Les grévistes s’invitent à la SICA
Sous une pluie battante, les grévistes se rendent aux bureaux de la SICA. Ils y trouvent des portes bien fermées. Ils décident alors d’aller distribuer des tracts aux salariés de Kerisnel, usine de conditionnement de fleurs de la SICA où sont proposés cinq postes de reclassement aux salariés de la CBA.
Les ouvrières se rencontrent et échangent sur leurs conditions de travail : Les femmes de la CBA s’exclament : « Elles n’ont pas de pause et pas d’heure pour partir de l’usine ! ».. Dans cette entreprise, le café se déguste sur la chaîne…. Certaines salariées de Kerisnel ont travaillé à la CBA et inversement.
A la sortie de l’usine, les représentants FO font le point sur cette dernière initiative. Les salariés de Kerisnel travaillent jusqu’à 50 heures par semaine. Depuis un an, l’effectif est passé de 3 à 7 CDI au conditionnement des bouquets. En haute saison (fête des mères par exemple), ce sont des équipes de 40 saisonniers qui travaillent en deux équipes sur 8 heures. Ils ont un rendement à respecter pour la composition des bouquets. Il n’y a pas de syndicat.
Une réunion du CE avec la direction de la CBA a lieu l’après-midi à 14 heures. Le syndicat propose, sans trop d’insistance, aux grévistes qui le souhaitaient de venir à la sortie de la réunion.
Les représentants FO au CE envisagent de ne pas donner leur avis sur le plan social afin d’en bloquer l’application. Ils évaluent l’idée de quitter la table des négociations. Une nouvelle fracture en leur sein se produit entre ceux qui partagent cette stratégie et ceux qui ne veulent pas interrompre les discussions avec la direction.
Mercredi 29 juin
Assemblée générale à 9 heures : entre 75 et 80 salariés présents. Vote à la grande majorité pour la poursuite de la grève, 3 pour la reprise, 2 abstentions.
FO énumère les concessions présumées faites par la direction. Les engagements patronaux sur la prime de départ restent très flous. Elle est estimée à 3 000 € qui s’ajouteront aux indemnités légales de départ.
Le délégué départemental FO invite ceux qui commencent à craquer à s’exprimer :
ceux qui ont voté pour la reprise avancent des problèmes financiers (prêts bancaires),
ceux qui se sont abstenus précisent qu’ils se soumettent à la décision majoritaire.
Le syndicaliste souligne qu’il est difficile de mesurer la motivation et le point de vue des grévistes car ils s’expriment peu en assemblée. Il les invite donc à prendre le micro. Ceux-ci refusent catégoriquement. Le fonctionnaire syndical stigmatise le fait que les travailleuses s’expriment à voix basse. Il suggère de demander collectivement à la direction une avance sur salaire et propose une aide juridique à ceux qui vacillent pour cause de difficultés financières.
Un tour matinal dans l’usine par un élu allé à l’encontre des non-grévistes fait prendre conscience aux grévistes que la production tourne au ralenti et les pertes pour le patron sont beaucoup plus importantes qu’on ne le pense. Les fonds d’artichauts sont mal taillés car les machines ne sont pas réglées en l’absence des mécaniciens. On apprend aussi que des travailleurs qui ne participent pas au mouvement expriment leur soutien à la grève.
Les travailleurs en lutte s’adressent directement aux médias
Au cours de cette même matinée, des grévistes adhérents à la CFDT contactent leur représentant syndical pour lui demander de s’expliquer sur ses déclarations faites à la presse sur les soi-disant reclassements. Il refusera de se déplacer. Les membres de ce syndicat décident alors de rédiger un communiqué de presse pour dénoncer les agissements de leur représentant. Ils tiennent à affirmer que celui-ci ne les représente en rien, puisqu’ ils « n’ont été consultés sur aucune des positions défendues par celui-ci lors des réunions ou déclarations à la presse ». Selon eux, « il n’a plus de légitimité pour les représenter et n’est plus l’expression de leurs revendications ».
Dans le même communiqué, ils déclarent également « qu’ils restent solidaires de la grève avec FO et les non syndiqués et veulent des indemnités de départ à la hauteur de leurs exigences alors qu’ils estiment que les reclassements sont illusoires ». Ce communiqué est écrit collectivement avec les militants extérieurs. Des extraits vont être publiés par les organes locaux d’information le lendemain et le surlendemain. Les grévistes membres de la CFDT hésitent encore à déchirer leur carte syndicale car ils espèrent récupérer ainsi leurs heures de grève. Toutefois, ils annulent les prélèvements automatiques des cotisations.
Jeudi 30 juin
Environ 70 salariés présents à l’assemblée.
Deux travailleurs en lutte jusqu’ici reprennent le travail. Les grévistes votent à nouveau à l’unanimité pour le maintien de la grève (pas d’abstention). Trois habitants de communes environnantes viennent exprimer leur solidarité au combat. Elles seront invitées à s’exprimer. Contactés par un travailleur en grève, les chauffeurs de l’usine s’engagent à débrayer dès le lendemain.
Une visite du Comité d’hygiène et de sécurité a lieu à 10 h 30. La direction et la médecine du travail sont également au rendez-vous. La visite sera écourtée car, à cette occasion, un élu interpelle les non grévistes sur leur condition de travail.
Séjour éclair au centre de thalassothérapie de Roscoff
Les grévistes votent en assemblée le déplacement à Roscoff, auprès de grévistes d’un centre de thalassothérapie. Ces derniers sont en grève à 98 % contre le licenciement abusif d’une collègue. Un cortège escargot se rend jusqu’à cette ville et est accueilli en fanfare par les salariés du centre de thalassothérapie.
Les représentants syndicaux FO et CGT des deux entreprises expliquent les raisons des grèves. A Roscoff, ils se disent déterminés à poursuivre une grève dure tant que leur collègue ne sera pas réintégrée. Ils dénoncent également leurs conditions de travail déplorables : pas de vestiaires, pas d’augmentation de salaires, pas d’ancienneté, une direction perverse.
Les élus de la CBA soulignent l’importance de l’unité ouvrière et invitent les grévistes de Roscoff à venir le lendemain à la maison mère de la CBA. Puis ils échangent leurs pétitions.
Le moral est au plus haut. Un salarié de la CBA chante au micro « Allumer le feu » de Johnny. En retour sur Saint-Pol-de-Léon toujours en cortège de voitures, des appels au soutien financier de la lutte mais aussi à la solidarité active dans le combat sont lancés par le délégué départemental FO. Cette rencontre entre prolétaires semble avoir motivé les grévistes des deux entreprises. Leur regain de confiance s’exprimera dès le lendemain à Plouénan.
Un travailleur saisonnier du coin s’engage à déposer des tracts sur les voitures des salariés de son ancienne entreprise ostréicole.
A 14 heures, se tient la réunion mensuelle du CE. La proposition de recourir à un avocat pour contester le plan social est rejetée par trois membres du CE sur cinq, dont deux appartenant à FO.
Vendredi 1er juillet
60 salariés présents, cette fois sur le parking de la maison mère à Plouénan.
Les grévistes du centre de thalassothérapie arrivent et tentent d’encourager des salariés de la CBA. Pourtant, l’ambiance est tendue et morose chez ces derniers. Tous attendent, devant les bureaux de la direction, la sortie des membres du CE après leur réunion de finalisation du plan social.
Le CE a voté majoritairement pour l’adoption du plan social. Deux élus de FO au Comité d’entreprise se sont rangés du côté de la dernière proposition de la direction faisant basculer cet organisme institutionnel en faveur de la dernière mouture du plan social. Les autres représentants de ce syndicat au CE s’indignent alors que les instances locales décident de révoquer le mandat aux transfuges. L’assemblée qui suit se fait dans la plus grande confusion. Les grévistes sont répartis dans deux salles de pause.
Les adhérents quittent la CFDT
Un salarié évoque avec force la nécessité d’une plus grande participation active des travailleurs à la lutte. Il stigmatise l’absence de réunions de travail l’après-midi et l’absence de toute présence aux portes de l’usine l’après-midi. Il demande à ceux dont les congés d’été sont prévus pour très bientôt de les repousser afin de ne pas affaiblir le combat des autres. Cinq travailleurs sur les six concernés adhèrent à cette proposition.
Les questions fusent et alimentent la confusion : révocation des délégués, demande d’acomptes, report de congés, opposition aux prélèvements automatiques des cotisations à la CFDT. Trois salariés qui étaient jusqu’ici au travail ou en congés rejoignent le mouvement.
Les adhérents CFDT se réunissent et votent à l’unanimité pour l’arrêt de leur adhésion à ce syndicat. Ils rédigent un courrier à la CFDT ainsi qu’un communiqué de presse en réponse à une déclaration publique de cette confédération qui dénonçait la pression du syndicat FO sur les salariés en grève, approfondissant ainsi la division entre grévistes et non-grévistes adhérents à la CFDT. Cette fois les ex-CFDT répliquent fermement en mettant en avant la souveraineté de l’assemblée générale : « Nous rappelons que le combat que nous menons est autonome et se veut en dehors de tout conflit intersyndical et que chaque décision est prise par voie de vote à la majorité par l’ensemble des salariés en grève, qu’ils soient syndiqués CFDT, FO ou non syndiqués ».
On vote sur la poursuite de la grève. La formulation de la question, par un élu de FO, est très confuse et rend difficile toute décision sur la suite à donner au mouvement. Les travailleurs exigent davantage de clarté. 52 voteront pour la poursuite, 6 pour reprendre le travail. Les délégués FO disent sentir un affaiblissement de la volonté des grévistes. Le délégué départemental de FO annonce que les membres du CE affiliés à son syndicat vont réfléchir au cours du week-end pour déterminer leur position.
3eme semaine de grève
Lundi 4 juillet
Entre 60 et 65 salariés présents sur le parking de l’usine de Saint-Pol-de-Léon.
Le maire de Cléder a proposé de soumettre à son conseil municipal la mise en place d’une caisse de soutien. Tôt le matin, les élus de FO et des salariés habitant la commune sont allés à sa rencontre.
Un élu de FO rappelle les termes de l’alternative : ou reprise du travail ponctuée par des débrayages ; ou poursuite de la grève totale. Quoi qu’il en soit, toute reprise devra se faire dans le cadre d’un accord négocié sur le paiement des heures de grève. Une réunion avec la direction est prévue pour l’après-midi.
Les grévistes vont à Morlaix à la rencontre de Marylise Lebranchu, députée socialiste du Finistère. Le cortège de voitures escargots rejoint la ville. L’élue ne s’engage pas à grand-chose : des coups de fil et c’est tout. Le délégué départemental FO continue de se dire convaincu que la volonté de lutte des salariés faiblit. Pourtant, ceux-ci votent encore à la majorité pour maintenir la grève totale. Deux d’entre eux seulement s’expriment pour la reprise et trois s’abstiennent.
Le Comité de chômeurs, des grévistes et des partisans indéfectibles de la grève internes et externes à l’entreprise se retrouvent pour partager un repas. La discussion portera à nouveau sur la question de l’organisation de moments d’unité des travailleurs en lutte durant la journée. On repose l’idée de banquets collectifs. On réitère l’importance de bloquer la production pour renforcer le mouvement. Mardi 5 juillet
60 salariés participent à l’assemblée.
Un élu FO fait le compte rendu de la réunion de la veille avec la direction. Le patron propose 5 000 € de prime à condition d’abandonner le projet de recours en justice pour casser le plan social et de reprendre le travail. « Il nous faudra beaucoup plus pour nous arrêter », répondent les délégués.
Les grévistes votent à l’unanimité pour la continuité de la grève (aucune abstention). Cette fois-ci, le décompte de la caisse de soutien est communiqué publiquement : 917 €.
Les salariés en lutte organisent un déjeuner collectif et réservent une salle dans la commune de Plouénan. Deux salariés qui ont débrayé rejoignent les travailleurs réunis autour d’un repas très convivial.
Un militant du Comité de chômeurs suggère de rédiger un nouveau tract qui ne soit plus signé au nom des deux syndicats FO et CFDT. Après une petite hésitation, un élu de FO fait sienne la proposition. Les grévistes ont quelques difficultés à s’organiser en groupe de travail. La proposition de travail en petits groupes et de tour de table n’est pas avalisée par les grévistes. Finalement, un élu écrit un tract à partir des suggestions émanant surtout des travailleuses. Les travailleurs de sexe masculin participent peu au débat et restent plutôt au fond de la salle. Une lecture en est faite. Les grévistes s’expriment davantage. De nouvelles suggestions fusent, elles seront intégrées dans le tract.
Un militant extérieur pose alors la question de l’en-tête du tract puisque la CFDT n’y est plus, que certains grévistes sont non syndiqués et qu’il s’agit d’un tract collectif. Un élu propose de signer Les salariés de la CBA en grève. Tout le monde semble d’accord sauf un membre de FO qui préfère préciser « Ex-CFDT, FO et non syndiqués ». L’élu lui répondra « qu’on a dépassé le cadre des organisations syndicales ». Finalement, l’assemblée adoptera l’en-tête « Les salariés de la CBA en grève ». Au bas du tract on précisera « avec le soutien de Force ouvrière et du Comité de chômeurs ». Son impression est confiée à FO mais le tract revient dans la soirée avec l’en-tête SYNDICAT FORCE OUVRIERE. La manœuvre est déjouée : on rectifie et on fait des photocopies sur la base du texte original.
Mercredi 6 juillet
60 salariés présents.
Les grévistes pénètrent dans leur usine. Ils distribuent leur nouveau tract et discutent avec les non-grévistes. L’ambiance est calme. Les premiers essayent de convaincre les seconds plutôt que de les agresser. Ils ne bloquent pas la production. Un huissier arrive assez rapidement. Le responsable de l’union départementale FO prend la parole pour conseiller de ne pas interrompre le travail car les salariés peuvent être poursuivis en justice.
Durant un nouveau repas, des grévistes et les militants extérieurs échangent sur les moyens de bloquer la production. Les travailleurs de la CBA estiment que cela n’est pas très difficile. On décide de rencontrer le directeur le lendemain matin, dans le but de lui demander la liste des licenciés et ses propositions de négociation. Il est convenu que les salariés resteront dans les bureaux de la CBA à Plouénan jusqu’à ce qu’ils soient reçus. Durant cette réunion, on discute également des chances que des non-grévistes débrayent ou rejoignent la grève totale. Deux élus de FO n’y croient pas.
Jeudi 7 juillet
Une soixantaine de personnes en rassemblement sur le parking de l’usine de Saint-Pol-de-Léon.
Un salarié est allé voir les non-grévistes. Suite à cela, trois salariés débrayent _ d’heure. Le délégué départemental de FO et des élus du même syndicat disent que cela ne sert à rien d’aller voir les non grévistes.
Les élus du CE partent voir le directeur pendant que les grévistes attendent sur le parking le signal pour les rejoindre à la maison mère. Les salariés en lutte organisent un cortège de voitures mais, à mi-chemin, le délégué départemental de FO arrête les véhicules à la demande des élus qui craignent une perturbation de leurs négociations. Ils attendront jusqu’à midi sur un parking le retour des délégués.
Un élu FO expose les nouvelles propositions de la direction : 5 200 € pour les grévistes et 3 800 pour les non grévistes. Après cela, dans la confusion la plus totale, il appelle les grévistes à s’exprimer sur l’augmentation de la prime. Il n’évoquera pas la condition patronale qu’il a pourtant acceptée : abandonner toute initiative judiciaire pour l’annulation du plan social.
Certains veulent accepter le plan social, d’autres ne lèvent pas la main, d’autres encore votent pour revenir le lendemain. Sous-entendu, on arrête après. Le groupe finit par décider de se réunir dans la salle de repas pour discuter davantage et voter de nouveau. Les grévistes adoptent à l’unanimité la proposition de fin de la grève pour après-demain.
C’est la défaite. L’ambiance est morose, le Comité de chômeurs ne cache pas sa déception. Ses membres s’en expliquent avec le délégué départemental de FO : pour eux, demander en avance un rendez-vous avec la direction c’était avouer la faiblesse du mouvement et préparer ainsi sa fin. Et ce, alors que les grévistes allaient vers un durcissement du conflit. Un adhérent à FO déclare que c’est le rôle d’un syndicat de savoir terminer une grève. Le délégué départemental abonde dans ce sens. Demain, semble être le dernier jour de grève.
Vendredi 8 juillet
Environ 70 salariés pénètrent dans l’usine !
Comme chaque jour, les grévistes se retrouvent à 9 heures sur le parking de Saint-Pol-de-Léon. Mais la donne a changé. Dans la soirée, les élus ont reçu un appel de M. Le Floch pour leur signifier que le président de la SICA revenait sur l’accord, refusant toute différenciation de traitement entre grévistes et non grévistes.
Il propose 5 000 € (bruts, mais ce n’est pas précisé à ce moment-là) pour tout le monde. Pour lui, il n’est pas question de donner une prime à la grève. La réaction des grévistes est très vive. Le délégué départemental du syndicat, épaulé par un élu de ce syndicat, défend le principe de la différenciation de la prime entre grévistes et non-grévistes. Un autre élu lance, avec le soutien de quelques grévistes que, « puisque on en est là, on n’a qu’à demander 7 000 €. Point final ».
Les travailleurs en lutte rentrent dans l’usine et bloquent la production
Les grévistes rentrent dans l’usine et bloquent aussitôt la production. La gendarmerie et un huissier sont déjà sur place. Des travailleurs, dissimulés par les grévistes, coupent les machines, sabotent le circuit du froid, bloquent les serrures, cachent les clés du tracteur et d’un chariot élévateur.
L’usine ne tourne plus. Le directeur est contraint de renvoyer les non-grévistes chez eux. Les grévistes exigent que M. Bihan Poudec vienne sur place s’en expliquer. Ce dernier se présentera à 11 heures, accompagné de M. Rozec, vice-président de la SICA et administrateur à la CBA.
Le délégué départemental de FO entame la négociation et réclame le respect des accords de la veille. Il n’y a pas eu de concertation entre les salariés au préalable. Pourtant sur l’ensemble des grévistes, trois seulement tiennent absolument à la différenciation. La plupart des autres acceptent les 5 000 € pour tout le monde à la condition d’obtenir une compensation pour les jours de grève.
Un élu prend la parole et défend cette position auprès de M. Bihan Poudec. Le délégué départemental FO ajoute que le représentant de l’entreprise peut appeler ça comme il le souhaite dans le cadre de l’accord de fin de conflit. Le directeur de la SICA refuse ces nouvelles revendications. La discussion s’arrête là.
Les salariés déjeunent sur place en attendant la réponse de la SICA. A 14 heures, le temps commence à se faire long. Contre l’avis du délégué départemental de FO, un membre du Comité de chômeurs impulse une réunion afin de déterminer le montant de la prime que les grévistes sont prêts à accepter. Ceux-ci votent tous pour une prime de 5 000 € pour tous et 1 500 € supplémentaires pour les grévistes dans la clause de fin de conflit. Les grévistes convoquent une nouvelle assemblée pour le lundi suivant, dès 6 heures du matin, et décident un nouveau blocage de la production.
4eme semaine de grève
Lundi 11 juillet
41 salariés présents dans l’usine de Saint-Pol-de-Léon en début de matinée (6 heures).
Dès la première heure, au pied de guerre sur le parking, le directeur renvoie les non grévistes sur l’autre unité de production. Dans la confusion, certains grévistes pensent que la négociation se tient sur un autre site.
Très vite, les élus de FO annoncent qu’il va y avoir des avancées dans les négociations. Une rencontre entre le CE et la direction est prévue dans la matinée. Tout le monde attend la venue du directeur.
Pendant ce temps, au fond de la salle de pause, les membres du CE se concertent avec le délégué départemental de FO pour établir une ligne de conduite dans la négociation. Les grévistes ne sont toujours pas sollicités à s’exprimer sur le sujet.
Un militant du Comité de chômeurs défend la position que les grévistes doivent imposer que le directeur négocie directement avec eux sans passer par le CE. Toutefois, même s’ils sont convaincus du bien-fondé de cette proposition, les travailleurs en lutte laissent le CE les représenter. Les élus les plus proches de la cause de l’auto-organisation obtiennent la présence au CE de trois autres grévistes. Deux autres tentent de s’y introduire. Ils sont renvoyés par un élu de FO.
Au retour de la réunion des élus annoncent les dernières offres patronales : 6 160 € de prime de licenciement (dont 3 800 € nets de prime de licenciement, plus 1 200 € net de prime de fin de conflit pour les grévistes), et 1 200 € bruts pour les départs volontaires. Cette dernière somme ne résulte pas des négociations, elle est déjà inscrite dans le dernier Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE), procédure dite du livre III.
Les grévistes votent l’accord de fin de conflit à l’unanimité. On enregistre une seule abstention de la part d’un élu opposé à la différenciation de traitement entre grévistes et non grévistes. La sensation largement partagée par les travailleurs présents est de « partir la tête haute ».
Lutter plutôt que de pleurer sur son sort
Les prolétaires de la CBA ont peu d’expérience de la lutte de classe. Pour beaucoup d’entre eux, la grève a été une grande première. La seule action significative précédente remonte à l’an 2000 : une grève de neuf jours pour l’application de l’accord sur les 35 heures, de la convention collective et du droit du travail. Cette grève-là, menée par FO, s’est soldée par la satisfaction des revendications avancées.
La région du Léon est davantage habituée aux mouvements d’agriculteurs qu’à ceux des ouvriers. Les paysans sont très déterminés et leurs actions souvent violentes. Elles unissent petits et grands exploitants. Les agriculteurs sont la véritable force économique de la région. Ils sont organisés en coopératives agricoles. Les agriculteurs n’ont généralement pas vu d’un bon œil le conflit de la CBA, uniquement soucieux que le cycle de transformation de leurs produits ne soit pas interrompu. De plus, plusieurs travailleurs de la CBA sont issues du milieu agricole, rendant leur position dans la lutte encore plus difficile à tenir. Ce contexte ne favorise certainement pas l’expression des intérêts économiques et politiques des travailleurs salariés. Mais l’expérience à la CBA démontre que, même ici, on peut se battre et obtenir gain de cause.
Une assemblée de prolétaires
Il n’y a pas eu de création, au cours de ce combat défensif, d’un comité de grève formalisé. Et encore moins d’un comité politique des travailleurs révolutionnaires. En revanche, l’assemblée s’est tenue tous les matins sur les parkings de la CBA. L’ouverture d’esprit que cette assemblée a rendue possible s’est notamment manifestée par l’unité avec des militants révolutionnaires extérieurs à l’entreprise. Ceux-ci ont contribué à renforcer la lutte et ses motivations. Des membres du Comité de chômeurs et militants ouvriers extérieurs à l’entreprise ont amené leur expérience. Les chômeurs estimaient que leur vrai combat se fait aux côtés des salariés en lutte, à l’instar de ceux de la CBA. Ils ont défendu la mise en place d’une caisse de soutien gérée par les grévistes et de banquets. Ils ont participé activement à la rédaction et à la diffusion de communiqués et de tracts et au blocage de la production. Ils ont œuvré à la participation directe des grévistes aux négociations. Une véritable union entre les chômeurs et les salariés s’est construite pendant la grève.
Le vote à main levée et rien d’autre
Dés le premier jour, les grévistes ont imposé la méthode de prise de décision à la main levée. Méthode qu’ils ont gardé jusqu’au bout de la lutte. Elle a été l’expression la plus appropriée des aspirations et de la volonté des grévistes.
La tentative de la CFDT d’instaurer un vote à bulletins secrets, auquel participeraient tous les salariés, a été repoussée par les grévistes de manière très claire et ferme. Cela a grandement influé sur la dynamique même du mouvement. Les grévistes ont ainsi affirmé qu’ils étaient l’élément moteur et souverain de leur propre action. Ils l’ont confirmé à plusieurs reprises au travers de déclarations en assemblée ou dans des communiqués de presse, notamment ceux émanant des anciens adhérents à la CFDT en rupture avec leur centrale syndicale. Ces derniers ont pris leur lutte en main en dénonçant leur confédération et en déchirant leur carte.
On a entendu de la bouche des travailleurs en grève des propos qui sont sans ambiguïté et qui vont clairement dans le sens de l’auto-organisation :
Prises de parole et représentants syndicaux
C’est principalement le délégué départemental de FO et un élu du même syndicat qui ont pris la parole aux assemblées générales tout au long de la grève. Le délégué départemental s’est imposé en leader visible du mouvement. Les grévistes, souvent intimidés et peu habitués aux prises de parole, ont eu du mal à franchir le pas. Ils ne se sont jamais exprimés devant l’assemblée. L’emploi du micro par le délégué départemental lui a permis de garder le monopole des interventions et a pénalisé la prise de parole des ouvriers. Le micro devient le symbole du statut de leader. Le camion de la sono permettra aussi à FO de prendre la tête des cortèges et l’initiative dans les actions extérieures.
Les élus les plus proches des travailleurs en grève, parfois en rupture avec les syndicats auxquels ils adhèrent, ont peu eu accès à l’estrade mais leurs rares interventions se sont avérées déterminantes. Au terme de la deuxième semaine, la glace a commencé à fondre, avec des travailleurs qui ont commencé à s’exprimer de manière plus vive et spontanée. Il y a eu une abondance de discussions informelles. Les échanges ont notamment porté sur les difficultés d’organisation et le durcissement de la grève. FO s’est vue contrainte de composer avec leurs forces et leurs montées en puissance.