Depuis des mois on fait beaucoup de bruit autour de la retraite par capitalisation, qui serait la « sauveuse » des retraites. En fait, ce que les fonds de pension vont sauver, c’est la rentabilité du capital : les capitalistes pourront placer ce « capital populaire » (sans risques pour eux) à des taux d’intérêt faibles sur des marchés à risque. Ce qui s’inscrit dans un mouvement ancien d’intégration du salaire au mouvement du capital, et de récupération au profit du financement de l’entreprise.
Après la période de prospérité fondée sur le partage des fruits de l’expansion avec le salariat, un nouveau contrat social, celui des années 1980, a remplacé le pacte social distributif. Dorénavant le contrat social sera de type productif et les salariés seront soumis, moins qu’à l’obligation de moyen, à l’obligation de résultat.
1. De la participation aux bénéfices à la participation aux pertes
La participation de salariés aux bénéfices fit sa première apparition en France en 1842 dans une entreprise de peinture, la maison Leclaire. Cette initiative fut condamnée par un arrêt du préfet de police qui interdisait à Leclaire au nom de l’Etat de pactiser avecl es ouvriers, ceux-ci devant rester libres.
Ce n’est qu’en 1889, au Congrès international de la participation aux bénéfices qui se tenait à Paris, que la bourgeoisie décida que la « participation aux bénéfices » était « conforme à l’équité et aux principes essentiels du droit positif ».
Dès cette époque toute une propagande médiatique fut mise en place par les adeptes de l’économie sociale (déjà) pour convaincre l’ouvrier que seul le labeur, l’effort, l’abstinence menaient à son affranchissement du salariat.
Il s’agissait en fait de masquer le plus possible que l’échange de sa force de travail contre un salaire n’avait plus pour but exclusif la reconstitution de cette force. La mise en place d’un système d’épargne ouvrière avait pour objectif de nier la loi de la paupérisation en jouant sur les possibilités de progression du salaire réel générée par l’accroissement de la plus-value relative.
Enfin, l’ouvrier pouvait « s’enrichir », économiser et ne plus rester « en dehors de tous les progrès de la production, de la richesse publique, de la civilisation, c’est-à-dire en dehors de toute possibilité d’émancipation » (Karl Marx, Travail salarié et capital, annexe : « Le salaire »).
Dès lors le numéraire, c’est-à-dire le salaire, ne se présentait plus aux yeux de l’ouvrier comme un simple intermédiaire entre lui et les produits nécessaires à la reconstitution de sa force de travail. Avec la progression du salaire réel, la bourgeoisie s’est rendu compte qu’il était possible de donner au numéraire une autre destination que celle des moyens de subsistance.
Une fraction du salaire pouvait être transformée en argent au lieu d’être utilisée comme moyen d’échange éphémère. Le but du travail devenant l’enrichissement, la fraternisation entre le capital et l’ouvrier devenait possible, le capitaliste voyait enfin la possibilité de renvoyer sa propre image à l’ouvrier.
Le but du travail étant l’enrichissement (souvent à crédit) et non plus une simple opération de survie, la valeur d’échange prenait l’ascendant sur la valeur d’usage.
L’ouvrier fut donc incité de toutes parts à faire des économies, à sacrifier régulièrement la satisfaction de ses besoins sociaux à l’accumulation de la forme de la richesse. L’abstinence conduisait obligatoirement à cette aberration que le seul loisir de l’ouvrier devenait le travail, parce qu’il devenait source de richesse.
Quand la participation gaulliste fut instaurée, en 1967 (période d’expansion économique), il s’agissait pour les capitalistes de renforcer l’idée que tout enrichissement de l’entreprise avait pour conséquence l’enrichissement du salarié. L’affaire était si belle qu’en 1983 on dénombrait au moins 10 408 accords à base participative. Seulement, entre-temps, la crise était venue tarir cette merveilleuse source de billets qu’était la « participation ».
Ce n’était plus l’employeur qui devait verser une participation mais le salarié. Il fallait que tous et surtout les ouvriers comprennent que pour sauver l’entreprise de « l’usure des banques » il était nécessaire qu’« une partie du salaire ouvrier serve à l’autofinancement des entreprises » (cet autofinancement est actuellement de 103 % à 110 %).
Aussi, à partir de 1964, Maubeuge Construction Automobile, filiale de Renault, introduisait « la participation du personnel aux besoins de fnancement de l’entreprise » (accord signé par la CFDT, la CFTC et la CGC).
Au début de 1985, la régie Renault prend le relais avec la création d’un fonds salarial alimenté par une contribution obligatoire des ouvriers. Bien entendu cette ponction sur les salaires sera présentée de manière positive, le fonds « servant à financer (art. 1 de l’accord) des investissements productifs liés à la création d’emplois au sein de la Régie... » Trois mois plus tard, les licenciements tombaient : entre 15 000 et 18 000, et le chômage partiel touchait plusieurs usines.
Voilà ce qui arrive quand « Les ouvriers mettent ainsi dans les mains de leurs ennemis mêmes des armes pour l’organisation existante de la société qui les opprime » (Karl Marx, ibidem, 1. a).
Cette remarque de Marx sur le système des caisses d’épargne (les tirelires) que certains ouvriers utilisaient en prévision des moments difficiles est aujourd’hui mieux saisissable, puisque c’est directement que l’épargne ouvrière forcée est injectée pour la rationalisation de l’entreprise.
Dernièrement, c’est SPIE-Batignolles qui propose avec insistance à ses salariés de prendre des actions pour pouvoir vendre l’entreprise. Le groupe de BTP britannique AMEC ne consentant à racheter au maximum que 40 % des actions.
2. Les fonds de pension en question
Depuis des mois les médias font beaucoup de bruit autour de la retraite par capitalisation, qui serait la « sauveuse » des retraites. En fait, ce que les fonds de pension vont essayer de sauver, c’est la rentabilité du capital : en effet les capitalistes pourront placer ce « capital populaire » (sans risques pour eux) à des taux d’intérêt faibles sur des marchés à risque et ainsi espérer une certaine reprise de l’économie.
Nous allons donc faire un petit tour du monde pour voir comment le « miracle des loups » des fonds de pension est capable de garantir les retraites.
L’exemple des Etats-Unis. Malgré leurs 3 000 milliards de dollars d’actifs, les fonds de pension aux Etats-Unis ne sont qu’un complément de retraite. En effet, la principale source de revenu des retraités, c’est la Sécurité sociale qui fonctionne, comme en France, par répartition.
C’est le krach boursier d’octobre 1987 qui a brutalement ramené les promoteurs des fonds de pension à de dures réalités. Nous avons vu des salariés poursuivre en justice leur propre entreprise. Ces entreprises, accusées d’avoir été négligentes, ont préféré compenser partiellement les pertes plutôt que de s’exposer aux aléas d’une procédure judiciare. Après le krach, la méfiance s’est installée, les fonds de pension, qui avaient touché pendant vingt-cinq ans 48 % de la population active, n’en concernent plus que 43 % en 1990.
La PBGC (Pension Benefit Guaranty Corporation), organisme fédéral créé en 1974 pour assurer les fonds de pension privés, ne croit plus aux miracles, les risques financiers sont trop grands : le sous-financement global des fonds atteint déjà 40 milliardsde dollars, le coût des dépenses de retraite pour les 500 premières entreprises américaines est passé de 27 milliards de dollars en 1982 à 15 milliardsen 1991, soit presque la moitié.
La catastrophe japonaise. C’est en novembre 1996 que la presse fait état de la débâcle des fonds de pension au Japon. Le quotidien financier français Agefi du 13 novembre 1996 exposait ainsi la situation :
« Pour Mitsubishi Electric Corp., le calcul des engagements de pensions a tourné au cauchemar. Il y a deux ans, les actifs du fonds Mitsubishi permettaient encorede couvrir 60 % des besoins de versements de retraites. Sur les comptes arrêtés de l’année dernière, ce taux tombait à 55 % et maintenant l’entreprise estime de faire face à 50 % seulement des engagements. »
Après les Etats-Unis, après la célèbre affaire Maxwell, la débandade complète du système des fonds de pension touche les entreprises japonaises. Matsushita Electric Industrial est contrainte de verser 10 millairds de yen à son fondsde pension, Tokyo Electric Power 55,7 milliardsde yen... Honda, Sony, et de nombreuses entreprises de taille moyenne sont touchées.
L’introduction desfonds de pension en France. Le 22 novembre 1996, l’Assemblée nationale adoptait une loi pour la création des plans d’épargne-retraite (les fonds de pension) par 10 voix contre 4, sur 577 députés.
C’est donc très démocratiquement que la mise en place des fonds de pension s’ajoute à toutes les mesures de paupérisation croissante du salariat. Les CDD, smicards, intérimaires et abonnés aux petitsboulots sont les premières cibles, ils toucheront une retraite de misère, et ce d’autant plus que la liquidation du service militaire induit la suppression des points de retraite gratuits de la Sécurité sociale.
Ensuite, c’est toute une fraction du salariat qui va être touchée par les rendements moindres de la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (CNAV) et par la catastrophe des régimes complémentaires ARCCO et AGIRC qui se profile à l’horizon 2008.
C’est pour faire de Paris l’une des premières places financières du monde que le gouvernement met pleins gaz.
L’introduction des fondsde pension en France s’explique par le fait que le ratio investissement industriel/capitalisation boursière apparaît comme l’un des plus faibles des grands marchés financiers.
Ce ratio est de 55 % de la capitalisation boursière au Royaume-Uni, de 40 % aux Etats-Unis, de 25 % en Allemagne, de 18 % en France.
Cette faiblesse du capital financier de la France est particulièrement défavorable aux marchés d’actions, où seuls les investisseurs institutionnels peuvent disposer de capitaux à vingt ou à trente ans. Avec les fonds de pension, les capitalistes vont pouvoir jouer en Bourse avec de l’argent qui n’est pas à eux (1). Pour cela, ils doivent passer sur le corps des systèmes par répartition. La fusion AXA-UAP vient de révéler au grand jour cette intention des assureurs et des banquiers.
Gérard Bad
décembre 1966-janvier 1997
Voir aussi L’actionnariat salarié, ou Comment introduire le travail à crédit
(1) En Grande-Bretagne, les actifs des fonds de pension oscillent entre 250 milliards et 300 milliards de livres (environ 282 à 413 milliards d’euros), dont les trois quarts sont investis en actions.