« (…) le foulard, comme l’islam "néo-communautaire" (…) est une réaction française - de jeunes Français - à une situation également française : l’exclusion , le rejet matériel et social d’une partie des jeunes Français par la société française. Parler de l’Algérie, de l’Iran,etc.. c’est hors-sujet. Le foulard n’a pas la même signification dans des contextes différents.
Et rapporter le foulard islamique français au foulard islamique dans les pays musulmans, c’est bien encore une fois, voir ces jeunes d’abord comme étrangers. Ce rejet met ces jeunes dans une situation de souffrance sociale et psychologique. C’est une génération qui a pris acte de l’échec de la revendication d’égalité. Renvoyée en dépit de son intégration -sa maîtrise de la langue, ses diplômes, ses façons de vivre françaises-à sa "différence", elle a pris le parti de revendiquer sa différence.
(…) Leur parler de laïcité et de République, alors que pour eux la République est une menteuse, qui dit une chose et en fait une autre, quel effet cela peut-il avoir sur ces jeunes qui savent et expérimentent tous les jours que, non, les chances ne sont pas égales, qui sont traités d’"Arabes", comme si cela justifiait le traitement discriminatoir, tous les jours ? (…)
On peut aussi prendre la voie de la surenchère : réagir à ce qui est une réaction par la répression (vous avez des devoirs et pas de droits), et continuer à créer ainsi en France une société de castes ; qui sera de surcroît de plus en plus violente, car le risque est de transformer les islamistes néo-communautaires, ou les jeunes filles qui portent le foulard aujourd’hui (et pas hier ni demain), en islamistes radicaux et radicales.
(…) L’enjeu pour les jeunes qui se revendiquent musulman-es, c’est de faire reconnaître l’islam comme une religion française, en France. Que la société le voie comme une provocation, c’est dans le droit fil de son rejet des populations d’origine maghrébine. Qu’elle le traite par la répression marche bien dans la perception qu’ont ces jeunes de la République comme une machine à persécuter l’Arabe et le/la musulman-e. Qu’on continue et on leur donnera raison. Oui, c’est une provocation : ces jeunes veulent mettre la société devant son propre racisme - son rejet non pas des religions mais de cette religion-là précise. L’autre fonction de leur assomption d’une différence choisie par eux étant de se sentir enfin un peu mieux dans leurs baskets, avec une identité autre que" moins français-e"-oui carrément "autre". (…) »
Christine Delphy