Le réalisateur Theo van Gogh était-il un brave type ? C’est du moins ce que pense Jan Marijnissen, le dirigeant du Parti socialiste néerlandais (ex-maoiste) : pour lui van Gogh était un « gars super » et c’est aussi l’avis du dirigeant écologiste de gauche (du mouvement GroenLinks) Femke Halsema : selon lui, van Gogh « était un provocateur professionnel plein d’humour » « qui n’a jamais renoncé à son engagement » (1). Il avait la « réputation d’être un raciste mais ce n’était pas vrai » et c’était injuste, a déclaré Alex van Veen, rédacteur en chef du journal militant Ravage. Mais de multiples propos tenus par van Gogh au cours de sa vie montrent clairement que le cinéaste était bien un raciste, mais aussi un sexiste et un antisémite.
Déjà dans son premier film Luger (1981) Theo van Gogh, avec un plaisir sadique, mettait en scène un gangster qui introduisait son pistolet dans le vagin d’une femme. Au cours des vingt-trois années suivantes il n’a cessé de tenir des propos méprisants à l’égard des femmes et du feminisme ainsi que des homosexuels qu’il appelait des « truffes baveuses ». « La plupart des femmes, à mes yeux, ne sont que de petits utérus qui parlent. Les femmes ne parlent pas avec leur tête mais avec leur con », écrivit-il. « La maternité est la couronne que doit porter la femme », déclarait-il souvent. Il comparait les intellectuelles féministes à de « petites lèvres vaginales fossilisées », bonnes pour les publications de gauche et féministes. Il détestait toutes les femmes dotées d’un esprit critique : « Les filles de 50 ans aujourd’hui ne sont pas habituées à ce qu’on les critique. Elles sont le produit d’une époque dominée par les exigences des femmes. Personne n’avait le droit de les critiquer, elles avaient toujours moralement raison et maintenant elles se retrouvent toutes seules dans leur lit ». A 47 ans, van Gogh ne cachait pas qu’il préférait les femmes très jeunes car au moins, disait-il, « leurs seins ne pendouillent pas ».
« Certaines femmes aiment les hommes violents »
Durant une discussion sur la violence conjugale il a un jour affirmé que les femmes ne devraient pas casser les pieds aux hommes. « Peut-être certaines femmes sont-elles très attirées par les hommes violents envers elles. » Ce n’est donc certainement pas un quelconque intérêt pour l’émancipation des femmes qui l’a poussé à réaliser le court-métrage Soumission avec la députée du VVD (le parti conservateur-libéral) Ayaan Hirsi Ali. Dans ce film, des citations du Coran sont peintes sur des corps de femmes et il ne fait qu’ajouter une touche supplémentaire à la propagande raciste que diffusait depuis longtemps Theo van Gogh contre l’islam. Dans ses écrits, il n’arrêtait pas de traiter les musulmans de « baiseurs de chèvres », de « maquereaux du prophète » ou de « cireurs de pompes d’Allah ». Selon le cinéaste néerlandais, les musulmans sont « les messagers des ténèbres les plus sombres » et il a toujours affirmé que « l’islam est une religion qui menace nos libertés ».
C’est aussi le message qu’il a fait passer dans sa série télévisée, encensée par les médias aux Pays-Bas, Najib et Julia, une histoire d’amour actuelle, genre Roméo et Juiette, entre un musulman et une non-musulmane. Justus van Oel, qui a écrit le script de ce feuilleton, a déclaré à ce propos : « Pour Theo van Gogh il s’agissait d’une guerre, il en était vraiment persuadé. C’est pourquoi il changé la dernière scène de la série. Je voulais que, à la fin, les mères de Najib et Julia se rencontrent. Qu’elles échangent au moins un regard, qu’elles s’embrassent au moins une fois. Le message pour moi étant que, quelles que soient les circonstances, une femme qui a perdu son enfant peut comprendre une autre femme qui vit la même expérience. C’est comme cela que je voyais la fin de la série parce que je crois vraiment qu’il y aura toujours de l’espoir. Il est possible de construire à l’avenir une Hollande métissée. Nous pouvons vivre ensemble, nous le devons tout simplement. Malgré tout ce qui se passe. Mais Theo van Gogh, bien sûr, refusait que Najib et Julia se termine par une seule manifestation de compréhension interculturelle. A travers cette série il voulait convaincre tous les Néerlandais qu’il est impossible de vivre en paix avec des musulmans convaincus. Theo a souhaité faire Najib et Julia pour des raisons purement idéologiques, pour influencer l’opinion politique de ses concitoyens. Cette série télévisée devait se terminer mal, sur tous les plans, la fin devait être amère et il ne devait y avoir aucun espoir (2). »
« Tiens bon, Rita ! »
Il est donc logique que van Gogh ait été un grand fan du dirigeant populiste et raciste de droite Pim Fortuyn, qu’il appelait toujours ce type « merveilleusement courageux ». Avant sa mort, le réalisateur travaillait sur un projet de film à propos du meurtre de son héros, en collaboration avec l’écrivain de droite et le « spécialiste des complots » Tomas Ross. Van Gogh approuvait totalement la vague d’expulsions organisée par Rita Verdonk. « Rita, ne fléchis pas », l’a-t-il encouragé au moment où la ministre de la Justice devait affronter ceux qui étaient hostiles à l’expulsion de 26 000 réfugiés qui vivent aux Pays-Bas depuis des années.
Theo van Gogh a aussi écrit de nombreux articles antisémites. Dans une nouvelle publiée par Folia, le magazine de l’université d’Amsterdam au début des années 80, il imaginait que l’écrivain juif Leon de Winter jouait le « jeu de l’amour de Treblinka » avec « un morceau de fil de fer barbelé » autour du pénis. Il évoquait aussi ses fantasmes sur « les étoiles jaunes en train de copuler dans les chambres à gaz ». Il contribuait ainsi à répandre un autre mythe antisémite : celui de la prétendue perversité sexuelle des Juifs. Selon van Gogh, dans les chambres à gaz ces pulsions se manifestaient même chez les meilleurs d’entre eux. Il a aussi écrit que l’historien Evelien Gans faisait des « rêves mouillés » en s’imaginant faire l’amour avec le Dr Mengele. Traditionnellement les antisémites ont toujours accusé les juifs d’avoir partie liée avec le diable, dans ce cas Theo van Gogh imaginait que les juifs étaient attirés par l’ignoble « médecin » allemand qui sévissait dans les camps de concentration.
Van Gogh aimait envelopper son antisémitisme dans ce qu’il appelait de l’ « humour ». Par exemple, il a demandé à Sonja Barend - une présentatrice qui terminait toujours ses émissions de télévision par : « Je vous souhaite de vous réveiller demain en pleine forme » - de prononcer cette phrase devant un baraquement de camp de concentration. Il a aussi proposé de faire un film familial optimiste sur l’histoire d’ « une petite fille qui, durant la moitié de la Seconde Guerre mondiale, n’arrêterait pas d’appeler la Gestapo en disant "Viens m’attraper, viens m’attraper, viens m’attraper, mon journal est prêt"… et les nazis n’arrivent pas ». Il a aussi déclaré : « Pourquoi est-ce que ça sent le caramel, aujourd’hui ? Maic c’est parce qu’on est en train de brûler les juifs diabétiques. » Van Gogh prétendait que les juifs se servaient et abusaient de leur passé tragique et il voulait mettre un terme à leurs « pleurnicheries » sur la Shoah. Avec ce type de « plaisanteries » il souhaitait banaliser les camps de concentration. Mais en agissant ainsi il a contribué surtout à nier l’horreur d’Auschwitz (3).
Notes
1. Cette citation montre à quel point les militants de gauche ont essayé de dissimuler les idées d’extrême droite de Theo van Gogh, afin d’éviter d’aborder le contenu de ses écrits et de ses déclarations (Note d’Eric Krebbers pour la traduction française.)
2. « De dood van Theo van Gogh », Justus van Oel. Sur le site personnel de Justus van Oel.
3. 3. « Het pornografisch antisemitisme », Solange Leibovici. Sur le site du magazine Groene Amsterdammer.