mondialisme.org

Voltairine de Cleyre : DE L’ACTION DIRECTE (2)

samedi 10 janvier 2004

C’est grâce aux actions, pacifiques ou violentes, des précurseurs du changement social que la Conscience Humaine, la conscience des masses, s’éveille au besoin du changement. Il serait absurde de prétendre qu’aucun résultat positif n’a jamais été obtenu par les moyens politiques traditionnels ; parfois de bonnes choses en résultent. Mais jamais tant que la révolte individuelle, puis la révolte des masses ne l’imposent. L’action directe est toujours le héraut, l’élément déclencheur, qui permet à la grande masse des indifférents de prendre conscience que l’oppression devient intolérable.

Les luttes actuelles contre l’esclavage salarié

Nous subissons maintenant l’oppression dans ce pays - et pas seulement ici, mais dans toutes les parties du monde qui jouissent des bienfaits fort contrastés de la civilisation. Et de même que l’ancien esclavage, le nouveau provoque à la fois des actions directes et des actions politiques. Une fraction de la population américaine produit la richesse matérielle qui permet à tous de vivre ; exactement de la même façon que quatre millions d’esclaves noirs entretenaient la foule de parasites qui les commandaient. Aujourd’hui ce sont les travailleurs agricoles et les ouvriers d’industrie.

A travers l’action imprévisible d’institutions qu’aucun d’eux n’a créées, mais qui sévissent depuis leur naissance, ces travailleurs, la partie la plus indispensable de toute la structure sociale, sans le travail desquels personne ne pourrait ni manger, ni s’habiller, ni se loger, ces travailleurs, disais-je, sont justement ceux qui disposent du moins de nourriture, de vêtements et des pires logements - sans parler des autres bienfaits que la société est censée leur dispenser, comme l’éducation et l’accès aux plaisirs artistiques.

Ces ouvriers ont, d’une façon ou d’une autre, joint leurs efforts pour que leur condition s’améliore ; en premier lieu par l’action directe, en second lieu par l’action politique. Nous avons des groupes comme la Grange(19), les Farmers’ Alliances(20), les coopératives, les colonies expérimentales, les Knights of Labor(21), les syndicats et les Industrial Workers of the World. Tous ont organisé les travailleurs pour alléger le poids de l’exploitation, pour des prix meilleur marché, des conditions de travail moins catastrophiques, et une journée de travail un peu plus courte ; ou contre une réduction de salaire, la détérioration des conditions de travail ou l’allongement des horaires. Aucun de ces groupes, à part les IWW, n’a reconnu qu’il existe une guerre sociale et qu’elle se poursuivra tant que se perpétueront les conditions sociales et juridiques actuelles. Ils ont accepté les institutions fondées sur la propriété privée, telles qu’elles étaient. Ces organisations regroupent des gens ordinaires, aux aspirations ordinaires, et elles ont entrepris de faire ce qu’il leur semblait possible et raisonnable d’accomplir. Lors de la création de ces groupes, ces militants ne se sont pas engagés sur un programme politique particulier, ils se sont associés pour mener une action directe, décidée par eux-mêmes, offensive ou défensive. Certes, parmi ces organisations, il y avait et il y a des militants qui voyaient au-delà des revendications immédiates ; qui pensaient que l’évolution actuelle devait amener les forces de la Vie à protester violemment ; qu’elle n’aura pas d’autre choix que de protester ; qu’elle devra protester ou mourir docilement ; et que, puisqu’il n’est pas dans la nature de la Vie de se rendre sans combattre, elle ne mourra pas.

Il y a vingt-deux ans, j’ai rencontré des militants des Farmers’ Alliances, des Knights of Labor et des syndicalistes qui m’ont dit cela. Ils voulaient lutter pour des objectifs plus larges que ceux proposés par leurs organisations ; mais ils devaient aussi accepter leurs camarades de travail comme ils étaient, et essayer de les inciter à lutter pour des objectifs immédiats qu’ils percevaient clairement : prix plus justes, salaires plus élevés, conditions de travail moins dangereuses ou moins tyranniques, semaine de travail moins longue. A l’époque où sont nés ces mouvements, les travailleurs agricoles ne pouvaient pas comprendre que leur lutte convergeait avec le combat des ouvriers des usines ou des transports ; et ces derniers ne voyaient pas non plus leurs points communs avec le mouvement des paysans. D’ailleurs, même aujourd’hui, peu d’entre eux le comprennent. Ils doivent encore apprendre qu’il n’existe qu’une seule lutte commune contre ceux qui se sont approprié les terres, les capitaux et les machines.

Malheureusement les grandes organisations paysannes ont gaspillé leur énergie en s’engageant dans une course stupide au pouvoir politique. Elles ont réussi à prendre le pouvoir dans certains États, mais les tribunaux ont déclaré que les lois votées n’étaient pas constitutionnelles, et toutes leurs conquêtes politiques ont été enterrées. A l’origine, leur programme visait à construire leurs propres silos, y stocker les produits et les tenir à l’écart du marché jusqu’à ce qu’ils puissent échapper aux spéculateurs. Ils voulaient aussi organiser des échanges de services et imprimer des billets de crédit pour les produits déposés afin de payer ces échanges. Si ce programme d’aide mutuelle directe avait fonctionné, il aurait montré, dans une certaine mesure, au moins pendant un temps, comment l’humanité peut se libérer du parasitisme des banquiers et des intermédiaires. Bien sûr, ce projet aurait fini par être liquidé, à moins que sa vertu exemplaire n’ait bouleversé tellement l’esprit des hommes qu’il leur ait donné envie de mettre fin au monopole légal de la terre et des capitaux ; mais au moins ce projet aurait eu un rôle éducatif fondamental.

Malheureusement, ce mouvement poursuivait une chimère et se désintégra surtout à cause de sa futilité.

Les Knights of Labor sont eux aussi devenus pratiquement insignifiants, non pas parce qu’ils n’ont pas eu recours à l’action directe, ni parce qu’ils se sont mêlés de politique, mais parce qu’il s’agissait d’une masse d’ouvriers trop hétérogène pour réussir à conjuguer efficacement leurs efforts.

Pourquoi les patrons ont peur des grèves

Les syndicats ont atteint une taille bien plus imposante que celle des Knights of Labor et leur pouvoir a continué à croître, lentement mais sûrement. Certes cette croissance a connu des fluctuations, des reculs ; de grandes organisations ont surgi puis disparu. Mais dans l’ensemble, les syndicats constituent un pouvoir en plein développement. Malgré leurs faibles ressources, ils ont offert, à une certaine fraction des travailleurs, un moyen d’unir leurs forces, de faire pression directement sur leurs maîtres et d’obtenir ainsi une petite partie de ce qu’ils voulaient - de ce qu’ils devaient essayer d’obtenir, vu leur situation.

La grève est leur arme naturelle, celle qu’ils se sont forgée eux-mêmes. Neuf fois sur dix, les patrons redoutent la grève - même si, bien sûr, il peut arriver que certains s’en réjouissent, mais c’est plutôt rare. Les patrons savent qu’ils peuvent gagner contre les grévistes, mais ils ont terriblement peur que leur production s’interrompe. Par contre, ils ne craignent nullement un vote qui exprimerait « la conscience de classe » des électeurs ; à l’atelier, vous pouvez discuter du socialisme, ou de n’importe quel autre programme ; mais le jour où vous commencez à parler de syndicalisme, attendez-vous à perdre votre travail ou au moins à ce que l’on vous menace et que l’on vous ordonne de vous taire. Pourquoi ? Le patron se moque de savoir que l’action politique n’est qu’une impasse où s’égare l’ouvrier, et que le socialisme politique est en train de devenir un mouvement petit-bourgeois. Il est persuadé que le socialisme est une très mauvaise chose - mais il sait aussi que celui-ci ne s’instaurera pas demain. Par contre, si tous ses ouvriers se syndiquent, il sera immédiatement menacé. Son personnel aura l’esprit rebelle, il devra dépenser de l’argent pour améliorer les conditions de travail, il sera obligé de garder des gens qu’il n’aime pas et, en cas de grève, ses machines ou ses locaux seront peut-être endommagés.

On dit souvent, et on le répète parfois jusqu’à la nausée, que les patrons ont une « conscience de classe », qu’ils sont solidement soudés pour défendre leurs intérêts collectifs, et sont prêts individuellement à subir toutes sortes de pertes plutôt que de trahir leurs prétendus intérêts communs. Ce n’est absolument pas vrai. La majorité des capitalistes sont exactement comme la plupart des ouvriers : ils se préoccupent beaucoup plus de leurs pertes personnelles (ou de leurs gains) que des pertes (ou des victoires) de leur classe. Et lorsqu’un syndicat menace un patron, c’est à son portefeuille qu’il s’en prend.

Toute grève est synonyme de violence

Aujourd’hui chacun sait qu’une grève, quelle que soit sa taille, est synonyme de violence. Même si les grévistes ont une préférence morale pour les méthodes pacifiques, ils savent parfaitement que leur action causera des dégâts. Lorsque les employés du télégraphe font grève, ils sectionnent des câbles et scient des pylônes, tandis que les jaunes bousillent leurs instruments de travail parce qu’ils ne savent pas les utiliser. Les sidérurgistes s’affrontent physiquement aux briseurs de grève, cassent des carreaux, détraquent certains appareils de mesure, endommagent des laminoirs qui coûtent très cher et détruisent des tonnes de matières premières. Les mineurs endommagent des pistes et des ponts et font sauter des installations. S’il s’agit d’ouvriers, ou d’ouvrières, du textile, un incendie d’origine inconnue éclate, des pierres volent à travers une fenêtre apparemment inaccessible ou une brique est lancée sur la tête d’un patron. Quand les employés des tramways font grève, ils arrachent les rails ou élèvent des barricades sur les voies avec des charrettes ou des wagons retournés, des clôtures volées, des voitures incendiées. Lorsque les cheminots se mettent en colère, des moteurs « expirent », des locomotives folles démarrent sans conducteur, des chargements déraillent et des trains sont bloqués. S’il s’agit d’une grève du bâtiment, les travailleurs dynamitent des constructions. Et à chaque fois, des combats éclatent entre d’un côté les briseurs de grève et les jaunes et, de l’autre, les grévistes et leurs sympathisants, entre le Peuple et la Police.

Pour les patrons, une grève sera synonyme de projecteurs, de fil de fer barbelé, de palissades, de locaux de détention, de policiers et d’agents provocateurs, de kidnappings violents et d’expulsions. Ils inventeront tous les moyens possibles pour se protéger directement, sans compter l’ultime recours à la police, aux milices, aux brigades spéciales et aux troupes fédérales.

Tout le monde sait cela et sourit lorsque les responsables syndicaux protestent, affirmant que leurs organisations sont pacifiques et respectent les lois. Tout le monde est conscient qu’ils mentent. Les travailleurs savent que les grévistes utilisent la violence, à la fois ouvertement et clandestinement, et qu’ils n’ont pas d’autres moyens, s’ils ne veulent pas capituler immédiatement. Et la population ne confond pas les grévistes qui sont obligés de recourir à la violence avec les crapules destructrices qui les provoquent délibérément. Généralement, les gens comprennent que les grévistes agissent ainsi parce qu’ils sont poussés par la dure logique d’une situation qu’ils n’ont pas créée, mais qui les force à attaquer pour survivre, sinon ils seront obligés de tomber tout droit dans la misère jusqu’à ce que la mort les frappe, à l’hospice, dans les rues des grandes villes ou sur les berges boueuses d’une rivière. Telle est l’horrible situation devant laquelle se trouvent les ouvriers ; ce sont les êtres les plus humains - ils font un détour pour soigner un chien blessé, ou ramener chez eux un chiot et le nourrir, ou s’écartent d’un pas pour ne pas écraser un ver de terre - et ils recourent à la violence contre leurs congénères. Ils savent, parce que la réalité le leur a appris, que c’est l’unique façon de gagner, si tant est qu’ils puissent gagner quelque chose. « Vous n’avez qu’à mieux voter aux prochaines élections ! » affirment certains. Il m’a toujours semblé qu’il s’agit de l’une des réponses les plus ridicules qu’une personne puisse faire, lorsqu’un gréviste lui demande de l’aide face à une situation matérielle délicate, et alors que les élections auront lieu dans six mois, un an voire deux ans.

Malheureusement, ceux qui savent comment la violence est utilisée dans la guerre des syndicats contre les patrons ne prennent pas publiquement la parole pour dire : « Tel jour, à tel endroit, telle action spécifique a été entreprise ; telles et telles concessions ont été accordées à la suite de cette action ; tel patron a capitulé. » Agir ainsi mettrait en péril leur liberté et leur pouvoir de continuer le combat. C’est pourquoi ceux qui sont les mieux informés doivent se taire et ricaner discrètement en écoutant les ignorants pérorer. Pourtant seule la connaissance des faits peut éclaircir leur position.

Les adversaires de l’action directe

Ces dernières semaines, certains n’ont pas été avares de paroles creuses. Des orateurs et des journalistes, honnêtement convaincus de l’efficacité de l’action politique, persuadés qu’elle seule peut permettre aux ouvriers de remporter la bataille, ont dénoncé les dommages incalculables causés par ce qu’ils appellent l’action directe (ils veulent dire en fait la « violence conspiratrice »).

Un certain Oscar Ameringer, par exemple, a récemment déclaré, lors d’un meeting à Chicago, que la bombe lancée à Haymarket Square en 1886 avait fait reculer d’un quart de siècle le mouvement pour la journée de huit heures. D’après lui, ce mouvement aurait été victorieux si la bombe n’avait pas été lancée. Ce monsieur commet une grave erreur.

Personne n’est capable de mesurer précisément l’effet positif ou négatif d’une action, à l’échelle de plusieurs mois ou de plusieurs années. Personne ne peut démontrer que la journée de huit heures aurait pu devenir obligatoire vingt-cinq ans auparavant. Nous savons que les législateurs de l’Illinois ont voté une loi pour la journée de 8 heures en 1871 et que ce texte est resté lettre morte. On ne peut pas davantage démontrer que l’action directe des ouvriers aurait pu l’imposer. Quant à moi, je pense que des facteurs beaucoup plus puissants que la bombe de Haymarket ont joué un rôle.

D’un autre côté, si l’on croit que l’influence négative de la bombe a été si puissante, alors les conditions de travail et l’exercice des activités syndicales devraient être bien plus difficiles à Chicago que dans les villes où rien d’aussi grave ne s’est produit. Pourtant on constate le contraire. Même si les conditions des travailleurs y sont déplorables, elles sont bien moins mauvaises à Chicago que dans d’autres grandes villes, et le pouvoir des syndicats y est plus développé que dans n’importe quel autre endroit, excepté San Francisco. Si l’on veut donc absolument tirer des conclusions à propos des effets de la bombe de Haymarket, il faut tenir compte de ces faits avant d’avancer une hypothèse. En ce qui me concerne, je ne pense pas que cet événement ait joué un rôle important dans l’évolution du mouvement ouvrier.

Et il en sera de même avec la vigoureuse campagne actuelle contre la violence. Rien n’a fondamentalement changé.

Deux hommes ont été emprisonnés pour ce qu’ils ont fait (il y a vingt-quatre ans, leurs semblables ont été pendus pour des actes qu’ils n’avaient pas commis) et quelques autres seront peut-être incarcérés. Mais les forces de la Vie continueront à se révolter contre leurs chaînes économiques. Cette révolte ne faiblira pas, peu importe le parti qui remportera ou perdra les élections, jusqu’à ce que ces chaînes soient brisées.

Comment pourrons-nous briser nos chaînes ?

Les partisans de l’action politique nous racontent que seule l’action électorale du parti de la classe ouvrière pourra atteindre un tel résultat ; une fois élus, ils entreront en possession des sources de la Vie et des moyens de production ; ceux qui aujourd’hui possèdent les forêts, les mines, les terres, les canaux, les usines, les entreprises et qui commandent aussi au pouvoir militaire à leur botte, en bref les exploiteurs, abdiqueront demain leur pouvoir sur le peuple dès le lendemain des élections qu’ils auront perdues.

Et en attendant ce jour béni ?

En attendant, soyez pacifiques, travaillez bien, obéissez aux lois, faites preuve de patience et menez une existence frugale (comme Madero (22) le conseilla aux paysans mexicains après les avoir vendus à Wall Street).

Si certains d’entre vous sont privés de leurs droits civiques, ne vous révoltez même pas contre cette mesure, cela risquerait de « faire reculer le parti ». Action politique et action directe

J’ai déjà dit que, parfois, l’action politique obtient quelques résultats positifs - et pas toujours sous la pression des partis ouvriers, d’ailleurs. Mais je suis absolument convaincue que les résultats positifs obtenus occasionnellement sont annulés par les résultats négatifs ; de même que je suis convaincue que, si l’action directe a parfois des conséquences négatives, celles-ci sont largement compensées par les conséquences positives de l’action directe.

Presque toutes les lois originellement conçues pour le bénéfice des ouvriers sont devenues une arme entre les mains de leurs ennemis, ou bien sont restées lettre morte, sauf lorsque le prolétariat et ces organisations ont imposé directement leur application. En fin de compte, c’est toujours l’action directe qui a le rôle moteur. Prenons par exemple la loi antitrusts censée bénéficier au peuple en général et à la classe ouvrière en particulier. Il y environ deux semaines, 250 dirigeants syndicaux ont été cités en justice. La compagnie de chemins de fer Illinois Central les accusait en effet d’avoir formé un trust en déclenchant une grève !

Mais la foi aveugle en l’action indirecte, en l’action politique, a des conséquences bien plus graves : elle détruit tout sens de l’initiative, étouffe l’esprit de révolte individuelle, apprend aux gens à se reposer sur quelqu’un d’autre afin qu’il fasse pour eux ce qu’ils devraient faire eux-mêmes ; et enfin elle fait passer pour naturelle une idée absurde : il faudrait encourager la passivité des masses jusqu’au jour où le parti ouvrier gagnera les élections ; alors, par la seule magie d’un vote majoritaire, cette passivité se transformera tout à coup en énergie. En d’autres termes, on veut nous faire croire que des gens qui ont perdu l’habitude de lutter pour eux-mêmes en tant qu’individus, qui ont accepté toutes les injustices en attendant que leur parti acquière la majorité ; que ces individus vont tout à coup se métamorphoser en véritables « bombes humaines », rien qu’en entassant leurs bulletins dans les urnes !

Les sources de la Vie, les richesses naturelles de la Terre, les outils nécessaires pour une production coopérative doivent devenir accessibles à tous. Le syndicalisme doit élargir et approfondir ses objectifs, sinon il disparaîtra ; et la logique de la situation forcera graduellement les syndicalistes à en prendre conscience. Les problèmes des ouvriers ne pourront jamais être résolus en tabassant des jaunes, tant que des cotisations élevées et d’autres restrictions limiteront les adhésions au syndicat et pousseront certains travailleurs à aider les patrons. Les syndicats se développeront moins en combattant pour des salaires plus élevés qu’en luttant pour une semaine de travail plus courte, ce qui permettra d’augmenter le nombre de leurs membres, d’accepter tous ceux qui veulent adhérer. Si les syndicats veulent gagner des batailles, tous les ouvriers doivent s’allier et agir ensemble, agir rapidement (sans en avertir les patrons à l’avance) et profiter de leur liberté d’agir ainsi à chaque fois. Et si, un jour, les syndicats regroupent tous les ouvriers, aucune conquête ne sera permanente, à moins qu’ils se mettent en grève pour tout obtenir - pas une augmentation de salaire, ni une amélioration secondaire, mais toutes les richesses de la nature - et qu’ils procèdent, dans la foulée, à l’expropriation directe et totale !

Le pouvoir des ouvriers ne réside pas dans la force de leur vote, mais dans leur capacité à paralyser la production. La majorité des électeurs ne sont pas des ouvriers. Ceux-ci travaillent à un endroit aujourd’hui, à un autre demain, ce qui empêche un grand nombre d’entre eux de voter ; un grand pourcentage des ouvriers dans ce pays sont des étrangers qui n’ont pas le droit de voter. Les dirigeants socialistes le savent parfaitement. La preuve ?

Ils affadissent leur propagande sur tous les points afin de gagner le soutien de la classe capitaliste, du moins des petits entrepreneurs. Selon la presse socialiste, des spéculateurs de Wall Street assurent qu’ils sont prêts à acheter des actions de Los Angeles à un administrateur socialiste aussi bien qu’à un administrateur capitaliste. Les journaux socialistes prétendent que l’administration actuelle de Milwaukee a créé une situation économique très favorable aux petits investisseurs ; leurs articles publicitaires conseillent aux habitants de cette ville de se rendre chez Dupont ou Durand sur Milwaukee Avenue, qui les servira aussi bien qu’un grand magasin dépendant d’une grosse chaîne commerciale. En clair, parce que nos socialistes savent qu’ils ne pourront pas obtenir une majorité sans les voix de cette classe sociale, ils essaient désespérément de gagner le soutien (et de prolonger la vie) de la petite-bourgeoisie que l’économie socialiste fera disparaître.

Au mieux, un parti ouvrier pourrait, en admettant que ses députés restent honnêtes, former un solide groupe parlementaire qui conclurait des alliances ponctuelles avec tel ou tel autre groupe afin d’obtenir quelques mini-réformes politiques ou économiques. Mais lorsque la classe ouvrière sera regroupée dans une seule grande organisation syndicale, elle pourra montrer à la classe possédante, en cessant brusquement le travail dans toutes les entreprises, que toute la structure sociale repose sur le prolétariat ; que les biens des patrons n’ont aucune valeur sans l’activité des travailleurs ; que des protestations comme les grèves sont inhérentes à ce système fondé sur la propriété privée et qu’elles se reproduiront tant qu’il ne sera pas aboli. Et, après l’avoir montré dans les faits, les ouvriers exproprieront tous les possédants.

« Mais le pouvoir militaire, objectera le partisan de l’action politique, nous devons d’abord obtenir le pouvoir politique, sinon on utilisera l’armée contre nous ! » Contre une véritable grève générale, l’armée ne peut rien. Oh, bien sûr, si vous avez un socialiste dans le genre d’Aristide Briand (23) au pouvoir, il sera prêt à déclarer que les ouvriers sont tous des « serviteurs de l’Etat » et à essayer de les faire travailler contre leurs propres intérêts. Mais contre le solide mur d’une masse d’ouvriers immobiles, même un Briand se cassera les dents.

En attendant, tant que la classe ouvrière internationale ne se réveillera pas, la guerre sociale se poursuivra, malgré toutes les déclarations hystériques de tous ces individus bien intentionnés qui ne comprennent pas que les nécessités de la Vie puissent s’exprimer ; malgré la peur de tous ces dirigeants timorés ; malgré toutes les revanches que prendront les réactionnaires ; malgré tous les bénéfices matériels que les politiciens retirent d’une telle situation. Cette guerre de classe se poursuivra parce que la Vie crie son besoin d’exister, qu’elle étouffe dans le carcan de la Propriété, et qu’elle ne se soumet pas. Et que la Vie ne se soumettra pas. Cette lutte durera tant que l’humanité ne se libérera pas elle-même pour chanter l’Hymne à l’Homme de Swinburne (24) : « Gloire à l’Homme dans ses plus beaux exploits Car il est le maître de toutes choses. »

* Tous les intertitres sont du traducteur.

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0