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"Le Petit démagogue"

dimanche 30 septembre 2007

Un excellent bouquin sur Sarkozy, de Jean-Luc Porquet, aux éditions La découverte.

Ce livre constitue la reprise d’un ouvrage écrit quelques années auparavant sur Le Pen. Au départ, le lecteur peut éprouver une certaine méfiance, car l’auteur parsème son livre d’inserts sur Cléon, Poujade, Evita Peron, le général Boulanger, Savonarole et Jean-Marie Le Pen, et l’on peut craindre qu’il s’agisse d’un nouvel opus de journaleux brouillon mélangeant allégrement les époques et les situations politiques. Mais il s’agit en fait d’un excellent livre sur les mécanismes de la démagogie. Contrairement à ce que l’on croit, un démagogue n’est pas un hypocrite, bien au contraire, nous explique l’auteur. Pour qu’il soit efficace, il faut qu’il croie à ce qu’il dit, qu’il « soit subjugué par une croyance, une vision ». Et Sarkozy cadre bien avec ce schéma, lui qui prit rendez-vous en 1982 avec Jacques Attali en lui glissant le petit mot suivant : « jeune avocat gaulliste qui souhaite devenir président de la République veut vous rencontrer » .

Sarkozy se présente comme un artisan de l’ouveture, un mec pas sectaire du tout. Cela dit, « à l’entendre, rien de bien n’a été fait avant lui. Les trente dernières années sont à jeter ». Il voudrait que les électeurs oublient qu’il a été près de huit ans ministre de la droite !

J.L. Porquet dégage neuf caractéristiques du démagogue que nous exposerons ici en reprenant sa démonstration.

1) « Le démagogue a un bagout d’enfer »

Pour illustrer ce premier point, l’auteur cite une anecdote qui remonte à un congrès UDR de 1976. La salle commence à se vider, Chirac donne 5 minutes à Sarkozy pour redonner du peps aux spectateurs, et il tient le crachoir pendant 26 minutes. « Etre jeune gauliste c’est être révolutionnaire, révolutionnaire pas à la manière de ceux qui sont des professionnels des médias », déclare-t-il. Le démagogue doit écrire comme il parle, des phrases simples (pour cela Sarkozy n’a pas besoin de se forcer...), parler « vrai », et se livrer à la critique des élites.

2) « Le démagogue travaille à fond sa com »

Sarkozy a fait sa première émission télé à 20 ans et c’est Robert Grossman qui le « coacha » à l’époque. Il lui apprit à parler plus lentement et à paraître plus calme. Sarkozy a bien retenu ses leçons puisqu’il est passé 581 fois à la télé en 2002, 726 en 2003 et 689 en 2004. Qui dit mieux ? Sarkozy paiera ensuite les services d’un autre coach (Thierry Saussez) qui aura un rôle important avant la présidentielle ; de 4 communicants ex ou toujours PDG des agences de pub DDB, RSCG, Hémisphère droit et Publicis ; sans compter d’autres types plus jeunes qui, eux aussi, bossent dans la communication, dont Frédéric Lefebvre qui s’occupait à la fois des députés et était actionnaire majoritaire d’une agence travaillant pour Alcatel, Suez, Sodexho, etc. Sarkozy a utilisé à fond le Web y compris en inondant les internautes de spam de l’UMP. C’est bien sûr un obsédé des sondages au point qu’il déclare en 2006 : « Aller contre moi, c’est aller contre l’opinion publique ». Comme l’explique J.L. Porquet , les sondages ne traduisent le plus souvent que des « réactions épidermiques », mais c’est tout l’art du démagogue que d’en tirer profit. L’équipe de Sarkozy choisit les images de ses meetings en monopolisant les meilleurs endroits pour filmer avec une caméra Polcam (à pied articulé qui permet de filmer le public) et 3 caméras sur pied. Résultat, les chaînes se voient offrir gratis les images que son staff sélectionne !

La plupart des grands patrons de presse sont bien sûr ses amis. Martin Bouygues est actionnaire de TF1 et LCI ; Arnaud Lagardère contrôle Europe 1 (au point que, lorsqu’il s’agit de remplacer la journaliste qui couvre l’UMP, Elkabbach demande conseil à Sarkozy !), Paris Match (Lagardère vire Genestar pour avoir publié la photo de Richard Attias, l’amant de Cecilia), le Journal du dimanche et des quotidiens régionaux. Bernard Arnault a investi, lui, dans La Tribune, Investir et Radio Classique. « Chaque lundi matin à 11 heures, lors de la réunion du comité exécutif du groupe, la question de Bernard Arnault revient, rituelle : que peut-on faire pour aider Nicolas ? » raconte la journaliste Huguette Chevrillon. Serge Dassault possède notamment Le Figaro et la Soc presse. Pierre Louette est le PDG de l’Agence France presse. Edouard de Rothschild est actionnaire de Libération. Nicolas de Tavernost est le PDG de M6.

Avec tous ces copains dans les médias, il lui est facile de faire des « coups », et d’être constamment à la une des magazines, dans tous les rôles : « le premier flic de France, le consolateur des victimes, le chef de parti adulé, l’époux amoureux, le justicier inflexible, l’ami des stars, l’ambitieux mû par une haute conviction, l’homme qui s’attaque aux tabous, le républicain respectueux des institutions, le ministre qui nargue le président », etc. Dès son arrivée à l’intérieur, Sarkozy cherche à faire l’actualité sur huit grands thèmes : « lutte contre la délinquance, loi sur la sécurité intérieure, immigration clandestine, Sangatte, organisation de l’islam, avenir institionnel de la Corse, mafias et trafic d’esclaves, lutte contre la prostitution, guerre au terrorisme ». Il tiendra son « agenda », et cela jouera un rôle essentiel dans son élection.

3) « Le démagogue avance à coups de scandales »

Sarkozy agresse, insulte ses adversaires, est attaqué et donc se pose en victime. C’est la technique dite du « coup d’éclat permanent ». Il reprend notamment des mots aux autres : « droitdel’hommisme » (Le Pen), Karcher, racaille, « « S’il y en a que ça gêne d’être en France, qu’ils ne se gênent pas pour quitter un pays qu’ils n’aiment pas », etc. Sarkozy attaque les juges, y compris en mentant sur leur supposé « laxisme ».

4) « Le démagogue reste insensible aux faits »

« Je n’aime pas étaler ma vie vie privée », déclare-t-il après le départ de son épouse. Puis évidemment il recommence à s’épancher dans les médias. Pour GDF il promet que l’Etat conservera 70 % du capital puis il soutient une participation à 34 %. Sarkozy affirlme que Poutine a « eu le mérite de conduire la Russie vers la démocratie » puis il déclare que c’est un des « chefs d’Etat qui ont du sang sur les mains » ! Sarkozy dénonce en permanence les méfaits d’un « étatisme » imaginaire puisque, depuis trente ans, les gouvernements de droite et de gauche ont privatisé « l’eau, l’énergie, les autoroutes, le secteur bancaire, les assurances, les télécommunications, l’audiovisuel, Air France, et même une partie des prisons », note J.L. Porquet . Quand il parle de Neuilly, Sarkozy fait preuve d’un cynisme ébourriffant : « Les gens n’y vivent pas par hasard. Neuilly est spécifique en ce que ses habitants ont choisi cette ville, c’est un acte de volonté ». Et c’est justement là qu’il y a seulement 3% de logements sociaux...

5) « Le démagogue simplifie à mort »

Selon certaines études, Sarkozy aurait un vocabulaire très limité : 1500 mots au lieu de 3000 normalement utilisés. Sa « pensée » fonctionne avec des oppositions simplistes et binaires : ordre/désordre, voyous/honnêtes gens, travailleurs/fainéants, etc. Dans ses discours de meeting, il pose des questions fermées et culpabilisantes : « c’est moi qui fais les questions et les réponses et à la sortie les gens ont l’impression qu’on s’est vraiment parlé », avoue Sarkozy. Un exemple de ce procédé ? Une question comme « Est-il normal d’aller à l’école la peur au ventre » ? ne laisse évidemment aucun choix à celui à qui on la pose.

6) « Le démagogue aime l’ordre et la saine punition »

Sarkozy a multiplié les lois sur la sécurité intérieure, l’immigration, la récidive, le terrorisme, la prévention de la délinquance, etc. Mais comme le signale J.L. Porquet, cela s’est traduit uniquement par une augmentation des amendes et des peines de prison pour les mendiants, les prostituées, les gens du voyage, les sans-papiers qui refusent d’être expulsés, les citoyens qui refusent de donner leur ADN, etc. Lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, Sarkozy a dangereusement augmenté les pouvoirs de la police qui peut désormais (et cela va certainement empirer maintenant qu’il est président) :
- « fliquer les automobilistes (grâce à un dispositif de lecture automatique des plaques minéralogiques) et photographier les passagers »,
- « installer partout, et prioritairement dans les gares, des caméras de vidéosurveillance, dont les données sont conservées pendant un an »,
- « fliquer les passages des transports publics, trains, bateaux, avions »,
- « multiplier les céourtes téléphoniques sans en référer aux juges »
- « surveiller Internet » et les « cybercafés »
- « avoir accès à tous les fichiers : permis de conduire, cartes d’identité, passeports, demandes de visa, cartes de séjour ». Sarkozy a fait un usage intensif et explicite de la religion. C’est ainsi qu’il a déclaré : « il y a moins de délinquance » dans un quartier quand il y a « un prêtre ou un pasteur dans un village ou un quartier pour s’occuper des jeunes ».

7) « Le démagogue attise les peurs »

« Plus une ville, plus un village où les portes ne soient closes, où les verrous ne soient tirés » déclare Sarkozy en 2002. Il dénonce sans cesse les cambriolages, le vandalisme, etc. Sa méthode se résume à « faire peur pour mieux rassurer », comme l’écrit justement l’auteur. Et J.L. Porquet de noter que les fraudes des particuliers aux Assedic, au fisc, à l’assurance maladie, aux impôts ne représentent que 80 millions d’euros, une goutte d’eau à côté des 7,78 milliards d’euros non payés à la Sécu grâce aux combines patronales des multinationales qui créent « des centaines de sociétés fictives, toutes domiciliées dans les paradis fiscaux (Malte, Guernesey, îles Caïman, etc.) et dont leurs cadres sont censés être les directeurs »

8) « Le démagogue aime promettre la lune et la rupture » (qui est devenue « tranquille » après des sondages défavorables »

Sarkozy, avant d’être élu, a promis, pêle-mêle, la baisse des impôts, 15 élèves par classe dans les banlieues défavorisées, le droit à la formation toute la vie, le droit de faire garder ses enfants, des logements pour les jeunes, la suppression des droits de succession, le contrat unique de travail, la restriction du droit de grève. Pas besoin d’être cartomancienne pour prédire que, parmi ces mesures, les seules qui seront appliquées seront celles qui correspondront à des cadeaux pour les riches et les classes moyennes, et de nouveaux sacrifices pour les travailleurs et les plus pauvres.

9) « Le démagogue se prend pour le sauveur »

Selon J.-L. Porquet, un démagogue sait toujours manipuler trois menaces principales :
- le péril extérieur : en ce moment l’Iran et le terrorisme djihadiste, voire la Turquie, sont très efficaces ; demain cela pourrait être la Chine ;
- la crise économique : sur ce plan-là, Sarkozy est pour le moment un peu démuni, comme en témoignent les déclarations comiques de Christine Lagarde, sa ministre de l’Economie, affirmant que la crise bancaire provoquée par les « subprimes », ces crédits hypothécaires à risques répandus aux Etats-Unis, ne toucherait pas la France ;
- et la guerre civile imminente : Sarkozy semble pour le moment réserver ce procédé à ses députés les plus à droite, car il préfère jouer le rôle du mec tolérant, ouvert, et prêt au dialogue. Mais il ne s’agit que d’une division du travail au sein de son parti, les uns jouant le méchant flic, lui s’attribuant celui du gentil.

Selon J.L. Porquet, le sauveur s’est fait tout seul (Sarkozy n’arrête pas de le répéter dans ses livres et ses interviews), le sauveur fait des miracles (il est plus difficile d’en trouver à son actif), il fait la loi, il est infaillible, il se sacre lui-même (il suffit de regarder ses conférences de presse et interviews-monologues) et il régnera seul (la façon dont son gouvernement fonctionne ne laisse aucun doute).

La lecture rafraîchissante de ce livre est essentielle non seulement pour comprendre comment Sarkozy a gagné, mais aussi, hélas, comment il tentera de manipuler les électeurs pendant les cinq ans à venir. Y.C.

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