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Harcèlements policiers, harcèlements républicains et révoltes

mercredi 14 décembre 2005

Témoignage, opinions, d’un individu né dans une cité ouvrière et qui depuis 1981 habite dans des immeubles de banlieue (Neuilly-Plaisance, Montreuil, Quincy-sous- Sénat et actuellement Fontenay-sous-Bois) .

Dialogues de sourds, malentendus entre populations des banlieues et ceux qui n’en sont pas ; entre les habitants des banlieues eux-mêmes (pères/fils, filles/mères, frères/sœurs), quelles que soient les convictions religieuses, politiques parce que piégés par le langage, les postures, les référents culturels et idéologiques. Oui, chacun déclare souhaiter qu’on le laisse tranquille : les jeunes ne pas être harcelés par les policiers, ne pas subir les contrôles au faciès, les palpations agressives, les propos humiliants, les rapports de force permanents, les violences symboliques ou physiques, les rapports de domination (physique, culturelle, économique et politique). Les parents aimeraient être tranquilles, vivre tranquilles, pour eux cela doit vouloir dire avoir un travail, un revenu pour vivre dignement, avec des enfants pacifiés, bien élevés, sinon par eux, par l’Ecole, et bien encadrés par les enseignants, les éducateurs sociaux, les associations sportives, culturelles, etc., pris dans la toile de l’embrigadement social et politique, inscrits sur les listes électorales. Participant au libre jeu de la concurrence, du marché et de l’Etat républicain, avec ses notables de quartier, ses gens bien-pensants du PS ou de droite, ses imams, ses curés de toute nature, dans une société où tous les rapports de violence auraient, sous l’effet d’une baguette magique, disparu. Cela n’est pas et ne sera jamais. Plus d’Eden, plus de communisme, plus d’utopie. Il faut essayer de vivre ensemble en tentant toujours de limiter les tensions à tous les niveaux.

Alors il ne saurait y avoir de bonne police, de police de proximité pour régler les problèmes sociaux, comme il ne saurait y avoir de bonnes lois, de bon droit, qui seraient appliqués une fois de temps en temps pour défendre les femmes violées, les enfants battus, les vieux agressés, en gros la morale de la défense de la veuve et de l’orphelin, remake XXIe siècle.

Oui, il serait préférable qu’entre voisins, entre gens qui se connaissent et se reconnaissent, qui se saluent dans l’ascenseur ou en bas de la cage d’escalier, de tenter de maintenir et de reconstruire du lien social, comme disent les spécialistes, malgré toutes les difficultés et tous les obstacles.

Alors oui , il aurait été bon que les gens, parents ou non, les connaissances, se rencontrent, se consultent pour, ensemble, discuter avec les jeunes qui sont collés à la cage d’escalier, assignés à résidence, collés à leur « territoire », pour tenter d’échanger, de se comprendre, de décompresser, d’éviter ces explosions de violence, de malaise, de mal de vivre, et de parvenir à verbaliser, exprimer, sur un autre terrain que les violences qu’ils ressentent au quotidien, pas seulement par rapport aux flics, mais aussi, tout le monde le sait, par rapport au chômage, au manque de perspectives, à un avenir bouché, ou non représentable.

Tant que l’on restera dans l’idéologie sécuritaire, sécurisante, du quotidien, horizon indépassable du citoyen lobotomisé, ça n’avancera pas ni pour les uns, ni pour les autres, ni pour les victimes, ni pour les « coupables », d’autant plus que ces gens des banlieues, ces journalistes, ces politiques savent tous et font semblant d’oublier, plus ou moins hypocritement, que les plus grandes violences sont dans la guerre économique, la guerre sociale, la guerre militaire, dont on nous montre tous les jours à la télévision les images.

Ces jeunes, qui ne se sentent plus écoutés, ni compris, même quand certains prétendent être à leur écoute, ou les avoir entendus. Cela nous rappelle Chirac et le gouvernement qui, après les élections, après les grèves, prétendent avoir entendu les bons citoyens et continuent à les exploiter, à les opprimer, comme si de rien n’était. Ces jeunes se retrouvent entre eux, marginalisés, exclus, catalogués, enfermés dans leur langage, leur gestuelle, leur habillement, étiquetés sur des critères raciaux, religieux, ethniques, avec leur territoire.

Rappelons que territoire correspond à un lieu fermé, avec des limites (cage d’escalier, cage de prison, cage à animaux), des frontières, des droits de passage, d’identification, etc., comme pour chaque territoire national (carte d’identité réclamée par les policiers) , alors que ces espaces, comme le dit bien le terme, devraient être ouverts, publics, de transit, de passage et donc d’échange, de partage pour tous.

Eux, ils restent sur le seuil, de la cage d’escalier, ou dans les environs, à la porte, de l’immeuble, du boulot, du chômage, de la boîte de nuit (où ils sont refusés), de la voiture (qu’ils ne possèdent pas, sauf s’ils dealent ou magouillent pour pouvoir s’en acheter une), à la porte donc, de la vie tout court. Avec la sensation, les sentiments que c’est plutôt la porte de sortie, du rejet, que la porte d’entrée et que s’ils veulent entrer, ce sera probablement par effraction, par violation, parce qu’ils n’ont pas la clé ou le bon code de civilité. D’où frustrations, désespoir, violences entre eux.

Faut que ça cesse, faut que ça pète. Agressivité, rapports de force, de fric, de mecs, de virilité, de frime, d’où les mots, les insultes, les tocards, les bâtards, qui renvoient à cette violence symbolique et tout aussi réelle du quotidien.

Faut que ça pète, faut que ça brûle : les poubelles, les voitures, et tout le reste, les crèches, l’Ecole. Au moins, les autres, les voisins, les adultes, les spectateurs de la télé, les encadrants de la bonne citoyenneté républicaine seront obligés de ne plus faire semblant qu’on n’existe plus.

Toutes ces questions ne sauraient être mises en équations à plusieurs inconnues par les divers prétendus spécialistes, psychologues, sociologues, politologues, et encore moins sur le terrain parlementaire bourgeois républicain. Ce n’est ni le bulletin de vote, ni l’octroi de nouveaux droits (les droits de l’homme, des femmes et des enfants ont été depuis longtemps déclarés et bafoués). Aucune loi ni aucun prétendu droit ne saurait changer la vie, ni l’état de ceux-là ni de la société tout entière.

Oui, les quotas, la discrimination positive, pourraient améliorer le sort d’une minorité d’entre eux. Mais justement il ne s’agit pas de s’en sortir et de réussir sa vie, en dehors ou sur le dos des autres, ou de tous les autres. Il ne s’agit pas d’échapper au triste sort de la majorité, ni de s’échapper des banlieues où la majorité, comme le déclarent certains sociologues, demeure « captive », c’est-à-dire piégée, enfermée, même s’il est vrai qu’il y a d’autres lieux d’enfermement, les camps de rétention pour ceux qui sont retenus à la frontière, et aussi ceux qui sont embrigadés, volontairement ou non, dans leur tête (on appelle ça « l’aliénation »), dans leur classe sociale, dans leur parti, quel qu’il soit, de droite ou de gauche, ou même d’extrême gauche.

Oui, pour pouvoir vivre ensemble, aujourd’hui, dans cette société, tant que tous les individus ne se seront pas policés, certains déclareront que la police est encore utile, sinon nécessaire. Et l’on nous parlera de police de proximité, plus compréhensive, moins agressive, etc. Comme on nous déclare que l’Etat lui aussi est nécessaire, qu’il soit plus ou moins policier, plus ou moins providence, ironique pour un Etat qui se veut laïque.

Les rapports conflictuels entre individus, groupes et classes ont besoin d’être médiatisés, quel que soit le régime politique ou social. Ce qui est en jeu ce sont les rapports de domination, des forts, des riches, contre les exploités, les opprimés. Question indépassable : comment passer de la révolte, souvent légitime, à la Révolution (laquelle ?). Thème depuis longtemps dé-programmé par les penseurs de ce monde, y compris les prétendus révolutionnaires. Aucune confiance, aucune attente, ni dans l’Etat, ni dans la République, contre tout consensus ou union sacrée sur le dos des plus opprimés ou des plus exploités. Sauvons-nous nous-mêmes.

NATHAN TABARD

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