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Interview d’un collégien de Forcalquier

dimanche 16 avril 2006

Interview d’un collégien de Forcalquier

- Dans quel collège étudies-tu ?

- Collège Henri-Laugier deForcalquier (Alpes-de-Haute-Provence)

- Appartenais-tu à un syndicat, un groupe, politique, une association avant le début du mouvement ?

- Non.

- Y a-t-il eu des luttes auparavant dans ton collège ? En quelle année, sur quels objectifs ou quels problèmes particuliers ? Quelles ont été les décisions qui les ont déclenchées ?

- Oui il y a eu deux « luttes » durant ma scolarité au sein du collège, en 2004 et en 2005, chaque fois suite à des modifications du règlement intérieur (mouvements de sorties et d’entrées des élèves) par le nouveau principal, un ancien militaire de carrière, arrivé dans cet établissement en 2003. Chaque fois, cela a été des révoltes spontanées. Aucune concertation n’a précédé ces mouvements.

- Y a-t-il eu des grèves dans des lycées ou facs de ta ville ? Qu’est-ce qui les a déclenchées ?

- Non, Forcalquier étant une petite ville (4 000 habitants), il n’y a qu’un collège. Pas de lycée et encore moins de fac !

- Les « émeutes » de novembre ont-elles été discutées dans ton établissement ? Y as-tu participé ou as-tu des copains qui y aient participé ? Quels liens établis-tu entre les deux révoltes ?

- Forcalquier étant un village dans un territoire rural, il n’a pas été touché par les émeutes et la plupart des collégiens se sont sentis « loin » de ces problèmes à ce moment-là. Les deux révoltes sont, je pense, liées. Elles expriment la colère d’une jeunesse qui n’est pas écoutée, pas prise au sérieux par les institutions et les politiques. Une jeunesse qui n’a pas d’avenir dans cette société.

- Le retrait du CPE était-il l’unique revendication ? Quelles étaient vos autres revendications ?

- Il y avait bien sûr d’autres revendications, mais elles n’étaient pas portées par tout le mouvement, comme dans le cas du CPE. Les autres revendications visaient le principal du collège et des récentes modifications du règlement de l’établissement.

- Qui les a rédigées ou mises en avant ?

- Un petit groupe d’élèves (une dizaine), le « noyau dur » de la lutte.

- Certains grévistes (y compris toi-même) ont-ils refusé d’avancer des revendications, considérant qu’elles limitaient le mouvement ?

- Disons plutôt, dans le cas de Forcalquier, que la plupart des enseignants, du personnel d’encadrement, des élus, etc. pensaient qu’une manif de collégiens avançant des revendications précises mais très différentes, comme le retrait du CPE et la contestation du règlement intérieur du collège, décrédibilisait le mouvement... auquel ils ne participaient pas !!! Le CPE ou le règlement intérieur étaient, pour la plupart des grévistes et pour moi en particulier, une façon de dire notre ras-le-bol de ce collège et de cette société.

- Quelles classes ont été le plus mobilisés ? Peux-tu nous donner une estimation chiffrée ? Sais-tu pourquoi ?

- Je suis au collège. je peux dire que les 4e et les 3e étaient largement majoritaires par rapport aux 6e et aux 5e. Peut-être 50 % de 3e, 40 % de 4e et 10 % de 6e/5e.

- Combien de collégienscomporte ton établissement ?

- 650

- Quelle est la composition sociale des collégiens : origines régionales et nationales, proportion de filles et de garçons, etc.. ?

- Il y a peu d’élèves d’origine étrangère (et pas mal de racisme d’ailleurs). C’est un collège public donc il y a peu de « gosses de riches ». L’origine sociale est assez homogène, classe moyenne en général. Il y a un petit groupe (40 élèves pas plus) d’enfants dont les parents sont plutôt très « marges » (pas riches mais cultivés, des néo-ruraux, anciens de 68), la plupart de ceux-là sont assez politisés. Je pense qu’il y a à peu près 50/50 pour le pourcentage filles/garçons.

- Quelle est l’influence du statut social ou de l’appartenance de classe des parents sur la lutte ?

- Le noyau « dur » des élèves en lutte est essentiellement constitué d’enfants de gens politisés, ceux dont je parle au-dessus. Donc oui, il y a une influence.

- Quelle a été l’attitude des enseignants et du personnel du collège ?

- Soutien modéré de la part de quelques profs, ils ne se sont quand même pas trop mouillés !!! Certains bien sûr étaient très mécontents et ont emmerdé comme ils pouvaient les grévistes.

- Qui a déclenché la grève ?

- Les collégiens eux-mêmes.

- Le conflit s’est-il étendu et comment ?

- Non, sur les deux jours de mobilisation, ce furent les mêmes élèves, pas plus ni moins le second jour.

- Quelle a été l’originalité du mouvement dans ta ville par rapport à d’autres villes ?

- On est un collège !! Et le premier de France à avoir participé a la lutte ! (Voir article Indymedia, ci-joint). Le mouvement était vraiment peu structuré donc pas vraiment d’AG, toutefois chacun a donné son avis sur la manière dont devait se dérouler les manifs et le blocage du collège. Chacun y a mis du sien.

- Qui a fait les propositions ?

- Tout le monde, nous étions 200 donc chacun pouvait faire ses propositions, mais les meilleures idées venaient le plus souvent des mêmes !!

- Quelles initiatives ont été prises pour obtenir le soutien d’autres gens que les grévistes (chez les enseignants de ton lycée ou de ta fac, dans les entreprises, les parents d’élèves, les ATOS) : réunions publiques, manifestations, etc. ?

- Les élèves ont imprimé des tracts invitant les gens à se joindre à eux. Ils ont beaucoup discuté avec les adultes.

- Quels ont été les moyens utilisés pendant la grève : blocages, affiches, flyers, tracts, opérations coups de poing, actions dans les gares, les postes, les ANPE, les sièges de partis politiques, etc.?

- Blocages du collège pendant la nuit (komando spécial), blocage de la circulation dans le centre-ville, affiches et tracts.

- Quelles ont été les initiatives prises contre la grève (propagande de l’administration, de la presse régionale, des organisations de droite et d’extrême droite, interventions policières, etc.)

- Les adjoints au maire ont fait leur possible pour nous signaler que notre mouvement était risible, ridicule et nous ont priés de retourner en cours ! Les gendarmes ont encadré les manifs et l’ont dispersé vers la fin quand nous n’étions plus beaucoup mais pas de manière brutale. Quelques embrouilles avec certains adultes pro CPE, mais sinon rien de bien violent.

- Quel a été le rôle politique des organisations extérieures au lycée ou à la faculté (syndicats, partis politiques, organisations d’extrême gauche ou libertaires, etc.) ?

- Aucun.

- Qu’ont-elles fait concrètement (collectes, tracts, réunions, prêts de locaux, etc.) ?
- Rien.

- Que pensent les collégiens de ces organisations ?

- Nous sommes des collégiens, il a fallu pour la plupart que les mieux informés expliquent aux autres ce qu’est le CPE. Donc ne nous parlez pas de syndicats !

- Quelles ont été les formes d’organisation pratiquées par les étudiants ou les lycéens (comités de grève, AG, commissions, interpro, etc.) ?

- Des représentants de grévistes ont été choisis (pas élus mais choisis) par les élèves. Ils ont discuté avec la mairie et le directeur du collège... C’est tout.

- Quel a été le rapport entre actions « légales » et actions « illégales » ? Comment ont-elles été perçus par les grévistes, les non-grévistes, etc., les salariés de la ville ?

- Notre action était totalement illégale, aucun préavis, aucun itinéraire de manif au commissariat. Elle a été globalement bien vue par les salariés, les habitants de la ville. Forcément mal reçue par certains vieux cons : le personnel d’encadrement du collège, certains profs, élus. Et des vieux dans la rue !

- Quels sont les effets de la grève sur la reprise des cours, les examens, les rapports entre les grévistes et les non-grévistes, les bloqueurs et les antibloqueurs, les rapports avec les profs et l’administration ?

- La grève a duré deux jours, le blocage a duré une demi-journée donc les cours n’ont pas eu lieu pendant 1/2 journée. La reprise des cours s’est bien passée, étant donné qu’au collège les bloqueurs étaient contents d’eux et les bloqués contents d’avoir raté des cours ! Certains profs ont très mal réagi et ont sanctionné les grévistes comme ils pouvaient.

- Quelle a été l’attitude des médias locaux (presse écrite, radio, télévision, etc.) ?

- Nous avons été bien soutenus par une radio locale. Sinon depuis nos précédents mouvements de grève, la presse locale nous considère plutôt comme des « délinquants ». Nous n’avons pas été soutenus de se coté-là, non !

- Comment la lutte s’est-elle développée (actions, extension, etc.) ?

- 1er jour : Blocage du collège puis du centre-ville. Manifestations dans la ville. 2e jour : Manif en ville puis blocage de la circulation pendant plusieurs heures en ville.

- Comment le moral des collégiens a-t-il évolué ?

- Toujours au beau fixe, bonne ambiance.

- Y a-t-il eu des conflits parmi les grévistes (opinions différentes, divisions fondées sur l’origine nationale ou le genre, etc.) ?

- Non, bonne ambiance.

- Quelle est la réaction de l’administration et des enseignements après la fin de la grève ?

- A suivre, sans doute des sanctions (colles, renvois, etc.)

- Quelles ont été les tentatives de médiation et de négociation (comité de grève, syndicats, etc.) ?

- On a discuté avec l’administration qui nous a promis (le principal) de ne pas prendre de sanctions « scolaires » contre les grévistes puis le principal est revenu le lendemain sur sa décision.

- Que pensent les collégiens de l’expérience qu’ils ont vécue (forces, faiblesses, etc.) ?

- Ils sont contents et assez fiers d’eux !!

- Que pourrait-on améliorer ou faire différemment la prochaine fois ?

- Un peu plus d’organisation, mais pas trop car d’après moi il faut une bonne part de spontanéité pour que ça fonctionne bien.

- Quels liens les collégiens établissent-ils entre leur lutte et la situation sociale générale ?

- C’est lié c’est sûr. Je ne peux pas parler pour tous les collégiens de mon bahut mais personnellement je suis sûr que c’est lié.

- Quels liens établissent-ils avec les luttes des salariés ?

- Aucun je pense.

- Comment s’est fait le travail de popularisation de la lutte : dans quels endroits, vis-à-vis de quelles personnes, avec quels résultats concrets ? Des liens nouveaux et prometteurs ont-ils été tissés pour de futures luttes ?

- On a « recruté » des grévistes le matin même lors du blocage, en leur expliquant les grandes lignes du CPE... La plupart du noyau des grévistes se connaissaient déjà bien donc je pense pas que de nouveaux liens se soient tissés étant donné la taille de l’établissement.

- Les filles ont-elles participé moins, autant ou plus que les garçons aux AG, aux actions, aux discussions ?

- Autant.

- Les organisations syndicales ou politiques ont-elles recruté pendant et après le mouvement ? Pour quelles raisons et sur quels thèmes ?

- Non, elles n’étaient pas présentes.

- Les comparaisons incessantes avec Mai 68 à chaque grand mouvement étudiant ou lycéen te semble-t-elles pertinentes ou pas ? Pourquoi ? Qu’en pensent les autres étudiants ou lycéens ?

- N’étant pas vraiment calé sur le sujet de mai 68, je ne suis pas sûr que ma réponse soit pertinente mais de ce que je sais, en 68, la société n’était pas du tout la même et les revendications n’avaient rien à voir. Plus explosives ! Je trouve donc que ces comparaisons sont déplacées.

Petite note : Etant collégien, j’ai essayé de répondre de mon mieux à chaque question mais le questionnaire n’était pas toujours adapté. Voila, sinon j’ai ajouté un article sur lequel il y a des infos sur notre mouvement.

DES COLLEGIENS CONTRE LE CPE (Extrait d’Indymedia Nice, 10 avril 2006)

Jeudi et vendredi des collégiens et collégiennes de Forcalquier, petit bled des Alpes de Haute-Provence, ont organisé une grève et des actions contre le CPE, s’inscrivant ainsi à leur tour dans le grand mouvement de contestation national de ces temps-ci. A l’aide de chaînes, quelques uns bloquent le portail de l’entrée de leur collège jeudi matin très tôt, puis se planquent dans un prs pas loin, où ils voient avec dépit le personnel du collège se radiner vers 7h et enlever les chaînes et les affiches collées à coté...

Ils se retrouvent tout de même quelque 200 (sur 600) à ne pas entrer dans le collège à 8h. Puis à descendre défiler dans la ville, interpellant les passants, les voitures... Une bonne demi-cinquantaine d’adultes se joignent à eux, solidarité oblige. Quelques heures plus tard, la mairie les reçoit, leur rappelle que les manifs, le mardi c’est permis, mais là on est jeudi, vous pourriez pas faire comme tout le monde... ?? Eh ben non, ils peuvent pas. Vers midi, ils se cotisent et raquettent quelques adultes pour manger ; certains tentent de convaincre ceux restés à l’intérieur du collège de les rejoindre pour continuer des actions l’après-midi.

Plusieurs idées sont lancées : bloquer la circulation à l’entrée du bourg, défiler encore... Finalement des tracts sont distribués pour lancer une manif’ le lendemain à 10h. Le vendredi matin, certains élèves sont retenus par leurs parents chez eux, interdits de manif’... D’autres retournent en cours, par crainte des sanctions, pression des parents, retrait de la scène politique... C’est donc un groupe plus restreint, mais plus dynamique encore, qui se retrouve à 10h sur la place centrale avec musique, banderoles marrantes, les habits et le corps bardés de slogans anti-CPE. La solidarité massive des adultes est encore au rendez-vous, ils sont ce matin presque 10 à être avec nous. Spontanément (ou longuement concertée ?), une action se décide : des jeunes se plantent au milieu de la route principale et bloquent les voitures jusqu’à ce que le conducteur/la conductrice klaxonne en signe d’approbation. Cette action est très gaie, les gens dans les voitures sont souvent souriants, à chaque coup de klaxon des cris de joie retentissent... seuls quelques irréductibles pro-CPE oseront ne pas klaxonner et se voient finalement relâchés sous les huées. On peut imaginer que les autres ne sont pas forcément anti-CPE pour autant, mais commencent ainsi leur journée acclamés à bon compte !

Peu à peu des adultes se joignent à la bande (restant prudemment sur les bords de la route, mais bon, tout de même...), la solidarité bat son plein, ils sont bien douze, voire treize.

L’action ne faiblit pas jusqu’à midi, puis à nouveau, collecte et pique-nique dans les prés. L’après-midi, il fait si beau... un groupe encore plus restreint redémarre l’action, qui durera jusqu’à 16h, heure à laquelle les flics jugent que c’est décidément trop dangereux pour ces chers petits de rester là, au milieu de la route... et viennent remettre bon ordre dans tout ce joyeux bazar.

Certains déterminés veulent continuer l’action la semaine prochaine, et jusqu’à ce que le CPE soit retiré. Ils se heurtent à plusieurs difficultés : les possibles sanctions du collège, les parents pas forcément d’accord, les cours qui pendant ce temps-là continuent... si seulement tos les collégiens pouvaient se joindre au mouvement... si seulement ceux déjà impliqué-es réussissaient à bloquer le collège pour de bon !! Si seulement les adultes pouvaient se joindre au mouvement pour de bon... Mais quelle que soit la suite de l’histoire, et même si elle se termine là, c’est déjà une belle victoire : Forcalquier, premier collège à rejoindre le mouvement anti-CPE !!

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