Pour « que le chômage ne devienne pas une fatalité », EdF-GdF a recasé, tant bien que mal, dans les deux établissements nationalisés depuis 1945, environ mille mineurs de fer du bassin de Lorraine, quelques dizaines de mineurs de charbon des sites d’Alès et de La Mure. A cette œuvre sociale, s’ajoute la touche éthique-humaniste, comme nous allons le voir. Cet hiver, EdF-GdF a revu sa politique traditionnelle en matière de coupure du courant sur factures impayées. De plus, ses agents ont été présents sur le front des inondations fluviales dans l’Ouest breton et l’Est ardennais, suppléant à la protection civile, aux sapeurs-pompiers et à la gendarmerie. Cela grâce à des équipements en matériel très efficaces et parce que les agents mobilisés, en état « d’astreinte », sont motivés par de grosses primes et des indemnités annexes non moins importantes.
A la date du 6 février 1995, les représentants des syndicats CFTC, FO, CFDT et UNCM de EdF-GdF sont très satisfaits. Pourquoi diable ? C’est qu’après des négociations entre gens civilisés, dans un climat de compréhension mutuelle, tous les représentants de ces syndicats s’accordent pour qualifier d’exemplaire la convention « Agir pour l’emploi », qu’ils signent des deux mains. Qu’est-ce à dire ? Celle-ci a pour ambition déclarée de participer au financement d’actions en faveur de l’emploi et de la lutte contre l’exclusion, au niveau national, par la collecte de dons en espèces auprès du personnel des deux entreprises jumelées. Leurs directions s’engagent à contribuer à l’effort des agents en doublant systématiquement le montant de la collecte qui s’opérera lors du versement de la prime du treizième mois et de l’intéressement aux bénéfices de l’entreprise. Un reçu fiscal permettra aux donateurs de déduire de leurs déclarations de revenu 40 % des sommes remises. Pour l’EdF-GdF, la souplesse de son Plan d’Epargne d’Entreprise, à laquelle elle a réussi à intéresser la majorité de ses agents, constitue un véritable instrument d’intégration en même temps qu’un moyen de capitalisation. Voilà qui réjouit P. Bagnolet, secrétaire général de l’UNCM-EDF. C’est la « créativité » des agents, renchérit A. Poncelet pour la fédération fantôme de la CFTC. B. Lechevin, de la CFDT, plus « marxiste », voit lui aussi un acte de prise de conscience... de classe, sans doute. Des uns aux autres, il est clair qu’il faut réussir pour avoir valeur d’exemple aux yeux des travailleurs des autres secteurs. De toute évidence, on baigne en pleine citoyenneté d’entreprise.
Que l’on ne croie pas que l’éthique des directions patronales et syndicales en reste là. A leur solidarisme s’ajoute la pointe éthique. Actuellement, 2 110 CES (Contrats Emploi-Solidarité) dont 650 jeunes, sont présents sur l’ensemble des Centres des industries EdF-GdF. Qui par ailleurs ont eu la « bonté » de recruter quelques dizaines d’agents dans les « Centres de Formation d’Apprentis » (CFA), embauchés au plus bas de la grille hiérarchique(une création des camarades ministres Ambroise Croizat et Marcel Paul en 1945). Elle déploie aussi, cette philanthropie vers les handicapés par l’embauche, un chiffre si bas qu’il ne représente rien, l’achat de petites fournitures de bureau aux « Ateliers protégés » ( cahiers, blocs-notes, dossiers, etc.).
Il y a au 42, rue Louis-Lumière, à Paris, une résidence accueillante. C’est la direction des affaires générales d’EdF-GdF qui l’a financée en partie, l’autre partie étant assumée par IBM, la Ville de Paris et la Région Ile-de-France. Elle a coûté 75 millions de francs ; les agent EdF-GdF handicapés et leurs enfants handicapés peuvent résider dans une des 102 chambres de bon confort, équipée d’une télécommande qui permet d’allumer la TV, d’ouvrir la porte, etc. Ce n’est pas un ghetto mais au contraire un lieu de rencontre et d’insertion, avec restaurant, salles de réunions et lieux de détente, accueillant valides et invalides. On ne peut pas rêver mieux.
EdF-GdF fait aussi dans le social d’une autre manière. Une dizaine de centres ont pris en charge de petits groupes de jeunes « exclus » pendant deux ans, avec pour objectif l’obtention d’un CAP ; il leur est promis l’embauche en cas de réussite. Au cours de cette « formation individualisée » et rémunérée, des « tuteurs » leur enseignent de venir tous les matins au travail, à arriver à l’heure, à se concentrer sur la tâche à faire. C’est la promotion « Coup de cœur ».
Dans ce cadre, Nantes a accueilli une délinquante de dix-huit ans. Au lieu d’effectuer plusieurs semaines de détention dans une maison d’arrêt, elle travaille à l’archivage des documents de divers services et s’est « remise dans le sens de la marche ». Pour aider les artistes dans la dèche, EdF-GdF met à leur disposition les supports muraux de ses postes transformateurs. Chaque artiste ayant terminé son œuvre reçoit un prix d’une valeur de 1 000 F. sous forme de matériel ou de réduction sur la facture d’électricité.... Le 19 novembre 1994, les deux directeurs généraux, Ailleret et Gradonneix, avaient signé avec les mêmes partenaires syndicaux un accord en matière d’emploi, qui change la règle de calcul de la croissance : « Nous avons un devoir de performance, un devoir de développement, un devoir d’innovation. » Ce qui fait que, par souci de rentabilité, des emplois seront supprimés et d’autres seront créés, en fonction de la « profonde mutation de l’environnement de l’entreprise » (qui compte plus de 140 000 salariés).
Car ces technocrates ont compris qu’avoir des énergies électriques et gazières compétitives, c’était dissuader les industriels d’aller s’installer à l’étranger. Ce qui fait énormément plaisir à D. Cohen, bonze en chef de la Fédération nationale de l’Energie CGT. Ce sincère internationaliste s’est félicité de la signature de l’accord franco-chinois concernant le construction de la centrale atomique de Daya Bay, un « bel exemple de l’exportation technologique française » , mais qui a condamné que l’EDF investisse des milliards de francs lourds en Argentine et au Cambodge, pays non-démocratiques qui ne respectent pas les Droits de l’Homme. Il a enfin rappelé l’attachement de sa boutique aux trente-cinq heures sans pertes de salaires et aux écoles de formation professionnelle EdF-GdF, ainsi que son opposition à l’accord social signé par les quatre autres fédérations syndicales. Le maintien du monopole de production d’EDF est au cœur des préoccupations de la FNE-CGT.
Chaque année, au mois de février, le président et le directeur général annoncent les résultats de l’année écoulée par vidéo transmission. C’est une occasion pour les dirigeants de prendre le pouls de l’entreprise en dialoguant en direct avec les agents, en passant en revue interrogations, inquiétudes, souhaits, espoirs, projets.
La crainte de la dénationalisation
Cette année encore, tout comme l’année précédente, les résultats sont bons. Bons résultats financiers, bonnes performances, succès de l’innovation sont les mots clés de ce bilan 1994. Pourquoi dénationaliser EdF-GdF ? Ailleret, suivi de tout son état-major, a affirmé qu’il se chargerait de « tordre définitivement le cou à cet éternel serpent de mer qu’est la menace de la privatisation ».
La réponse à cette inquiétude, c’est l’action sans aucune pause pour rester efficace, pour rester dans les « meilleurs électriciens au monde ». Direction et syndicats sont fiers de cette performance.
Mais il y a un hic. Ailleret, Ménage et Rossi ont constaté un point noir : la cohésion interne et le climat social ne pourront que se dégrader encore et donner lieu à de sérieuses luttes.
R. C.
mars 1995