La situation de lutte que nous avons précédemment décrite dans le précédent numéro (voir Une révolte ouvrière au Bangladesh, Echanges n° 118, antomne 2006, p. 3) s’est prolongée tout au long des derniers mois, mais à la lutte des travailleurs s’est substituée une lutte politique menée à travers les violences de rue traditionnelles. La situation d’une bonne partie des travailleurs de la confection ne s’est guère améliorée. Ne pouvant guère endiguer la vague de révolte, les syndicats ont lancé le 30 septembre un ultimatum exigeant un règlement de la question des salaires dans les 72 heures sous menace de grève générale. Sous cette pression sociale, un dernier accord a été conclu le 5 octobre, non sans mal, entre des représentants syndicaux, patronaux et gouvernementaux. Cet accord ne concerne que les salaires minimum et aucune des revendications concernant les conditions de travail. Le salaire minimum mensuel a été porté (sur le papier) à 1 642,50 takas (32,8 euros) alors que la revendication d’origine était de 3 000 takas (60 euros). Ce salaire de base s’appliquerait à une échelle hiérarchique de 1 à 7, l’échelle 7 prévoyant 5 140 takas (103 euros) ; mais les apprentis pouvaient n’être payés que 1 200 takas (24 euros).
Dès cette signature un certain nombre de patrons, dissidents de l’organisation patronale signataire BGMEA, s’en sont désolidarisés, prétendant qu’ils ne pouvaient payer plus que le salaire minimum mensuel encore appliqué, 1 100 takas (22 euros). Comme pour les précédents accords, il est difficile aujourd’hui encore - fin décembre - de dire où celui-ci est réellement en vigueur : selon les chiffres officiels, moins de 50 % des usines l’appliqueraient ; de source syndicale, 99 % des usines ne l’appliquent pas. On peut penser que les travailleurs qui avaient lutté tout l’été n’ont guère été satisfaits de cet accord et savaient plus ou moins ce qui allait se passer. Le 10 octobre, des révoltes éclatent de nouveau dans différentes usines de confection autour de Dacca, avec des usines vandalisées et incendiées, des centres commerciaux attaqués et pillés, des routes bloquées, notamment celle conduisant à l’aéroport de la capitale, reprenant le même scénario d’extension par proximité à partir d’une usine qui débraie.
De nouveau, les forces spéciales antiémeutes (RAB) interviennent : 100 blessés d’un côté, 50 de l’autre, des arrestations. Le BGMEA désigne nommément à la police les « meneurs », responsables syndicaux de base en demandant leur arrestation. Parallèlement à ces pourparlers, une nouvelle loi sur les conditions de travail, votée par le Parlement le 27 septembre, prévoit que les salaires ne pourront être révisés que tous les cinq ans (au lieu de tous les trois ans), la mise automatique à la retraite dès 57 ans et l’interdiction aux retraités ou aux ex-travailleurs licenciés d’une entreprise d’avoir une activité quelconque dans l’organisation des travailleurs de cette entreprise et les discussions éventuelles sur les conditions de travail.
De toute évidence, cette loi est dirigée contre les militants de base, syndicaux ou pas. D’ailleurs une déclaration du BGMEA, à la même époque louait la « sagesse des leaders syndicaux nationaux » et fustigeait les « meneurs », déplorant que « les femmes sans éducation pouvaient être facilement dévoyées sans raison par ces agitateurs » (plus des trois quarts des travailleurs de la confection sont des femmes et seulement moins de la moitié d’entre elles ont un contrat, les autres étant des « occasionnelles »).
Lock-out et autres pressions
Mais il y a plus, pouvant expliquer que les émeutes ouvrières se soient « calmées » bien que pratiquement rien n’ait été obtenu. Il semble que le patronat ait tenté de contraindre les travailleurs de revenir au travail à n’importe quelle condition en les affamant avec des lock-out sélectifs et même en manipulant les coupures d’électricité (il y a eu des grèves et manifestations contre ces coupures). Mais, surtout, ce que l’on ne peut que considérer comme une défaite ouvrière a été masqué par de violents affrontements politiques, l’opposition déclenchant une sorte de grève générale dont les patrons se sont plaints qu’elle bloquait leurs possibilités d’exportation.
Le 13 novembre, le BGMEA se plaint auprès du gouvernement intérimaire et des partis dominants que les donneurs d’ordre menacent de retirer leurs commandes pour aller vers des pays plus sûrs, notamment la Chine - ce qui peut n’être qu’une manœuvre pour exercer une pression supplémentaire sur les travailleurs.
Ces violences politiques sont venues à point nommé, mais elles étaient le résultat d’un processus électoral normal et pas du tout un soutien aux émeutes de l’été : le mandat de l’assemblée parlementaire dominée par l’un des partis, le BNP, étant expiré, une période pré-électorale légale de trois mois devait être gérée par un médiateur « indépendant » (pour garantir le bon déroulement du processus électoral, ce qui est une gageure dans ce pays). Ce médiateur, désigné par une haute autorité, était contesté par l’opposition politique de la Ligue Awami qui l’accusait avant l’heure d’être favorable au BNP.
C’est ce qui a déclenché toute cette série de violences (considérées comme plus importantes que celles qui avaient fait chuter la dictature militaire en 1990). Un accord est finalement intervenu et « le calme rétabli », mais, pour le moment, l’effet essentiel semble avoir été d’avoir réduit, autant par la misère que par les manœuvres patronales, le potentiel que représentait la généralisation et la violence des luttes de l’été 2006.
H. S.
Le n°7 de Prol-position, revue en ligne en langue anglaise (www.prol-position.net), donne les adresses de certains sites, dont un sur les émeutes du Bangladesh d’octobre-novembre 2006. On ne compte pas les usines qui ont été endommagées par les travailleurs furieux de voir les promesses de mai-juin non tenues, ou appliquées au rabais.