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Le nationalisme arabe n’apportera rien de bon aux travailleurs migrants

dimanche 11 janvier 2004

Les émeutes à Anvers, en Belgique, à la fin de novembre 2002, ont été provoquées par un meurtre raciste. Après les événements, tout le monde s’est tourné vers Dyab Abou Jahjah, le dirigeant de la LAE, la Ligue arabe européenne, mouvement en pleine expansion. Quelque temps plus tôt, Abou Jahjah avait joué un rôle important dans les manifestations contre Israël et contre la guerre en Irak. La LEA proteste également contre l’omniprésence du racisme en Europe. Cela peut paraître prometteur à des militants révolutionnaires, mais malheureusement la LEA défend le nationalisme arabe. Et le nationalisme résout rarement les problèmes ; la plupart du temps il ne fait que les empirer.

Les 26 et 27 novembre, de jeunes Marocains sont descendus dans les rues du quartier de Borgerhout à Anvers. Ils étaient en colère à cause de l’assassinat de Mohammed Achrak (un professeur de théologie musulmane, NdT). Une grande partie de leur rage accumulée était causée par leur expérience quotidienne du racisme. A Anvers, un habitant sur trois a voté récemment pour le Vlaams Blok, parti d’extrême droite. Mais au lieu de s’indigner contre la montée du racisme, les élites belges ont protesté contre les émeutes et en ont tenu Abou Jahjah personnellement responsable. Selon le dirigeant du Vlaams Blok, DeWinter, désormais « les rats sortent en rampant des égouts » !

Et le Premier ministre Verhofstadt a prétendu que la LEA souhaitait terroriser Anvers : « Ils veulent chasser la police et essayer de prendre le contrôle de certains quartiers d’Anvers, afin de continuer à mener leurs activités criminelles. » Et il s’est déclaré partisan d’interdire la LEA. Pour ce faire, le ministre de l’Intérieur a même affirmé qu’il était prêt à faire modifier la loi. La LEA a nié toute responsabilité dans les émeutes qui ont eu lieu et a expliqué que ses militants avaient au contraire essayé de calmer la situation. Mais « si la situation devient de nouveau incontrôlable et que le sang coule de nouveau, l’établissement belge et le lobby sioniste seront responsables des conséquences », a menacé la LEA. Peu après les émeutes, Abou Jahjah a été arrêté et la police a perquisitionné chez un certain nombre d’adhérents de ce groupe. Les funérailles d’Achrak se sont déroulées sans incident, mais ensuite des inconnus ont lancé une bombe incendiaire contre une synagogue. Abouh Jahjah est maintenant considéré comme un personnage important par les autorités belges, par le Vlaams Blok, par de nombreux migrants, par la gauche radicale…et surtout par Abou Jahjah lui-même. Il semblerait que désormais nous soyons tous obligés de nous déterminer pour ou contre lui. Mais ne nous devons pas nous laisser imposer un tel choix. De Fabel van de illegaal condamne fermement la politique répressive et raciste du gouvernement belge, mais en même temps nous refusons de nous solidariser avec la LEA. La gauche radicale devrait réserver sa solidarité aux organisations d’immigrés de gauche.

Le quartier général de la LEA se trouve à Anvers. Cette organisation souhaite aussi s’implanter en Allemagne, en France et en Grande-Bretagne. Une section néerlandaise doit être créée en février 2003 mais le LPF, d’extrême droite, et le CDA (chrétiens démocrates) ont annoncé qu’ils souhaitaient interdire cette organisation avant même sa fondation ! Pour engranger le soutien au nationalisme arabe, le très charismatique et malin Abou Jahjah utilise la colère des immigrés contre le racisme omniprésent en Europe occidentale. De nombreux travailleurs étrangers subissent chaque jour des réactions de rejet, par exemple lorsqu’ils cherchent du travail ou un logement, à cause de leur faciès ou de leur nom de famille. Abou Jahjah prétend lutter pour supprimer l’oppression économique et sociale dont sont victimes les migrants. Il plaide aussi pour qu’ils aient le droit de vote. Mais au lieu de se placer dans la tradition internationaliste, comme le font aux Pays-Bas, le DIDF (organisation de travailleurs turcs, antinationaliste, présente aux Pays-Bas, en Allemagne, etc., NdT) et le KMAN (la plus vieille organisation de travailleurs marocains de gauche, malheureusement en voie d’islamisation, NdT), Abou Jahjah explique que le nationalisme arabe serait la solution contre l’injustice. Il défend « sa » culture arabe et « sa » foi. Il veut se débarrasser de la culture occidentale et construire « son » parti et « ses » écoles pour « sa » communauté. La langue arabe devrait, selon lui, être reconnue par le gouvernement belge comme la quatrième langue du pays. Notons, incidemment, que cela n’aiderait guère la majorité des Marocains qui parlent le tamazight (langue berbère, NdT), car beaucoup d’entre eux connaissent mal l’arabe, et se sont toujours sentis opprimés par la majorité arabe dans leur pays d’origine.

Pas de place pour le féminisme

Comme n’importe quel autre nationalisme, le nationalisme arabe n’apprécie guère l’anticapitalisme, le féminisme, ou la lutte des gays et lesbiennes pour l’égalité des droits. Les nationalistes veulent habituellement conserver et geler les relations d’inégalité au sein de leur propre nation. « Je ne vais pas élever mes enfants dans l’idée qu’ils pourront décider, une fois qu’ils auront dix-huit ans, s’ils vont aimer un homme ou une femme. J’apprendrai à ma fille qu’elle doit aimer un homme et à mon fils qu’il doit aimer une femme », déclare Abou Jahjah. « Je ne crois pas que l’homosexualité soit la même chose que l’hétérosexualité, parce que l’hétérosexualité est la norme. » Il ne présente aucun argument à l’appui de ces affirmations. « Nous sommes seulement des gens religieux qui croient que Dieu a créé la femme pour l’homme et l’homme pour la femme2.. » Et il n’y a pas de place pour le féminisme dans son monde : « Je ne cache pas que, dans notre culture, les valeurs familiales conservatrices sont très importantes. Et cela s’applique aussi aux jeunes femmes qui travaillent aujourd’hui en dehors de la maison mais qui feraient mieux de s’occuper de leurs enfants. Elles sont endoctrinées par le féminisme1. » Sur ces questions, le nationaliste arabe Abou Jahjah défend des positions très proches de ses collègues nationalistes flamands du Vlaams Blok. « Beaucoup de femmes qui travaillent aujourd’hui feraient mieux de se marier et de vivre comme de bonnes mères au foyer. Le Vlaams Blok est peut-être un parti raciste et fasciste, mais sur plusieurs questions il a raison2. »

Abou Jahjah s’est fait tout d’abord connaître en organisant des manifestations contre Israël, en 2002, à Anvers et à Bruxelles. « Anvers est la place forte du sionisme en Europe et doit donc devenir La Mecque des actions pro-palestiniennes. Il n’y a pas de meilleur endroit en Europe pour manifester en faveur de la Palestine qu’une ville où des gangs sionistes fanatiques, partisans de Sharon, font la loi », a-t-il déclaré3.

La nuit précédant l’une de ces manifestations, des inconnus ont lancé une bombe incendiaire contre une synagogue. Et lors des manifestations on a pu entendre régulièrement des slogans en faveur de Ben Laden et du Hamas. Des vitrines de magasins juifs ont été brisées et une poupée portant la coiffure des Juifs orthodoxes a été brûlée. Toute personne qui critique ce type « d’antisionisme » est, selon Abou Jahjah « un partisan servile des sionistes ». « Les sionistes sont les nazis de notre époque », proclame-t-il souvent. Dans les années 80, Abou Jahjah a participé à la lutte armée contre l’armée israélienne au Liban. Plusieurs sources prétendent qu’il aurait appartenu au Hezbollah à l’époque1. Cela n’a donc rien de surprenant qu’il refuse de se dissocier des autres organisations musulmanes fondamentalistes comme le Djihad et le Hamas. Cela signifie beaucoup de choses. Selon le Hamas, « les Juifs » ont joué un rôle dans les coulisses de toutes les révolutions, de celle de 1789 jusqu’aux révolutions communistes. Et ce n’est pas tout : « Aucune guerre n’a jamais éclaté sans qu’on puisse y déceler leur influence », peut-on lire dans le programme du Hamas. Selon ce document, le Hamas considère que Les Protocoles des sages de Sion, faux manifeste, prouverait l’existence d’une conspiration mondiale des Juifs. Le Hamas prétend même que les sionistes manipulent le féminisme pour que les femmes cessent d’accomplir les tâches auxquelles elles sont destinées : travail domestique, procréation et éducation d’enfants musulmans4.

Le sol arabe

La LEA lutte pour « l’établissement d’un État fédéral arabe sur tout le sol arabe. Cet État constitue l’objectif final de la lutte nationale de tous les Arabes. » Pour la LEA, la « civilisation arabo-islamique » est la plus importante. « Tous les Arabes appartiennent à cette civilisation, qu’ils soient musulmans ou pas, et c’est le devoir de tous les Arabes de défendre les deux éléments fondamentaux de leur identité : l’arabisme et l’Islam5. »

Il n’est donc pas étonnant que la LEA soutienne Saddam Hussein, nationaliste arabe lui aussi. Abou Jahjah a donc organisé avec trois autres militants la manifestation antiguerre contre l’agression américaine le 10 novembre 2002, à Bruxelles. Plusieurs milliers de personnes y ont participé. « La guerre contre l’Irak est aussi une guerre contre la nation arabe et contre la Palestine », a déclaré Abou Jahjah durant cette manifestation. Il a évoqué la « prétendue dictature de Saddam Hussein ». Le dirigeant syndical Roberto D’Orazio était l’un des trois organisateurs. « En Palestine et en Irak je soutiens deux personnes : Yasser Arafat et Saddam Hussein », a-t-il déclaré. Le responsable d’Indymedia Belgique Han Soete a également participé à cette manifestation. Sur son site, il prétend, sans rire, que l’Irak serait une démocratie parce que Saddam Hussein a été élu avec 100 % des voix ! Soete fait également partie du PTB, Parti du Travail de Belgique, groupe mao-stalinien. Et le troisième organisateur de la manifestation appartenait aussi au PTB. Zohra Otman a participé à une délégation menée par son parti en Irak en avril 2002. En revenant en Belgique, un journaliste lui a demandé s’il avait une critique à adresser au régime de Saddam. Oui, a-t-il répondu, le ramassage des ordures n’est pas bien organisé. Voilà qui sont les amis belges d’Abou Jahjah !

Le nationaliste arabe le plus connu dans l’histoire est probablement Gamal Abd-el Nasser, président de l’Égypte entre 1952 et 1970. Abou Jahjah admire énormément Nasser et il a reproduit certains de ses discours sur le site de la LEA. Qu’est-ce que cela nous apprend sur ses idées ? Nasser a commencé par appartenir aux Frères musulmans. Lorsqu’il est parvenu au pouvoir, il a immédiatement interdit tous les partis politiques. Sous son régime, l’Égypte a servi de refuge pour toute une série de nazis allemands, employés par les services secrets, dans des centres d’entraînement pour les commandos de l’armée, dans des services de propagande, ou comme conseiller pour le ministre des Affaires étrangères. Nasser lui-même avait embauché un ex-SS comme garde du corps.

Il fit traduire Mein Kampf de Hitler en arabe et déclara le 1er mai 1964 : « Durant la Seconde Guerre mondiale, notre sympathie allait aux Allemands, et de toute façon personne ne croit que six millions de Juifs aient été assassinés. » Il considérait lui aussi que Les Protocoles des sages de Sion était un document fiable. « Ce texte prouve sans le moindre doute que trois cents sionistes, qui se connaissent tous entre eux, décident du sort du continent européen », déclara Nasser. « Notre objectif principal est de détruire Israël », répétait-il souvent7.

Les Black Panthers

Abou Jahjah fait aussi l’éloge des Black Panthers. Pourtant le fondateur des Panthers, Huey Newton, méprisait le type de nationalisme défendu par Abou Jahjah. « Le nationalisme culturel, le nationalisme de la côte de porc comme je l’appelle parfois, part d’une perspective politique fondamentalement erronée. Il réagit à l’oppression politique au lieu d’y apporter une réponse. Les nationalistes culturels se préoccupent davantage de revenir à leur culture africaine ancestrale que de retrouver leur identité et leur liberté. Autrement dit, ils croient que la culture africaine leur apportera automatiquement la liberté politique. Très souvent les nationalistes culturels ne sont en fait que des nationalistes réactionnaires8. » Espérons que Abou Jahjah et ses partisans liront soigneusement le site des Black Panthers avec lequel ils ont installé un lien Internet. Cela devrait leur être fort utile. Le site des Black Panthers s’ intéresse beaucoup à la façon « dont les militantes des Panthers ont rédéfini la fonction du genre dans le mouvement des droits civiques historiquement dominé par les hommes, dont elles ont traité la question du chauvinisme mâle et de l’homophobie à travers l’éducation, et dont elles se sont intéressées aux contributions des lesbiennes et des gays9. »

Comme les Black Panthers, Abou Jahjah a récemment formé des patrouilles pour surveiller la police d’Anvers et informer de leurs droits les jeunes immigrés qui se font arrêter. Il a pris cette décision pour réagir aux décisions de la cité d’Anvers qui avait décidé d’accroître la répression contre les jeunes Marocains. Une bonne partie des policiers d’Anvers sympathisent avec le Vlaams Block et se comportent de façon ouvertement raciste avec les migrants. Les jeunes Marocains sont souvent tabassés et parfois traînés dans les rues par les policiers. Les patrouilles de la LEA pourraient placer le comportement des flics au centre de l’attention générale, plutôt que l’on se préoccupe des jeunes Marocains. Malheureusement aucune organisation d’immigrés de gauche n’a eu cette idée.

Eric Krebbers

Notes

1. « Kanker bestrijd je niet met een aspirientje », Bart Vanegeren et Pascal Verbeken, Contrast 31, 10.10.2002.

2. Cf. le website de l’organisation belge pour les droits des gays. Het Roze Huis.

3. Cf. : .

4. Cf. : "The covenant of the Hamas". (Programme du Hamas.)

5. Cf. : .

6. Pour la manifestation contre l’agression américaine et la délégation du PTB en Irak voir les sites du PTB : et .

7. « Djihad und Judenhass », Matthias Küntzel, 2002.

8. The Black Panthers speak, Philip S. Foner (recueil de textes édité sous la direction de), 1970. 9. Cf. : .

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