Extrait de La lettre de Mouvement Communiste Numéro 15 décembre 2004
INTRODUCTION
Il est un thème récurrent dans la vie politique démocratique, c’est celui de la dénonciation du danger fasciste afin de favoriser l’union nationale. Qu’on se souvienne de l’entre deux tours de l’élection présidentielle française de mai 2002 ou de la participation au pouvoir de Joerg Haider en Autriche. Pourtant, en même temps, un autre pays connaissait et connaît encore une extrême droite à 20 % des suffrages aux diverses élections, sans que les antifascistes se déchaînent : c’est l’Italie, où AN (Alleanza Nazionale), le parti de Fini, et les divers mussoliniens maintenus recueillent respectivement 15 et 5 % des suffrages, encadrent certains mouvements de chômeurs napolitains et dont les syndicats participent aux grèves comme à Fiat Melfi, en mai 2004 .
À compter de 1996, directement issue MSI (Movimento Sociale Italiano), parti fasciste reconstitué en 1945, Alleanza Nazionale, sous la direction de Massimo Fini, dauphin de Giorgio Almirante, ancien ministre de la République sociale de Salo et fondateur du même MSI, a commencé une longue mue qui l’a conduite, pèle mêle, à abandonner toute référence idéologique et mythique à Benito Mussolini, à adopter une ligne politique nationale et libérale, à épouser le cadre démocratique et constitutionnel directement issu de la défaite du fascisme au pouvoir, à prôner l’intégration de secteurs importants de l’immigration et, in fine, à participer au gouvernement de Silvio Berlusconi avec une place de choix (Massimo Fini a été récemment promu vice-président du Conseil des ministres). Son secrétaire général est même allé à Jérusalem s’excuser officiellement des crimes commis par le régime fasciste contre les Juifs de la Péninsule et condamner sans appel les lois raciales et antisémites édictées à partir de septembre 1938 par le royaume d’Italie dominé par le Parti national fasciste, sur le modèle de celles déjà en vigueur dans l’Allemagne nazie.
L’abandon presque total de ses références politiques et idéologiques constitutives ne s’est cependant pas faite sans conserver trois piliers du fascisme historique : la primauté de l’Etat national, quelle que soit sa forme constitutionnelle ; la famille hétérosexuelle catholique et un interclassisme travailliste intégral d’où est expurgée (ou, au mieux, tolérée en vue de temps meilleurs) toute notion de conflit social. En somme, la bonne vieille triade Travail, Famille, Patrie. Logiquement, dans son long chemin de mutation, Alleanza Nazionale a perdu quelques morceaux périphériques composés par des fascistes orthodoxes sans, pour autant, abandonner l’encadrement politique et militaire qui caractérisait l’ancien MSI. Restée parti de militants majoritairement fascistes, Alleanza Nazionale ne recule pas face aux coups de poing avec les « rouges », employant, le plus souvent, ses organisations de jeunesse ou les fidèles et nombreuses associations de supporters de clubs de football, dont la plus connue est celle de l’équipe du Lazio de Rome.
Aujourd’hui, c’est au tour du Vlaams Blok (VB) flamand de faire peau neuve. S’agit-il du même phénomène que la version transalpine ? RADIOGRAPHIE DU FASCISME Dans une ancienne brochure de notre mouvement , nous avions indiqué les critères généraux permettant la définition du fascisme accompli. Les revoici :
Il est évident que l’ensemble de ces caractéristiques ne se retrouvent réunies que dans le cadre d’un mouvement fasciste mûr et potentiellement ou réellement victorieux. Une formation fasciste dans sa phase ascendante - c’est le cas actuellement pour le Vlaams Blok et pour Alleanza Nazionale -, en revanche, se définit en rapport à seulement deux des six aspects énoncés plus haut : la négation principielle de toute lutte de classes (même si, parfois, elle est utilisée comme instrument tactique de recrutement ouvrier et/ou de déstabilisation, par le parti fasciste) et la revendication active et pratique du nationalisme au travers de moyens légaux et extralégaux. Cela impose à toute formation fasciste de se doter d’un appareil politique militant et militaire capable d’évoluer à la fois dans le cadre de la démocratie bourgeoise et d’agir de façon indépendante et percutante dans les rues. À cet égard, les modifications de surface ou d’habillage idéologique, quoique parfois profondes, des groupes fascistes n’ont que peu d’incidence dans la définition de leur nature et de leur rôle.
SEISME EN BELGIQUE
Le mardi 9 novembre 2004, c’est le séisme politique en Belgique. Après la condamnation, obtenue en cassation, d’associations proches de lui, le Vlaams Blok est reconnu coupable d’être une organisation raciste. Il est donc considéré, au sens de la loi belge, comme une organisation criminelle. Ce sont le « Centre pour l’égalité des chances », structure para étatique, et la « Ligue flamande des droits de l’homme » qui ont été, il y a quatre ans, à l’origine de la plainte contre le Blok qui a conduit à sa condamnation. Le Blok, créé en 1978 par son leader historique, Karel Dillen, perpétue une vieille tradition nationaliste et fasciste en tant qu’héritier du fameux VNV (Vlaams National Verbond), parti nationaliste, antisémite, collaborationniste et pro-nazi de la Seconde Guerre mondiale, dirigé alors par Staf De Clercq.
Karel Dillen déclarait en 1984 : « Le racisme et le fascisme sont des titres honorifiques » (Le Soir). C’est pourquoi le Vlaams Blok a toujours défendu, en la plaçant au centre de sa politique, la question de l’amnistie pour tous les collaborateurs pro-allemand et la restitution de leurs avoirs. À sa création, le Blok réalisa le modeste score électoral de 2,01 %. Depuis, d’élections en élections, il n’a cessé de progresser pour atteindre, aux régionales de juin 2004, 24 % des voix exprimées. Selon certains sondages, il recueillerait maintenant près de 25 % des intentions de vote. Si tel était réellement le cas, il représenterait le premier parti de Flandre et ce, dans un contexte où le vote est obligatoire.
En ce qui concerne le vote « ouvrier », Jacques Billiet, dans son article : « Qui vote pour le Vlaams Blok ? », notait en 1998 : « On note une probabilité nettement plus élevée de vote pour le Vlaams Blok auprès des peu qualifiés occupant des positions plus vulnérables sur le marché du travail, et le fait de se sentir menacés par les immigrés joue un rôle décisif. » Donc, le Vlaams Blok a progressé chez les travailleurs manuels et les chômeurs. L’âge moyen de ces votants est relativement jeune, la tranche d’âge des 18-24 ans étant largement la mieux représentée.
Il est néanmoins important de souligner que, d’une manière générale, le Vlaams Blok - aujourd’hui Belang - est un parti typiquement attrape-tout. J.Billiet conclut d’ailleurs son article en indiquant : « Ce constat pourrait indiquer que le message nationaliste flamand de ce parti séduit toutes les couches sociales de son électorat » Selon le baromètre politique publié par La Libre Belgique, et RTL-TVI, en novembre 2004, Filip Dewinter, le nouveau leader charismatique du Vlaams Blok, est le deuxième homme le plus populaire en Flandre, juste derrière le Premier ministre libéral Guy Verhofstadt. Malheureusement, la condamnation du Blok pour racisme n’entravera nullement sa progression et son implantation. Bien au contraire. Jouant à fond la carte de la victimisation, le Vlaams Blok en a profité pour toiletter son programme politique. Son auto-dissolution, prononcée le dimanche suivant la sentence, ne l’a pas empêché de renaître immédiatement sous le nom de Vlaams Belang, le 14 novembre.
Après le Blok, c’est « l’intérêt » qui devient flamand (Belang signifiant intérêt). « Mais je redoute l’effet de victimisation du parti que cet arrêt aura auprès de la population en Flandre. Cet arrêt de cassation risque d’avoir un autre effet contre-productif. Le Blok va se contenter de nettoyer son programme et il sera désormais plus difficile, voire impossible, de le condamner. » (B. Brickman, Standaard) R. Van Cauwelaert écrit de son côté, dans Knack : « Ce procès, c’est de la pub pour le Vlaams Blok. »
Même le bourgmestre socialiste d’Anvers, cité par Le Soir, a dû admettre que « les chefs du Vlaams Blok passent pour des martyrs. Ils ont bénéficié d’une incroyable publicité ». Cet instant de lucidité est assez exceptionnel car, d’une manière générale, nous avons assisté à un déluge de propos antifascistes et démocratiques visant à démontrer que c’est par la voie légale et pacifique que le fascisme peut être vaincu, et que la condamnation du Blok coïnciderait avec le début de sa fin. « Cette leçon servira à l’avenir », pronostiquait le représentant du « Centre pour l’égalité des chances », initiateur des plaintes anti-Blok.
Il est vrai que cette leçon a servi essentiellement au Blok dans sa tentative de blanchissement des idées et des formules d’agitation les moins présentables et de re-légitimation politique.
AUX SOURCES DE L’EVOLUTION
Le glissement électoraliste à l’origine de la transformation en Vlaams Belang correspond à la victoire interne de la tendance moderniste plus pragmatique (lire opportuniste). Mussolinienne, elle est représentée par le très charismatique Filip Dewinter, au détriment de la tendance catholique traditionaliste représentée par son principal concurrent, Gerolf Annemans.
Cette division interne entre un courant catholique intégriste et une fraction plus païenne et libre-échangiste, influencée, ici comme ailleurs, par l’apport idéologique de la Nouvelle Droite du philosophe Alain De Benoît, le GRECE et le club de l’Horloge n’est cependant pas une spécificité du Blok, car elle traverse des nombreux partis fascistes actuels. À celle-ci, s’ajoutent les séparations traditionnelles de l’extrême droite, transversales et transnationales elles aussi, entre interventionnistes et libéraux en économie, entre nationalistes étroits (régionalistes et/ou défenseurs des frontières actuelles) et nationalistes paneuropéens, entre populistes et élitistes. Mais, pourquoi pouvons-nous caractériser une telle formation dans sa version nouvelle tout comme dans celle plus ancienne, de fasciste ? Les voici :
Ayant réussi le passage de témoin entre son leader historique et son nouveau chef, le Blok a aujourd’hui la possibilité bien réelle d’accéder aux commandes de l’Etat, tout au moins à ses échelons locaux et régionaux, au travers d’unions explicites avec les autres partis démocratiques flamands (SP-A, VLD, CD&V). Le Blok participe déjà largement à la gestion de l’Etat (dans les communes, les CPAS, les intercommunales d’eau et d’électricité, dans la direction de la BRT) mais, jusqu’ici, cela s’était fait en dehors de tout accord politique avoué avec ses détracteurs démocratiques.
La loi d’interdiction du financement des partis racistes (loi Moureaux) existe depuis 1984. À la chambre, une grosse majorité des partis traditionnels ont voté pour son application au Vlaams Blok. Pour que cette loi soit applicable, il faut qu’elle soit également adoptée au Sénat. Il n’empêche que, récemment, tous les sénateurs, ont « oublié » de mettre à l’ordre du jour de leur assemblée la loi contre le financement des partis antidémocratiques. Même les élus du Vlaams Belang n’en croyaient pas leurs yeux. Le sénateur PS, Philippe Moureaux, a déclaré qu’ils n’étaient pas là uniquement pour le Vlaams Belang.... La loi existe..., mais pas son application ! La stratégie de sortie de crise par le haut avait été planifiée par le Blok, car ce dernier avait préparé certaines modifications de ses statuts et de sa déclaration de principe. Il a notamment remplacé le « Livre orange » de K. Dillen, trop ouvertement fasciste, par des formules plus compatibles avec le cadre légal belge.
Les autres partis démocratiques n’attendaient que ça pour envisager à nouveau des alliances avec un Blok aseptisé, union électoralement nécessaire pour accéder aux commandes de la ville d’Anvers. D’une part, on ne peut pas impunément et indéfiniment se passer, dans le cadre du fonctionnement de ce régime démocratique, du premier parti de Flandre et, d’autre part, le Vlaams Belang, parti dans l’opposition depuis une vingtaine d’années est aussi contraint par une frange importante de son électorat de passer à la vitesse supérieure et de faire ses preuves.
UN NOUVEAU PROGRAMME
Les points programmatiques amendés par le Blok sont, en cela, hautement symboliques et significatifs. Ils touchent quatre questions sensibles.
1) L’immigration
Alors que le Vlaams Blok préconisait des expulsions et le rapatriement général de tous les étrangers extra-européens, le nouveau Blok injecte le critère de la sélectivité, parfaitement soluble dans la pratique anti-immigrée de l’Etat démocratique et anti-fasciste belge (cf. les lois anti-terroristes, les critères d’admission dans l’espace Schengen et le nouveau mandat de recherche européen). « On expulserait seulement ceux qui rejettent, nient et combattent les principes traditionnels européens comme la séparation de l’Eglise et de L’Etat, la démocratie, la liberté d’expression et l’égalité entre les sexes. » (in Le Soir)
Compte tenu de son influence électorale parmi la communauté juive d’Anvers, le Vlaams la caresse dans le sens du poil. Filip Dewinter affirme ainsi : « Qu’un certain nombre de Juifs auraient voté pour son parti, probablement par souci sécuritaire ». « Une distinction nette doit être faite entre d’une part les Juifs anversois, appartenant socialement aux classes moyennes et à la bourgeoisie, qui parlent le néerlandais dans l’espace public, fournissent une importante contribution à la prospérité économique de la ville portuaire et contrôlent strictement leurs jeunes, et d’autre part les minorités turque et marocaine », lesquelles, déclare le Blok, « Ne font pas partie du paysage national » mais sont au contraire « la cause d’à peu près tous les maux et fléaux sociaux qui menacent la population » La religion juive est reconnue par le Blok comme apparentée au christianisme européen, tandis que l’islam « serait totalement étranger » .
2) Le nationalisme et le séparatisme flamand
Si le nationalisme reste la colonne vertébrale du Vlaams Belang, celui-ci ne réclame plus la constitution d’un nouvel Etat « Thiois » . En façade, il renie le vieux mythe fasciste à la faveur de la revendication du renforcement des liens entre les néerlandophones. En revanche, le nouveau Blok maintient son positionnement historique anti royaliste et républicain synthétisé dans le vieux slogan « Crève la Belgique » contrairement aux fascistes francophones pour qui, à l’instar du très marginal et divisé Front National crée par le docteur Féret - le nationalisme wallon étant la propriété quasi exclusive du PS -, il ne restait que la défense de la royauté et de la belgitude (unionisme).
Parallèlement, le Vlaams Belang propose un statut linguistique spécial pour Bruxelles, et ce afin de poursuivre sa stratégie de développement dans l’ensemble du pays et, avant tout, dans la capitale largement francophone. C’est pourquoi le Vlaams Blok a présenté aux dernières élections le candidat bilingue, Johan Demol, ancien commissaire principal de police de Schaerbeek, commune de Bruxelles à très forte concentration d’immigrés.
La lutte anti-francophone, cheval de bataille historique du Blok du temps de Dillen et des partis nationalistes flamands d’avant-guerre (cf. la question des Fourons), se transforme ainsi progressivement en lutte contre l’immigration extra-européenne, fond de commerce partagé par tous les partis fascistes d’Europe. Cette politique de conquête fédérale (la Belgique a désormais adopté une structure étatique fédérale) par la constitution d’une filiale francophone, lui permet également de combler l’espace électoral d’extrême droite laissé vide dans le sud du pays.
Cela se traduit dans le domaine social où le Vlaams Blok veut agir dans la redistribution entre flamands et wallons. Il veut scinder la Sécurité sociale en deux organismes distincts et financés indépendamment l’un de l’autre pour mettre fin à « la soi-disant solidarité avec la Wallonie » qui n’est rien d’autre qu’un « vol organisé » au détriment des Flamands.
Fin de la première partie.