Et c’est reparti pour un tour.... Après la stigmatisation, par la droite et l’extrême droite, des jeunes Franco-Africains qui auraient été les principaux acteurs des récentes « émeutes », voilà que Finkielkraut se met lui aussi à prêcher la haine comme son ennemi juré, ou plutôt son double, Dieudonné.
Et les potes d’Alain Finkielkraut (Pascal Bruckner et Luc Ferry par exemple lors de leur émission sur LCI la semaine dernière) se gardent bien de le critiquer sur le fond. Au mieux, ils se démarquent de la forme de ses propos, lui cherchent des excuses, voire, comme Bruckner, le comparent à Sarkozy : ce serait un dépoussiéreur d’idées, un provocateur salutaire. On voit bien que la caste médiatico-intellectuelle « de gauche », toujours prête à donner des leçons d’antiracisme et d’humanisme, reste muette quand l’un de ses membres exprime ouvertement sa haine des Africains et des Antillais et tient des propos qu’un Le Pen ne renierait pas. Tout ce qui l’inquiète ce n’est pas de savoir si Finkielkraut colporte des propos racistes, et si ces propos ne vont pas encore aviver la haine en France, mais si ce « philosophe » va perdre un peu de pognon au cas (bien hypothétique) où on lui retirerait son émission sur France-Culture.
Alain Finkielkraut a dénoncé (avec raison sur ce point) la façon dont Dieudonné a récupéré des arguments antisémites chez Louis Farakhan le dirigeant de la Nation de l’Islam qui prétend que les principaux bénéficiaires du trafic d’esclaves transatlantique auraient été les Juifs.
Mais Finkielkraut n’essaie-t-il pas, au sein de la prétendue "communauté juive" de France, voire d’Israël, de jouer un rôle exactement symétrique à celui que Louis Farakhan a joué dans la "communauté noire" aux Etats-Unis ?
En effet, peu de gens savent comment s’est produit la rupture entre les Juifs démocrates et le mouvement noir aux Etats-Unis. Dans les années 60, le développement de l’idéologie du Pouvoir noir, puis des Black Panthers et de la Nation de l’Islam, d’un côté, et de l’autre l’identification de plus en plus grande d’une partie des Juifs démocrates américains à la politique colonialiste d’Israël après la guerre israélo-arabe de 1967 ont rompu définitivement l’alliance traditionnelle entre les Juifs « libéraux » (modérés de gauche) et antiracistes et les Noirs dans leur lutte commune contre le racisme et la ségrégation aux Etats-Unis. Chacun s’est replié sur les problèmes de sa « communauté », pour de mauvaises raisons bien sûr, mais ce sont les Afro-Américains qui en ont fait les frais.
Toutes proportions gardées, c’est exactement ce que tente de faire Alain Finkielkraut (fournissant ainsi des arguments à d’autres intellectuels qui, contrairement à lui, ne se sont jamais mouillés dans l’antiracisme) en France : se désengager du combat antiraciste en assimilant à des antisémites tous ceux qui veulent dénoncer l’esclavage comme un crime contre l’humanité . Si Dieudonné a introduit la thématique de Farakhan en France avec des bobards antisémites, Finkielkraut lui joue en France le rôle symétrique de celui de Farakhan au sein de la "communauté juive" : il fait tout pour que les Juifs de France (mais aussi d’Israël puisque ses propos sont parus dans Haaretz) se détournent de la lutte contre les discriminations dont sont victimes les Africains et les Antillais.
Toutes les vaguelettes médiatiques que soulèvent les déclarations crapuleuses de ce prétendu penseur antiraciste n’auraient guère d’importance si elles ne créaient pas ou n’aggravaient pas de fausses oppositions entre prétendues "communautés" et n’occultaient le vrai problème.
Sur la planète aujourd’hui ce qui domine ce n’est pas la traite des esclaves africains par les puissances occidentales, abolie depuis longtemps, c’est l’esclavage salarié, de Bamako à Pékin, de Moscou à Kaboul, de Paris à Sidney, de Washington à Bagdad, de Buenos Aires à Mexico, de Tel Aviv à Katmandou.
Cet esclavage-là, Dieudonné comme Finkielkraut n’y trouvent rien à redire. Pas plus d’ailleurs que le nouveau CRAN, fédération d’une soixantaine d’associations africaines et antillaises créé ce week-end et qui se prétend « apolitique ». Le CRAN veut bien communier dans la mémoire de l’esclavage disparu il y a plus d’un siècle et demi,mais n’a rien à dire contre l’esclavage capitaliste actuel. Nous commencerons à prendre tous ces anti-esclavagistes et ces antiracistes vraiment au sérieux le jour où ils se battront aussi contre le principal esclavage universel moderne : l’esclavage salarié.
Cet esclavage-là joue sur toutes les prétendues différences, qu’il baptise « ethniques », « culturelles », « civilisationnelles », « religieuses », voire « raciales », pour maintenir un système d’exploitation et d’oppression universel : le capitalisme, qu’il soit privé ou d’Etat.
Tant que les esclaves salariés ne se rebelleront pas contre leurs maîtres capitalistes, ils se préoccuperont de questions secondaires : ils se focaliseront sur la couleur de la peau de leurs voisins ou collègues de travail, leur façon de s’habiller, de cuisiner, de manger, de parler, de marcher, de danser ou de jouer de la musique, oubliant ainsi l’essentiel pour le plus grand profit des exploiteurs.
Tant que les prétendus antiesclavagistes et antiracistes à la Finkielkraut ou à la Dieudonné resteront muets sur la plaie universelle du monde actuel, l’esclavage salarié, nous ne les prendrons pas au sérieux. Au-delà de leurs prétendues oppositions et rivalités médiatiques, prenons-les pour ce qu’ils sont : des amuseurs publics, des prêcheurs de haine, des individus qui usent de leur talent littéraire ou artistique pour figer les êtres humains dans des races imaginaires.
Et entre deux prêcheurs de haine, l’un qui déteste les Juifs et l’autre qui déteste les Africains et les Antillais, que l’on ne nous demande pas de choisir.
Finkielkraut et Dieudonné, c’est bonnet blanc et blanc bonnet !
Y.C.
27/11/2005