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Alain Lipietz et le foulard

dimanche 11 janvier 2004

Extraits d’un texte d’Alain Lipietz sur le foulard… …paru dans Pro-Choix de décembre 2003 et sur Internet (cf. le site de ce député vert : http://lipietz.net/article.php3?id_...). Pour une fois qu’un écolo, par ailleurs réformard carriériste et opportuniste impénitent, nous donne des éléments de réflexion utiles, n’hésitons pas à nous en servir ! (Y.C.)

« (…) Qu’en est-il des filles ou jeunes femmes scolarisées ? elles vivent comme elles peuvent leurs problèmes de femmes dans la société qui est la nôtre : patriarcale et machiste, soumise à la publicité et dressant leur corps en vue du désir masculin. Et cela en une période de leur vie de femme particulièrement difficile à négocier (puberté, amorce de la rupture avec la famille d’origine, aggravée dans le cas des « issues de l’immigration » par leur difficulté à se situer). Par certains aspects, ces rites les protègent, par d’autres, ils les oppriment. Le port du foulard par une adolescente me paraît une bénédiction (pour les parents) par rapport à l’anorexie ou à la drogue.

« Bien malin qui peut dire quel sens précis « symbolise » pour elles tel ou tel rite. En tout cas il ne sert à rien de marteler par internet le lien entre le foulard et ce qu’il est sensé symboliser. Car il n’y a rien de plus fragile, arbitraire, conventionnel, que le rapprochement ("symbole") entre un signe et ce qu’il "signifie". Pour les imams, pères, frères, futurs maris, le foulard imposé aux filles signifie "Tu nous est soumise". Mais pour les filles qui le portent, il peut aussi bien signifier "Bas les pattes", ou "arabe, musulmane et fier de l’être", ou, pour les plus politisées, "No Logo".

« Il peut être tentant d’interdire un rite sous prétexte d’interdire l’expression de l’oppression qu’il symbolise. L’intérêt en est très limité. En quoi la suppression d’un symbole, qui plus est inconscient ou dont le sens est réfuté par celles qui le pratiquent, peut faire reculer la réalité de cette oppression ? Sohane a été brûlée, sans voile. Et que répondre à celles qui le pratiquent en déniant le sens qu’on lui prête ? On n’aboutira qu’à charger ce rite d’une nouvelle signification : la résistance à une persécution religieuse !

« C’est pourquoi les actuels partisans de l’interdiction du foulard à l’école apportent un ultime et quatrième argument (après la « minorité », la signification du rite et la pression communautaire). Même si une femme majeure pratique un rite librement et en toute connaissance de cause, en réfutant le sens symbolique qu’on lui prête usuellement et en lui en donnant un autre (par exemple strictement mystique), il faut le lui interdire, à cause du mauvais exemple qu’elle donne à ses camarades et au prétexte qu’il offre aux dominants de leur communauté de leur imposer l’observance de ce rite. »

« (…) Nous ne sommes pas dans le cas de l’Iran, de l’Algérie ou du Maroc, où le combat pour le droit de NE PAS porter (le voile, NDLR) est à la fois conforme aux principe de liberté religieuse et de parfaite urgence tactique ! Dans ces pays, la liberté religieuse , c’est d’abord la liberté de ne pas être musulman ou de ne pas s’embarrasser de rites oppressifs.

« En France, la dernière des libertés religieuses à conquérir, c’est le droit d’être musulman si on le souhaite (ou juif, dans certains quartiers) et de l’afficher sans se faire insulter. Pour assurer ici le droit de NE PAS porter le foulard, faut-il interdire de le porter ?

« (…) cette solution (…) est à la fois « tordue », contraire à un droit universel, politiquement extrêmement dangereuse dans une conjoncture d’islamophobie (ce serait une nouvelle capitulation devant une ancienne demande du Front national, et l’on va bien vite constater que le sarkozysme ne nous protège nullement du lepenisme, selon le vieux principe de l’original et de la copie), et surtout une capitulation devant le communautarisme. Exclues de l’école de la République, ces filles n’auraient que la ressource d’aller dans des écoles musulmanes, ou tout simplement de n’aller plus à l’école du tout.

« (…) Selon la formule de très nombreuses militantes féministes arabes (sans doute une majorité), je suis « contre le voile et contre l’interdiction du voile ».

« Bref, je crois qu’il faut mener la lutte contre l’islamisme réactionnaire (…), exactement comme fut menée la lutte contre les thèses et les prescriptions anti-féministes de l’église catholique dans les années 1950 : selon l’éthique de la conviction et non par la persécution de la religion elle même. »

Alain Lipietz

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