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Mittal contre Arcelor ? (2)

dimanche 19 mars 2006

Centralisation des moyens de production

Contrairement au schéma aveuglant de ceux qui défendent, contre toute évidence, que le capitalisme tend à créer des monopoles qui dominent le monde de leur puissance, sans tenir compte des périodes, de l’évolution des marchés et du redéploiement du capital, la sidérurgie, comme bien d’autres secteurs, n’a pas suivi une courbe de centralisation permanente.

Une fusion Mittal/Arcelor créerait un aciériste avec 115 millions de tonnes d’acier de capa-cité de production annuelle, trois fois plus que son concurrent le plus proche ou autant que les capacités combinées des quatre autres sidérurgistes les plus importants. Toutefois, la nouvelle société ne représenterait pas plus de 11 % de la production mondiale d’acier.

La production mondiale d’acier est en effet encore très fragmentée aujourd’hui, malgré les restructurations et les fusions, qui agitent à nouveau le secteur depuis le début du XXIe siècle, et dont Arcelor est un exemple. Comme le rappelaient Dollé et Mittal, les cinq plus gros acié-ristes ne produisent que 17 % de l’acier mondial, les dix premiers (voir tableau) juste 25 % et les quarante plus importants moins de 40 %.

Les principaux fabricants d’acier (chiffres 2004, sauf Mittal et Arcelor, 2005)

Producteur Pays Millions de tonnes CA (millions de $) Effectifs

Mittal Pays-Bas 49 28 132 160 000

Arcelor Luxembourg 43 38 820 94 600

Nippon Steel Japon 30 31 537 20 432

JFE Holding Japon 27 26 088 14 500

Posco Corée du sud 30 20 929 19 377

BaoSteel Chine 20 19 543 94 231

US Steel USA 20 14 108 48 000

Corus Pays-Bas/Royaume-Uni 19 17 099 48 300

Nucor USA 17 12 700 11 000

ThyssenKrupp Allemagne 15 9 100 32 000 Total 270

Face à ces nains, cinq constructeurs automobiles représentent plus de la moitié de la pro-duction mondiale et trois entreprises minières (CVRD, BHP Billiton et Rio Tinto) tiennent les trois quarts des ventes de minerai de fer. Ce mouvement de concentration n’est cependant pas une tendance inéluctable. Née à l’orée du XXe siècle de la fusion d’une dizaine de sidérurgis-tes, US Steel fut la 1re entreprise de plus d’un milliard de dollars de capitalisation. Elle pro-duisait alors 67 % de l’acier des États-Unis, un quart de l’acier mondial, plus que tout le Royaume-Uni. Sa part de la production américaine allait cependant rétrécir régulièrement et l’ancien géant n’est plus aujourd’hui que le 8e aciériste mondial. Les différents pays d’une certaine taille ont nourri chacun un champion national (à l’exemple des pays à économie étati-sée comme l’ex-URSS ou les pays de l’Europe de l’Est), concourant ainsi à la fragmentation du secteur. Il y a une trentaine d’années, le nouveau modèle dans la sidérurgie était représenté par de petites unités s’appuyant sur des fours électriques rendant obsolète l’économie d’échelle des hauts fourneaux géants. Mais ce modèle, représenté par Nucor aux États-Unis et par Lucchini et les Bresciani en Italie, est à son tour passé de mode et la tendance actuelle est à la recherche de la taille critique soit, pour un aciériste, 100 millions de tonnes de capacité.

Restructurations et licenciements, l’acier se forge dans les crises

En crise depuis la baisse de la demande faisant suite à la faste période de la reconstruction de l’après-guerre, la sidérurgie française, qui comptait 174 000 salariés en 1974, se retrouve en 1979 avec un endettement supérieur à son chiffre d’affaires. Elle est quasiment nationali-sée par le gouvernement Barre en 1978. Le plan de restructuration de 1979, qui comprend 20 000 licenciements, est mal reçu par les ouvriers. Les débrayages syndicaux de 24 heures et les journées ville morte, dans l’Est et dans le Nord, ne réussiront pas à endiguer la colère. Des émeutes éclatent, principalement à Denain et à Longwy. C’est grâce à cette combativité mon-tante que les ouvriers ont obtenu des conditions de départ bien meilleures que ce qui était pré-vu à l’origine.

Si l’État et les industriels ne reculent pas sur le plan de restructuration, ils vont être obligés de payer les licenciements au prix fort : 50 000 francs de prime de départ (une somme consé-quente à l’époque) retraites anticipées à 50 ans et « invention » du licenciement économique, grâce auquel le salarié licencié touchait des indemnités proches de son salaire précédent. En 1981, l’État prend le contrôle d’Usinor et Sacilor, qui fusionnent en 1987 après de nouvelles vagues de restructurations. Le nombre de salariés du groupe tombe de 160 000 en 1974 à 93 600 en 1984 et à 44 600 en 1995. Dans le même temps, la productivité s’envole : 7,2 heu-res pour produire 1 tonne d’acier en 1982, 5,1 heures en 1986, 3,1 en 1993 et 2,6 en 1995.

Quel que soit l’employeur, il y a toujours des compressions d’effectifs accompagnant les restructurations. Étatiques ou privées, familiales ou cotées, fusionnées ou pas, seul un rapport de force favorable peut permettre aux travailleurs de limiter les dégâts. Si Arcelor est le produit d’une vague de restructurations successives, Mittal a fait le chemin inverse. Des rachats successifs à bon marché d’aciéristes en crise lui ont permis d’atteindre sa taille actuelle. Mittal s’est fait une spécialité de récupérer et de restructurer les gigantesques aciéries devenues obsolètes, vestiges de l’économie étatisée (Pays de l’Est, Algérie...). Ra-chetées à bas prix, souvent déjà débarrassées par l’État patron de la main-d’œuvre jugée excé-dentaire, les aciéries ont été modernisées et intégrées à son empire. Plutôt que de licencier, Mittal met sur la table des primes de départ conséquentes, par exemple 25 mois de salaire pour faire partir 1 700 salariés à Ostrava en République tchèque. En Roumanie, Mittal Steel a viré 17 000 ouvriers sur 27 000. Dans la plupart des cas, il s’agissait de départs volontaires, avec quelques milliers d’euros de prime. Une somme quand le salaire moyen avoisine les 150 euros. Une méthode qui rappelle celle utilisée par les prédécesseurs d’Arcelor. Mais les res-tructurations sont loin d’être terminées, et Dollé a beau jeu de dénoncer le plan de restructu-ration, annoncé par Mittal Steel, qui porte sur 46 000 postes de travail (sur 164 000). Il y a 30 ans, Usinor/Sacilor comptait 160 000 salariés, Arcelor n’en emploie plus que 27 000 dans l’hexagone.

Ne pas rester passifs face aux opérations des capitalistes

Force est d’abord de constater que les capitalistes sont très en avance sur la classe ouvrière quand il s’agit de concentrer leurs forces. La direction d’Arcelor et son conseil d’administra-tion comprennent des dirigeants de différentes nationalités, Luxembourg, Espagne, France, Belgique, Brésil et autres. Bien plus, l’ensemble des dirigeants du secteur, malgré les diver-gences importantes qui les opposent, a été capable de se réunir début février à Paris, sous les auspices de leur organisation professionnelle, l’IISI. Se sont côtoyés, non seulement les pa-trons de Mittal et Arcelor, mais aussi les Japonais de JFE et Nippon Steel, les Coréens de Posco et de nombreux autres de second plan. Face aux patrons, les ouvriers de la sidérurgie de l’Est de la France, qui se connaissent, ayant appartenu à la même entreprise, n’ont pas encore été capables d’élaborer une politique commune de défense de leurs intérêts immédiats. Face à une centralisation qui avance - l’opération Mittal/Arcelor n’est pas la dernière du genre -, une réflexion en commun est le préalable indispensable à une défense commune face aux conséquences de cette réorganisation permanente du secteur. Le problème n’est pas la constitution d’un ensemble plus important.

Au contraire, la constitution d’une entreprise de plus de 250 000 travailleurs pourrait donner aux travailleurs une force supérieure, s’ils se montrent capables de s’unir. Le changement de patron n’est pas non plus un drame pour les ouvriers. Arcelor, dont les méthodes sont vantées par la majorité des représentants syndicaux, n’a jamais hésité à restructurer et à licencier. Usinor est même né d’un vaste plan de restructu-rations, qui a vu la sidérurgie abandonner ses bassins historiques en Lorraine et dans le Nord de la France, ou à Liège en Belgique. Les syndicats d’Arcelor, qui dénoncent à juste titre les méthodes de Mittal, oublieraient-ils le plan social en vigueur actuellement dans leur propre entreprise ? Seule une lutte déterminée pourra limiter les conséquences. Que l’OPA aille à son terme ou pas, fermetures et licenciements continueront. Dans les deux cas, Mittal ou Arcelor, relayés par les syndicats, appelleront leurs salariés à plus de sacrifices.

Empêtrés dans des conceptions archaïques et réactionnaires, les syndicats se retrouvent in-capables de remplir leur rôle de défense des conditions de vie des travailleurs ; chaque syndi-cat est lié et doit son existence à son employeur, aux revenus qui en découlent et aux subsides de l’État. Face à des capitalistes qui, lorsque c’est leur intérêt, ne s’embarrassent plus des obstacles à leur développement que sont les frontières ou les États nations, ils sont juste capa-bles de dénoncer « l’invasion étrangère » et d’implorer l’intervention de l’État pour défendre le « patrimoine national ».

Pire, ils demandent aux ouvriers de se ranger sous la bannière du patron pour défendre leur entreprise face aux assauts du prédateur étranger. Or, quelle que soit l’issue de l’OPA, les restructurations qui s’annoncent dans la sidérurgie ne se feront pas sans suppressions d’emplois. Après l’embellie de ces dernières années, les dirigeants des aciéries vont encore appeler à des sacrifices. Au nom de la défense de l’indépendance de l’entreprise, du combat contre la concurrence des sidérurgistes chinois ou autres, les nouveaux ou les an-ciens patrons, avec le soutien critique des syndicats, justifieront les nouveaux plans de res-tructuration et les nouvelles vagues de licenciement.

Malheur aux travailleurs qui lieraient leur sort à celui de « leur » entreprise, de « leur » pa-tron présent ou à venir, et qui sacrifieraient la défense de leur intérêt à la défense de l’entreprise ou de l’intérêt national. Dans un contexte où les travailleurs ne sont pas encore en situation d’engager la lutte pour la destruction de l’exploitation capitaliste, ce qui est primor-dial, sans perdre de vue l’objectif, ce sont les conditions de travail, le niveau de vie, et l’assurance que, si les capitalistes décident que leur travail est devenu inutile, ils continueront d’avoir ce qui leur est nécessaire pour vivre, même sans travailler. Les travailleurs doivent se battre pour ne pas faire les frais des conséquences du développement et des aléas du mode de production capitaliste.

Se laisser imposer le choix entre Arcelor et Mittal est une impasse. Le choix fondamental pour la classe ouvrière est soit la lutte contre l’ensemble du système d’exploitation, soit la résignation qui conduit à choisir son exploiteur.

Patriotisme économique : l’Etat contre attaque

Le projet annoncé par le producteur d’énergie italien Enel d’OPA sur le groupe Suez va déclencher une riposte rapide de l’Etat français. Fusion entre Suez et le gazier GDF qui ap-partient à 70 % à l’Etat. Berlusconi, dénonce le protectionnisme à la française. La gauche et les syndicats (pas ceux de Suez cependant), qui avaient dénoncé l’impuissance de l’Etat pendant l’OPA sur Arcelor, critiquent cette fois le démantèlement du grand pôle énergie nationalisé.

Surpris, les responsables syndicaux vont réagir en ordre dispersé. Les syndicats de Suez et de GDF ont spontanément adopté des positions différentes. Ceux de Suez - dont la CFDT et FO - ont affiché leur préférence pour une fusion plutôt qu’une OPA d’Enel alors que ceux de GDF rejettent la privatisation de leur entreprise. L’administrateur CGT de Suez a voté pour la fusion lors d’un conseil d’administration vendredi soir, avant de se rallier à la position confé-dérale lundi matin et de s’opposer au projet. Le délégué CFDT de Suez, Bernard Larribaud, a déclaré être favorable au projet de fusion avec Gaz de France, qui évite le démantèlement du groupe tout en regrettant une absence de vision sociale. La CGT organise des assemblées gé-nérales et prend contact avec la Confédération européenne des syndicats alors que la fédéra-tion SUD-Energie a envisagé dès lundi un appel à cesser le travail. La prompte réaction de l’Etat appelée de leurs vœux par les syndicats et la gauche du ca-pital dans le cas de l’attaque « étrangère » contre Arcelor ne passe pas. Mais ce n’est pas parce que Enel est italien mais pour défendre le sacro-saint statut des salariés de GDF.

Pour le parti écologiste belge, Ecolo « la dimension stratégique du dossier est cependant totalement négligée par le gouvernement ». Les verts belges, qui stigmatisent le laisser-faire de leurs autorités, dénoncent la main mise sur l’énergie nationale par des méga-groupes et surtout par l’Etat français, défenseur du nucléaire ! Argument inverse d’Olivier Barrault, ad-ministrateur CGT de Gaz de France, qui dénonce « un scandale » qui met « la sécurité des approvisionnements énergétiques de la France entre les mains des actionnaires belges » (la banque belge Société Générale est actionnaire de Suez). A bas l’impérialisme belge, nouveau cri de ralliement des défenseurs de l’Etat français. Pour Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, « derrière tout cela, il faut dénoncer aussi le risque de suppressions d’emplois des salariés qui entraînera la dégradation des acti-vités de service public qu’assure GDF, mais aussi l’augmentation des tarifs, toutes choses dont pâtiront les usagers ». « Cette fusion entraînera inévitablement une augmentation im-portante des prix du gaz pour les usagers », car « c’est la loi du profit maximum pour les ac-tionnaires qui va s’appliquer », renchérit la LCR. C’est ce même intérêt général qu’invoque Alain Bocquet, président du groupe communiste et républicain (PCF) de l’Assemblée natio-nale, qui demande « l’abandon immédiat » du projet de fusion « contraire à l’intérêt des 200.000 salariés des deux groupes et à celui des millions d’usagers du gaz, de l’électricité et de l’eau . Cette opération d’absorption-privatisation, décidée en catimini, consacrerait un grave affaiblissement de la maîtrise publique sur l’énergie, une fuite en avant dans une concurrence incohérente et nuisible avec EDF, ainsi qu’un renforcement de la pression usurière des marchés financiers ».

Comme si EDF et GDF ne se privaient pas pour augmenter des tarifs qui, comme le souli-gnent les gauchistes, sont bien plus élevés pour les particuliers que pour les industriels. Et comme si les entreprises publiques d’énergie ne coupaient pas le courant à ceux qui n’ont pas les moyens de payer.

Bruxelles-Paris, le 28 février 2006

Pour toute correspondance écrire, sans autre mention, à : BP 1666, Centre Monnaie 1000, Bruxelles 1, Belgique. Consulter le site Internet de Mouvement Communiste : www.mouvement-communiste.com

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