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"Subprimes" et fondements de la crise boursière

samedi 1er septembre 2007

Extrait de La Lettre de Liaisons n° 223 du 30 août 2007

Présentation

Les événements boursiers d‘ampleur internationale survenus cet été ont pour cause immédiate la crise dite des subprime qui frappe des millions de ménages aux revenus modestes aux Etats-Unis. Les effets sociaux de cette crise vont se manifester sous la forme de saisies de centaines de milliers de logements avec des millions de gens menacés de se retrouver à la rue à la veille de l’hiver, dans le pays censé être le plus riche du monde.

L’onde de choc touche toutes les bourses et institutions financières du monde, à commencer par celles d’Europe. Cette crise du crédit semble avoir des effets certains depuis juin déjà sur les PME allemandes qui nous sont pourtant vantées par la presse bourgeoise comme le fer de lance de la réussite allemande en matière de commerce extérieur ! Faillites et licenciements menacent.

Simultanément une forte hausse des prix des produits alimentaires est annoncée pour cette rentrée, sous l’effet de la hausse mondiale de la demande, d’un tournant des plus discutables vers le bio-carburant des Etats-Unis et d’une insuffisance de la production céréalière, de viande et de produits laitiers.

La conjonction de cette crise avec les signes manifestes des effets destructeurs de la gestion capitaliste du monde (incendies meurtriers et destructeurs de forêts sur le pourtour du bassin méditerranéen, en Grèce notamment, révélations sur l’ampleur de la pollution de l’eau en Chine...) nous donne une indication du caractère régressif du système capitaliste.

Pour aider les travailleurs à faire face à ces menaces sociales et écologiques, il faut décrypter cette crise, ses mécanismes, en un mot : mettre à nu ce système ! Sollicité par le site Le Grand Soir, notre camarade Présumey a rédigé trois articles que nous reproduisons à destination des abonnés de la Lettre de Liaisons. Notre objectif est simple : armer les militants comme le plus grand nombre pour comprendre ce qui se passe afin d‘organiser la riposte sociale

dont le débouché le plus sur ne peut pas être moins que l’instauration du pouvoir de la majorité sociale, le salariat et les couches qui lui sont rattachées, afin de rebâtir la société sur une autre base : celle de la satisfaction des besoins humains à partir de l’expropriation du Capital et du démantèlement de son Etat.

L’heure n’est pas à la rédaction en cercles fermés d’un programme sophistiqué, l’heure est à la compréhension que la satisfaction des besoins humains les plus élémentaires - se loger, se nourrir, se soigner - devient de plus en plus contingente sous le règne du Capital. La seule issue favorable pour l’humanité passe par la préparation consciente de cet affrontement.

La lettre de Liaisons

* * *

L’univers impitoyable du Subprime mortgage,

Par Vincent Présumey.

La Lettre de Liaisons, 10 août 2007.

Subprime mortgage

Comme on le sait maintenant de plus en plus, ce terme désigne des prêts hypothécaires censés permettre à de petits salariés, voire chômeurs, de devenir propriétaires, remboursables avec des taux variables sur des durées très longues pouvant atteindre 50 ans ou plus.

L’expression anglaise, ou plutôt américaine, combine deux termes.

Subprime est un terme bancaire : banques et assurances classent leurs clients en non-prime, prime et subprime selon les risques estimés de défaillance de l’emprunteur, les subprimes sont les plus potentiellement défaillants (en France ce système n’existe pas officiellement mais les variations des taux d’assurance agissent en réalité sur le montant total de l’intérêt).

Mortgage signifie hypothèque, mais comme on le voit ce n’est pas, à l’origine un mot anglais, mais du vieux français. Guillaume le Conquérant ayant fondé, en 1066, la monarchie féodale anglaise, son aristocratie parla un certain temps un dialecte franco-normand, ce pour quoi la viande dans l’assiette du noble se dit beef comme "boeuf", mot français, alors que le serf anglo-saxon appelait toujours l’animal sur pied cow ... Et ainsi donc un mortgage, en vieux français, c’est une servitude féodale, par laquelle le seigneur ou l’usurier contraint le vil paysan à un endettement quasi perpétuel.

M.M. Reagan et Bush ont, comme on le sait aussi, voulu faire des Etats-Unis une "nation de propriétaires" et, dans une certaine mesure, ils l’ont fait. Voila donc le résultat. Au fait, en France aussi, Sarkozy veut faire de nous une "nation de propriétaires" ...

La transformation de millions de petits salariés en "propriétaires" passa donc par leur endettement via les subprime mortage, depuis des années. Au début ce système servait à acheter des taudis, voire des caravanes, puis il s’est étendu aux maisons et appartements. Or, ces derniers temps, et plus fortement dans l’année écoulée, trois tendances se sont conjuguées : la stagnation ou la baisse des salaires réels, la baisse des prix des terrains et des immeubles et la hausse des taux d’intérêts.

La stagnation ou la baisse des salaires réels est un fait aux Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001, qui a stoppé un début de remontée des salaires imposé par les luttes ouvrières depuis la victoire de la grève d’UPS en 1997. Malgré des tensions sur le marché du travail depuis 2005 qui tendaient à les faire repartir à la hausse, c’est le fait dominant de toutes ces années, tout du moins pour les couches du salariat les plus concernées par les prêts hypothécaires à taux variables ... Les emprunteurs ont donc des revenus qui stagnent ou baissent, lourdement amputés de plus par leur endettement.

La baisse des prix immobiliers et fonciers pourrait sembler ne pas devoir les désavantager, mais c’est là une illusion. En effet, beaucoup d’entre eux cherchent à un moment ou à un autre à se débarrasser de tout ou partie de leur dette en revendant leur "bien", mais avec cette baisse cela est de moins en moins utile pour eux et ils gardent donc sur les bras des bâtiments pour lesquels ils se saignent sans pouvoir s’en délivrer, ou alors ils en sont "délivrés" ... par expulsions, leur maison hypothéquée étant confisquée, ce qui ne les exempte pas de continuer à payer le capital plus les intérêts que celle-ci, dont le prix a baissé, n’a pas complètement remboursé loin de là ... Seuls les "pauvres" désirant acheter sont donc, en théorie, intéressés par la baisse des prix fonciers et immobiliers ; mais les pauvres n’achètent pas, ils empruntent, et les taux sont maintenant beaucoup trop élevés.

Hausse des taux et prix des terrains et des bâtiments sont liés par une relation qui est l’un des rapports sociaux les plus irrationnels du mode de production capitaliste : le prix foncier est formé par capitalisation de la rente foncière, c’est-à-dire que le loyer moyen (ou, pour des terres agricoles, le fermage) est considéré comme l’intérêt d’un capital qui est le prix du terrain. Mathématiquement, si les taux d’intérêt montent les prix fonciers baissent, et inversement. Etrangement, mais ce rapport social fonctionne bel et bien, cela veut dire en partie que moins c’est cher, plus vous payez ! (C’est là la clef pour analyser le lien étrange entre loyers et prix immobiliers, abordé dans l’article Bulle immobilière : le krach menace, www.legrandsoir.info/article.php3 ?id_article=2927 ).

Et en l’occurrence, l’acheteur-emprunteur paye deux fois. Car si le prix foncier est formé par capitalisation de la rente foncière, et qu’il le paye, ce n’est pas pour percevoir la dite rente mais pour se loger : il peut, il est vrai, louer la maison qu’il paye (quitte à coucher dans sa voiture sur le trottoir d’en face : cela existe, et pas marginalement !) et dans ce cas il cherchera à aligner le montant du loyer sur celui des intérêts.

Or, les taux d’intérêts ont nettement remonté aux Etats-Unis depuis un an et demi, malgré la Fed qui s’est alignée sur cette tendance et ne l’a pas suscitée -cette perte de contrôle partielle de la Fed sur les taux américains est d’ailleurs un fait économiquement et politiquement nouveau.

Ce renchérissement de ce qu’il est convenu d’appeler le "loyer de l’argent" est en effet, au fond, une réaction à la baisse comparative du dollar par rapport aux autres monnaies, surtout l’euro, et en partie une réaction à la difficulté relative croissante de placer des bonds du trésor américain à l’étranger, où des quantités énormes se trouvent déjà, la plus grande concentration se situant ... en Chine.

Les officines de subprime mortgage, à leur tour empruntent à des banques et à des fonds d’investissements et sont des sociétés par action. Pour les banques et les fonds d’investissements (caisses de retraites, etc.), les branches consacrées à ce type de prêts sont réputés très lucratifs, et l’on voit aujourd’hui que la pyramide s’était fortement ramifiée en Europe, France comprise. Ainsi s’est formée toute une pyramide, à l’effondrement de laquelle on assiste à présent.

Le capitalisme en général, et le capitalisme nord-américain en particulier, est certes loin de s’y réduire : ce n’est qu’un "segment", comme disent les analystes qui se veulent rassurants. Certes, mais ce segment pourri est au coeur du système, dont il n’est pas le seul segment pourri. La transformation de la nation de salariés que sont en réalité les Etats-Unis en nation fictive de propriétaires aboutit à une forme particulièrement sophistiquée, et donc en même temps particulièrement régressive, de parasitisme capitaliste. Sont en effet mobilisés ici des rapports sociaux caractéristiques de la finance - le prêt à intérêt - en combinaison avec le rapport foncier-rentier, dans une arnaque totale et absolue envers celui qui est proclamé "propriétaire" et qui se fait en réalité voler son salaire, le prix de sa force de travail, et réduire au paupérisme. Au bout du rêve américain, revoilà donc le paupérisme. Avec des spectres de servage et d’esclavage pour dettes ...

Les travaux de Marx sur la rente foncière sont focalisés sur l’agriculture et n’aboutissent qu’à une théorie très partielle, car il n’a pas eu le temps de les conduire à terme. Mais son point de départ, méconnu, doit ici être rappelé : sans la propriété foncière, "Une condition de production tout à fait essentielle, et - à part l’homme et son travail - la seule condition de production originelle, ne pourrait pas être cédée, ne pourrait pas être appropriée et, partant, elle ne pourrait faire face à l’ouvrier comme propriété d’autrui ni faire de lui un salarié. (...) De fait, la production capitaliste en général aurait cessé d’exister." (Marx, Théorie sur la plus-value). La propriété foncière, est en fait l’expropriation des travailleurs de la terre et de leur propre habitat.

Avec les subprime mortgage, la boucle est bouclée : la transformation des salariés en "propriétaires" aboutit à leur expropriation encore un peu plus achevée, leur propre salaire leur étant repris sous forme de prix fonciers (rente) et d’intérêts à payer pour l’éternité. C’est au moment même de la proclamation du salarié comme propriétaire que s’achève en fait son expropriation et qu’il devient un pauper.

Ce retournement de l’idéal américain est un phénomène de très grande portée, qui ne touche certes pas tous les travailleurs américains, mais qui a atteint une échelle de masse. De plus, il est lié à une évolution des taux d’intérêts qui elle-même est due en fin de compte à l’affaiblissement relatif de l’impérialisme nord-américain dans des relations mondiales qu’il domine pourtant.

Quelques faits.

Sur les marchés financiers.

Depuis fin février 2007, les bourses mondiales oscillent entre la poursuite de la phase de hausse antérieure et des phases d’alerte avec des chutes momentanées. Cela s’est produit à trois reprises, phase actuelle comprise, mais celle-ci pourrait marquer un retournement, car cette fois ça dure, et les indices boursiers, ramenés à leur niveau du début de l’année en gros vers les dates des 7-8 août, ont continué à plonger avec un à-coup violent à la baisse les jours suivants. Plusieurs jours de baisses à 1%, 2% voire 2,5% ou un peu plus, cela finit par faire un "krach", dont le caractère de pétarade à répétition, plutôt que de grand boom, ne limite pas la gravité réelle, d’autant plus que la crainte du dit grand boom est de plus en plus présente sur les marchés ...

A chaque fois deux facteurs immédiats ont interagi : l’endettement extrême des ménages nord-américains, d’une part, avec l’incendie dans le maillon faible des subprime mortgage (qui est loin cependant de représenter l’essentiel des crédits aux ménages américains), et d’autre part l’instabilité structurelle du capitalisme chinois et de ses relations avec les Etats-Unis.

Il n’est pas sans intérêt de rappeler le scénario de la première de ces chutes momentanées (momentanées jusque là !). Les choses ont démarré à Shanghai par une "panique" provoquée par les projets d’encadrement du crédit des sphères gouvernementales chinoises. Un tel encadrement serait, d’un point de vue rationnel, tout à fait nécessaire à l’essor "sain" du capitalisme chinois. Mais le capitalisme n’est ni sain, ni rationnel, et de plus les paniqueurs, à savoir les spéculateurs, actionnaires et patrons chinois, sont les mêmes ou sont les frères et les cousins des chefs du parti communiste chinois dans lequel ces projets sont discutés, ils sont donc bien placés pour être au courant. Premier acte, donc. Deuxième acte : la chute à Shanghai se communique aux bourses du monde entier, et d’abord à Wall Street, en une demi-journée. Cette rapidité est qualitativement supérieure à ce qui se passait ne serait-ce qu’une décennie avant, lorsque la crise "asiatique" née à Bangkok et Manille début 1997 (Shanghai et la Chine n’avaient pas acquis, alors, leur place actuelle) mettait non pas une demi-journée, mais une année, pour parcourir les bourses du monde entier. Troisième aspect : dès ce premier éternuement, l’ancien patron de la Fed (la Federal Reverve Bank, banque centrale des Etats-Unis) Alan Greenspan tenait des propos inquiétants sur les risques de crédit aux Etats-Unis même, ce qui devait être particulièrement agaçant pour son successeur, Ben Bernanke. Du temps où Greenspan était président de la Fed il se plaisait à dire : "Si vous avez compris quelque chose à ce que j’ai dit, c’est que j’ai dû faire une erreur quelque part." Mais une fois à la retraite cet adage ne tient plus. Comme s’il lui fallait attiser la crise de toutes les institutions dirigeantes nord-américaines, il dit tout haut ce que son successeur ne peut pas dire tout bas. Mais dans la dernière phase de baisse, la plus grave, Greenspan n’a pas refait son numéro : il est vrai que tout le monde maintenant reconnaît que le risque de crédit est là, et bien là, et que point n’est besoin d’en rajouter.

En fait, le vieux renard peut boire du petit lait car le plongeon boursier mondial de la fin de la semaine allant du 6 au 10 août a précisément fait suite à la décision de son successeur Bernanke, le mardi 7 août, de maintenir le taux directeur de la Fed inchangé à 5,25% avec un communiqué qualifié par les commentateurs de "serein".) Ce faisant, la Fed lançait, paraît-il, un message de solidité, (serenity, tranquility, peace ! ) contrastant avec les attitudes anciennes, du temps de Greenspan, qui répondait plus vite aux demandes des marchés : c’est lui qui, en 1998, avait pris la décision politique capitale (le cas de le dire ! ) de renflouer le fonds d’investissement Long Term Capital Management, apportant ainsi un coup d’arrêt à la crise dite "asiatique" et baissé, à l’époque, les taux d’intérêts. A partir de là commençait, dépenses militaires américain à l’appui, la grande reprise de la fin des années 1990 et des années 2000, intensifiée depuis le 11 septembre 2001 avec la croissance chinoise notamment. Selon les analystes financiers donc, la Fed-Bernanke montrait cette fois-ci une plus grande indépendance que la Fed-Greenspan et manifestait en même temps que la situation, en termes de bulle financière prête à exploser, n’en est pas au stade qu’elle avait atteint en 1998. Ces fines analyses durèrent exactement un jour et demi (compte tenu du décalage horaire causé par la rotation de la Terre), du mardi au jeudi, pendant lequel radios et sites spécialisés expliquèrent que tout repartait dans le bon sens, que la situation était consolidée. Et puis, dans la journée de jeudi, tout se retournait, au point que prévalut l’opinion selon laquelle le ton rassurant des autorités monétaires et politiques avait, cette fois-ci, "attisé les peurs" (Le Monde du vendredi 10).

Intervention des banques centrales.

Voyons maintenant un autre fait. Dans la matinée du jeudi 9 août, la BCE (Banque Centrale Européenne instaurée par le traité de Maastricht) agissant d’une manière digne du Greenspan de 1998 (et contredisant son habituel discours sur la rétention de la création monétaire pour éviter l’ "inflation"), dépensait immédiatement la somme de 94,8 milliards d’euro pour enrayer la baisse, agissant en préteur en dernier ressort. Somme d’une ampleur astronomique. On pourrait la comparer au célèbre "trou" de la Sécu en France : c’est plusieurs fois le "trou". Motivation officielle de ce déblocage extraordinaire de fonds (suivis du déblocage de sommes moindres, mais en soi considérables aussi, des banques centrales états-unienne, canadienne, australienne et japonaise) : rétablir la confiance. Dans le propre discours des responsables de cette honorable institution, en effet, "C’était simplement un problème de confiance. En théorie, la BCE n’était pas obligée d’agir. Mais ce qu’elle a fait, c’est instaurer la confiance.". Les salariés aimeraient bien que, pour instaurer leur "confiance", on leur aligne ainsi chèques sur chèques !

Mais il faut établir le fait précis qui, selon la BCE et selon les analystes financiers, exprimait le "problème de confiance". Avant l’intervention de la BCE, les taux d’intérêts interbancaires sont montés en cinq minutes -en cinq minutes - de 4,1% à 4,7%, atteignant leur plus haut niveau depuis le 11 septembre 2001. Il s’agit des taux des sommes que les banques se prêtent entre elles : cette hausse montrait donc que les banques n’ont plus confiance les unes dans les autres et ne croient donc pas à leur propres communiqués lénifiants, tout du moins en ce qui concerne le marché de refinancement à terme. En mettant à la disposition des banques des fonds à 4%, l’intervention de la BCE entraîne donc par là même les taux d’intérêt au jour le jour à la baisse, but de l’opération, car en manque de confiance les prêteurs se retirent, les emprunteurs ne trouvent donc plus d’argent pour se refinancer sur les marchés à terme et donc se retournent vers le marché de l’argent au jour le jour qui profite de l’aubaine pour demander des taux d’ intérêt de plus en plus haut.

Ainsi donc, les gogos que nous sommes sont censés avaler l’allégation selon laquelle la troisième plus forte injection de liquidités par les Etats capitalistes dans l’économie en vingt ans (les deux autres sont celle de Greenspan en 1998 et celle du 11 septembre 2001), la plus forte à laquelle la BCE se soit jamais livrée, et probablement le plus fort accès de création monétaire inflationniste instantanée dans la "mondialisation", les gogos que nous sommes sont donc censés croire que ceci ne correspondait pas à une crainte réelle, touchant aux "fondamentaux", comme ils disent, mais ne visait qu’à rétablir la "confiance". Or, elle ne l’a pas rétablie. Les bourses ont continué à chuter, de sorte que la BCE a récidivé le lendemain, atteignant une injection globale de ... 156 milliards d’euro.

Chaque crise financière a des traits spécifiques. Une intervention aussi massive des banques centrales (donc des Etats) à un stade encore relativement superficiel de la crise est quelque chose d’inédit. Il y a, d’ailleurs, une part de vérité dans la croyance, totalement irrationnelle en elle-même, des autorités monétaires en la "confiance" et la fiction selon laquelle tout cela ne serait qu’affaire de "confiance" : dans ses manifestations concrètes nécessaires, mais superficielles, dans sa forme phénoménale véhiculant, de manière contradictoire, son essence, la crise, sur les marchés immobiliers d’abord, puis sur l’ensemble des places boursières, entre les banques et finalement partout, prend effectivement la forme d’une crise "de confiance", singulièrement dans le fait que toute exhortation à la confiance, tout propos rassurant, est en passe de se muer en son contraire et d’avoir un effet paniquant. Mais ce retournement de la confiance en son contraire est l’expression par excellence de ce que les causes sont autrement plus profondes ...

Les "marchés" ont-ils retrouvé la "confiance", ou non, on le saura lundi. Mais le géant de l’immobilier nord-américain et leader du secteur, Countrywide Financial, déclare "jouer la franchise" : "les conséquences financières de la crise actuelle pourraient se révéler sérieuses."

Vendredi soir, France 2. Le flash (indigent, naturellement) de la chaîne officielle de télévision se termine en expliquant aux "petits actionnaires" qu’ils ne doivent pas s’affoler. On n’a pas encore compris, à France 2, que les déclarations rassurantes se sont converties les jours précédents en facteurs d’affolement. TF1, première chaîne privée, traduit plus directement le sentiment des capitalistes : "Cette crise ne fait que commencer". Cela dit, ce vendredi soir l’inquiétude est en partie transférée d’Amérique en Europe : à Wall Street, le Dow Jones n’a reculé que de 0,8% sur la journée.

Deux grandes banques et une université.

Mais poursuivons notre revue des principaux faits.

En remontant un tout petit peu en arrière : fin juillet la banque allemande IKB (Deutsche Industriebank) (après plusieurs grandes banques aux EU) - premier préteur germanique auprès des petites et moyennes entreprises, seule banque allemande de statut inter-Länder, créée en 1924, pionnier historique des prêts à long terme aux PME ... déclare que ses résultats annuels vont plonger. A cause de ses engagements dans le crédit immobilier nord-américain. C’est en fait là que commence la phase actuelle, qui consiste donc dans la propagation de l’onde de choc de part et d’autre de l’Atlantique. L’actionnaire de référence d’IKB est la banque publique KFW (comparable à la Caisse des dépôts française) ; le ministre SPD des Finances décide le déblocage de 3,5 milliards d’euros, qui grimperont finalement à 8, pour éviter sa faillite qui aurait très vraisemblablement entraîné une réaction de faillites en chaîne dans le système de crédit allemand et donc européen.

A nouveau des comparaisons historiques s’imposent. Les liquidités accordées par les banques centrales sont, on l’a dit, la plus forte intervention depuis le 11 septembre 2001. Mais là, un tel mécanisme : celui d’un risque soudain de faillite dans une grande banque germanique provoqué par une onde de choc nord-américaine ...certes, le précédent existe, il date de 1931.

Exactement au même moment, en France, le conseil d’administration de BNP-Paribas, présidé par Michel Pébereau, disait dans un communiqué :

"BNP Paribas, grâce à la bonne qualité de son fonds de commerce et à une politique de risque prudente, n’est pas directement impacté par la crise actuelle du « sub-prime » ni par les tensions dans le marché des LBOs. La qualité de la gestion des risques de BNP Paribas a été soulignée par l’agence de notation Standard and Poor’s le 10 juillet lors de l’annonce du rehaussement de la note de BNP Paribas à AA+. Cette note place BNP Paribas parmi les six grandes banques les mieux notées au monde."

On ne résistera pas ici au plaisir de compléter cette citation par cette déclaration du directeur général, un certain Baudouin Prot :

"La qualité de notre ’business model’ et notre vigilance en matière de risques nous mettent en bonne position pour continuer à bien performer dans un environnement moins favorable".

Quelques jours plus tard, le "business model" de Baudoin Prot "performa" : nous revoilà donc le jeudi matin 9 août. BNP Paribas fait soudain savoir au monde, et à la Bourse apeurée, qu’elle gèle toute souscription-rachat sur trois fonds gérés par Paribas, en fait trois offices de placements en valeurs mobilières, des fonds de gestion de paquets de titres de propriétés et de créances reposant en l’occurrence principalement sur l’immobilier nord-américain. Autrement dit, BNP-Paribas avait joué comme IKB Deutsche Industriebank (combien sont-ils dans ce cas ?). Ces titres de propriété et ces créances appartiennent typiquement à la catégorie du capital fictif, celle des titres négociables ayant un prix déconnecté du capital qu’ils sont censés représenter.

On ne résistera pas non plus au charme discret des termes exacts utilisés dans le communiqué de la grande maison française pour ne pas avoir à dire clairement ce qu’il en est :

"La disparition de toute transaction sur certains segments du marché de la titrisation aux Etats-Unis conduit à une absence de prix de référence et à une illiquidité quasi-totale des actifs figurant dans les portefeuilles des fonds quelle que soit leur qualité ou leur rating. Cette situation ne permet plus d’établir une juste valorisation des actifs sous-jacents et donc de calculer une valeur liquidative pour ces 3 fonds."

Autrement dit, nous avons des fonds qui, aux Etats-Unis, ne peuvent plus être refilés à qui que ce soit et donc, ça coince.

Dernier fait pour terminer ce tour d’horizon : l’université Harvard, aux Etats-Unis, vient elle aussi de perdre dans la tourmente. 350 millions de dollars, qu’elle avait investis dans un fonds spéculatif.

Il s’agit du capital.

L’ébranlement financier de ces jours n’a pas pour cause ultime le simple étalage de données que sont les subprime mortgage et la crise de la place des Etats-Unis dans le monde.

Leur remplacement par un cartel de puissances aujourd’hui secondes, de la Chine à l’Allemagne en passant par le Brésil et l’Inde, ne supprimerait aucune des tendances profondes du capitalisme et nécessiterait d’ailleurs une guerre destructrice que personne de censé ne peut souhaiter. Le polycentrisme n’est pas plus progressiste que l’hyperpuissance.

Le contrôle des mouvements de capitaux, le rétablissement de seuils de crédit comme il en a existé de Roosevelt aux années 1980, des interventions des banques centrales sur les prix des actifs financiers et immobiliers et la fermeture des paradis fiscaux, outre que chacune de ces mesures et toutes ensembles sont impossibles à réaliser en dehors d’un renversement des forces politiques capitalistes et de leurs Etats eux-mêmes (qui sont au coeur de la finance, via les bonds du trésor et la titrisation des dettes publiques) qui permettrait forcément de faire bien plus et bien mieux, toutes ces mesures (proposée par ATTAC dans un communiqué sur la crise présente) équivalent à faire tourner la roue de l’histoire à l’envers, vers un bon vieux fordisme keynésien totalement mythique, et qui en réalité n’a pu fonctionner que par la guerre et les dépenses militaires permanente, et dont le capitalisme actuel de la "mondialisation" est le fruit légitime et logique.

Il serait beaucoup plus raisonnable, responsable et rationnel, finalement beaucoup plus économique, de poser publiquement la question de la rupture avec le système de production lui-même, celui du capital, donc de l’expropriation et de la socialisation des grandes entreprises de production dans l’industrie, l’agriculture, les transports, de l’abolition des dettes (dettes extérieures titrisées des Etats comme les dettes des pauvres du type subprime), et de l’élimination pure et simple des officines financières et rentières parasitaires, remplacées par des services communs de statistique et d’allocation de ressources. Vaste programme certes, mais pour l’élaborer il faut reposer en commun la question du capitalisme.

Chacun comprend bien déjà qu’il ne s’agit pas de l’effondrement d’un château de cartes, en somme un assainissement, une "consolidation" comme ils disent, mais d’une maladie. Elle ne consiste pas dans la finance, pas dans l’immobilier, mais bien dans le capital.

Avons nous affaire à une crise fondamentale du capitalisme lui-même, procédant de la surproduction (par rapport à la demande solvable et non par rapport aux vrais besoins) et de la baisse des taux de profit, ou "seulement" à une crise de réajustement mettant en cause la domination du capitalisme par les Etats-Unis (sans solution de rechange) ? On ne le sait pas encore et il faut être prudent sur ce sujet, car la production de plus-value surtout en Asie depuis 2001 est un élément fort du paysage, qui ne se réduit donc pas au parasitisme financier et rentier. En outre la hausse des prix des matières premières agricoles, qui arrive dans les prix quotidiens de la ménagère, s’explique pour partie par la hausse de la demande mondiale, pour partie par l’anticipation spéculative de pénuries qui n’ont pas commencé -donc par le parasitisme financier - mais assurément pas par la surproduction. Il reste donc à démêler de prés l’écheveau présent : on y reviendra.

Cela dit, il est d’ores et déjà peu probable que le krach actuel, puisque c’est d’un krach dont il s’agit, n’ait pas de prolongement sur la production. « Si la défiance devait persister, il y a de sérieux risques de crise financière avec des banques contraintes de vendre certains actifs pour trouver des liquidités », expliquent les économistes de Natixis. Leurs homologues du Crédit Suisse estiment eux aussi qu’un « vent mauvais souffle sur le secteur financier qui pourrait déboucher sur la sphère économique à travers une interruption brutale des crédits accordés aux entreprises et aux particuliers ».

A suivre ...

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Immobilier, subprime, crise financière : ce qui avait marché en 1998 semble ne plus marcher !

par Vincent Présumey.

J Jeudi matin 16 août : le moment de la situation.

Pendant le dernier week-end, tout le monde attendait de voir comment les bourses allaient se comporter à la reprise lundi. Lundi, quelques cris de triomphes perçaient ça et là : la crise semblait jugulée ! A vrai dire ce n’était pas le cas, la "reprise" était bien timide à Wall Street. Elle concernait surtout les places européennes ... qui perdaient tout leurs gains le mardi.

Il est curieux de constater que chaque fois que la Bourse baisse, beaucoup d’observateurs se comportent comme si la légitimité du capitalisme était immédiatement en question. Cela peut se comprendre du côté de militants anticapitalistes : avouons-le, une joie mauvaise nous guette dans ces moments là, mais elle est irrationnelle car, de toute façon, tant qu’on n’aura pas fait choir le capitalisme qui se reproduit de lui-même en s’élargissant, ce seront toujours les mêmes qui paieront aussi bien ses gains que ses pertes -les mêmes, c’est-à-dire la terre et les travailleurs.

Mais ce comportement concerne également les supporters du capitalisme et les analystes boursiers qui se targuent de pragmatisme et qui, effectivement, sont a priori bien loin de toute réflexion théorique sur leur activité. Ceux-là se font surtout remarquer dans ce registre lorsque la Bourse remonte ou semble vouloir remonter après une bonne frousse : dans ces cas-là on dirait qu’ils émergent d’outre-tombe et les voici, triomphants, à affirmer au monde ébahi que, décidément, le capitalisme, ça marche ! Ces airs de triomphe ne répondent souvent à rien d’autre qu’à leurs propres angoisses. Ils en sont les révélateurs.

La chose devient risible quand la velléité de reprise s’avère être un pétard mouillé, ce qui s’est produit lundi dernier. Soyons juste cependant, les vrais analystes sont restés prudents ce jour-là, et on les comprend, et c’est plutôt le deuxième cercle, celui des journalistes et des purs et simples apologistes auxquels il n’est même pas demandé de manier la calculette, mais seulement de déblatérer, qui se sont ridiculisés.

Bref, le bilan boursier de ces quelques jours est facile à résumer : les banques centrales n’ont pas rassuré les marchés financiers. On peut même se demander si elles ne les ont pas affolés un peu plus dans une certaine mesure. Et, à l’heure où sont écrites ces lignes, jeudi matin 16 août, dans la nuit précédente qui était la journée des marchés asiatiques, ceux-ci ont sévèrement décroché : -1,99% au Japon, recul analogue aux bourses européennes et à Wall Street, de même qu’à Sydney et Auckland, mais à Shanghai le recul est déjà de -2,14% et de -3,77% à Bombay ... mais ce sont les plus petits qui ont le plus écopé, avec -3,61% à Hong-Kong et 3,7% à Kuala Lumpur, -4,09 % à Bangkok, -4,56% à Taïpeh, -4,6% à Singapour, -6,01% à Manille, -6,3% à Djakarta, -6,93% à Séoul et -10% pour l’indice sud-coréen Kosdaq des valeurs technologiques, dont la séance a été suspendue.

C’est une nouvelle étape car, jusqu’à présent, le krach prenait la forme d’une pétarade avec un peu de baisse chaque jour et là, il s’accélère sur les places asiatiques. Nous verrons dans quelques heures la suite immédiate ou non sur les autres places. A l’heure où sont écrites ces lignes, on apprend que l’action de Countrywide Financial a dévissé de 13% de peur d’une faillite de cette institution. Pour faire comprendre à des Français ce que cela peut signifier, le mieux est de dire qu’aux Etats-Unis, Countrywide Financial est ce qui, pour le public, se rapprocherait le plus de notre ancien Crédit Lyonnais et de notre Crédit foncier réunis, à l’échelle et avec la culture des Etats-Unis.

Mais l’objet de cet article est de lever les yeux des indices boursiers et d’envisager quelques questions de fond.

Des rapports inégaux.

Les banques centrales ont massivement injecté des liquidités, c’est-à-dire prêté de la monnaie aux banques privées. Pour une part ces fonds ont été rendus rapidement, pour une autre part, importante, il s’agit de création monétaire pure et simple, donc inflationniste, qui est allée se nicher dans leurs avoirs pour éponger les pertes et relancer les processus de prêts aux acteurs financiers. Mais c’est surtout la BCE à Francfort qui a ouvert le bal la semaine dernière et l’a ensuite entretenu. Au total, les débours les plus massifs proviennent donc des Etats européens, et donc en fin de compte des contribuables (c’est-à-dire surtout des salariés de toutes catégories puisque le gros des recettes fiscales, ne l’oublions pas, consiste en impôts indirects sur les achats de biens de subsistance !).

Autrement dit, c’est l’Europe qui paye pour les Etats-Unis. Ce rapport de sujétion se retrouve sous une autre forme en Asie avec la manière dont l’accélération de la crise s’y est produite : le point de départ immédiat de la spirale y a été donné par les difficultés de la banque liée au trust Mitsubishi, suivi d’une peur, justifiée, que les fonds d’investissements mis en difficultés par la crise des subprime ne se mettent à vouloir compenser en vendant massivement des actions japonaises ...

Ces rapports inégaux se reflètent jusque dans les décalages des fluctuations boursières, ce qui est d’autant plus frappant que l’interconnexion est ici la plus forte. Lundi la "reprise" fictive concernait l’Europe, qui plongea d’autant plus le lendemain. Jusque-là, Wall Street a évité des à-coups à la baisse comparables, sans parler de ceux qui viennent juste de gagner les places asiatiques. Alors que Wall Street est en réalité l’épicentre et le premier foyer. A noter que lorsque le décrochage s’est affirmé en Europe, mardi, c’est Paris qui a tiré les autres vers le bas ...

Nous avons donc, pour l’instant, réaffirmation du rapport de sujétion entre les Etats-Unis et le reste du monde, alors que ce rapport ne repose plus sur des données économiques immédiates, mais sur la supériorité acquise tout au long du siècle passé. L’impérialisme nord-américain coûte de plus en plus chers à ses partenaires. Le vent du boulet d’une déconnexion, d’un refus de ceux-ci de payer, existe bel et bien, en raison de la position chinoise. Vendredi soir, comme par hasard, après la fermeture de Wall Street, la presse faisait état de rumeurs sur les discussions dans les hautes sphères de Beijin, discussions sur l’existence desquelles on ne saurait douter, concernant la possibilité de ventes massives par la Chine des bonds du trésor nord-américains qu’elle détient.

Est en cause ici une structure du marché mondial de première importance. L’impérialisme dominant est déficitaire et vit à crédit, ce qui n’est plus une nouveauté puisque cela dure depuis le début des années 1970, mais qui est une nouveauté à l’échelle de l’histoire. Son déficit commercial est équilibré par des achats massifs de bonds du trésor américain par les banques centrales et les acteurs financiers privés des autres puissances. A différents moments les Etats-Unis se sont ainsi reposés sur un partenaire privilégié qui se trouvait toujours être leur principal concurrent pour les industries de base et pour la productivité du travail. Dans les années 1970 ce fut l’Allemagne, dans les années 1980 le Japon, qui le paya cher, mais qui paya. Aujourd’hui c’est la Chine, mais dans un rapport particulier, d’une part parce que le capitalisme chinois, reposant sur l’exploitation effrénée d’un réservoir de main-d’oeuvre de centaines de millions de travailleurs, mais sans système boursier, financier, bancaire et fiscal structuré hérité du passé, est très particulier, d’autre part parce qu’il a une autonomie plus grande que ses prédécesseurs, étant constitué au sommet par la transformation en affairistes de la bureaucratie du PC chinois. Techniquement Beijin peut faire à New York le coup d’une vente massive des bonds du trésor américain, beaucoup plus facilement que ni Francfort ni Tokyo n’auraient jamais pu l’envisager dans le passé.

Mais un tel coup - dont le spectre plane sur la crise actuelle - ouvrirait une crise sans précédent, ferait apparaître les Etats-Unis comme insolvables et mettrait en péril tout l’ordre mondial reposant sur leur domination, avec y compris les implications militaires d’un tel choc. Pour que la bureaucratie chinoise prenne une telle responsabilité, où elle-même paierait très cher, car les exportations chinoises s’effondreraient, il faudrait vraiment qu’elle soit prise à la gorge.

Or, nous assistons parallèlement à la crise financière, à des manœuvres préventives de guerre économique américaine contre la Chine qui visent à dissuader celle-ci d’aller dans une telle direction. Ce n’est évidemment pas un hasard en effet si c’est à ce moment précis que la Chine est montrée du doigt pour la production de jouets dangereux. Il y a d’ailleurs bien pire, comme cette affaire de dentifrice à l’antigel qui aurait fait des dizaines de morts au Panama [Note de Ni patrie ni frontières : en fait il y a eu 365 morts suspectes liées à l’absorption d’un sirop pour la toux, même si le diétylène glycol se trouvait aussi en proportions moins dangereuses apparemment dans le dentifrice, l’écran solaire pour les enfants, et autres produits vendus dans les pharmacies et le supermarchés panaméens. Le Chinois auteur de cette initiative industrielle léthale a été aussitôt jugé et condamné à mort en Chine ce qui a permis d’étouffer l’affaire] ... Mais les comportements en cause ne sont pas des comportements "chinois" ; ce sont les méthodes typiques et obligées de toute capital industriel cherchant à se frayer à toute force des débouchés dans un marché mondial déjà saturé par rapport à la demande solvable. Evidemment, la campagne menée aux Etats-Unis sur les produits chinois n’est ni anticapitaliste, ni humanitaire, ni écologiste, mais tout simplement xénophobe.

Ainsi le jeu des recul boursiers et des débours des banques centrales depuis une semaine peut se lire comme une tentative de réaffirmation de la domination mondiale nord-américaine, tentative qui touche à ses limites et tend à l’extrême les contradictions, exportant brutalement le parasitisme du système financier et hypothécaire américain sur le reste du monde, et mettant notamment en cause le cordon "ombilical", si l’on peut dire, du déficit commercial américain et du financement du capitalisme chinois par ce déficit.

Débat sur le rôle des banques centrales.

Depuis une semaine les banques centrales nord-américaine, européenne et japonaise agissent en prêteurs en dernier ressort, massivement, et cette action n’a pas enrayé la crise, certains commentateurs l’accusant même de l’avoir aggravée -ce qui est tout de même exagéré mais qui révèle que cette crise met en cause les ressorts profonds du système.

En Europe la BCE est mise en cause d’une part pour l’ampleur décisive de sa contribution à ces injections mondiales, avec le sous-entendu qu’une grande partie de sa "générosité" est forcément passé outre-Atlantique, d’autre part pour le maintien de sa volonté affichée de "résister à l’inflation" (M. Trichet y est encore allé d’un couplet sur ce mal absolu, comparant inflation et "drogue", et ajoutant : "C’est ce que tous nos concitoyens pensent." ! ) et donc de ne pas baisser ses taux directeurs. Mais maintenir ses taux tout en injectant massivement de l’argent dans les circuits est une attitude totalement contradictoire qui, si elle se prolongeait, signifierait que la BCE n’a plus, à proprement parler, de politique.

Or la BCE est une institution multinationale, ou plus exactement multi-étatique, car il n’y a ni nation ni Etat paneuropéen. Ce sont les intérêts de l’impérialisme français notamment qui pèsent pour une modification de sa politique au moment présent. Mais le président Sarkozy évite pour l’instant de répéter publiquement certaines de ses déclarations de campagne sur l’euro et la BCE. Par contre depuis lundi matin le concert des hommes politiques, des experts et des apologistes français de second rang est ouvert contre la BCE, suite à l’interview de l’ancien ministre des Finances Thierry Breton.

Ces intérêts objectifs de l’économie française, c’est-à-dire du capitalisme français, entrent en contradiction avec la lune de miel Sarkozy-Bush et avec la politique de la BCE qui aide en l’occurrence les Etats-Unis et qui est pour l’instant portée par l’Allemagne.

La principale inquiétude qui s’exprime par leurs voix se veut vertueuse : si les banques centrales se mettent à éponger les pertes alors le système financier prendra de mauvaises habitudes (comme s’il n’en avait pas déjà). Ce n’est donc pas "vertueux" d’injecter aussi souvent et aussi massivement de l’huile dans les tuyaux. En réalité la vertu n’a rien à y voir. L’inquiétude nouvelle qui s’illustre ici provient de ce que la difficulté des banques centrales, et notamment de la BCE, à jouer leur rôle de préteurs en dernier ressort avec succès, est sans précédent. Pour l’instant, ce qui avait marché en 1998 lors de la faillite du hedge fund LTCM, enrayant la chute à Wall Street et marquant la phase de hausse des profits boursiers qui dure depuis neuf ans, semble ne plus marcher !

La crise de confiance envers la BCE se superpose à la crise ouverte au niveau de la Fed, la banque centrale américaine, elle-même composante de la crise de l’exécutif nord-américain (voir à ce sujet dans mon précédent article sur Greenspan et Bernanke). Quand à la Boj, la banque centrale japonaise, elle a tantôt injecté elle aussi des liquidités ces derniers jours, tantôt fait le contraire (c’est-à-dire supprimé les sommes à court terme remboursées par les banques à fur et à mesure de leur rentrée), précisément pour manifester sa "vertu". De toutes les gesticulations bancaires mondiales de la semaine écoulée, c’est cette stratégie qui est la plus conforme à la "vertu" et à la "régulation" appelées par le concert universel des bonnes âmes et des bons conseillers ; et ce fut la plus contre-productive de toutes à en juger par la tempête ouverte depuis quelques heures sur les marchés asiatiques !

Pourquoi les subprime mortgage ?

Dans le flot des commentaires, deux approches contradictoires et parfois simultanées de la question des subprime mortgage sont visibles.

On en fait le deus es machina de la crise, le vecteur diabolique, l’axe du mal : les fondamentaux vont bien, nous répète-t-on - et il y a de vraies raisons de le penser, disons-le, si l’on regarde les taux de croissance ... - la base est saine, mais ce sont ces satanées subprime qui sèment leur zone et produisent une crise qui est avant tout, bonne mère, une crise de confiance ! Avec un peu de vertu et de transparence, rétablissons la confiance et il n’y paraîtra plus. Variante apocalyptique : si décidément vous ne voulez pas avoir confiance, vous les actionnaires, vous les entrepreneurs, vous les consommateurs (on ne s’adresse pas ainsi aux salariés en tant que salariés : en tant que salarié on n’a pas à avoir confiance ou pas !), ce sera la catastrophe, le krach, Dallas, Sin City, la fin du monde.

Inversement d’autres ou les mêmes expliquent que les subprime mortgage en soi ne sont qu’un segment réduit du système financier, et qu’il y a d’ailleurs d’autres maillons interconnectés en eux-mêmes plus inquiétants encore, comme les LBO (Leverage buy out, rachats d’entreprises avec des titres de créance comme moyens d’achat). Vrai encore. Mais à partir de là on devrait donc reconnaître que si ce n’avait pas été les subprime, ç’aurait été autre chose, et que la crise était prévisible : effectivement elle était annoncée et attendue logiquement par tous les commentateurs qui voient que la croissance mondiale est alimentée par la consommation nord-américaine à crédit. Mais on ne pouvait par contre absolument pas prévoir quel serait le maillon faible, le dernier mot revenant donc au Dieu Hasard.

Tout cela est vrai mais n’empêche : le contingent manifeste généralement le nécessaire ...

Les subprime mortgage ne sont qu’un maillon, en lui-même secondaire selon des critères comptables, mais ce maillon présente un certain nombre de caractéristiques qualitatives qui doivent nous faire saisir l’importance du fait que ce soit précisément ce maillon là qui ait sauté. Il s’agit de caractéristiques touchant aux fondements des rapports de production capitalistes contemporains, et non pas seulement du fait que ce sont des crédits douteux, savoir :

1°) La base des pyramides financières édifiées sur les subprime, aux Etats-Unis et aussi dans les pays anglo-saxons et en Espagne où existent aussi massivement de telles pratiques, est formée de prêts hypothécaires à des particuliers, plutôt des "pauvres", souvent des working poors tel qu’il s’en est multiplié depuis vingt-cinq ans.

Il ne s’agit donc pas de prêt de capital rapportant un intérêt, mais de financement du logement "social". Ce que payent les victimes ne représente donc pas en réalité l’intérêt d’un capital qu’ils auraient investi, mais est pris sur leurs revenus, la plupart du temps salariaux (et ceux de leurs familles et les aides sociales auxquelles ils ont droit qui finissent en intérêts). La valeur du capital investi dans les terrains et les bâtiments concernés est largement dépassée par ces sommes.

Il s’agit en fait de rente foncière, ou plus exactement d’un tribut dérivé de la rente foncière capitaliste, qui stricto sensu est un prélèvement sur une part des profits, alors qu’ici c’est le siphonage des revenus salariaux.

Le parfum féodal et agricole de cette catégorie économique incomplètement étudiée par Marx fait qu’on ne pense généralement pas à elle, alors qu’elle a pris une importance croissante dans l’économie capitaliste la plus moderne. Keynes et d’autres auteurs ont parlé d’une évolution "rentière" du capital de placement, morigénant, voici soixante-dix ans, les financiers en les traitant de rentiers qu’il faudrait "euthanasier" pour restaurer l’investissement productif capitaliste. On parle aussi, en ce sens, de capital "patrimonial", dans lequel le propriétaire d’actions et de titres de la dette publique se trouve dans une extériorité relative par rapport à la production. La référence à la rente foncière faite ici est beaucoup plus précise : il s’agit directement de prélèvements reposant sur la rente proprement dite, le capital immobilier accompagnant ses mouvements et notamment les fluctuations des prix fonciers, inverses de celles des taux d’intérêts -forme "irrationnelle" s’il en est, mais qui marque la domination du capital sur le rapport foncier.

2°) Le fait que le paiement de la rente prenne entièrement la forme d’un "remboursement" de capital avec intérêt, d’ailleurs conforme aux traditions nord-américaines qui ont voulu ignorer la bonne vieille rente foncière d’origine féodale de l’ancien monde et qui, dès le XIX° siècle, ne voulaient connaître que l’intérêt du capital investi dans la terre, ce fait est finalement un facteur aggravant. Le prélèvement rentier devient une roue de secours pour alimenter les circuits financiers. Et l’on aboutit à des taux astronomiques, pouvant aller jusqu’à 18 % ! De tels taux sont anormaux pour le capitalisme tel qu’il s’est développé jusqu’ici ; ce sont des taux usuraires qu’on n’avait connus que dans des économies arriérées saisies par le capital (comme la Chine il y a un siècle) et que le capital à ses origines avait combattus, remplaçant la vieille usure par la banque moderne. La régression qui se produit là aboutit donc au siphonage des économies et des revenus salariaux d’une partie de la société américaine, mais cela ne suffit pas.

S’il était possible aux officines de prêts de continuer à saigner leurs victimes insolvables une fois qu’elles leur ont pris leurs revenus présents et gagés leurs revenus futurs, la suite "logique" serait une saisie corporelle des personnes.

Il ne faut pas oublier que ce rapport social-là n’est pas si éloigné que ça dans l’histoire du capital : les servants des débuts de la colonisation de l’Amérique du Nord étaient des salariés non libres devant "rembourser leurs dettes" et les esclaves noirs eux-mêmes, qui leur ont succédé à bien plus grande échelle, étaient du point de vue des investisseurs un capital fixe rapportant un intérêt.

Pas si loin que ça non plus dans l’espace contemporain : car la capture de couches entières de la société par des officines de prêt usuraire s’était déjà produite, non aux Etats-Unis certes, mais en ... Albanie, en 1997, y déclenchant une insurrection. Et le rapport économique endettement-remboursement par saisie corporelle des victimes est celui des réseaux de prostitution. Mais la mise au travail forcé des victimes des subprime demanderait des débouchés productifs, ou improductifs comme la prostitution ; les relations sociales et les conquêtes démocratiques subsistantes aux Etats-Unis ne permettent pas une telle "issue", qui n’en serait d’ailleurs pas une pour la pyramide de dettes et de créances.

3°) L’idéologie qui a entouré les prêts subprime aux particuliers est un autre élément actif et important. C’est la croyance en une "nation de propriétaires" et c’est le fait d’envisager que chaque individu est un capital, "Moi SA", et doit savoir "se vendre", et s’endetter pour rebondir, et ainsi de suite. Dans cette fiction active, au moment même où toute la société est en réalité une société de travailleurs salariés, le salariat est censé disparaître -et le salaire être concrètement métamorphosé en intérêt du capital de "Moi SA". Le mythe est une réalité partielle pour le cadre qui reçoit ses stocks options et le retraité qui vit sur un fonds de pension. Mais en réalité tous sont assis sur la montagne de dettes nord-américaines, et le débiteur insolvable de subprime leur déclare à tous par son existence même : De te fabula naratur (c’est ton histoire qu’il raconte !).

C’est donc par un très objectif "hasard" que la crise actuelle est venue au jour à partir de ce maillon qui constitue la pointe la plus avancée des formes les plus modernes du capital de placement, et par là même les plus régressives, avec l’idéologie qui les accompagne.

En France, une telle catastrophe ne doit surtout pas être ébruitée, puisque c’est sur ce programme qu’une nouvelle bande de flambeurs est arrivée au pouvoir voici trois mois ...

Et la base ?

Nicolas Sarkozy vient justement de répéter, après beaucoup d’autres, que la base est saine : "Je suis convaincu que ces mouvements de marché ne sauraient affecter durablement la croissance de nos économies, qui est robuste.", vient-il d’écrire publiquement à Angela Merkel.

Ce que ces gens-là entendent par une "base saine", ou "robuste" pour parler le Sarkozy, ce sont des taux de croissance élevés. Peu importe de quoi est composée cette croissance. Au demeurant les taux en question, sur le second semestre 2007, ont commencé à baisser, surtout en Europe, singulièrement en France ! Mais il est tout à fait exact de dire que la croissance capitaliste ces dernières années a été importante.

Revenir sur celle-ci dépasserait les dimensions de cet article. Ce qui est clair ici, c’est le caractère complètement illusoire et fictif de cette séparation entre la croissance mondiale et la bulle financière ou immobilière. Celle-ci n’est déconnectée de l’ "économie réelle" que dans la mesure où son autonomie est le fruit le plus achevé du fonctionnement de l’économie réelle, c’est-à-dire du capital. Elle est en fait inextricablement reliée à l’économie réelle (comme l’affaire des subprime le montre d’ailleurs fort bien). Le nègre de N. Sarkozy dans sa lettre ouverte à Angela, recopiant les commentaires récents de Jacques Attali et d’autres éditorialistes, est pathétique :

Ainsi, nous constatons que les opérations de titrisation qui se sont développées de façon très dynamique au cours des dernières années ont certes contribué à financer le développement de nos économies, mais ont, dans le même temps, transféré des risques bancaires sur de très nombreux acteurs économiques. Chacun constate que les porteurs finaux de ces risques sont très mal identifiés aujourd’hui et que cette méconnaissance est, en elle-même, un facteur d’instabilité : elle peut jeter le doute, souvent à tort, sur la situation financière d’acteurs économiques sans lien direct avec le risque initial. Il me semble donc utile d’assurer les moyens d’une meilleure connaissance par les acteurs de marché et par les superviseurs des risques auxquels ils sont réellement exposés.

Il est frappant de voir à quel point ces gens qui se présentent comme sachant compter, comme ayant conscience qu’un sou est un sou, qui nous expliquent que les dépenses publiques pour la santé, l’école ou l’environnement doivent être rentables "à l’euro près", deviendraient presque des poètes maudits quand il s’agit de faire croire au capitalisme équitable et responsable !

Du fait, exact, que le soupçon d’insolvabilité a joué un rôle d’aggravation de la crise financière, est tirée ici la conclusion qu’une dette transparente et connue de tous serait moins ravageuse qu’une dette cachée. Première illusion ( ?) : la transparence des dettes peut très bien avoir des conséquences encore plus paniquantes que leur opacité. Seconde illusion ( ?) : demandons aux capitalistes financiers d’être transparents, et ils voudront bien l’être. Alors que les mécanismes de titrisation que la lettre de Nicolas à Angela présente comme de fort bonnes choses sont justement les systèmes qui assurent l’opacité des dettes !

Mais au fond, ce conte de fées ne tient pas plus debout que la fiction d’une économie mondiale qui, quoi que fondamentalement "saine" et "robuste", serait secouée par une "crise de confiance" aux causes contingentes et passagères. Ce sont naturellement les mouvements à l’oeuvre, en profondeur, dans la dite "base", que reflètent indirectement les sautes des marchés ...

Ce qui est sûr, c’est que ce choc contraint encore plus le gouvernement de Nicolas Sarkozy à aller "plus loin, plus vite et plus fort" comme il le disait après le second tour des élections législatives, et qu’il apparaît déjà comme ayant été trop prudent, contre les salariés, avec sa première bordée de lois anti-sociales de l’été !

A suivre, donc.

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Subprime : que non, les fondamentaux ne sont pas sains !

Dimanche 26 août 2007.

Accalmie boursière ?

Officiellement la crise dite des "subprime" est finie. Officieusement il n’en est rien.

La phase boursière aiguë, ouverte le mardi 7 août par la décision de Ben Bernanke de maintenir le taux directeur de la Fed à 5,25%, très mal prise par les "marchés", semble s’être refermée le vendredi 17 août dans l’après-midi, avec la décision prise par le même, ou imposée au même, d’abaisser son taux d’escompte de 6,25% à 5,75%, en dehors de toute "réunion habituelle" des structures de la Banque nationale des Etats-Unis.

Le premier taux, le plus important en principe, est celui auquel les banques américaines se prêtent entre elles sur les comptes qu’elles ont à la Fed, le plus souvent à très court terme : un marché monétaire secondaire actif s’est développé autour de ces "Fed Funds". Le second de ces taux est le taux "classique" de réescompte de la Fed, traditionnel pourrait-on dire, par opposition à la finance sophistiquée plus incarnée par les Fed Funds : c’est le taux d’intérêt à court terme des prêts de la Fed elle-même aux banques ou autres acteurs financiers. Abaisser ce dernier taux a été interprété comme une manière pour la Fed de donner le signal d’une baisse générale des taux, donc d’une politique massive d’argent facile pour les marchés financiers, sans perdre la face. Notons que les "marchés" se sont donc rassurés en se référant à des procédés dont, il y a peu, on nous disait presque qu’ils étaient de l’histoire ancienne ...

Les indices boursiers sont donc remontés dans la semaine qui a suivi, après avoir fortement baissé les semaines précédentes. La baisse des actions n’est pas totalement effacée et, à vrai dire, la "reprise" apparaît plutôt poussive. Plus encore, en Europe, sur la place de Paris si on considère ses cours sur toutes les semaines écoulées. Notons en outre qu’en Asie, si Shanghai semble être fortement "repartie", la Bourse indienne de Bombay marque le pas, en liaison avec une crise politique provoquée par l’accord passé avec les Etats-Unis l’automne dernier pour la livraison de matériel nucléaire.

Un redémarrage assez modéré des indices boursiers, donc, à mettre en regard avec les injections gigantesques de liquidités opérées avant tout par la BCE (la Banque Centrale Européenne de Francfort), la plus importante qui se soit produite depuis ... depuis les débuts de ce qu’il est convenu d’appeler la "mondialisation". Ce seul fait suffit à lui seul à démentir toute autorité politique ou monétaire nous expliquant qu’en réalité tout va bien, que "les fondamentaux ne sont pas touchés" : jamais dans l’histoire aucune banque centrale, fut-elle des plus corrompue, n’aurait lâché autant de lest si elle ne pensait pas que les "fondamentaux" étaient directement en cause !

D’ailleurs, le renchérissement du crédit a commencé pour les entreprises, la tendance au refuge des acheteurs de titres vers les bons du Trésor notamment américain n’a pas faibli après le 17 août et le cours des obligations est de ce fait au plus bas, les menaces d’expulsions sur au moins 3 millions de foyers supplémentaires victimes des subprime alimentent les polémiques aux Etats-Unis, les licenciements en chaîne dans l’industrie bancaire ont commencé, gagnant déjà Londres depuis New-York, et une deuxième banque régionale allemande a dû être prise en main par les autorités publiques, juste avant que la banque publique bavaroise annonce être "mouillée" dans les subprime ...

Bref, tout continue, car la crise ne se réduit pas à sa dimension boursière. Ce moment de la situation est propice à une analyse de fond qui manque le plus souvent aux militants anticapitalistes.

Les obstacles politiques à l’analyse.

La mauvaise connaissance de certains aspects techniques est relativement facile à surmonter. Pour comprendre que les subprime sont une manière de piéger des pauvres gens et de leur prendre leurs économies puis leur salaire, mais même pour comprendre les mécanismes de création monétaire des banques centrales, avoir un CAP vaut bien HEC. La vraie difficulté est d’ordre politique : qu’est-ce qui est en crise au juste (et donc, quelle est la portée, spatiale et temporelle, de la crise ?) : le capitalisme ou tel ou tel aspect somme toute secondaire ?

Bien sûr, le discours dominant répond "tel ou tel aspect secondaire". Sarkozy et Christine Lagarde ici, comme Angela Merkel ou les conseillers de M. Bush ailleurs, expliquent que "les fondamentaux sont sains". Comme, de plus -et surtout ! - nos médias nous parlent d’autres choses -des pédophiles qui rôdent aux jeunes animateurs moniteurs qui roulent sans permis, sans oublier les manèges dangereux ! - tout concourt à interdire une vision d’ensemble des processus réels. Ainsi, il y aurait d’un côté cette malencontreuse histoire de subprime, causée par l’imprévoyance de certains emprunteurs et de certaines banques ; que cela se paye dans le monde entier, "mais voyez-vous, c’est la mondialisation, c’est ainsi", un peu comme la météo ... A propos de météo, le fait que la Grèce, ce berceau de l’Europe, soit en train de brûler et de franchir à grande allure les étapes conduisant du maquis méditerranée à la steppe semi-désertique, autant que la fonte de la banquise qui donne lieu à des manoeuvres militaires hostiles entre la Russie et le Canada, voila encore d’autres malheurs supposés sans rapport ni avec la Bourse ni avec l’industrialisation en Chine ni avec Cécilia Sarkozy ... Et puis de l’autre côté, sans rapport apparent, une hausse du prix du pain sans précédent depuis des décennies n’aurait encore rien à voir avec le reste. Au 1° août dernier le prix du beurre en Allemagne est passé d’un coup de 60 euros à 1,20 euros. La dernière fois que des hausses pareilles sur la nourriture se sont produites en Europe, c’était en Pologne en juillet 1980, juste avant les grandes grèves de la Baltique. Bourse, délocalisations, crise climatique, spectres de la guerre, hausse des denrées alimentaires de base dans le monde entier : tout cela serait disjoint. Seuls de méchants esprits bien archaïques pourraient encore croire que dans notre monde chaotique les choses aient un rapport entre elle ... un rapport qui pourrait s’appeler capitalisme !

Mais inversement le discours qui se contente de dire que le capitalisme nous mène à la catastrophe, ou que la crise est inéluctable, et que d’ailleurs untel l’avait bien dit, il y a longtemps déjà, est impuissant à orienter dans le réel ceux qui veulent le comprendre pour le transformer. Aucune crise n’est la reproduction identique des précédentes, le mouvement concret du réel procède par des médiations toujours renouvelée, rien n’est écrit par avance et rien ne saurait nous dispenser de l’analyse effective des médiations vivantes. Le capital n’est pas une abstraction, ni un deus ex machina qui commande au destin, c’est un rapport social, fondé sur l’exploitation de la puissance humaine de travail et sur la valorisation incessante de la valeur marchande, un rapport social qui domine la planète comme il ne l’a jamais dominée, qui arrive à maturité et qui produit des contradictions plus puissantes que jamais.

Il s’agit bien du capital, et pas de la "finance". Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas une spécificité financière du développement du capitalisme depuis une trentaine d’années, spécificité qui apparaît cependant plutôt, dans la longue durée, comme le retour sur une base supérieure à des conditions qui avaient existé avant 1914, 1917 et 1929. Mais la finance n’est pas déconnectée, elle est la forme nécessaire du capital contemporain. En ce sens là elle n’est pas une "bulle", même si elle fait des bulles. Réduire l’analyse de la crise présente à des formules sur les méfaits de la finance serait cumuler les défauts des deux discours qui viennent d’être critiqués ici : ce serait à la fois disjoindre les maillons d’une chaîne globale unique, et aplatir toute compréhension des médiations réelles dans une formule univoque comme "la finance". Il n’y a pas capitalisme et capitalisme financier : le capitalisme réellement existant, c’est le capitalisme financier.

C’était il y a dix ans ...

Voilà dix ans, en 1997, démarrait une crise que les commentaires et les médias s’empressèrent de baptiser pour mieux la localiser et la délimiter d’ "asiatique", comme ces dernières semaines la crise était ramenée à celle des subprime ; un peu de la même façon, on nous expliquait alors que la corruption et le laisser aller financier de ces "pays émergents" et de certains de leurs bailleurs de fonds expliquaient tout. La crise dite "asiatique" avait effectivement commencé en Asie : les pays que les cours de Géo de Terminale appellent "Nouveaux Pays Industriels ("NPI") de seconde génération", ou "marchés émergents", caractérisés par une industrialisation rapide tournée vers l’exportation, de bas salaires et une "bulle" immobilière, étaient soudain fauchés par une crise semblant voler de bourses en bourses : Thaïlande, Malaisie, Philippines, Indonésie -où une crise politique et sociale révolutionnaire renversait le dictateur Suharto quelques mois après-, puis la Corée du Sud, un NPI "de première génération". Le flux de la crise faisait fléchir les indices mondiaux, se cristallisait à Moscou à l’été 1998 et gagnait le centre, Wall Street, à l’automne.

Crise de suraccumulation de capitaux, de débouchés par rapport à l’étroitesse des marchés des "pays émergents", masquée puis aggravée par la spéculation boursière et immobilière : la crise dite "asiatique" fut bien une récession sévère pour des centaines de millions d’êtres humains. C’était en fait la première crise globale majeure du capitalisme dit "mondialisé", beaucoup plus que le krach boursier de 1987 (dix ans avant encore) qui, plus que tout autre évènement, avait revêtu en partie le caractère de l’ "éclatement d’une bulle" et avait pu, à tort, faire croire à des crises financières déconnectées de l’ "économie réelle". Au moment même où l’on entendait plus que jamais parler de cette fameuse "déconnexion", la connexion s’affirmait au contraire brutalement.

La spirale de la crise "asiatique" fut stoppée le 23 septembre 1998 par le sauvetage en catastrophe d’un récent et gigantesque fonds d’investissements menacé de faillite, LTCM (Long Term Capital Management), les banques centrales orchestrant l’injection de liquidités (comme cela vient de se produire, sauf qu’en 2007 elles en ont injecté plus pour une crise officiellement bien moindre et un résultat beaucoup plus mitigé pour l’instant ...). Cette intervention phare finit de faire la réputation de "magicien" du prédécesseur de M.Bernanke à la tête de la Fed, Alan Greenspan, mais elle n’était pas la seule loin de là, la Boj (Banque centrale du Japon) injectant pour sa part l’équivalent de 11% du PNB (Produit National Brut) japonais. Par ailleurs, la grande relance du budget militaire nord-américain, appuyée sur l’argument de la riposte aux attentats du 7 août 1998 à Nairodi et Dar es Salaam, attribués à al Qaïda, suivis de ripostes aériennes contre le Soudan et l’Afghanistan, se produit aussi à l’automne 1998 : le parallélisme des deux spirales, la financière et la militaire, que le 11 septembre 2001 amplifiera, s’observe donc déjà.

Les Etats asiatiques qui furent en première ligne, de la Corée à la Thaïlande, ne se sont pas complètement remis de cet épisode majeur : la substitution des champs d’investissement indien et surtout chinois à ces pays prend ces racines ici. Mais au centre la crise financière fut jugulée ; quelques mois après la zone euro (la spéculation sur la convergence des marchés obligataires en Europe avait été au coeur des opérations de LTCM ...) prenait véritablement forme, le 1° janvier 1999.

Boom et krach de la "net-économie".

Le passage à l’euro et le boom de la "net-économie" sont les deux faits principaux des trois années qui suivent, 1999-2001. Une euphorie confinant à l’exaltation marque ces années : les "Nouvelles technologies de l’information et de la communication" devaient porter le nouveau siècle commençant -au passage le grand hoax que fut finalement le fameux "bogue de l’an 2000" servit à doper un peu plus les ventes. La conversion du boom en krach, le retournement, en furent d’autant plus frappant. Chutes spectaculaires de valorisation boursière de certaines sociétés -dont France Telecom-, faillite des starts up, résumaient la conjoncture de l’été 2001. Moins de trois ans après l’apparente résorption de la crise dite "asiatique", une crise "classique" aggravée par la spéculation frappait cette fois-ci depuis le coeur de l’économie nord-américaine.

Avant de voir comment celle-ci fut à son tour "résorbée", il importe de mesurer la portée de cet épisode, ou plutôt la combinaison des deux épisodes -crise "asiatique" et "net-économie" - dans la longue durée.

Au début des années 2000 le thème de la "nouvelle onde longue expansive" était à la mode. Par rapport aux phases précédentes d’expansion et de contraction de longue durée du capitalisme, un nouveau cycle semblait devoir commencer si l’on se référait mécaniquement à la chronologie : après les "Trente glorieuses" et la période de "crise et mondialisation", chacune ayant duré environ vingt-cinq ans, devait commencer une nouvelle expansion. Les technologies de l’information et de la communication ("NTIC"), en gros les micro-ordinateurs et les téléphones portables, devaient donc jouer le rôle de générateurs de surprofits, joué par les machines à vapeur lors de la première révolution industrielle, par les chemins de fer après 1848, par les moteurs à explosion et par l’électricité au tournant du début du XX° siècle, phases précédentes d’expansion et de hausse du taux de profit. A vrai dire l’examen même rapide de la phase d’expansion des "Trente glorieuses" doit conduire à nuancer une telle présupposition : d’une part, les technologies génératrices de surprofits comportent déjà les ordinateurs et la communication, dès le début de la période, d’autre part celle-ci voit s’accélérer les cycles d’innovation technologique et organisationnelle du travail et de renouvellement du capital fixe, le "toyotisme" succédant notamment au "fordisme". Mais surtout, il fallait beaucoup d’aveuglement idéologique et tout simplement beaucoup d’ignorance pour comparer la généralisation des ordinateurs et des téléphones portables à ce qu’avait pu représenter, par exemple, le moteur à explosion ou la machine à vapeur. Le boom technologique de la fin du XX° siècle n’a somme toute fait que généraliser des machines déjà existantes depuis plusieurs décennies, en en vulgarisant l’emploi et en le rendant plus ou moins obligatoire, publicité, commandes publiques et contrainte idéologique de la mode aidant ici la concurrence. Dans des délais d’une rapidité saisissante, la généralisation de tels investissements est devenue un facteur de baisse du taux de profit, faisant tout simplement augmenter les investissements nécessaires dans la majorité des entreprises, sans leur procurer d’économies correspondantes.

Plus encore. Si chaque nouvelle phase expansive du capitalisme a été portée par une véritable révolution technologique, ce que ne sont pas les "NTIC", il est scientifiquement possible de désigner quel serait le groupe de nouvelles technologies réellement porteuses et, au demeurant, grandement nécessaires, pour faire face aux véritables défis du XXI° siècle : les bio-technologies, la génétique maîtrisée, l’aquaculture, l’agriculture et la sylviculture industrialisées et rénovées, bref les "technologies du vivant", ainsi que les nouvelles sources d’énergie ne reposant pas sur la combustion. Nourrir l’humanité et lui procurer une bonne santé, préserver voire renouveler la diversité du vivant, stopper la combustion des énergies fossiles et donc les remplacer par la fusion nucléaire, l’énergie solaire ou d’autres sources d’énergie ..., voila quels seraient les vrais défis contemporains ; ils ont un caractère d’urgence vitale. Au lieu de quoi le capitalisme à l’orée du XXI° siècle a tenté de se faire croire que la vente en ligne de téléphones portables sur Internet était le secret de la valorisation boursière infinie. Quand l’humanité a le choix entre la catastrophe ou la libération réelle de la contrainte du nécessaire, le capital, lui cherche à se faire croire qu’il s’est libéré de la nécessité du travail et de la valeur reposant sur le travail. Ce serait risible si les conséquences n’étaient de plus en plus horribles.

Comment la première crise du XXIe siècle a été "résorbée".

Aux Etats-Unis, puis en Europe, le krach de la net-économie a pourtant été résorbé dès 2002, au point que vrais et faux naïfs ont pu croire et se faire croire que cette crise n’avait été qu’un apurement des comptes permettant d’émerger aux vrais "porteurs" du XXI° siècle que seraient les Google et autres Yahoo (après avoir récupéré les innovations des start up fauchées toutes jeunes).

Entre le krach et le rebond se produit le 11 septembre, qui eut psychologiquement la fonction d’un krach majeur par substitution. Puis, ce furent les injections de liquidités immédiates qui s’ensuivirent de la part des banques centrales, et surtout l’amplification de la hausse des dépenses militaires américaines puis mondiales, la décision de relancer les projets de boucliers de missiles anti-missiles, autant que l’occupation de l’Afghanistan en 2001 puis de l’Irak en 2003, valant garantie d’une installation dans la longue durée (la "Guerre sans fin" selon Dick Cheney) de telles mesures, et de tels budgets.

Mais l’économie permanente d’armements ne saurait à elle seule expliquer la "relance". S’y ajoutent la nouvelle politique de la Fed imposant, à l’inverse du début des années 1980, une baisse historique des taux d’intérêts qui descendent alors à 1%, et les mesures budgétaires de l’administration Bush junior, baissant massivement les impôts et laissant les salaires augmenter dans certaines limites (il me faut sur ce point rectifier en partie l’analyse présentée dans mon article du 11 août dernier : le niveau global des salaires aux Etats-Unis ne recule pas dans les années 2002-2006, mais augmente, même s’il se différencie et continue à reculer pour certaines couches). Le budget de l’Etat nord-américain, redevenu positif dans les années 1990, devient plus déficitaire que jamais.

Cette "relance libérale" a été assez peu étudiée et analysée ; elle aboutit, selon la formule frappante d’Isaac Johsua (Une trajectoire du capital, De la crise de 1929 à celle de la nouvelle économie, Syllepses, 2006) à ceci : "la crise de la nouvelle économie n’a pas été surmontée, elle a été stockée dans les déséquilibres accumulés.", tout particulièrement dans l’endettement privé, notamment celui des ménages, et le boom immobilier nord-américain, débouchant donc directement sur la crise dite des subprime que tout le monde avait vu venir sans pouvoir la prévenir.

La catastrophique expansion des années 2002-2007.

Un nouveau facteur s’ajoute à ce tableau : la croissance chinoise. La Chine, dernier grand pays demeuré sous la férule d’un parti dit "communiste", devient, en partie pour cela d’ailleurs, le nouveau paradis des investisseurs. Plus encore, s’y développe un capitalisme autonome provenant de la transformation des bureaucrates du parti et de l’Etat en capitalistes, tout en demeurent des bureaucrates -ils cumulent donc l’accumulation sous ses trois formes :

- la plus-value absolue : bas salaires, prolongement de la journée de travail, forte intensité du travail ;

- la plus-value relative : mise en oeuvre de la technologie et de l’organisation du travail, ainsi que des infrastructures, sur le dernier modèle occidental ; sans, toutefois, qu’il n’y ait ici la moindre "révolution technologique", notons-le ;

- et l’accumulation "primitive" : drainage fiscal, pillage pur et simple de régions intérieures du pays, attitude prédatrice envers le milieu naturel.

Le décollage chinois, rythmé par l’entrée de la Chine à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) en 2003 (ce dont la Russie semble encore loin), l’annulation des accords multifibres sur le textile en 2005 et la domination immédiate de ce secteur, à l’échelle mondiale et de façon écrasante, par la seule Chine, le flottement limité du yuan à partir d’août 2005, apporte au capital mondial une rivière de plus-value bien réelle, quoique inférieure au total de ce que les actionnaires et les rentiers ont pris l’habitude d’attendre comme leur dû. Il a vu d’autre part les Etats-Unis nouer avec la Chine le type de relation, dans une forme accentuée, qu’ils avaient eu successivement avec l’Allemagne et avec le Japon, autres puissances impérialistes : déficit commercial d’un côté, bons du Trésor américain achetés en masse par la banque centrale et divers acteurs privés chinois de l’autre. Il pose enfin la question de l’émergence, dans un monde saturé, d’un nouvel impérialisme, l’impérialisme chinois. Immense pays dépendant ou nouvel impérialisme ? La question n’est pas tranchée, et ne le sera probablement pas à la manière d’un long fleuve tranquille. Question en partie liée à celle de savoir si la Chine est capable de faire ce que ni l’Allemagne, ni le Japon, n’ont osé faire -vendre les bons du Trésor américain, faire chuter le dollar, étaler à la face du monde la situation de débiteur à la solvabilité douteuse qui est en réalité celle des Etats-Unis aujourd’hui. De fait, tout le dispositif militaire américain en Eurasie et jusqu’en Afrique (Soudan, Somalie) prend de plus en plus la forme d’un encerclement de grande ampleur de la Chine, de même que la désignation de plusieurs des cibles de l’ "Axe du mal", l’Iran en particulier.

Les données de la croissance mondiale des années 2002-2007 peuvent être ainsi résumées :

1°) Une relance par l’endettement massif des ménages nord-américains, conjuguant un niveau de consommation polluant exceptionnel de la part des larges couches supérieures de la population et la spirale de l’endettement sans fin pour les futures victimes des prêts subprime ;

2°) Une relance par la militarisation et une course aux armements plus dangereuse que celle des années dites de guerre froide, notamment en Asie ;

3°) La mise en chantier du plus grand réservoir de population et de main-d’œuvre du monde, à un rythme effréné sans précédent historique : la croissance chinoise et les coûts, connus et inconnus, qu’elle occasionne, est sans équivalent -un seul chiffre pulvérise toute les "révolutions industrielles" antérieures alors qu’ici il n’y a nulle révolution industrielle : le nombre de morts dans les mines serait de 20 000 par an ...

4°) Dans ces conditions, l’amorce d’une remontée générale du cours des matières premières, énergétiques (le pétrole), minières et agricoles, et des rentes afférentes ;

5°) Alors même qu’en dehors d’un Claude Allègre le verdict des milieux scientifiques sur la réalité de la crise climatique et son origine humaine n’est plus contesté, une accélération de tous les paramètres de la destruction des milieux. En effet le mode de production capitaliste, dans la période de l’aprés-1945, a mis la ressource pétrolière à bas prix comme l’un des fondements du taux de profit, et dans la période postérieure à 1973, a fait du pillage des ressources l’un des moteurs de la "croissance". Plus la catastrophe se présente de manière visible, plus il baisse la tête en direction du mur.

Rien de fortuit dans la crise de cet été.

Le parcours trop rapide qui précède le montre : s’il est vrai que le capital, et surtout sa dimension financière, ont des aspects nécessairement chaotiques et donc imprévisibles, il n’en reste pas moins que les formes concrètes de son développement récent conduisait avec une haute probabilité à la crise présente, dans les formes précises qu’elle a revêtues. En particulier le fait que le segment faible ait été celui des subprime répond à une nécessité logique et pas au hasard. Le passage de l’endettement permanent au pompage des revenus salariaux pour un secteur de la classe salariale nord-américaine correspond aux limites du type de croissance initié au début de la décennie 2000.

Pas d’issue dans le cadre du système.

Une régulation du système ne serait envisageable que s’il y est contraint suite à des destructions d’une ampleur qui interdit de les souhaiter. N’oublions pas que la dernière fois que le capitalisme a pris une forme régulée, c’était suite à rien de moins que la crise de 1929 plus le fascisme plus la seconde guerre mondiale plus la division du monde, de l’Europe, de l’Allemagne et de Berlin par les barbelés et les murs séparant le bloc stalinien et la sphère du marché du capital réunifiée par la guerre. N’oublions pas non plus que cette régulation a tout naturellement porté en son sein tous les éléments de la "mondialisation financière", eurodollars, etc., et que ses institutions comme le FMI sont tout naturellement devenues les institutions de la "mondialisation", des plans d’ajustement structurels, etc. Le réalisme et le sens des responsabilités devraient pousser à éviter de présenter comme des "solutions" possibles la moralisation des marchés, la taxation des mouvements de capitaux et autres sparadraps.

D’autre part, la crise du point de vue du leadership mondial est beaucoup plus grave qu’une simple crise de domination de la puissance hégémonique qui serait susceptible d’être remplacée. La Chine pourrait en théorie brader ses bonds du Trésor américain, mais en pratique elle couperait la branche sur laquelle le capitalisme chinois, jeune et déjà sénescent, est assis, sans parler des risques de guerre et d’effondrement mondial. L’euro pourrait en théorie, d’un strict point de vue comptable, remplacer le dollar comme monnaie de réserve. Et puis après ? Les vieilles puissances européennes auraient-elles plus d’aptitudes que la puissance qui a pris leur place voici déjà 70 ans à gendarmer le monde et à concentrer sur elles toutes ses contradictions ? Il est permis d’en douter !

La géopolitique militaro-financière actuelle ne se résume pas dans la crise, bien réelle, du leadership américain. Ce leadership n’a plus sa jeunesse. Depuis la fin de l’URSS il n’a plus son partenaire-adversaire lui servant à la fois de béquille et de repoussoir. Il est devenu coûteux, dangereux, parasitaire, obsolescent, destructeur surtout et plus encore quand il redevient dynamique et créatif. Si les autres avaient eu la capacité de s’en débarrasser et d’instaurer le "monde multipolaire", ils l’auraient fait. Mais cette capacité, ils ne l’ont pas. Le parasitisme de l’impérialisme nord-américain, c’est leur parasitisme à eux tous qui va se concentrer au sommet. Ce sont les contradictions du monde que les Etats-Unis catalysent et répercutent. La crise de leur leadership est la crise du leadership même, dans ce mode de production. En dehors de destructions qu’il s’agit précisément d’éviter, il n’y a pas de relève à l’intérieur de ce mode de production et de cet ordre géopolitique là. Une vraie perspective ne saurait passer à côté de ce constat.

Vincent Présumey

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