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La descente aux enfers ou la lutte

lundi 3 décembre 2007

Ce texte est paru dans Echanges n°122 (automne 2007).

Loi anti-grève, règlements diminuant les prestations de la Sécurité sociale et enchérissant le coût de la santé, suppression de postes dans l’éducation, promotion de valeurs morales, réapparition de l’inflation... La liste est longue des projets du gouvernement, auxquels seule la lutte pourra s’opposer

Le gouvernement Sarkozy-Fillon-Lagarde veut aller vite, très vite dans ses réformes anti-sociales, dans sa mise au pas des salariés. Depuis le mois de mai le gouvernement n’a pas chômé et Christine Lagarde, ministre des Finances, est montée au créneau pour affirmer : « Nous nous sommes engagés dans une course pour faire rentrer notre pays dans le XXIe siècle. C’est, sachez-le, une cause que nous allons courir à fond et qui durera cinq ans. » Et effectivement tous les projets inspirés du rapport Camdessus de 2004 (1) sont votés en enfilade : après le Sénat, l’Assemblée nationale a approuvé le 18 juillet la loi dite « contre la récidive », puis la loi sur les universités, puis la loi anti-grève sur le « service minimum », etc.

Après avoir fait en sorte qu’un accord d’entreprise puisse se substituer - à la baisse - aux conventions collectives (loi Fillon) (2), on met sur le gril le code du travail et le droit de grève. En ce qui concerne la santé, après l’absurdité du médecin traitant, nous passons à l’éternel déficit, voulu, de la Sécurité sociale, qui fait bien l’affaire de la Cades (3). Chaque fois qu’une nouvelle mesure anti-sociale est appliquée, le gouvernement cherche à la justifier au nom d’un humanisme prétendument « solidaire » et « responsable ». Pour mémoire, les 15 000 décès consécutifs à la canicule de 2003, que le gouvernement Raffarin a fait payer aux salariés en supprimant le lundi de Pentecôte habituellement chômé. Durant sa campagne électorale, Nicolas Sarkozy avait lancé l’idée d’appliquer des franchises pour financer la Sécurité sociale et « responsabiliser » les malades. Comme l’idée avait scandalisé, et que les élections étaient proches, l’idée fut mise en réserve, comme d’ailleurs celle de la TVA sociale.

Sarkozy est revenu à la charge après avoir été élu président de la République française. C’est maintenant le cancer et la maladie d’Alzheimer qui servent d’alibi pour faire passer la pilule des franchises. Voici donc annoncée l’application d’une franchise à hauteur de 50 euros par an et par assuré social, à travers un mécanisme touchant chaque médicament et chaque acte paramédical. Le but officiel de l’opération étant de financer un plan de lutte contre le cancer et la maladie d’Alzheimer à la hauteur de 850 millions d’euros.

Pas besoin de donner des arguments chiffrés ou autres petites réformes pour dire qu’il s’agit d’un nouveau racket, dans la continuité de la politique de déremboursement des médicaments. Au regard des critères fixés par le traité de Maastricht, les déficits sociaux font partie des déficits publics. Les gouvernements nationaux sont donc conviés, par la nomenklatura européenne dont ils sont l’exécutif, à transférer une part de plus en plus importante des dépenses de santé vers les assurances complémentaires, tout en laissant une charge de plus en plus importante au compte des prolétaires (chômeurs, précaires, retraités). Dans tous les pays européens, patronats et gouvernements mènent des offensives contre les systèmes de protection sociale. Même le FMI s’est inquiété des conséquences sociales à moyen terme de ce « transfert du risque patrimonial (de pertes) vers les particuliers ». « Alors que les banques, les assureurs, et les fonds de pension cherchent à réduire la volatilité de leurs bilans (...), toute une série de risques, traditionnellement gérés par ces instances, passent directement au secteur des ménages » (La Tribune du 6 avril 2005).

Dès l’automne 2004, le ministre de la santé d’alors, Jean-François Mattei, s’est attelé à faire aboutir sa réforme de l’assurance-maladie en créant le « Haut conseil de l’assurance-maladie » qui doit exécuter cette tâche. Il n’hésitera pas à reconnaître que le déficit « le trou de la Sécu » provient entre autres de ce que le patronat bénéficie de multiples exonérations de cotisations sociales : au total 19 milliards d’euros pour 2002, près de deux fois le déficit annoncé, environ 8 % du budget de la Sécu ! En fait, c’est le déficit du paiement patronal des cotisations qu’il s’agit de combler.

Alors l’Etat se retourne contre les malades, qui devraient être « responsabilisés » (4). Pour éponger le déficit patronal, se souvenir des mesures de l’année 2004 : hausse du forfait hospitalier, augmentation de certaines taxes ou déremboursement de médicaments (617 réductions de remboursement et déremboursement complet de 84 médicaments). La mise en place pour certains médicaments du « tarif forfaitaire de responsabilité », qui, sous couvert de développement des génériques, baisse le remboursement de 450 médicaments. Et ce n’est pas fini : le 1er mars 2006, 282 spécialités seront ajoutées à la liste ; aujourd’hui, c’est l’instauration de franchises.

La loi anti-grève est votée

En mettant tous les fers au feu en même temps, le gouvernement pense pouvoir disperser les répliques qu’il craint. Dans ce cadre il s’attaque à la « grève » qu’il veut réglementer de nouveau et réduire à néant - en généralisant la loi anti-grève des transports à d’autres secteurs. Cette loi anti-grève, donc, a été votée à l’Assemblée nationale le 2 août 2007 par 96 voix pour, 22 contre, 0 abstention. Sachant qu’il y a 577 députés à l’Assemblée nationale, nous voyons que même sur le terrain de la légalité bourgeoise nous avons affaire à une bouffonnerie.

Le texte de la loi prévoit diverses nouvelles mesures applicables aux entreprises de transport pour rendre le droit de grève inopérant et finalement mettre la grève hors la loi :

« Art 3 - Délai de prévenance et « obligation de négocier » qui imposent un délai pouvant aller jusqu’à onze jours entre l’appel à la grève et son déclenchement. Interdiction des préavis successifs sur le même sujet.

Art 5 - préavis individuel de grève : Obligation de se déclarer gréviste deux jours avant, au risque de sanctions pour les salariés.

Art.6 - Possibilité pour la direction ou un syndicat non gréviste d’organiser une consultation après huit jours de grève, pour en contester la validité. »

Comme le fait remarquer l’ex-inspecteur du travail Gérard Filoche : « Cela fera de la grève, d’un acte collectif, entraînant, solidaire, un parcours individuel, dissuasif, sélectif. Des millions de salariés le savent : “Ce genre de loi, y’a qu’une saleté d’ami de taulier de choc pour inventer cela.” »

Les syndicats mis au secret

Les syndicats étaient au parfum, depuis des lustres, que le patronat et le gouvernement allaient de nouveau passer à la vitesse supérieure pour valoriser la valeur travail et donc extraire plus de travail gratuit sur les salariés. Les syndicats maintenaient la paix sociale et entamaient des négociations secrètes avec le patronat. Pour se dédouaner du Waterloo social, ils ont organisé, le 31 juillet 2007, une manifestation de façade, un véritable pétard mouillé, histoire de culpabiliser les adhérents qui ne se déplacent plus. Aussi les lois Pécresse, Dati, Bertrand... seront-elles votées à la chaîne au Parlement sans aucune opposition.

Sous le titre « Un accord bien balancé », Le Monde du 10 juillet révélait que le Medef et les syndicats français étaient parvenus, après dix-huit mois de négociations et quinze réunions confidentielles, à un « relevé de discussions ». Pas plus secret que les autres, cet accord, non formalisé par un écrit, relèverait d’une tradition de « dialogue économique » qui remonterait au Commissariat du Plan (1945-1952) de Jean Monnet, tradition réactivée par Laurence Parisot dès son élection à la tête du Medef en 2005.

Ce n’est pas une découverte, il y a belle lurette que le « dialogue social » tripartite s’opère dans les salons parisiens et même à la Mutualité. L’accord est non écrit pour ne pas mouiller les syndicats, mais tout le monde peut se faire une idée de son contenu en lisant le discours de Christine Lagarde à l’Assemblée nationale du 10 juillet 2007.

Ce discours en appelle à l’union nationale : « Mettons nos intelligences en commun au service de la France, au lieu de les dresser les unes contre les autres. Il ne sert à rien de se chamailler quand il est l’heure de travailler. » Puis elle prononce tout un plaidoyer visant à défendre des valeurs : la valeur travail, la démocratique, la républicaine, l’économique et la sociale.

Après avoir reconnu une valeur chère, celle qui produit la richesse pour les riches et la pauvreté pour les pauvres, elle s’en prend à Paul Lafargue et à son livre le Droit à la paresse, qu’elle oppose à Alexis de Tocqueville, pour finir par sortir : « Le grand patron comme le petit employé savent ce que cela signifie, une journée de boulot. » Après cette tautologie, la valeur républicaine se résume par « l’égalité des chances » ; elle est en dessous de celle de la Française des jeux ou de « Gagner des millions » ; la valeur économique est circonscrite à « On ne peut plus croire que travailler moins permet de travailler mieux. Il faut travailler plus et mieux. » Les 35 heures au pilori, la chasse aux glandeurs est ouverte. Quant à la valeur sociale, elle se résume par : « Retroussons nos manches. »

La rentrée sociale

La rentrée sociale s’annonce extrêmement tendue et les CRS vont pouvoir gagner plus et cogner plus et mieux en faisant des heures sup, mais, problème, cela va creuser le déficit de l’Etat... L’Education nationale, elle, va devoir lutter contre la suppression programmée de 11 000 postes... L’inflation (qui devait théoriquement être terrassée par les « libéralisations », les « déréglementations », la « concurrence »...) menace de nouveau et pour une période durable. La flambée de plusieurs matières premières agricoles (céréales, graines oléagineuses, protéagineuses). Leur prix a augmenté de 40 % à 80 % en une année. Les conséquences ne vont pas se faire attendre : les prix du pain, des pâtes alimentaires, des biscuits, des pizza... ainsi que ceux de l’huile, de la margarine et d’autres graisses vont subir des hausses de 3 % à 10 %.

La hausse des prix de ces produits de base va se répercuter sur les volailles (le groupe LDC [Loué et Le Gaulois) procède déjà à une hausse de prix des volailles de 4 % à 5 %).

La filière lait est elle aussi victime de la politique de pénurie organisée et réglementée par l’Union européenne (5), parce que les trusts poussent à réglementer pour empêcher les cours de s’effondrer. Alors les produits laitiers devraient eux aussi prendre 4 % de hausse. En Allemagne, selon l’institut ZMP, spécialisé dans le calcul des prix des produits agro-alimentaires, les prix des produits laitiers devraient s’envoler. La Fédération allemande de l’industrie laitière a ainsi estimé que le prix d’une plaquette de beurre allait grimper de 50 %, celui du fromage blanc de 40 %, et celui du litre de lait d’environ 10 % à 20 %.

A cela il faut ajouter la TVA sociale, qui devait s’appliquer dès l’automne, mais est provisoirement reportée pour les raisons suivantes : « La dégradation de la conjoncture rend plus difficile de céder dès l’automne à la tentation d’instaurer cette mesure, qui transférerait en partie le financement de la protection des entreprises vers les ménages via une hausse de la TVA, en échange d’un allégement des cotisations patronales pesant sur le travail. C’est qu’avec le resserrement du crédit consécutif à la crise des “subprimes” (6) une hausse de la TVA pourrait porter un coup au seul moteur valide de l’économie française, la consommation » (La Tribune du 5 septembre 2007, p. 25).

Gérard Bad août-septembre 2007

NOTES

(1) Le Sursaut. Vers une nouvelle croissance pour la France, rapport du groupe de travail présidé par Michel Camdessus, gouverneur honoraire de la Banque de France, 2004. Disponible en volume à la Documentation française, pour 6 euros, ou gratuitement en PDF à l’adresse Internet http://lesrapports.ladocumentationf...- Nous avons évoqué déjà ce rapport à propos des licenciements et des indemnités de chômage (Echanges 118, automne 2006, p. 58) et à propos du contrat unique (Echanges n° 120, printemps 2007, p. 10).

(2) C’est tout le système de la hiérarchisation des textes et du principe de faveur qui est remis en cause. C’est surtout la durée du travail (actuellement de 35 heures hebdomadaires annualisées) qui est visée par la loi Fillon ; La Tribune du 10 août le confirme : « La durée du travail légale, nationale et interprofessionnelle ayant été supprimée, chaque entreprise est désormais libre de déterminer par accord avec les organisations syndicales, la durée du travail qui convient le mieux à son activité. » Cet article du code du travail n’ existe pas encore... Mais qu’en sera-t-il en 2012 ?

(3) La Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) chargée de gérer la Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) a été créée pour « une durée de treize ans et un mois à compter du 1er janvier 1996 ». Voir « CSG et CRDS, un racket permanent de l’Etat français », Echanges n° 110 (automne 2004).

(4) Dans le cadre de la réforme de l’assurance-maladie, les contrats complémentaires santé doivent (depuis janvier 2006) être « responsables ». Un nouveau terme, qui signifie nous faire payer notre irresponsabilité.

(5) Bruxelles a longtemps été préoccupé par les montagnes de beurre et de poudre de lait qui pesaient sur le budget de la Communauté. La production de lait de la campagne 2006-2007 (avril-mars), avec 126 milliards de litres, a atteint son niveau de collecte le plus bas depuis quinze ans. « Il manque un milliard de litres, essentiellement en Allemagne et en France « , affirme M. Picot. La France, deuxième pays producteur avec 2 milliards de litres fournis par 3,8 millions de vaches et 100 000 producteurs, n’arrive même plus à réaliser le maximum du quota qui lui a été accordé jusqu’en 2015.

(6) Subprimes : pour « subprime mortgage », crédits hypothécaires à risques, ces prêts accordés à des ménages insolvables dont le non-remboursement entraîne la crise financière actuelle (voir La crise financière vue d’en bas).

Annexe :

Qu’est-ce que la TVA sociale ?

La presse aux ordres titre : « Sécu : taxer la consommation plutôt que le travail ? » ou bien : « Nous pouvons évoluer d’un système taxant la production à un système taxant les produits, ce qu’ont déjà compris le Danemark et l’ Allemagne »... Ils n’étaient pas élus, que déjà les principaux candidats à l’élection présidentielle parlaient de nouvelles taxes et notamment de TVA sociale (Sarkozy et Bayrou notamment).

Qu’est-ce donc que cette TVA sociale (1) ? C’ est une sorte de continuité avec la CSG que nous devons au socialiste Rocard, le premier à avoir de ce fait commencé à fiscaliser la sécurité sociale (2).

Vous aurez compris, qu’il s’agit de faire disparaître progressivement le salaire différé des salariés, pour en reporter la charge sur les produits de consommation qui augmenteront de ce fait. Le sénateur UMP Philippe Marini propose de relever la TVA de 19,6 % à 25 %. (+ 5,4 %). Les gouvernants pensent en faisant ce transfert lutter contre les délocalisations en baissant le coût du travail, et rafler la plus-value de l’économie souterraine (15 % du PIB). Mais il y a plus grave : ils vont aussi commettre le hold-up du siècle, en taxant rétroactivement les économies des classes populaires et des classes moyennes de France, qui devront payer 5,4 % plus cher tout achat qu’ils auraient pu faire avant (seulement taxé à 19,6 % ou 5,5 %). Non s eulement les salariés se font escroquer, mais que dire des retraités, chômeurs, Rmistes... ?

(1) Vous remarquerez que toutes les saloperies se font avec l’ adjectif « social » (plan social, contribution sociale, CSG, contribution au remboursement de la dette sociale...) Nous finirons par haïr « le social ! »

(2) Les cotisations sociales n’assurent plus que 60 % des ressources de la Sécurité sociale contre 90 % il y a vingt ans. Il veulent après les élections faire basculer 200 milliards d’euros de cotisations sur la TVA.

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