L’enlèvement d’Aldo Moro met une nouvelle fois en lumière l’union sacrée conclue en Italie entre les partis de droite et le Parti communiste italien pour défendre l’ordre bourgeois. Les politiciens de gauche et de droite versent chacun leur petite larme pour le dirigeant de la Démocratie chrétienne et ne trouvent pas de mots assez durs pour condamner les Brigades rouges. Même des groupes qui s’affirment « révolutionnaires » comme Lotta Continua ont cru bon de joindre leur voix à ce concert unanime. En France, le Parti communiste français n’est pas en reste : les dénonciations des Brigades rouges par L’Humanité n’ont rien à envier à celles du Figaro. « L’Italie contre les fauves », titrait L’Humanité du 19 avril qui se flattait du rôle du Parti communiste italien « au premier rang pour la défense de la démocratie ».
C’est en effet sous prétexte de « défendre la démocratie » que le PCI fait front avec la droite pour condamner l’enlèvement d’un homme qui symbolise la corruption, l’affairisme, le cynisme de la Démocratie chrétienne qui gouverne l’Italie depuis trente-trois ans. En réalité, la démocratie est la meilleure forme de gouvernement pour la bourgeoisie, mais c’est aussi une forme de gouvernement que ne peuvent se payer que les bourgeoisies riches dans les périodes de relative prospérité. La démocratie suppose en effet que l’ordre social ne soit pas remis en cause par les classes opprimées, que celles-ci acceptent de cantonner leurs revendications dans les limites acceptables par le système. En échange, la bourgeoisie leur accorde quelques miettes et quelques droits. Mais quand la crise frappe le capitalisme, la démocratie devient de moins en moins possible, car la bourgeoisie, pour maintenir sa domination, doit faire payer cette crise aux travailleurs.
Brusquement plongées dans la misère, certaines catégories de travailleurs sont poussées à rendre coup pour coup à la bourgeoisie sans attendre que l’ensemble du prolétariat soit prêt à renverser le régime. La bourgeoisie peut de moins en moins tolérer les quelques « libertés » qu’elle avait jusque-là concédées aux travailleurs et doit s’engager sur la voie de l’Etat fort et de la répression - processus facilité en Italie par la permanence, de Mussolini à nos jours, de la plupart des lois fascistes et du personnel de l’Etat.
Face à cette situation, la politique des dirigeants du Parti communiste italien est de s’opposer à ceux des travailleurs et des exploités qui refusent d’attendre patiemment que le capitalisme soit de nouveau dans une phase d’expansion et de prospérité, à justifier la répression qui les frappe et même à participer à cette répression. Ainsi a-t-on vu le Parti communiste italien et les syndicats qui refusent d’organiser des grèves contre l’austérité, lancer une grève générale contre les Brigades rouges, annoncer l’exclusion des syndicats des travailleurs qui refusent de condamner le terrorisme ou même ceux qui rejettent dos à dos l’Etat bourgeois et les « brigadistes ».
La logique de cette politique conduit d’ailleurs le Parti communiste italien à appuyer des lois qui renforcent encore les pouvoirs de la police et par conséquent représentent un danger pour les droits d’organisation et d’expression dont disposent les travailleurs : il ne fait aucun doute que les lois votées aujourd’hui contre les terroristes seront demain appliquées contre les militants ouvriers, y compris contre les membres du Parti communiste italien…
Le développement de la crise du capitalisme ne peut en effet à terme aboutir qu’à une dictature plus ouverte de la bourgeoisie, sous une forme ou une autre, ou au renversement de l’Etat capitaliste par la classe ouvrière. En s’opposant à ceux qui se révoltent contre l’ordre capitaliste, le Parti communiste italien favorise le renforcement de la dictature bourgeoise. Malgré tous ses efforts pour concilier les intérêts de la classe ouvrière et ceux de la bourgeoisie, le Parti communiste italien est impuissant à juguler la lutte de classe qui est une conséquence de la crise et les manifestations de révolte les plus violentes contre le système. La guerre privée que mènent les Brigades rouges contre l’Etat est certes une voie sans issue car une petite minorité ne peut remplacer l’action consciente de millions de travailleurs. Mais elle est un des symptômes de la crise et de la violence des contradictions du régime capitaliste. La trahison ouverte du Parti communiste italien et l’attitude des groupes d’extrême gauche qui lui emboîtent le pas contribuent d’ailleurs à pousser de jeunes révoltés privés de toute perspective sur la voie du terrorisme. Le capitalisme connaîtra inévitablement bien d’autres affrontements violents avant de s’effondrer sous les coups de la classe ouvrière. Ceux qui condamnent la violence des opprimés et des révoltés se font les complices de la violence que l’Etat et le patronat exercent quotidiennement contre les travailleurs dans tous les pays du monde.
Face à la campagne de presse qui raconte les plus basses calomnies, les pires mensonges, il nous faut expliquer que, malgré les désaccords profonds qui nous séparent de ces camarades, nous ne marchanderons jamais notre solidarité face à la répression qui les frappe. Nous ne hurlerons jamais avec les loups, car nous n’avons aucune illusion sur les démocrates bourgeois et leurs sentiments humanitaires.
La démocratie bourgeoise que ces messieurs défendent a le hideux visage des mercenaires de l’impérialisme qui aux quatre coins de la planète assassinent les peuples en lutte contre l’exploitation coloniale ; la démocratie bourgeoise a le hideux visage de tous les patrons qui condamnent à mort tous les jours leurs ouvriers qui viennent risquer leur peau dans leurs usines, leurs mines et leurs chantiers ; la démocratie bourgeoise a le hideux visage de tous ces flics tortionnaires, assassins, que partout l’on décore pour leur zèle à faire régner l’ordre patronal. Alors , quel que soit le sort d’Aldo Moro, que l’on ne compte pas sur nous pour compatir à ses malheurs.