sur l’ensemble du système bancaire américain et international. Pour assurer le financement de ce colossal marché du crédit intérieur, aux Etats-Unis, l’émission de titres destinés au marché international a pris la forme de sortes de cocktails camouflant les placements risqués » (notamment ceux des sociétés hypothécaires) avec ceux de valeurs « sûres ». En particulier, tous les pays exportant leurs marchandises vers les Etats-Unis ont accumulé des avoirs en dollars, tout comme les banques du monde entier qui cherchaient à faire fructifier au mieux les avoirs de leurs clients ont souscrit de ces fruits véreux, dans des proportions parfois énormes.
Ce qui fait que le phénomène né aux Etats-Unis s’est rapidement propagé partout, à la mesure, il faut le dire également, de l’internationalisation des échanges – tant des marchandises que des monnaies et de tous les instruments financiers. Le résultat de cet effondrement du marché des crédits immobiliers aux Etats-Unis a entraîné des pertes mais aussi d’importantes restrictions de crédits de toutes sortes consenties par les banques, au niveau mondial.
Le crédit est absolument nécessaire à l’évolution du capitalisme ; il a toujours existé, d’abord pour les entreprises comme une anticipation de profits dans le procès de production (depuis la constitution d’une société par actions jusqu’à un prêt bancaire) pour lancer un investissement ou une innovation quelconques. Certaines entreprises, surtout les plus importantes, peuvent s’autofinancer avec leurs profits, mais elles peuvent aussi émettre des actions par le biais d’une augmentation de capital (faire appel à l’épargne), ce qui évite le recours au crédit bancaire.
Comme nous l’avons vu, cette idée d’anticipation d’un profit n’est même pas exclue de l’emprunt d’un particulier, quel qu’en soit l’objet, mais son rôle joue dans la sphère de la consommation et non dans celle de la production. Le crédit est devenu un objet de spéculation comme la spéculation sur toute marchandise, et il s’est en quelque sorte autonomisé, détaché des objectifs qui l’avaient motivé à l’origine (par exemple dans les LBO). On peut penser que ce développement spéculatif est lié à la baisse du taux de profit, qui a détourné les capitaux de la sphère de production pour chercher une rentabilité supérieure à celle qu’offrait l’industrie dans n’importe quelle opération spéculative, quel qu’en soit l’objet. Si les entreprises ne peuvent trouver du crédit auprès des banques, que ce soit pour faire face à des difficultés supposées passagères ou pour investir afin de soutenir la concurrence ou se développer, toute l’économie capitaliste est paralysée.
C’est la raison pour laquelle tous les gouvernements (soit pour garantir ces possibilités de crédit aux entreprises, essentiellement pour prévenir les répercussions sur tout le procès de production, soit pour garantir leurs avoirs en valeur dollar, soit pour amortir les effets catastrophiques pour la paix sociale qu’aurait un effondrement bancaire) déversent des milliards de leur monnaie nationale, cherchant à atténuer les effets immédiats de ce qu’ils s’obstinent à appeler la « crise financière ». Il est certain que de telles mesures, même si elles écartent temporairement certaines conséquences dangereuses pour l’économie et le contrôle social, ne font que différer les conséquences du problème central : celui de la crise de l’économie capitaliste mondiale et des contrecoups que toutes ces mesures de sauvetage entraînent sur cette activité économique.
Nous ne voulons pas ici aller plus avant dans les raisons profondes de la crise économique actuelle, pas plus que dans les conséquences possibles de tous les replâtrages dont nous ne voyons que les prémisses. Deux points méritent pourtant l’attention. L’un concerne le revirement à 100 % des tenants jusqu’à hier de l’économie libérale et des privatisations : les nationalisations camouflées sous des vocables divers apparaissent bien pour ce qu’elles ont toujours été : le sauvetage par l’Etat de pans du capital dont la faillite risquerait d’entraîner d’autres catastrophes pour le système ; ce qui devrait faire réfléchir les défenseurs de la notion de « service public » et des nationalisations.
Un autre point est historique. Capitalistes et gouvernants avaient cru pouvoir résoudre la crise de 1930 par tout un ensemble de mesures, depuis le New Deal américain jusqu’au Front populaire français ou le nazisme allemand. Quelques années plus tard, la guerre seule avec son océan de destructions permettait au capital d’acquérir une nouvelle jeunesse et de repartir dans les « trente glorieuses » et l’expansion mondiale dont nous voyons aujourd’hui l’aboutissement.
Malgré toutes les considérations que l’on peut faire, l’ensemble de ce système repose fondamentalement sur la production et la circulation des marchandises donc sur l’exploitation du travail. Toute rentabilité du capital, sous quelque forme que ce soit, dérive de ce qui peut être extrait, sous une forme ou sous une autre de cette exploitation. sur le plan mondial. On doit regarder si la récession économique n’a pas été le résultat de l’impuissance du capital à maîtriser la baisse du taux de profit (en partie cause de l’évasion spéculative des liquidités monétaires), pourquoi il devient impossible de créer de la plus-value en quantité suffisante pour vaincre les effets de la baisse tendancielle du taux de profit grâce à une expansion accélérée du capital. C’est ici que se posent à la fois les impossibilités objectives de ce cours du capital ( surproduction) et le rôle que la lutte de classe a pu jouer, joue et pourra jouer.
L’internationalisation des luttes est essentielle
D’un côté, les transferts vers les pays en développement, avec une intensification de l’exploitation de la force de travail liée aux méthodes modernes de production, semblent avoir atteint des limites. D’une part en raison de la nécessité, pour les entreprises qui veulent maintenir les conditions de rentabilité, de déplacer leurs sites de production vers des pays plus accueillants – où ils retrouvent peu après les mêmes problèmes, notamment de revendications salariales –, d’autre part du fait que tout ce qui était transférable dans les pays développés a été transféré, ce qui conduit à augmenter la pression sur les conditions d’exploitation dans ces pays. Là, malgré tout un arsenal de mesures, prises en raison des résistances directes autant que par souci d’éviter une résistance plus large, l’accroissement de la fraction de plus-value allant au capital n’a pas été assez marqué, le taux d’exploitation global du travail n’a pas été redressé de manière significative. Les mesures prises pour endiguer la crise financière posent la question : qui paiera ? La réponse apparaît à chacun : les travailleurs, de toute façon, que ce soit par une augmentation des impôts divers, ou par l’inflation, ou par le chômage – c’est-à-dire, finalement, une baisse de la valeur relative des salaires, donc du niveau de vie, et en fin de compte une augmentation de la part de plus-value extorquée par le capital.
Déjà la baisse du niveau de vie et les restructurations du capital, ces deux points importants des attaques précédentes du capital, ont entraîné dans le monde une série de conflits qui, pour être dispersés et différents, n’en témoignent pas moins de résistances ouvrières qui peuvent faire craindre au capital une extension des oppositions, face aux conséquences que ne manqueront pas d’avoir à la fois la persistance et le développement de la crise économique et des mesures prises pour sauver l’appareil financier du capital. Or nous nous trouvons devant une internationalisation poussée de l’appareil global de production et des instruments financiers qui l’accompagnent ; on doit donc considérer que, par-delà les divisions nationales, la division des productions et du travail sur un plan mondial, les déplacements de sites de production, c’est l’internationalisation des luttes qui est essentiel. Non parce qu’elles se coordonnent (nous en sommes bien loin), mais parce qu’une lutte dans une partie du monde, même parcellaire, a des répercussions non seulement dans le secteur où elle a lieu, mais sur l’ensemble du procès de production.
Nous développerons ultérieurement ce dernier point, qui nous semble essentiel en considération des luttes passées et actuelles, et de celles que ne manqueront pas de faire surgir à la fois la crise financière et les mesures prises pour en atténuer les effets trop néfastes pour l’économie capitaliste.
H. S.
octobre 2008