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McDo, Fnac, Eurodisney, Virgin, Arcade (2)

lundi 12 janvier 2004

L’interenseigne des Champs-Elysées

Plus la lutte durait et se consolidait, plus le collectif tendait à devenir un point de rencontre entre groupes de grévistes d’autres commerces cherchant à sortir de l’isolement, un carrefour où les salariés individuels pouvaient venir chercher de l’aide, faire circuler des informations sur ce qui se passait dans leurs entreprises, et en trouver sur les initiatives en cours. Il est donc normal qu’avec la fin de la grève à McDo, quand les participants au collectif ont commencé à se demander si l’expérience pouvait se prolonger, la réponse soit venu quasiment d’elle-même, portée par les initiatives en cours ou en préparation.

C’est dans cette seconde phase de la vie du collectif (de la mi-février à la mi-mai) que prend forme "l’interenseigne des Champs-Elysées", ébauche de coordination entre militants des sections syndicales FNAC, Virgin, McDonald’s… Il s’agit surtout de jeunes militants CGT, mais la lutte qui se déclenche à la FNAC et va durer presque un mois bénéficie de la participation d’une majorité de grévistes non syndiqués et du soutien d’autres sections syndicales de la même chaîne, SUD et CNT notamment.

Le 6 mars, Jospin a prévu de venir présenter et signer le livre qu’il vient de publier au Virgin des Champs-Elysées. L’interenseigne, le collectif de solidarité, la CGT du commerce, SUD, etc. préparent une intervention surprise, mais Jospin, avisé, annule l’initiative. Les 300 militants qui se trouvent devant la FNAC organisent alors rapidement une manifestation sur "l’avenue la plus belle du monde" et, un quart d’heure après, sont bloqués par les CRS, la seule manifestation autorisée sur cette voie étant le défilé du 14 Juillet. Le cortège se replie sur le trottoir et se met à faire la navette entre les différents magasins en lutte. La presse se fera l’écho de cette initiative et c’est sans doute cela qui poussera l’intersyndicale de la FNAC - qui s’était engagée dans des négociations pour l’ensemble du groupe - à demander en préalable à l’ouverture des discussions le règlement du conflit à la FNAC des Champs-Elysées, qui semblait échapper au contrôle des structures officielles du syndicat .

Le 9 mars, la grève en cours à la FNAC des Halles devient l’occasion d’organiser un cortège interne au Forum, avec surtout visite à Go Sport, qui connaît sa première grève et où des jeunes salariés découvrent qu’il est possible de lutter. Mais si d’un côté la lutte de la FNAC des Champs-Elysées se conclut par une (quasi) victoire, celle qui s’ouvre dans l’ensemble du groupe auquel appartient ce magasin est beaucoup plus traditionnelle et bien mieux contrôlée par les organisations syndicales. Elle n’a pas besoin du collectif de solidarité et, après quelques visites aux magasins en grève, celui-ci se concentre sur d’autres initiatives où sa présence est sollicitée.

Peu après la FNAC - le 31 mars, le 6 et 7 avril (jour où le marathon de Paris termine sa course sur les Champs-Élysées) - c’est à Virgin de descendre dans l’arène. Là il y a une section syndicale CGT consistante, qui choisit de ne pas faire grève à outrance, mais de bloquer le magasin certains jours de particulière affluence et de récupérer une partie des pertes de salaire grâce au travail du dimanche, payé plus cher - ce qui devrait permettre de tenir sur le long terme. Le collectif de solidarité assure une présence "légère", avec un tract d’explication et de soutien, traduit en différentes langues, mais la plupart des militants préfèrent donner un coup de main aux grévistes de McDo qui, le même jour, ont des difficultés à mobiliser. La direction de Virgin demande l’intervention immédiate de la justice et la levée des piquets de grève, et dans le même temps négocie avec les syndicats du magasin, concédant une augmentation minime mais qui divise les grévistes. Les jours de grève qui suivent par à-coups remportent un succès modeste : une part seulement des vendeurs s’y engagent et le magasin reste ouvert. Certains clients expriment leur solidarité, mais rien n’est bloqué. Le collectif pourrait apporter une expérience précieuse, mais personne n’a envie d’imposer sa présence et sa façon d’agir à des camarades qui ont fait des choix différents.

Dans les jours qui suivent une intervention sur le site d’EuroDisney à Marne-la-Vallée est mise au point. L’entreprise prépare une fête pour les dix ans du parc et profite de l’occasion pour inaugurer un deuxième parc à thèmes. Par prudence, elle a cherché à diviser les syndicats et à jouer sur le registre à la fois de la corruption préventive et de la répression des dissidents. Malgré cela, une manifestation de salariés - convoquée par la CGT - a lieu le jour de l’inauguration. Quelques jours après, samedi 16 mars, le collectif intervient pour distribuer des tracts. De fait, c’est une seconde manifestation, mais de gens extérieurs à l’entreprise. Seuls trois délégués syndicaux y participeront avec nous, et tous les trois seront l’objet de représailles patronales. Un cordon de CRS - bien plus nombreux que nous - ceinture les entrées du parc et fait décor à notre distribution de tracts. Les photos montrent bien le climat de haute surveillance et de paranoïa qui règne sur le site.

Dans cette phase, le collectif continue à suivre les problèmes rencontrés par les membres du collectif sur leurs lieux de travail. Chaque fois qu’il y a un procès ou une grève, il cherche à assurer une présence en groupe pour montrer que les grévistes ne sont pas tout seuls et rompre ainsi publiquement l’isolement auquel les syndicats dont sont membres les divers camarades condamnent leurs militants les plus actifs et les plus dérangeants. Disney, Maxilivres, BHV, sont les entreprises où travaillent ces camarades et nous faisons notre possible pour ne pas les laisser seuls. Quelques membres d’un collectif d’emplois-jeunes commencent à fréquenter le collectif de solidarité et à prendre part à ses initiatives ; en retour, le collectif participe à la manifestation devant le ministère des Finances qu’ils organisent le 12 mars.

La dernière intervention de cette phase de la vie du collectif se fait le 20 avril à Gonesse, en banlieue nord, en soutien aux salariés en grève du McDonald’s de Goussainville, venus demander une aide dans l’exportation locale de leur grève. Ce sera une action sans suite visible.

Le climat électoral a fortement pesé sur l’activité et le développement du collectif de solidarité. C’est vrai qu’un bon nombre de politiciens de gauche voulaient se faire photographier avec tel ou tel gréviste, que leurs journaux les interviewaient, que les membres de leurs partis signaient les pétitions de soutien aux luttes et parfois ouvraient leur porte-monnaie pour manifester concrètement leur solidarité. Mais il est vrai aussi que dans un climat de ce genre, la répression gouvernementale prenait des formes plutôt modérées : la police ne faisait certes rien pour nous aider, mais elle évitait d’intervenir brutalement contre les manifestations ou les blocages de restaurants ou de magasins. La "bienveillante neutralité" du gouvernement a donc pesé de façon non négligeable dans le développement de nos initiatives.

A l’approche du 21 avril - et du choc qui s’en est suivi - le climat change jusque dans le collectif. Bon nombre de camarades - outre ceux qui ressentent la fatigue ou s’apprêtent à partir en vacances - commencent à retourner à leurs activités traditionnelles (soutien à la lutte des Palestiniens, à celle des sans-papiers, antifascisme, initiatives de leurs groupes syndicaux ou politiques d’appartenance…). Les camarades du réseau Stop Précarité se retirent progressivement du collectif, soit en raison de tensions avec le secrétaire CGT du commerce - qu’ils n’arrivent pas à affronter ouvertement dans le cadre du collectif - soit convaincus que leur activité de propagande contre la précarité est un peu "la même chose" que celle du collectif. Il y aura donc quelques réunions de bilan - qui déboucheront sur la rédaction d’un tract de quatre pages distribué le 1er mai - et qui, en l’absence de grèves en cours réclamant une présence de notre part, se concluront par une décision de "se mettre en sommeil", après recueil des coordonnées des uns et des autres dans l’idée de pouvoir se recontacter en cas de besoin. Si les motivations sont diverses, personne n’a envie de créer une structure bureaucratique de plus, personne ne veut d’un énième groupe ou intergroupe : le choix le plus logique est de s’arrêter.

Arcade

Le sommeil du collectif ne durera pas longtemps. Dans la première moitié du mois de mai, des contacts s’établissent avec les femmes de ménage d’Arcade en grève depuis le 7 mars et les militants de SUD qui les soutiennent depuis le départ. La lutte dure alors depuis plus de deux mois mais souffre d’un certain isolement, malgré leur participation à toutes les manifestations possibles (en particulier après le 21 avril). Les survivants du collectif de solidarité pensent alors qu’il est possible de faire quelque chose pour les aider et une nouvelle aventure commence. Au moment où nous écrivons, elle est toujours en cours. Arcade est une entreprise prestataire de services dans le secteur du gardiennage et du nettoyage, qui compte environ 3 500 salariés. Huit cent d’entre eux travaillent dans le secteur de l’hôtellerie et assurent notamment le nettoyage en sous-traitance de 86 hôtels du groupe ACCOR - lequel compte environ 3 700 hôtels à travers le monde, sous diverses enseignes. Les femmes de ménage d’Arcade sont quasiment toutes embauchées sous contrat à temps partiel (5 heures par jour généralement) et sont censées respecter la cadence arbitrairement fixée de 3,2 à 4 chambres à l’heure, en fonction du statut de l’hôtel : les heures payées sont comptées sur cette base, quel que soit le temps de travail effectif, le plus souvent bien supérieur, étant donné la pression constante des petits chefs. Le "temps partiel" cache en réalité une flexibilité maximale : dans les faits les travailleurs sont appelés à travailler n’importe quel jour de la semaine, en fonction des besoins (et si le nombre de chambres à nettoyer correspond à un nombre d’heures inférieur à celui prévu dans le contrat de travail, cela apparaît sous la forme "d’absences"). De plus, au bout de plusieurs années de ce travail très dur, les femmes de ménage commencent généralement à accumuler les problèmes de santé : arthroses, lombalgies, douleurs articulaires sont monnaie courante, mais ne sont pas reconnues comme maladies professionnelles. Dans les faits, lorsqu’elles n’en peuvent plus, elles sont éjectées. Cette situation insupportable, après avoir été subie en silence pendant des années, a fini, grâce à l’intervention d’une syndicaliste parlant la langue d’une partie des salariés puis au travail de SUD, par déclencher des réactions.

La grève a démarré avec 37 personnes travaillant dans des hôtels de la région parisienne et qui se connaissaient. La participation à la grève est restée relativement stationnaire au cours des trois mois qui ont suivi, puis a commencé à baisser. Neuf mois plus tard, elles sont encore 21 à se battre. Les chantages et les pressions de la direction d’un côté, les sérieuses difficultés financières de l’autre, expliquent cette tendance à la baisse. Un noyau a cependant réussi à résister, permettant la mise en place progressive d’un réseau de solidarité. Evidemment, le premier problème est celui du soutien financier : pendant les premiers mois, grâce à la solidarité interne au syndicat, SUD a réussi à assurer une compensation salariale au personnel en grève ; mais il a fallu bientôt se contenter du produit des collectes, organisées au moment des actions dans ou devant les hôtels, à travers des fêtes de soutien ou sur d’autres lieux de travail. Leurs revendications portent essentiellement sur la question des cadences (dont elles demandent la réduction à 2,5 chambres par heure pour les 3 étoiles et 3 pour les 2 étoiles), des contrats (qu’elles veulent à temps complet) et sur l’annulation des sanctions prises contre les grévistes, et notamment des huit licenciements.

Au moment où le collectif est entré en contact avec les grévistes, la situation commençait à devenir particulièrement difficile. La lutte avait été organisée par SUD comme une lutte strictement syndicale, mais, dans l’impossibilité de l’étendre au sein de l’entreprise, il ne restait qu’à élargir au maximum le réseau de solidarité extérieur et à tenter de modifier le rapport de forces en jouant sur les points faibles du donneur d’ordres : le groupe ACCOR. Il faut malheureusement constater la difficulté - plus "culturelle" encore que politique - qu’a SUD (malgré tous ses mérites) à saisir la nécessité de sortir d’une logique de paroisse. Le collectif de solidarité a donc commencé à travailler dans cette direction, en élargissant le soutien au-delà des frontières syndicales et politiques. Les élections passées, les partis et groupes ont cessé de s’intéresser aux luttes à des fins publicitaires : plus de soutien formel comme pour la lutte de McDo. La longue liste des signatures disparaît du bas des tracts, le collectif décidant que le soutien des uns et des autres doit se voir concrètement dans les actions. Les collectes de solidarité qu’il était possible de faire dans les meetings électoraux deviennent maintenant bien plus rares - aux universités d’été, elles s’avéreront assez maigres, mais la tenue d’un stand à la fête de l’Humanité en septembre donnera des résultats un peu plus satisfaisants. Avec l’arrivée de l’été se pose un problème de continuité des actions : la pression sur le groupe ACCOR ne doit pas se relâcher. Sur la base de l’expérience positive des mois précédents, il est décidé de maintenir le rythme hebdomadaire des réunions - des comptes rendus sont systématiquement envoyés sur la liste de discussion et relayés par AC Forum, z-pajol, a-infos, etc., tenant le milieu militant régulièrement informé - et de fixer un rendez-vous d’action régulier par semaine, permettant de regrouper les forces modestes disponibles.

Parallèlement, une intersyndicale SUD-CNT-sections dissidentes CGT se crée et des militants des trois organisations participent aux activités du collectif. Malheureusement, cette participation n’est pas à la hauteur des attentes, en raison aussi bien de la modestie des forces disponibles que des choix de priorité qui sont faits. Rapidement, on se rend compte que l’intersyndicale est de nature purement virtuelle.

Il faut savoir que, dans le secteur du nettoyage, le syndicat CGT est un peu particulier... Il est contrôlé par un petit chef africain qui le gère comme son fief personnel et entretient des rapports étroits avec les entreprises du secteur. De fait, il fonctionne comme un syndicat jaune. La confédération connaît le problème, mais ne fait rien pour le résoudre : son embarras semble en effet se dissoudre dans le financement de plusieurs publications confédérales que lui assurent les encarts publicitaires des entreprises de nettoyage. Si, en temps "normal", la chose peut être considérée comme un problème épiphénoménal de corruption interne à la CGT, quand une lutte comme celle d’Arcade se déclenche et se heurte à l’obstruction de la fédération du nettoyage - concrètement : le reste du personnel est activement dissuadé de se solidariser avec les grévistes, des menaces sont explicitement adressées aux syndicalistes les plus engagés dans le soutien - cela devient une question touchant l’ensemble du mouvement.

Pour plusieurs raisons, la lutte d’Arcade devrait avoir pour beaucoup de groupes d’extrême gauche un caractère symbolique : le personnel de cette entreprise est hyperexploité, composé surtout de femmes, provenant en général du tiers monde, souvent sans papiers, et en situation de particulière vulnérabilité car ne sachant souvent ni lire ni écrire et ayant de ce fait du mal à s’opposer aux abus de pouvoir des petits chefs. C’est pourquoi la première tentative de sensibilisation à la lutte s’est faite en direction des groupes militants qui s’occupent de ces problèmes. La réponse s’est souvent fait attendre ou est restée de l’ordre du virtuel.

G. Soriano (à suivre....)

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