Suite de la brochure « Correspondance Chaulieu (Castoriadis)- Pannekoek - 1953-1954 » : Préliminaires , Premiers contacts, Première réponse de Chaulieu (Castoriadis), Deuxième lettre de Pannekoek
Cette deuxième lettre de Pannekoek du 15 juin 1954 ne fut jamais publiée dans Socialisme ou Barbarie, jusqu’à la disparition de la revue en 1967. La question que l’on peut se poser, c’est pourquoi ? On peut se la poser d’autant plus que, ainsi que nous le verrons plus loin, une lettre d’un camarade hollandais de Spartacus, Theo Maassen, figurera dans le n° 18 de Socialisme ou Barbarie (janvier-mars 1956) (voir dans 6 et 7. « Encore sur la question du parti » (I et II) le texte complet de cette lettre).
On trouve pourtant encore mention des contacts avec Pannekoek, mais curieusement d’une manière tout à fait incidente, dans le numéro 15-16 de Socialisme ou Barbarie (octobre-décembre 1954), dans une brève note intitulée « Socialisme ou Barbarie à l’étranger » :
« Nous avons pensé qu’il intéresserait les lecteurs de Socialisme ou Barbarie d’être informés de l’écho que la revue commence à susciter parmi les milieux révolutionnaires d’autres pays et des commentaires ou traductions de nos textes publiés par des journaux ou périodiques étrangers. Nous n’en parlons pas pour nous décerner des louanges par personnes interposées - nous pensons que les camarades de l’étranger ne peuvent nous aider qu’en nous critiquant, et pour l’instant ils ne nous critiquent guère - mais à cause de l’importance politique de ce rétablissement des contacts entre groupes et publications d’avant-garde et de la convergence idéologique qui commence à se dessiner parmi eux.
» Il y a maintenant près de six ans que Socialisme ou Barbarie paraît. Pendant cette période, les échos de notre effort ont été rares pour ne pas dire nuls aussi bien en France qu’à l’étranger. Nous savions qu’il ne pouvait en être autrement, et que nous avions à continuer et à attendre. Nous savions qu’ailleurs des camarades poursuivaient un effort souterrain qui un jour arriverait à la surface, que d’autres parcouraient une évolution idéologique qui ne pouvait que les rapprocher de nos positions. C’est ce qui commence à se produire maintenant et qui confirme notre conviction sur la puissance des idées révolutionnaires et la renaissance inéluctable du mouvement prolétarien international.
» Certes, il ne s’agit pas de crier victoire. Le jour où une organisation révolutionnaire mondiale pourra naître est encore très loin. Mais il essentiel de constater qu’une étape importante est actuellement franchie et d’en prendre pleinement conscience, car il en découle non seulement une confirmation de notre perspective révolutionnaire mais aussi et surtout de nouvelles tâches idéologiques et pratiques.
» Le journal ouvrier Correspondence (14), publié aux Etats-Unis (dont nous avons parlé dans les nos 13 (p. 82) et 14 (p. 74 de cette revue), publie dans son n° 21 (10 juillet 1954) une note sur Socialisme ou Barbarie dans laquelle il insiste en particulier sur la contribution de notre revue pour “créer un pont entre les classes ouvrières européenne et américaine”, en publiant la traduction de “L’ouvrier américain” dans ses nos 1 à 8, et en les faisant précéder d’une introduction, qui “montre combien profondément le traducteur a compris la contribution spécifiquement américaine de ce texte, aussi bien que sa signification universelle”.
» Le groupe Spartacus de Hollande, sur lequel nous comptons informer davantage nos lecteurs dans un prochain numéro (et qui est proche des positions d’Anton Pannekoek) après avoir publié une note sur notre revue et nos positions, présente dans son journal Spartacus une traduction du texte “La grève chez Renault”, et dans sa revue théorique une traduction de “La bureaucratie syndicale et les ouvriers”, paru dans le n° 13 de Socialisme ou Barbarie.
» En Italie, la revue Prometeo, publiée par les camarades du Parti communiste internationaliste en collaboration avec d’autres groupements de gauche (15), imprime dans son numéro de mars une traduction de larges extraits de l’éditorial “Socialisme ou barbarie”, publié dans notre n° 1.
» D’autre part, le journal L’Impulso, organe des Groupes anarchistes d’action prolétarienne d’Italie, a publié un commentaire sur notre n° 14.
» Les GAAP représentent en Italie la tendance nouvelle qui s’est affirmée depuis quelques années dans l’ancien mouvement anarchiste et qui a fini par rompre avec les conceptions et les groupes traditionnels. Tout comme la Fédération communiste libertaire en France, ils ont une position internationaliste et révolutionnaire ; leur programme de communisme libertaire “s’appuie sur une analyse matérialiste des rapports sociaux et de l’évolution du monde moderne”. Par ailleurs, ils collaborent à la revue Prometeo, mentionnée plus haut.
» L’Impulso (an. VI, n° 6, 15 juin 1954) écrit :
» “La revue française Socialisme ou Barbarie dont les positions de gauche ouvrière sont proches de celles de Prometeo, vient de publier un numéro extrêmement riche. » Un long texte de Pierre Chaulieu sur la « Situation de l’impérialisme et perspectives du prolétariat » trace les lignes du développement impérialiste, pendant les cinquante dernières années, en analysant particulièrement la deuxième guerre mondiale et le récent après-guerre. Les traits communs des impérialismes américain et russe, ainsi que 1eurs différences structurelles, les tendances des deux blocs antagoniques vers la guerre, les tâches de l’avant-garde révolutionnaire sont fermement exposées dans une analyse complète et convaincante.
» Daniel Mothé publie un article intéressant sur la phase de dégénérescence des syndicats (« Le problème de l’unité syndicale »). Irréfutable du point de vue théorique (point de vue adopté par les GAAP à leur première conférence nationale), il est discutable dans le domaine tactique.
» La discussion entre Anton Pannekoek, le dirigeant bien connu des « tribunistes » hol1andais pendant la première guerre mondiale, compagnon de Hermann Gorter et sérieux opposant de l’Internationale communiste après en avoir été un des fondateurs, et Pierre Chaulieu, un des rédacteurs de la revue, est d’une grande importance au point de vue de l’élaboration de la théorie révolutionnaire. On ne peut qu’être d’accord avec la ferme et brillante critique que ce dernier fait de Pannekoek, dont les positions vis-à-vis de l’IC sont, ou plutôt ont été, historiquement justifiées, mais qui se trouvent aujourd’hui dépassées tout comme les thèses face auxquelles elles représentaient une saine réaction.
» Il y a, enfin, un vivant portrait polémique de Wilhelm Pieck (16) une traduction du journal de la gauche ouvrière américaine Correspondence et des documents de La Vie ouvrière.” (17). »
Le détour vaut la peine d’être remarqué : après avoir, en préambule à la publication des deux premières lettres, louangé « la longue et féconde activité de militant et de théoricien de A. Pannekoek », une citation d’une revue italienne renvoie ledit Pannekoek dans les ténèbres de l’Histoire avec ses thèses « historiquement justifiées » mais « aujourd’hui dépassées » tout en mettant en relief « la ferme et brillante critique » que Chaulieu a fait de Pannekoek dans un débat « d’une grande importance au point de vue de l’élaboration de la théorie révolutionnaire ».
On aurait pu penser que, puisque Socialisme ou Barbarie éprouvait le besoin de faire le point sur ce sujet avec une telle citation laudative d’un journal italien, le groupe français aurait aussi considéré la « grande importance du débat » en question et poursuivi la discussion en publiant la seconde lettre de Pannekoek, ceci d’autant plus qu’il précisait par ailleurs vouloir poursuivre des relations avec le groupe hollandais communiste de conseils Spartacus. Il n’en fut rien, mais le problème, non seulement de cette correspondance mais, surtout, des questions qu’elle abordait, ne pouvait être escamoté si facilement et devait resurgir, théoriquement et pratiquement.
Notes
(16) Le n° 14 de Socialisme ou Barbarie donne effectivement une biographie de Wilhelm Pieck qui, parti de l’extrême gauche de la social-démocratie allemande avant 1914 et alors opposant à la guerre, devient un homme lige du parti, réussit à échapper au nazisme et poursuivit à Moscou une carrière d’apparatchik pour finir premier président de la RDA, de 1949 jusqu’à sa mort, en 1960.
(17) Une note figurant dans l’article de Socialisme ou Barbarie renvoie aux articles d’Alberto Véga : « La crise du bordiguisme italien » (n° 11, pp. 26 à 44) et « La plate-forme politique du PCI [Parti communiste internationaliste] d’Italie » (n° 12, pp. 88 à 96).
Lire la suite de la brochure « Correspondance Chaulieu (Castoriadis)- Pannekoek - 1953-1954 » :
6 et 7. « Encore sur la question du parti » (I et II)
Les voiles commencent à se lever
Le rejet par S ou B du courant communiste de conseils
Castoriadis et la question de l’organisation révolutionnaire