mondialisme.org
Accueil du site > Ni patrie ni frontières > Worker’s Liberty > Les « différences culturelles » peuvent-elles excuser le sexisme (...)

Les « différences culturelles » peuvent-elles excuser le sexisme ?

jeudi 28 juillet 2005

Janine Booth (Alliance for Workers Liberty)

Au cours du forum annuel de discussions (« Ideas for Freedom », « Des Idées pour la Liberté ») organisé par l’Alliance for Workers Liberty les 9 et 10 juillet derniers, l’un des débats a porté sur « La gauche* et le relativisme culturel ». Nous présentons ci-dessous un résumé de l’intervention de Janine Booth établi à partir de notes. Malgré le caractère un peu elliptique de ce texte sur certains points, il nous semble important de le faire connaître, étant donné l’essor du multiculturalisme en France, à gauche comme à droite, comme en témoignent notamment le mouvement autour de l’Appel des indigènes de la République ou les propositions de Sarkozy en matière de « discrimination positive ». (Ni patrie ni frontières.)

L’AWL est une organisation socialiste*. Nous faisons partie de « la gauche ». Cela signifie que nous soutenons inconditionnellement les droits, les libertés et l’égalité des femmes. De même, nous combattons fermement toute forme de racisme et d’homophobie. Pour nous, ces idées et ces principes de base sont clairs et évidents : pas de socialisme sans libération des êtres humains, pas de libération sans socialisme. Nous combattons l’oppression et le fanatisme religieux d’où qu’ils viennent. Pour d’autres individus ou groupes de « gauche », les choses ne sont pas aussi simples. En effet, ils usent de faux-fuyants quand l’oppression se manifeste au sein d’« autres cultures ». Je prendrai quelques exemples :

- Une femme sikh a récemment écrit une pièce de théâtre (Behzti, Déshonneur) sur la question du viol et de « l’honneur » dans la communauté sikh. Un mouvement de protestation s’est organisé contre cette pièce, exigeant son interdiction pour « blasphème ». Le directeur du théâtre de Birmingham a cédé sous la pression et déprogrammé Behzti. Un conseiller municipal travailliste local a même condamné cette œuvre parce que, selon lui, elle ne respectait pas les convictions religieuses des sikhs.

- En 2001, Bob Pitt, un militant qui se prétend socialiste, a condamné dans Weekly Worker, l’hebdomadaire du Parti communiste britannique, la prétendue « arrogance raciste » de ceux qui refusaient de défendre les talibans parce que ce mouvement n’était pas progressiste !

- Le même Bob Pitt a créé un site de surveillance de l’islamophobie (Islamophobia Watch). Ce site particulièrement sinistre recense toutes les critiques adressées à l’islam ou aux dirigeants musulmans - y compris celles dénonçant des actes incontestablement sexistes, homophobes ou antisémites. Bob Pitt range pêle-mêle toutes ces critiques sous la rubrique « islamophobie » et ne fait aucun effort pour esquisser la moindre explication. L’Alliance for Workers Liberty et Peter Tatchell (du groupe Outrage !) partagent le grand honneur d’être considérés comme « islamophobes » par ce site web.

- Ken Livingstone, maire travailliste de Londres, a invité officiellement Youssouf al- Qaradawi à Londres en juillet 2004. Le même al-Qaradawi soutient la « circoncision féminine », c’est-à-dire l’excision, qui est une mutilation du corps féminin ; il pense que les maris doivent frapper leurs femmes pour les « mettre en garde » contre toute « désobéissance » si d’autres moyens n’ont pas été efficaces ; et il considère que les maris doivent obliger leurs épouses à se voiler. Outrage ! (créé en mai 1970 après l’assassinat d’un acteur homosexuel, ce groupe pratique l’action directe et rassemble des militants homosexuels, lesbiennes et bisexuels) a confectionné tout un dossier notamment sur ce sujet. Ceux qui se sont opposés à l’invitation de Qaradawi par le maire de Londres ont évidemment été dénoncés comme « islamophobes ».

- La coalition Respect (créée par le Socialist Workers Party, trotskyste, et d’autres forces comme la MAB, Muslim Association of Britain, proche des Frères musulmans) nous demande de voter pour des candidats hostiles à l’avortement et qui ont des conceptions sexistes sur le rôle social des femmes.

En même temps - et les deux phénomènes sont liés - le mouvement féministe a pratiquement disparu en Grande-Bretagne. Et pourtant il nous fait cruellement défaut :
- de grandes différences de salaires subsistent entre hommes et femmes,
- la division du travail selon les genres continue,
- la violence domestique perdure,
- le droit à l’avortement est remis en cause,
- les tâches ménagères et l’éducation des enfants ne sont pas équitablement réparties entre les parents ;
- les structures concernant la petite enfance (crèches, etc.) manquent tragiquement de moyens,
- les femmes enceintes et les mères sont victimes de discriminations dans le travail,
- les femmes sont surexploitées dans les ateliers clandestins,
- les femmes souffrent davantage des attaques gouvernementales et patronales contre les droits des travailleurs : bas salaires, licenciements, privatisations ou remises en cause des retraites, etc. Face à cette situation, la gauche et le mouvement ouvrier devraient en principe tenter de reconstruire un mouvement des femmes - ce qu’ils ne font pas. Par contre, certains groupes de gauche nous ordonnent de nous taire quand nous nous opposons au sexisme pour de « mauvaises raisons ».

Quelle est l’origine de cette attitude ?

Pour comprendre la situation actuelle, il faut remonter à plus d’une vingtaine d’années en arrière, et souligner la convergence entre plusieurs phénomènes d’origine diverse, dont le rôle du SWP ne constitue qu’un des éléments.

1) Dans les années 70, le mouvement féministe, qui était puissant à l’époque, a politisé beaucoup de femmes et modifié les comportements de beaucoup d’hommes. Ce mouvement s’est divisé entre d’un côté les « féministes socialistes » et de l’autre les « féministes radicales ». Ce sont malheureusement les féministes radicales qui ont gagné ce combat politique et leurs positions sont devenues hégémoniques. A la suite de cela, les travailleuses se sont désintéressées du mouvement féministe et celui-ci s’est effondré. Une nouvelle idéologie politique est apparue, que l’on peut grosso modo résumer ainsi : seuls ceux (ou celles) qui ont directement l’expérience d’une forme particulière d’oppression ont le droit d’exprimer une opinion à ce sujet. Conséquence : il est devenu pratiquement impossible de critiquer les positions politiques de certaines catégories de la population, et de certains peuples.

2) Au début des années 80, des militants travaillistes de gauche élus dans des conseils municipaux se sont trouvés en opposition avec le gouvernement conservateur qui voulait diminuer leurs ressources financières.

- D’abord ils prétendirent qu’ils allaient défier les conservateurs, puis ils firent marche arrière.
- Ils essayèrent de maintenir une image de « gauche » en mettant en avant des revendications concernant l’égalité. Cette démarche aurait pu être positive si elle n’avait pas eu pour objectif de remplacer une politique de classe militante par des revendications plus limitées, et non à lui servir de complément.
- Ils mirent en place une bureaucratie, des spécialistes municipaux des questions de l’égalité, experts dont les avis ne pouvaient évidemment pas être remis en cause.
- Ils défendirent l’idée d’une « coalition arc-en-ciel », rassemblant séparément des communautés opprimées, plutôt qu’un mouvement ouvrier qui s’opposerait à l’oppression et unirait ceux qui la subissent.

3) Pendant ce temps, dans les milieux intellectuels et universitaires, le postmodernisme prit son essor. Cette idéologie combattait (et combat encore) l’idée qu’il puisse exister des droits ou des concepts universels, et soutenait que, les cultures étant essentiellement différentes, on ne pouvait leur appliquer les mêmes valeurs. Parallèlement, le mouvement du « politiquement correct » dans les universités américaines affirmait que les structures du langage étaient plus importantes que celles de l’oppression. Ce mouvement nia, lui aussi, le droit d’analyser de façon critique les opinions émises par les membres de communautés opprimées.

4) L’essor de la religion. Dans les années 80, l’ère de Reagan et Thatcher, ces deux dirigeants politiques prétendirent agir au nom de Dieu et bénéficièrent de l’appui de la droite chrétienne. Les courants fondamentalistes grandirent dans les différentes religions, souvent dans des parties du monde où les individus se sentaient abandonnés par le capitalisme séculier. Bien sûr, il existe des différences entre les religions, et, au sein de chacune d’elles, on trouve des courants plus libéraux ou conservateurs que d’autres, etc. Mais le fondamentalisme religieux a pris de l’importance, en même temps que des mouvements politiques qui voulaient imposer la religion sur la scène politique et dans les affaires publiques.

En 1989, des femmes ont donc créé le groupe Women Against Fundamentalism (WAF, Les Femmes contre le fondamentalisme) car elles voulaient dénoncer ce nouveau danger qui menaçait les droits des femmes.

Comme l’écrit WAF : « Lorsque nous parlons de fondamentalisme, nous ne visons pas les pratiques religieuses qui, pour nous, relèvent plutôt d’un choix individuel, mais nous visons des mouvements politiques modernes qui considèrent la religion comme un outil pour prendre le pouvoir, ou consolider leur domination et étendre le contrôle social (…) Le contrôle de l’esprit et du corps des femmes se trouve au centre de tous les projets fondamentalistes. » L’une des premières campagnes menées par WAF - contre le droit d’une école publique non religieuse de changer de statut, d’être subventionnée par l’État (conformément à une loi votée par les conservateurs) et de devenir une école sikh - se termina par un succès parce qu’elle mobilisa des jeunes filles sikhs qui avaient parfaitement compris que l’adoption d’un nouveau statut religieux par leur école limiterait leurs libertés individuelles et leurs choix en matière d’éducation. Ces jeunes filles, tout comme WAF, furent bien sûr condamnées comme « racistes » par certains dirigeants de la communauté sikh.

5) Le multiculturalisme, pour la plupart des travailleurs, apparaît comme une idée plutôt positive puisqu’il vise à unir et mélanger des personnes dont les origines ethniques et culturelles sont différentes. Mais comme WAF et d’autres groupes l’ont souligné, il existe une forme plus pernicieuse de multiculturalisme, qui fait pleinement partie de l’idéologie dominante :
- ce multiculturalisme-là valorise les différences, et non l’unité entre les opprimés,
- il présente les communautés comme totalement homogènes,
- il souligne l’importance des « traditions » et de la religion,
- il permet à des « dirigeants communautaires » non élus (généralement des individus conservateurs ou des partisans du patriarcat) de parler au nom de toute leur communauté,
- il renforce la position de ces mêmes partisans du patriarcat en leur donnant du pouvoir, de l’autorité, des ressources financières. Il accroît leur pouvoir contre ceux, au sein de chaque communauté, qui défendent des positions féministes, ou bien laïques, ou même contre ceux qui veulent seulement conserver leurs libertés individuelles, c’est-à-dire par exemple choisir leur tenue vestimentaire ou la personne avec laquelle ils souhaitent se marier.

En 1994, Taslima Nasreen, féministe du Bengladesh, a reçu des menaces de mort et une fatwa a été lancée contre elle parce qu’elle critiquait l’islam. L’AWL l’a invitée en Angleterre pour une tournée de conférences. Au cours d’une interview, elle a nous déclaré : « Les femmes continuent à être persécutées au nom de la tradition. Les féministes des pays occidentaux doivent apprendre à faire preuve d’esprit critique face aux traditions de l’Asie et de l’Afrique. J’ai entendu des femmes occidentales déclarer que nous devrions suivre nos traditions. Pour ma part, j’aime la nourriture et les vêtements de mon pays, et je veux donc les conserver. Mais pourquoi accepterais-je aussi les traditions d’oppression de mon pays ? Pourquoi devrais-je accepter une société qui oblige les femmes à porter le voile et permet aux hommes de les dominer ? »

6) A l’échelle internationale, s’est développée une idéologie politique qui considère que la ligne de fracture essentielle ne passe pas entre les classes, mais entre « l’impérialisme » et l’« anti-impérialisme ». Si l’on adopte ce point de vue, toute personne qui lutte contre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne défend une cause juste et doit être soutenue, même lorsqu’il s’agit de mouvements ou de régimes comme les talibans qui violent les droits des femmes (ou ceux des travailleurs, ou les droits démocratiques, ou ceux des minorités nationales, ethniques ou religieuses).

7) Pour finir, la conception du SWP britannique à propos de la « construction du Parti » repose sur l’idée qu’il serait plus important d’attirer le maximum de personnes au sein de l’organisation que de faire de la politique. Cela conduit ce groupe à penser qu’il y aurait plus de recrues potentielles pour eux chez les partisans de l’islam politique que chez les féministes.

Je viens d’énumérer sept phénomènes différents : qu’ont-ils en commun ?
- L’abandon de la défense des droits des femmes,
- Le renoncement aux droits humains universels,
- mais aussi l’abandon de toute politique de classe. Ce n’est pas un hasard si cette évolution a pris forme dans une période de défaites du mouvement ouvrier.

Pourquoi cette politique est-elle erronée ?

Ce n’est pas faire preuve de racisme que de s’opposer au sexisme à l’intérieur de telle ou telle communauté ou minorité ethnique. Bien au contraire : il est raciste de suggérer que les femmes et les jeunes filles d’une communauté déterminée devraient supporter le sexisme ou bien se débrouiller toutes seules.

Nous n’opposons pas le féminisme à l’antiracisme. Nous ne considérons pas non plus que l’oppression des femmes serait plus importante que celle des minorités ethniques, ou vice versa. Pour nous l’essentiel est de ne pas fermer les yeux devant l’oppression des femmes appartenant aux minorités ethniques. Ceux qui prônent le « relativisme culturel » disent en quelque sorte aux femmes : « Ne vous opposez pas aux pratiques sexistes, sinon vous trahirez l’unité de votre communauté et/ou la lutte anti-impérialiste. » Curieusement, les Occidentaux de gauche qui avancent ce type de raisonnement ne l’accepteraient jamais pour eux-mêmes.

En effet, la culture britannique a des composantes fortement sexistes, est-ce que nous les acceptons parce qu’elles appartiennent à « notre » culture ? Non !

Prenons quelques exemples pour illustrer l’absurdité de cette démarche, si elle était appliquée à la Grande-Bretagne :
- les bas salaires : « C’est une pratique normale, une tradition britannique. »
- la violence domestique : « Elle fait partie de nos coutumes. »
- le travail domestique : « C’est à la femme de s’en charger, comme le dit la Bible. »
- « La pub de Nestlé pour sa nouvelle barre chocolatée "Yorkie, c’est pas pour les nanas", c’est seulement un truc culturel », etc.

Si un groupe politique de gauche défendait ce genre de discours, aucune femme ne le suivrait. Pourquoi donc devrions-nous accepter ce type de raisonnement vis-à-vis de femmes d’autres cultures ?

- « Nous ne défendons pas la « culture britannique, mais celle des groupes opprimés », répondront nos détracteurs. C’est ainsi que Socialist Worker, hebdomadaire du Socialist Workers Party, affirme : « Notre défense des musulmans ne laisse place à aucune équivoque. » Mais, dans ce cas, pourquoi leur défense des droits des femmes est-elle si équivoque ?

- « Vous refusez donc de soutenir les communautés qui sont discriminées à cause de leur religion ou de leur appartenance ethnique ? » Non, nous les soutenons, bien sûr, mais en n’oubliant pas pour autant que ces communautés ne sont pas homogènes : elles connaissent des conflits et des contradictions internes, entre traditionnalistes et progressistes, conservateurs et révolutionnaires, patrons et ouvriers, bigots et laïques, etc. Dans le cadre de ces conflits, nous ne sommes pas neutres. Nous soutenons par exemple les femmes qui refusent de porter le hijab lorsque des partisans du patriarcat veulent le leur imposer.

- « Mais vous oubliez que le racisme est très répandu, et qu’il existe une propagande anti-musulmane. En fait, lorsque vous critiquez certaines pratiques culturelles (notamment celles des musulmans) vous faites le jeu des racistes. »

Certes, il existe des préjugés anti-musulmans particulièrement puissants, et cela a abouti par exemple à des agressions physiques, suite aux attentats du 11 septembre ou à d’autres attentats. Mais ces agressions ne viennent pas de militants qui luttent contre le racisme et le sexisme. Elles sont perpétrées par des groupes, ou des individus, opposés aux droits des femmes, et qui défendent des idées réactionnaires sur les questions religieuses et ethniques. Il faut prendre le problème exactement à l’envers : c’est parce que l’on ne s’oppose pas suffisamment à ce qui est inacceptable dans ces communautés que les actions des racistes et des fanatiques d’autres religions peuvent avoir lieu.

- « Mais les comportements culturels de certaines communautés n’expriment-ils pas une réaction contre l’oppression impérialiste ? » Non, ce n’est absolument pas vrai. Le sexisme est une pratique et une idéologie très anciennes. Les coutumes oppressives que nous dénonçons sont bien antérieures à la « guerre contre la terreur », à l’impérialisme et même au capitalisme. Nous pouvons comprendre que certaines personnes se tournent vers d’anciennes coutumes (par exemple que des femmes musulmanes décident de porter le hijab) pour manifester leur opposition à l’impérialisme et à l’oppression. Mais leur attitude est-elle politiquement juste pour autant ? Non.

Les êtres humains « réagissent à l’oppression » de toutes sortes de façons, certaines positives, d’autres négatives. Même si nous reconnaissons que certains comportements expriment une réaction contre telle ou telle oppression, cela ne doit pas nous empêcher d’exprimer fermement notre opinion à ce sujet. La gauche a pris de mauvaises habitudes : elle sait généralement contre quoi elle lutte, mais beaucoup moins pour quoi elle se bat ; c’est pourquoi ses mots d’ordre sont souvent « Arrêtons ceci », « Supprimons cela ». Donc, si un mouvement prétend être contre l’impérialisme, le capitalisme, le racisme ou contre Blair, certains groupes de gauche affirment automatiquement que les positions de ce mouvement sont justes et qu’il est inutile de s’interroger sur les propositions positives qu’il avance. Avec ce type d’attitude, la gauche en vient à oublier qu’elle est contre le sexisme ! Lorsque des ouvriers blancs votent pour le British National Party (parti d’extrême droite britannique) ils réagissent sans doute contre leur oppression : ils vivent dans des quartiers pauvres, où le chômage domine, où les services publics sont lamentables, etc. Nous pouvons comprendre leur réaction, mais cela ne nous empêche nullement de la condamner fermement. La gauche qui défend le « relativisme culturel » se montre beaucoup moins compréhensive vis-à-vis de la classe ouvrière blanche que des communautés musulmanes, par exemple. Enfin, il existe de nombreux points communs entre les positions idéologiques de cette gauche, et celles de Blair et des cercles dirigeants britanniques.

Les militants de gauche s’indigneront en entendant ce genre de critiques : ne défendent-ils pas des positions opposées au gouvernement en ce qui concerne la guerre, l’immigration, le droit d’asile, l’impérialisme, etc. ? Pourtant, si l’on prend le temps de réfléchir, la gauche et la droite ont de nombreux points communs, notamment leur attitude molle vis-à-vis de l’autoritarisme religieux. Mais les convergences ne s’arrêtent pas là, car la gauche accepte les projets multiculturalistes de la bourgeoisie et que, dans une certaine mesure, l’antiracisme de la gauche n’est qu’un multiculturalisme bourgeois repeint en rouge.

Que devons-nous faire ?

Tout d’abord appeler les choses par leur nom. Certaines pratiques ne sont pas « culturelles », elles sont purement et simplement sexistes. Comme l’explique Taslima Nasreen : « Dans certaines régions d’Afrique, la tradition veut que l’on excise les femmes. S’agit-il d’une tradition ? Il faut appeler cette coutume par son véritable nom : il s’agit d’une forme de torture ! »

Revenir à une politique de classe

Comme je l’ai expliqué auparavant, le « relativisme culturel » est apparu comme une solution alternative face à une politique fondée sur les luttes de la classe ouvrière. Nos combats contre les différentes formes d’oppression, les fanatismes religieux, les discriminations font partie intégrante de notre lutte pour l’auto-émancipation de la classe ouvrière, pour le socialisme. Pour atteindre le socialisme, la classe ouvrière doit être unie, et il existe une puissante tendance vers l’unité et contre le fanatisme religieux. Bien sûr, cela ne signifie pas que le fanatisme religieux ne sévit pas dans la classe ouvrière ni même au sein du mouvement ouvrier organisé, syndical ou politique. Bien sûr, il touche aussi ces milieux. Mais c’est l’intérêt de la classe ouvrière de se montrer solidaire, de vaincre et dépasser ces divisions.

Le communautarisme, lui, pousse dans la direction opposée, il sépare et divise les êtres humains. L’idée que chaque communauté ou chaque pays devrait bénéficier de droits ou de critères différents empêche de construire le mouvement ouvrier multi-ethnique, internationaliste et antisexiste dont nous avons besoin.

Comprendre ET condamner

Le dirigeant conservateur John Major a un jour déclaré, à propos de la criminalité, qu’il fallait « comprendre un peu moins et condamner un peu plus ». On se demande comment une intelligence plus limitée de la réalité pourrait avoir la moindre utilité ou efficacité politique ! La gauche multiculturaliste reprend en quelque sorte à son compte le mode de raisonnement de John Major car elle se sert de critères d’appréciation doubles :
- quand des ouvriers blancs votent pour le British National party, elle condamne mais ne comprend pas,
- quand des groupes religieux soutiennent des pratiques sexistes, elle comprend mais ne condamne pas.

Nous sommes opposés à la nouvelle loi contre l’« incitation à la haine religieuse ». Bien sûr, nous condamnons la haine et les discriminations contre tout individu et tout groupe à cause de ses convictions et de son identité. Mais, contrairement à ce que prétendent ses partisans, cette loi ne fera qu’encourager les groupes religieux à faire taire leurs critiques et leurs dissidents au sein de leurs communautés. Par exemple, si cette loi avait été adoptée, ceux qui ont protesté contre la pièce Behzti, dont j’ai parlé au début de mon intervention, auraient pu porter plainte - à condition que le directeur du théâtre ait au moins eu le courage de présenter cette œuvre au public, bien sûr. Nous avons besoin d’un nouveau mouvement féministe et pour cela nous devons tirer les leçons des erreurs et des échecs passés. Il nous faut défendre le droit à l’avortement, qui sera bientôt mis en cause par le gouvernement, mais aussi combattre pour tous les droits des femmes travailleuses (notamment contre l’inégalité des salaires).

Et surtout nous devons rester fermes sur nos positions et n’accepter aucun compromis sur la question des droits des femmes.

Janine Booth

* En anglais le mot Left désigne tantôt la gauche parlementaire, tantôt la gauche et l’extrême gauche. Nous avons délibérément gardé le terme très flou (et politiquement désastreux, du moins à nos yeux) de « gauche », d’autant plus qu’il correspond aux positions de l’AWL, groupe trotskyste. De même, nous avons traduit socialists par « socialistes », même si en français on utiliserait le plus souvent le mot « révolutionnaires » dans un contexte similaire (NPNF).