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La révolte des cités françaises (7)

Annexe : La baudruche des « 120 expulsions d’étrangers »

mardi 6 juin 2006

Ce texte est extrait de la brochure : La révolte des cités françaises, symptôme d’un combat social mondial

La baudruche des « 120 expulsions d’étrangers »

Le 9 novembre, Nicolas Sarkozy avait annoncé devant l’Assemblée nationale qu’il avait demandé aux préfets l’expulsion de « 120 étrangers, pas tous en situation irrégulière », arrêtés pour participation aux « violences urbaines ». Plusieurs associations de défense des droits de l’homme lui avaient alors rappelé que l’expulsion collective est impossible et qu’elle était individuellement difficile grâce à la loi du 23 novembre 2003 dont le ministre de l’Intérieur est lui-même à l’origine. Le président de la commission Liberté et droits de l’homme du Conseil national des barreaux (avocats) avait alors estimé que Sarkozy allait « essayer de trouver quelques dossiers pour ne pas perdre la face ».

Le 15 novembre, Sarkozy annonçait que dix procédures d’expulsion étaient engagées. En fait, au 26 janvier, elles n’étaient que sept, selon le ministère de l’Intérieur, qui n’a pas alors souhaité se prononcer sur leur aboutissement. La commission d’expulsion du tribunal de grande instance (TGI) de Pontoise, composée de trois juges (mais dont l’avis est seulement consultatif), n’avait alors eu à se prononcer que sur deux cas, celui d’un Mauritanien de 21 ans, le 7 décembre, et celui d’un Marocain de 19 ans, le 25 janvier ; dans les deux cas son avis avait été défavorable à l’expulsion.

Le Mauritanien, en France depuis l’âge de trois ans, est visé par une procédure d’expulsion enclenchée par la préfecture de Cergy. D’après la lettre qui lui a été envoyée par l’administration, il se serait rendu coupable de « violences volontaires aggravées sur agent de la force publique » ; il aurait caillassé des policiers un soir d’émeutes. La commission a jugé que ces faits n’étaient « pas établis ». Elle a aussi relevé que le jeune homme n’avait « jamais été condamné » et qu’il présentait un « bon profil d’insertion dans la société ». Au final, les trois juges ont estimé que sa présence « sur le territoire français ne constitue pas un danger pour l’ordre public ». Le Marocain, âgé de 19 ans, en situation irrégulière, avait été condamné le 16 décembre à dix mois d’emprisonnement dont six avec sursis par le tribunal correctionnel de Pontoise pour avoir incendié quatre véhicules dans la nuit du 8 au 9 novembre. Il vit en France depuis 1999 et travaille dans le restaurant de son père. La préfecture de Cergy demande son expulsion parce que sa présence constitue une « menace grave pour l’ordre public ».

Entre-temps, le 4 décembre, Sarkozy avait déjà dégonflé ses chiffres, déclarant : « Il y a 83 étrangers qui ont été arrêtés sur les 785 personnes déférées et mises en prison (...) Sur les 83, 40 étrangers font objet de protections particulières et sept procédures sont en train d’aboutir. »

Le 3 février le ministre de l’Intérieur annonçait à la télévision (LCI) la première expulsion d’un étranger : « Il a pris l’avion aujourd’hui. » Il s’agissait d’un Malien de 22 ans, condamné en novembre à quatre ans de prison avec sursis assortis de trois ans d’interdiction du territoire français par le TGI de Bobigny. La commission d’expulsion de Cergy-Pontoise avait rendu là aussi un avis défavorable à cette expulsion. « Malheureusement, regrettait le président de la Ligue des droits de l’homme, son avis n’est plus contraignant depuis 1993. Elle avait indiqué que le jeune homme n’était plus une menace pour la société et qu’il n’avait pas la possibilité de vivre décemment au Mali. Toutes ses attaches familiales sont en France, il n’a aucun avenir autre qu’ici.Tout le monde le sait.C’est vraiment du sacrifice humain, c’est la stratégie préélectorale qui continue. »

Le 25 février, le ministère de l’Intérieur indiquait que « M. Djoussou, ressortissant béninois, vient d’être éloigné vers Cotonou, par un vol commercial d’Air France qui a quitté Roissy hier en début d’après-midi ». Aubin, né en 1985, étudiant à la faculté de Reims, a été arrêté le 11 novembre avec un petit groupe de jeunes gens à proximité de deux poubelles en feu. Il a été condamné le 14 novembre à deux mois de prison dont quinze jours ferme pour « dégradation ou détérioration en réunion, par l’effet d’une substance explosive ou incendiaire ». Le 12 décembre, la préfecture de la Marne lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour et lui a notifié une « invitation à quitter le territoire » (IQT), et le 16 février, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté son recours.

Un autre Marocain, Mohammed, âgé de 18 ans, a été interpellé pendant les émeutes, mais l’article de 20 minutes que reprennent plusieurs sites Internet ne précise pas quand. En deuxième année de CAP de maçonnerie à Toulouse, il vit avec son père qui dispose d’un titre de séjour. Il a fêté son 18e anniversaire le 15 novembre, et ce passage à la majorité l’a placé en situation irrégulière. Il a été arrêté ensuite « sur les lieux d’un jet de pétards » auquel il se dit étranger. Le vendredi 9 décembre, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l’arrêté d’expulsion, estimant qu’il était « parfaitement intégré », mais la préfecture devait statuer à nouveau « dans les deux mois » sur son cas.

Ainsi, semble-t-il, les « 120 expulsions » se sont réduites à deux.

Une circulaire sur les interpellations

Ce qui n’empêche pas Nicolas Sarkozy de tenter de poursuivre une politique de répression accrue à l’égard des étrangers, d’une part avec la loi en cours de discussion, mais déjà et surtout avec des circulaires telles que celle transmise le 21 février 2006 par le ministre de l’Intérieur et le ministre de la Justice aux préfets (de région, de département, de police), aux procureurs (généraux et de la république), aux présidents des cours d’appel et des tribunaux de grande instance, avec application immédiate, sur les « Conditions de l’interpellation d’un étranger en situation irrégulière, garde à vue de l’étranger en situation irrégulière, réponses pénales. »

Il y est dit : « Dans certaines circonstances, l’interpellation est source de difficultés procédurales et de risques (...). Il est demandé aux préfets et aux procureurs de procéder ou de faire procéder chaque fois que nécessaire aux interpellations aux guichets de la préfecture, au domicile ou dans les logements, foyers et les centres d’hébergement. »

L’association la Cimade souligne que ce texte « se caractérise par un véritable détournement du droit. Elle vise, en effet, à extraire d’un certain nombre de décisions de la Cour de cassation un habillage juridique pour les arrestations les plus ahurissantes d’étrangers en situation irrégulière - à leur domicile, dans les locaux d’associations, dans les foyers et résidences collectives, et jusque dans les blocs opératoires des hôpitaux. Elle puise aussi dans la jurisprudence des recettes destinées à piéger ces étrangers par des convocations d’apparence anodine dans les préfectures pour les y interpeller en vue de leur éloignement. Deux ministres du gouvernement Villepin poussent le cynisme jusqu’à signer un texte où les convocations pièges sont définies comme “loyales” ».

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