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Elections françaises du printemps 2007 : le retour de l’Etat fort

dimanche 5 août 2007

(Extrait de la lettre de Mouvement communiste n° 25)

La France dans le sillage de l’Allemagne (pas des Etats-Unis de Bush...)

« Cette élection marque une véritable rupture dans la vie politique française : rupture des générations, changement de style, évolution du système des partis et du jeu des alliances, évolution des axes programmatiques » (Cevipof).

Les quatre élections françaises au suffrage universel du printemps 2007, deux tours de Présidentielles suivis, un mois plus tard, par deux tours de Législatives, ont marqué le début de la solution de la crise politique rampante au sommet de l’Etat français qui se traînait, avec des hauts et des bas, depuis près de deux décennies, avec la première cohabitation sous le premier mandat présidentiel de François Mitterrand. Cette crise prolongée a été ponctuée par des formidables et soudaines vagues de luttes des travailleurs en France.

Il suffit de rappeler les combats des cheminots de décembre 1986, les fortes agitations étudiantes concomitantes à celles des cheminots contre la réforme Devaquet, la grève de la SNECMA au printemps 1988, les grèves des personnels paramédicaux à l’automne 1988, l’émeute d’octobre 1990 à Vaulx-en-Velin, la révolte de 1994 des jeunes travailleurs en formation des IUT contre le CIP (Contrat d’insertion professionnelle), le printemps ouvrier de 1995 pour les salaires avec, en pointe, l’usine Flins de Renault et celle de LU (Danone) d’Evry, la gigantesque grève des transports de novembre décembre 1995, les agitations des chômeurs de décembre 1997 et la révolte des jeunes au printemps 2006 contre le CPE et le CNE.

La plupart de ces combats ont vu l’Etat s’engager en première ligne en défense de l’ordre établi. Quoique circonscrites dans le temps et à des secteurs de classe souvent vastes mais particuliers, il n’a pas été rare que le gouvernement soit obligé de reculer, rendant l’Etat incapable de se restructurer et de comprimer ses dépenses. A la différence d’autres pays, la crise fiscale de l’Etat (voir l’appendice) n’a pas affaibli ni les appareils de force du capital ni l’administration civile. C’est une spécificité française. Les fragilités du Politique en France, de l’exécutif de l’Etat n’ont fondamentalement pas déteint sur l’appareil de l’Etat.

Crise prolongée du sommet donc, mais pas crise de l’Etat en tant que tel. Jamais vraiment paralysé mais rongé par d’interminables querelles intestines, donc incapable de se « réformer », l’exécutif a avancé au ralenti pendant plus de vingt ans, systématiquement à la traîne de l’action des forces opposées internes à la société civile. Mais la crise du sommet risquait d’emporter peu à peu les nombreux rouages de la machine étatique. Davantage par immobilisme qu’en raison de choix erronés des plus hauts décideurs. Les finances publiques en ont souffert en premier. Voici comment le Crédit Agricole résume la situation :

« Le ratio dette publique/PIB, qui s’était légèrement réduit entre 1998 et 2001, de 59 % à 56 %, n’a cessé de se dégrader depuis et a atteint 66,6 % en 2005. En 2006, il devrait être réduit à 64,6 %, mais ceci est principalement lié à des mesures exceptionnelles, décidées en mai 2006 (réduction des excédents de trésorerie des administrations publiques, grâce à une meilleure efficacité de la gestion de trésorerie ; cessions d’actifs de l’Etat affectés au désendettement, notamment sociétés d’autoroute, Alstom, Aéroports de Paris). Ce ratio de dette reste très élevé, supérieur au seuil de 60 % fixé par le traité de Maastricht. De même, le ratio déficit public/PIB reste élevé, même s’il a été réduit : 2,6 % attendus en 2006, après 2,9 % en 2005 et 3,7 % en 2004. Depuis le début de l’année, la France n’est plus sous le coup d’une procédure pour déficit excessif. »

Mais là où les différents exécutifs qui se sont succédés à l’Elysée et à Matignon se sont montrés les plus inefficaces aux yeux des classes dominantes est sur le terrain de la gestion du marché du travail.

« Depuis le début de la décennie, l’économie française a connu une croissance moyenne de l’ordre de 2 % par an. La source principale de croissance est venue de la demande intérieure ... Le cas français est très différent de celui de l’Allemagne. Outre-Rhin, des politiques d’offre (baisse du coût du travail, réforme du marché du travail, outsourcing, baisse de la taxation des profits de sociétés, etc.) ont permis une amélioration de la compétitivité, des gains de parts de marché à l’exportation, ainsi qu’une amélioration de la profitabilité et de l’investissement des entreprises. En revanche, la demande intérieure globale est restée déprimée du fait de la faiblesse des revenus d’activité, conséquence de ce choix de croissance » (idem).

Conséquence de cela :

« La compétitivité de l’économie française se dégrade depuis le début des années 2000. Le premier élément qui révèle l’érosion de la compétitivité extérieure de la France est la dégradation des performances à l’exportation. Le solde de la balance commerciale accuse un déficit récurent depuis le début de la décennie (-30 milliards d’euros fin 2006, contre un excédent de 14 milliards d’euros fin 1999). En outre, les parts de marché à l’exportation, mesurées par le rapport (en valeurs et en dollars) entre les exportations françaises et les importations des partenaires commerciaux, reculent depuis le début des années 1990 (6,5 % contre 4,3 % en 2006) » (idem).

Depuis des longues années, les patrons exigent des “ réformes ” allant dans le sens d’accroître considérablement la flexibilité du marché du travail dans le sillage des lois successives sur la Réduction du temps de travail (RTT) et la durée du temps de travail pour accroître la productivité du travail , “ réactiver ” les chômeurs de longue durée afin qu’ils pèsent plus sur les travailleurs ayant un emploi , réduire les impôts sur les sociétés et sur les gros patrimoines , augmenter la partie autofinancée par les travailleurs de la protection sociale et mettre la recherche et l’école plus encore au service des entreprises tout en dépensant moins pour elles . Le programme général fixé par industriels et banquiers français tient du diagnostic qui prétend que, ces dernières années, l’Allemagne a fait mieux que la France.

« Les coûts salariaux unitaires (CSU) - rapport de la masse salariale sur la valeur ajoutée en volume - dans l’industrie manufacturière progressent plus vite que dans le reste de la zone euro. Cette différence tient notamment à la maîtrise des coûts salariaux en Allemagne. Pour limiter la baisse de leurs parts de marché en volume, les exportateurs français ont dû consentir des efforts sur leurs prix de ventes, probablement à travers une réduction de leurs marges. Enfin, sur la compétitivité ‘hors coûts’ (qualité, contenu en innovation et en technologie des exportations), la France occupe une position moyenne, moins bonne que l’Allemagne » (idem).

Etat plus économe, plus réactif aux exigences changeantes des classes dominantes, moins “ protecteur ” des couches les plus faibles de la société civile et moins “ garant ” des acquis sociaux, voilà ainsi résumée la ligne de conduite que les classes dominantes ont demandée à leur organe général d’adopter sans traîner. Ces vœux ont rempli de sens le mot “ rupture ” abondamment agité par les trois candidats des partis traditionnels de gouvernement, Nicolas Sarkozy (UMP), Ségolène Royal (PS) et François Bayrou (UDF), par delà leurs querelles ponctuelles sur telle ou telle mesure ou calendrier d’application.

Avec une telle feuille de route, les trois candidats de gouvernement avaient peu à donner aux électeurs. C’est pourquoi toute la longue campagne électorale en quatre temps a été caractérisée par la grande vacuité de propositions “ alléchantes ” pour les travailleurs et par la référence permanente à l’autorité, au travail, à l’ordre, à la patrie et à la famille.

« Nicolas Sarkozy, en tant que principal leader de la droite, a épousé le courant de ‘droitisation’ de la société française, sensible particulièrement sur le terrain des valeurs où d’importants secteurs de la population sont en demande de repères forts sur le terrain de l’ordre, de l’autorité, de l’identité nationale et du travail. Une partie de cette thématique a permis à Nicolas Sarkozy de reconquérir un segment significatif de l’électorat du Front national qui suivait, depuis bientôt un quart de siècle, Jean Marie Le Pen » (Cevipof).

« Oui, je cherche à séduire les électeurs du FN. Qui pourrait m’en vouloir de récupérer ces gens dans le camp républicain ? J’irai même les chercher un par un, ça ne me gêne pas. Si le FN a progressé, c’est que nous n’avons pas fait à droite notre boulot. », déclarait Nicolas Sarkozy quelques mois avant le scrutin. Mission accomplie.

Moins l’Etat a à offrir à ses sujets, plus il met l’accent sur les “ valeurs ” traditionnelles les plus odieuses comme l’identité nationale. Le grand gagnant du cirque électoral, Nicolas Sarkozy, est celui qui, en toute logique, a su incarner le mieux ce projet et cette idéologie réactionnaires.

L’irrésistible envie d’un Maître

Si l’on devait résumer en une phrase la raison de l’élection triomphale de Nicolas Sarkozy et de ses députés, on pourrait parler d’envie d’un Maître. Les électeurs ont rangé leur citoyenneté en s’exprimant en sujets. La monarchie républicaine tant décriée depuis le coup d’Etat légal du général De Gaulle de 1958 en est sortie une nouvelle fois renforcée. L’exceptionnelle participation à l’élection présidentielle et le piètre taux de participation à l’élection législative montrent que les électeurs, dans leur très grande majorité, n’ont pas renoué avec le désir d’en être et de s’engager en politique. Ils ont en revanche librement choisi de confier leur destin à un seul homme et à son clan. La mission que les Français ont confiée à Nicolas Sarkozy est de “ restaurer un leadership politique ”, résument les “ experts ” les plus avertis.

La dernière mascarade électorale française témoigne aussi de « la fin d’un cycle d’abstentionnisme protestataire qui se développait depuis plus d’une bonne dizaine d’années » (Cevipof) . Pour les révolutionnaires, c’est une leçon importante.

L’abstentionnisme protestataire ne doit jamais être interprété, en soi, comme un signe de reprise de la lutte de classes. Le troisième tour dans les rues et les usines tant rêvé par les gauchistes à l’époque du triomphe de l’abstentionnisme protestataire n’a jamais eu lieu. En revanche, le troisième tour de la revanche patronale sur les travailleurs est aujourd’hui plus que probable.

Les brebis égarées (l’étaient-elles vraiment ?) rentrent au bercail : « La forte implication dans ces élections ne marque pas la fin de la défiance politique, elle veut dire simplement que les Français sont revenus à la politique telle qu’elle est faite par les trois candidats issus des grands partis (UMP, PS, UDF) et que leur confiance temporairement retrouvée n’est que prêtée à ceux-ci sous ‘bénéfice d’inventaire’ [...] Les Français qui ont beaucoup utilisé, dans les années récentes, la voie de la protestation (cf. l’ampleur du Non au Traité constitutionnel européen lors du référendum de mai 2005) en ont peut-être exploré les limites dans la mesure où celle-ci, une fois le mouvement de mauvaise humeur passée, n’a pas beaucoup de ‘lendemains’ concrets. En revenant vers les candidats des ‘partis de gouvernement’, il y a la volonté de tenter de trouver un ‘débouché de pouvoir’ à la défiance et à la protestation. » (idem) .

Ainsi tout porte à croire que désormais « la crise de légitimité du monde de la représentation politique semble connaître un coup d’arrêt ... la légitimité électorale [du Président élu NdlR] sera plus incontestée que dans les élections présidentielles des dix dernières années (1995, 2002) » (idem).

L’autonomie du Politique en voie de restauration

Traduction : la crise du Politique est enfin endiguée. L’ensemble des prérogatives de l’exécutif peut être restauré. Le consentement électoral explicite d’une majorité confortable de Français, toutes classes confondues, redonne de l’autonomie à l’Etat et à son sommet. Depuis plus de deux décennies, l’Etat, et en particulier les exécutifs que s’y sont succédés à sa tête, ont davantage subi les influences contradictoires, voir opposées, de la société civile qu’il ne les a gouvernées ou, au mieux, suscitées. La nouvelle équipe au pouvoir poursuit en revanche l’idée que la société civile doit évoluer par l’action anticipatrice du sommet de l’Etat.

La figure du Président arbitre au-dessus de la mêlée peut enfin s’effacer au profit de celle du Président / super Ministre de l’Intérieur chef de meute, toujours en première ligne sur le terrain interne de la guerre de classes. Cette élection se mue instamment en son contraire : la participation massive des électeurs a signé un chèque en blanc aux élus. Grâce au suffrage universel, le comité d’affaires de la bourgeoisie s’émancipe davantage de l’impératif de représenter de façon adéquate l’intérêt général. Bien sûr, celui-ci correspond toujours à l’intérêt des classes dominantes mais il doit être interprété et défendu par l’Etat de telle sorte qu’il apparaisse comme la synthèse des besoins sociaux de l’ensemble de la société toute entière.

Or, le nouveau paysage institutionnel français rend moins pressant et ardu ce travail de mystification. L’incarnation de la société civile par l’Etat semble se faire avec une fluidité majeure et au moindre coût. L’organisation de la démocratie sociale ne nécessite plus la présence systématique d’instituts d’opposition de Sa Majesté tels les syndicats œuvrant pour une intégration conflictuelle de la classe ouvrière (CGT et SUD avant tout). Ceux qui agissent dans une perspective de cogestion harmonieuse suffisent amplement (CFDT, FO, CFTC) tant que le prolétariat s’en accommode.

Le nouveau parti politique au pouvoir a acquis par les urnes la capacité de représenter en direct les classes dominées sur le terrain du maintien de l’ordre établi, au travail, en famille et dans la vie sociale. Faire travailler plus et réprimer plus sont deux des principales promesses faites durant la campagne électorale que l’exécutif nouveau tiendra à coup sûr. Le “ parler vrai ” et cru de Nicolas Sarkozy a payé. Des larmes et du sang certes, mais aussi une paix sociale et civile restaurée par la force de l’Etat. La marge de compromis entre les classes est à son plus bas. C’est à prendre ou à laisser. Et une portion conséquente des travailleurs a décidé de prendre, avant tout déçus par leur grande faiblesse en tant que classe, leur incapacité d’adopter une perspective politique autonome, bâtie sur leurs propres luttes contre le capital.

Dans ce sens, la grande victoire en France de la réaction enregistre l’incapacité systématique des mouvements du prolétariat de ce pays de générer un solide organe politique indépendant.

Où est-elle donc passée, la gauche ?

Le vote ouvrier a disparu, bouffé par tant d’années de racisme, d’isolement des prolétaires et de déceptions vis-à-vis des partis et des syndicats ouvriers-bourgeois.

Le candidat Sarkozy « a construit un projet politique articulé autour des valeurs d’autorité, de morale, d’identité nationale, de respect, de travail et de mérite. Il a porté ce projet avec énergie, constance et en s’émancipant assez souvent du ‘politiquement correct’. En cela, il a rompu avec une période ‘mitterrando-chiraquienne’ qui avait empêché que certains thèmes qui ‘fâchent’ (maîtrise de l’immigration, pouvoir des délinquants dans certains quartiers, délitement de l’autorité...) soient mis au cœur de l’agenda politique » (Cevipof).

Au 1er tour de l’élection présidentielle, 47 % des ouvriers votants se sont exprimés en faveur de candidats explicitement de droite et d’extrême droite (Sarkozy, Le Pen, de Villiers et Nihous). Le Centre de Bayrou a été gratifié de 16 % du vote ouvrier, score égal à celui cumulé des Staliniens, des Trotskistes et des Ecologistes. Quant à Ségolène Royal du PS, elle a fait jeu égal avec son adversaire Sarkozy avec 21 % des préférences. Aller chercher dans ces chiffres “ le vote ouvrier ” relève d’une mission impossible. « Bons scores de la droite chez les syndiqués », titrait le quotidien Le Monde le 25 avril. L’appartenance à un syndicat d’intégration conflictuelle n’est plus (et depuis bien longtemps) un gage de positionnement à gauche.

« Jean-Marie Le Pen arrive en deuxième position dans les votes parmi les sympathisants de la CGT, selon un sondage sorti des urnes réalisé par CSA pour Liaisons sociales (effectué le 22 avril auprès de 5 009 personnes). 12 % des ‘proches de la CGT’ disent avoir voté pour le chef de l’extrême droite, 11 % pour Nicolas Sarkozy et 11 % pour François Bayrou. Un résultat somme toute logique au vu du poids maintenu du FN dans l’électorat ouvrier, indique Stéphane Rozès de CSA »

En revanche, la gauche gouvernementale fait ses meilleurs scores chez les Professions libérales, cadres supérieurs et intermédiaires. Ségolène Royal a capté à elle seule 31 % des suffrages de ces catégories, contre, respectivement, 29 % et 26 % pour Nicolas Sarkozy. Au second tour de la Présidentielle, le fort encrage des idées réactionnaires en milieu ouvrier s’est confirmé par un score de 46 % de Nicolas Sarkozy parmi les ouvriers votants et de 49 % parmi les employés.

Compte tenu du très faible taux d’abstention et de l’absence de motivations politiques révolutionnaires pour ceux qui n’ont pas jugé bon de se déplacer pour voter, il est probable qu’un gros tiers du prolétariat en France soit pour l’instant gagné à l’idéologie la plus réactionnaire exprimée par Nicolas Sarkozy. Si l’on intègre à cela les thématiques proches du candidat de la Droite abondamment agitées par Ségolène Royal, on en déduit que la conscience ouvrière de soi a dégringolé à un palier historique qu’elle n’avait plus jamais connu depuis la saison pré-révolutionnaire de la fin des années ’60 et du début des années ’70.

Le dit sursaut de la gauche au second tour des Législatives ne modifie pas la donne de fond. Davantage inspiré par la crainte de nouveaux impôts (la TVA sociale), ce retour de flamme s’est fait toujours sur fond d’abstention record et de reports plus favorables des voix des centristes démocrates-chrétiens de Bayrou. Reports faits au nom du « pluralisme » et contre l’Etat-Sarkozy et pas d’une adhésion politique aux thèmes traditionnels de la gauche.

Annexe ; La crise fiscale de l’Etat

« The Fiscal Crisis of the State » est le titre d’un ouvrage classique des sciences des finances publiques écrit par James O’Connor en 1973. Voilà le noyau de sa thèse :

« La socialisation des coûts et l’appropriation privée des profits créent une crise fiscale, à savoir une ‘lacune structurelle’ entre les recettes et les dépenses de l’État. Il s’ensuit que les dépenses étatiques augmentent plus vite que les moyens pour les financer ».

James O’Connor souligne que l’Etat moderne doit assurer à la fois les fonctions traditionnelles « de sécurité et de coercition » (administration, police, justice, armée, politique étrangère) et deux fonctions qui prennent une ampleur croissante : la « fonction d’accumulation » et la « fonction de légitimation »

Par la « fonction d’accumulation », l’État aide des façons les plus diverses les entreprises de son pays engagées dans la compétition internationale et préserve au mieux leur position sur le marché intérieur. L’action de l’Etat sur ce plan va des subventions directes et fiscales à la réalisation d’infrastructures, à la formation des personnels qualifiés, à la recherche en passant par l’adoption de politiques douanières et autres plus ou moins protectionnistes.

Par la « fonction de légitimation », l’État finance la cohésion et la démocratie sociale. Il organise un marché du travail bien ordonné. Il alimente les organes de cogestion et s’adosse une partie importante de la facture sociale et environnementale du cycle d’accumulation du capital.

L’exercice de ces fonctions de l’Etat est néanmoins mis de plus en plus à mal par le renforcement du marché mondial et l’action destructrice de la concurrence. L’Etat est systématiquement ramené à sa dimension de capital individuel d’un type très spécial. Il est fragilisé par une compétition de plus en plus âpre entre Etats sur le terrain même de l’efficacité et des dépenses consenties pour l’exercice des fonctions d’accumulation et de légitimation. De son côté, le capital social national qui lui correspond - autrement dit, les capitaux individuels du pays est de moins enclin à lui faire des concessions en termes de déficits tout en exigeant davantage de support efficient.

Ce phénomène est amplifié dans les phases du cycle économique d’accumulation lente et, surtout, de dévalorisation du capital. Plus l’Etat parvient à lisser les crises périodiques du capital, plus ses déficits croissent. Toute tentative de maîtriser la crise impose à l’Etat des dépenses additionnelles. Et ce alors même que les capitaux individuels de son pays prétendent de payer moins d’impôts pour faire face à la dévalorisation. C’est donc dans ces deux moments particuliers du cycle économique que la nature contradictoire de l’Etat comme représentant des intérêts des classes dominantes et comme capital individuel d’un type très spécial s’entrechoquent avec la plus grande intensité. La crise fiscale latente, la crise chronique des recettes, devient alors très visible en prenant des allures réellement déchirantes.

Alors, noir c’est noir ?

Pas si sûr. La défaite de la gauche institutionnelle, qu’elle soit de gouvernement ou d’opposition, ne représente, pour les révolutionnaires, rien d’autre qu’un indicateur de la pénétration de l’idéologie bourgeoise la plus réactionnaire en milieu ouvrier. Ce n’est pas rien. Il convient, en effet, surveiller de près les élections car elles sont un miroir déformant de l’état de la conscience de la classe ouvrière. Même si notre stratégie exclut depuis près d’un siècle toute participation défaitiste des révolutionnaires à ce moment crucial de la vie de l’Etat, l’analyse des scrutins à suffrage universel reste une tâche importante afin de mesurer la pénétration des idées de l’ennemi de classe au sein du prolétariat.

Mais, en bons matérialistes, nous savons qu’en définitive la soumission à l’idéologie dominante n’offre qu’une protection très relative au capital contre les saines réactions que l’exploitation suscite à un rythme incessant. L’absence de tout fard parlementaire à la domination de l’exécutif peut jouer en facteur de radicalisation. A l’inverse, il ne faut pas exclure que le balayage de la gauche institutionnelle aux élections 2007 ne se solde pas, à terme, par son improbable résurrection dans la rue après avoir opéré une mue de façade bien nécessaire.

Autrement dit, nous ne sommes pas à la veille d’une révolte généralisée enfin émancipée de la médiation institutionnelle de la gauche et de l’extrême gauche politique et syndicale. Mais la tournée électorale n’a pas enterré toute perspective de réaction ouvrière. Bien au contraire, dans un sens. Et ce, en raison de la mise hors service de plusieurs soupapes politiques et sociales. Un exécutif si concentré, puissant et omniprésent ne manquera pas d’attirer sur lui les foudres prolétariennes. Un Etat qui s’éloigne et s’affranchit à ce point de la société civile prend des risques énormes.

Ayons donc confiance en sa capacité de susciter la colère ouvrière.

Bruxelles-Paris, le 12 juillet 2007

Mouvement Communiste- Lettre numéro 25 - juillet 2007

Pour toute correspondance écrire, sans autre mention, à : BP 1666, Centre Monnaie 1000, Bruxelles 1, Belgique.

Consulter le site Internet de Mouvement Communiste : www.mouvement-communiste.com

(1) “ Les gains de productivité de l’économie française sont faibles. La productivité moyenne du travail a progressé de 1 % en moyenne entre 1995-2005. Par comparaison, les gains de productivité au cours de la même période s’élevaient à 1,6 % en moyenne dans les pays de l’OCDE et 2 % aux Etats-Unis ” (Crédit Agricole).

(2) “ Malgré une relative amélioration depuis le milieu des années 1990, la situation du marché du travail français reste préoccupante. Le taux d’utilisation du potentiel de la main-d’œuvre est en effet parmi les plus faibles des pays industrialisés ” (Crédit Agricole).

(3) “ Le taux actuel de l’impôt sur les sociétés (IS) est de 33,33 % du bénéfice imposable. Il a été abaissé graduellement ces dernières années et des allégements spécifiques sont effectués pour les PME et notamment les ‘gazelles’ (PME à fort potentiel de croissance). Mais il reste supérieur à ceux des partenaires européens (30 % environ dans l’UE15, 12,5 % seulement en Irlande). Et nos voisins continuent à le réduire (en Allemagne, le taux ‘fédéral’ va passer de 25 à 15 % en 2008). De nouvelles baisses de l’IS paraissent donc nécessaires pour rester fiscalement compétitif et lutter contre les délocalisations ” ... “ La taxe professionnelle est la principale ressource des collectivités locales. Elle a été nettement allégée en 2006 : plafonnement à 3,5 % de la valeur ajoutée et dégrèvement pour les nouveaux investissements. Cette taxe est toutefois assise sur la valeur locative des immobilisations corporelles (équipements, locaux, terrains...). Il pénalise donc les secteurs à forte intensité capitalistique ” ... “ Les contributions sociales des employeurs sont très élevées, avec un taux de cotisation d’environ 45 % pour les salaires supérieurs à 1,6 SMIC. Au niveau du SMIC, les cotisations de Sécurité Sociale (régimes de base) ont été très fortement réduites depuis 1993, de 30 % à 4 %. Ceci a été en partie destiné à compenser les effets haussiers sur les coûts horaires de la mise en place des 35 heures. Le système actuel est fortement progressif, dans le but d’inciter à l’embauche des travailleurs peu qualifiés. Mais le poids des contributions sociales reste globalement très élevé, ce qui affecte la compétitivité des entreprises et les créations d’emploi ” ... “ Les recettes de l’impôt sur le revenu (IR) sont faibles en France, 3,2 % du PIB en 2006 contre environ 9 % dans l’UE15. L’IR a été abaissé de 9 milliards, 17 % environ, sur les cinq dernières années. Et un ‘bouclier fiscal’ est mis en place en 2007 : les impôts directs des ménages (IR, ISF, impôts locaux) ne pourront plus excéder 60 % de leur revenu. Ces divers allègements ont contribué à la bonne tenue des dépenses de consommation ” (idem).

(4) “ Selon les dernières projections du Conseil d’Orientation des Retraites, le déficit des régimes de retraite atteindrait 0,7 % du PIB en 2020 et 1,7 % du PIB en 2050. De telles projections, évidemment fragiles, surtout au-delà de 2020, montrent que de nouvelles mesures seront nécessaires. Un rendez-vous est déjà prévu en 2008 par la loi Fillon pour évaluer et adapter cette réforme ” (idem).

(5) “ La France est caractérisée par un montant élevé de dépenses intérieures de R&D (35 milliards d’euro en 2004). Elle se situe au 4e rang de l’ensemble des pays de l’OCDE. L’intensité de l’effort de R&D (ratio des dépenses globales de R&D sur PIB) s’établissait à un niveau supérieur à la moyenne de l’UE. La part des activités de R&D en France effectuées par les entreprises est relativement faible. L’intensité de l’effort de R&D effectué par les entreprises place certes la France au-dessus de la moyenne de l’UE, mais seulement en 12e position dans l’ensemble de l’OCDE ” ... “ Les dépôts de brevets constituent le principal indicateur utilisé pour évaluer la capacité d’innovation et les performances technologiques. Dans ce domaine, la position de la France est en net repli. Selon l’OCDE, la part de la France en brevets triadiques a baissé de plus d’un point entre le début des années 1990 et 2002, à 4,8 % ” ... “ Pour la plupart des indicateurs retenus traduisant l’effort consacré à l’éducation, la France occupe une position supérieure à la moyenne. Les dépenses totales (publiques et privées) consacrées à l’éducation au sens large (primaire, secondaire et supérieur) étaient supérieures à la moyenne des pays OCDE en 2003 (6,3 % du PIB contre 5,9 %). Toutefois, la part des dépenses consacrées à l’enseignement supérieur reste faible, à 1,4 % du PIB, juste au niveau de la moyenne des pays de l’OCDE. De plus, le coût annuel par étudiant de l’enseignement supérieur est inférieur de 5 % à la moyenne des pays OCDE à 10 704 USD en 2003 ” (idem).

(6) “ Presque 84 % des électeurs se sont déplacés, approchant ainsi le record de participation (84,75 %) atteint sous la Vème République en 1965 lors de la première élection du Président de la République au suffrage universel direct qui avait vu la victoire du général de Gaulle ” (Cevipof).

(7) “ Depuis plus de dix ans, les protestations électorales avaient explosé au point de devenir majoritaires en 2002. En 1995 les cinq candidats de la protestation et de la dispersion (Laguiller, Voynet, de Villiers, Le Pen, Cheminade) représentaient 28,64 % des suffrages. En 2002, les 12 candidats qui incarnaient ces mêmes tendances (Gluckstein, Laguiller, Besancenot, Taubira, Chevénement, Mamère, Lepage, Madelin, Boutin, Le Pen, Mégret, Saint-Josse) représentaient 53,75% des suffrages. En 2007, les huit candidats de même acabit (Schivardi, Laguiller, Besancenot, Bové, Voynet, de Villiers, Le Pen, Nihous) ne totalisent plus que 22,6 % des suffrages ” (idem).

(8) “ A eux trois, les candidats de l’UMP (Nicolas Sarkozy), du PS (Ségolène Royal) et de l’UDF (François Bayrou) rassemblent 75,5 % des suffrages, ils n’en attiraient que 42,9 % en 2002. Si l’on ne retient que les deux candidats arrivés en tête, ils captent 56,9% des suffrages. En 2002, Chirac et Le Pen n’avaient capitalisé que 36,7 %, en 1995 Chirac et Jospin 44,1 %,

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