Une enquête militante | l’expérience dans les centres d’appels
1) introduction
2) le monde
3) présentation
4) enquête
5) centres d’appels
6) projets
1) introduction
C’est une conférence sur notre tentative à comprendre la crise et la situation de la lutte de classe, sans mouvement militant. Notre point de départ est la colère contre l’exploitation capitaliste et notre résolution de l’abolir et de la remplacer par une société qui s’appuie sur les besoins des gens au lieu des profits.
Je commence avec une courte introduction et une présentation de notre groupe. Je vais expliquer la logique et la conception théorique de notre activité et comment nous les avons utilisées ces dernières années pour comprendre la situation et intervenir dans les centres d’appels et les bureaux industrialisés. Après, je vais parler de résultats de l’enquête.
2) le monde
Quelques mots sur la situation en général :
En ce moment nous voyons une crise fondamentale du capitalisme, une crise avec des visages différentes : la chute de l’Argentine après l’intervention des FMI, la crise en « Russie » après la transition de 1989, la pauvreté et la faim en l’Afrique, l’échec des pays occidentaux à établir un nouvel essor économique à la base d’un saut de la productivité, la chute de l’économie nouvelle, etc.
Le capital cherche de nouvelles possibilités de faire des investissements productifs partout mais c’est de plus en plus difficile. Pour la première fois on a plus de salariés que de paysans dans le monde. Le processus de prolétarisation est un résultat de la recherche du capital à s’étendre mais aussi du désir des gens de participer à la richesse de la société.
Nous pouvons observer des luttes revendiquant des augmentations de salaires et des améliorations des conditions de travail, mais il n’est pas sûr que ce soit une nouvelle vague de luttes qui se généralise. L’insurrection en Argentine, les grèves en Chine, les mobilisations en Espagne et en Italie pourraient être les premiers signes, mais jusqu’à présent elles restent plus ou moins isolées et en partie contrôlées par les syndicats ou les partis politiques.
Le capital, les patrons et les politiciens n’ont pas de solution face à la crise et aux luttes. Ils préparent des guerres militaires pour récupérer l’initiative et le contrôle. Ils craignent les luttes plus grandes et radicales et ils préparent les forces militaire pour les réprimer.
Pour nous il est important de discuter le développement politique. Nous voulons comprendre les tendances différentes dans les luttes et soutenir celles qui mènent à la destruction de l’exploitation capitaliste et à la construction d’une société nouvelle.
Mais comment pouvons-nous trouver ces tendances et ces luttes ? Et nous-mêmes, que pouvons-nous faire pour soutenir les tendances communistes ?
3) présentation de Kolinko
Kolinko est un petit groupe de la région de la Ruhr en Allemagne, une région avec plus de dix villes entre Dortmund et Cologne, une région urbaine connaissant une restructuration industrielle. Le groupe a été fondé il y a cinq ans. Quelques-uns participent aux discussions du groupe Wildcat aussi.
Nous avons utilisé des méthodes différentes pour nos tentatives : les discussions critiques du marxisme, par exemple de Socialisme ou Barbarie dans les années cinquante, la conception de la composition de classe et des enquêtes ouvrière de Quaderni Rossi en Italie dans les années soixante, la critique du léninisme du communisme de gauche, etc.
Quelques personnes de Kolinko ont participé à d’autres tentatives d’enquête, par exemple dans les chantiers avant celle sur les centres d’appel.
Il y a trois ans, Kolinko a publié une brochure exposant des idées qui lui paraissent essentielles. La conclusion de cette brochure est une liste de tâches que nous considérons comme importantes pour comprendre la situation de la lutte de classe dans notre région et ailleurs et des méthodes essentielles pour créer les possibilités d’intervention.
Ces dernières années, nous nous sommes concentrés sur l’enquête dans les centres d’appels et nous avons écrit un livre sur cette expérience et les résultats de l’enquête ont été écrits en allemand et traduits en anglais.
4) enquête
Notre point de départ est le mouvement de la classe des travailleurs qui peut abolir le capitalisme en utilisent les formes réelles des luttes et de l’organisation.
Pour participer au mouvement, nous avons besoin de concepts théoriques et de méthodes pratiques d’analyse et d’intervention.
Je vais tenter de vous expliquer les points fondamentaux et les bases théoriques de cette enquête, c’est-à-dire faite par des travailleurs et avec la participation active des travailleurs. Ce qui en fait une enquête militante et non sociologique.
1. Nous percevons un antagonisme permanent entre la classe des travailleurs et l’organisation capitaliste du travail. Pour nous, la classe des travailleurs est un part du capital – ce n’est pas quelque chose de séparé. La classe des travailleurs produit le capital et c’est pourquoi elle a le pouvoir de le détruire.
C’est un point important pour nous, parce que nous ne voyons pas la lutte de classe comme une lutte manichéenne, c’est-à-dire une lutte entre bons et mauvais, entre exploités et patron, mais comme une lutte contre nous-mêmes, car nous sommes aussi des générateurs de certaines relations sociales. La lutte de classe est pour l’abolition finale de l’ensemble de ces relations sociales
2. Le prolétariat n’est pas un groupe uni mais divisé à travers les professions, les différences entre les secteurs d’activité et les régions, les divisions « racistes » et sexistes. En outre, l’exploitation capitaliste change constamment, avant tout par la lutte de classe. Nous sommes confrontés aux méthodes nouvelles de l’exploitation, de la répression et de l’intégration et nous devons trouver une réponse adéquate.
Nous utilisons le concept de la composition de classe pour comprendre les divisions et les changements. La composition technique décrit des situations différentes au sein de la production capitaliste - les industries, les professions, etc. – tandis que la composition politique expose les formes de la lutte et d’organisation que les travailleurs élaborent sur la base de leurs expériences quotidiennes. C’est un processus : durant les luttes, la composition de classe change constamment.
3. Pour l’abolition du capitalisme, le prolétariat doit surmonter les divisions, le contrôle de l’état, celui des partis et des syndicats. Et cela passe seulement par et durant les luttes. Nous pouvons dire : seulement pendant les luttes, la classe des travailleurs peut se développer. Durant les luttes, la classe des travailleurs se réalise comme un mouvement. La classe des travailleurs n’est pas un groupe sociologique de tous les exploités…comme beaucoup de marxistes orthodoxes la comprennent.
L’émancipation de la classe ouvrière ne dépend pas ni des partis, ni des chefs ou d’une avant-garde, ni de l’injection d’une conscience de classe de l’extérieur. Au lieu de cela, le développement d’un mouvement dépend des luttes elles-mêmes et des expériences des travailleurs.
4. Que devons-nous faire en détail ? Pour nous, c’est l’analyse et la critique permanente de l’exploitation capitaliste et de la lutte pour son abolition. Nous devons comprendre la composition technique et politique de la classe. Notre question est : Est-ce qu’il existe une section du prolétariat qui peut mener les luttes, qui peut servir d’exemple pour les autres prolétaires, en résistant et luttant, qui peut retourner la coopération quotidienne au travail et l’utiliser contre l’exploitation ?
Pour nous, l’enquête, ce n’est pas seulement un moyen d’analyse mais aussi une forme d’intervention. Il est nécessaire d’analyser les situations spécifiques dans les sphères de l’exploitation, les usines, les écoles, les bureaux de l’ANPE, etc. pour comprendre le comportement des travailleurs, les luttes, etc. et la possibilité d’un changement révolutionnaire - dans notre entourage et puis dans le monde.
5. Comment pouvons-nous participer au processus révolutionnaire ? Par exemple :
en participant aux luttes et aux débats des travailleurs ;
en soutenant les tendances communistes des luttes ;
en expliquant la nature capitaliste de l’actuelle technologie qui nous contrôle et qui nous contraint à travailler plus vite.
en discutant le rôle de syndicats qui veulent contrôler les luttes ;
en distribuant des informations sur les luttes et sur les moyens et méthodes efficace pour interrompre le processus d’accumulation.
Comment pouvons-nous utiliser ces concepts ? Notre enquête sur les centres d’appels peut servir d’exemple.
5) les centres d’appels
Nous avons décidé de faire une enquête sur les centres d’appels en 1999. Mais pourquoi les centres d’appels ?
1. En 1998, il y a eu une grève dans les centres d’appels de Citibank à Duisburg en Allemagne. Nous voulions savoir si cette grève était un signe avant-coureur pour de nouvelles luttes nouvelle dans ce secteur d’activité.
2. Beaucoup de centres d’appels se sont ouverts dans la Ruhr en embauchant des milliers des travailleurs.
3. La plupart des travailleurs étaient sans qualification. Ils travaillaient dans des plateaux gigantesques, quelque fois avec des centaines d’autres travailleurs. Nous voulions savoir si il y avait là de bonnes conditions pour des luttes nouvelles.
4. Syndicalistes, politiciens et patrons ont présenté les centres d’appels comme « l’avenir du travail ». On nous a parlé d’un « travail non salissant », nous avions donc décidé de le vérifier.
5. Ces informations provenaient des centres d’appels d’Australie, des Etats Unis, d’Inde et d’Argentine. Nous voulions savoir si ces changements internationaux dans le travail de bureau pourraient produire plusieurs foyers de luttes et se fédérer entre eux.
Pour l’enquête, nous avons fait les choses de la manière suivante :
1. Nous avons rassemblé des informations sur les centres d’appels en utilisant les journaux, des livres, etc. Tout ça pour une vue d’ensemble de la situation.
2. Nous avons commencé des discussions théoriques sur la circulation du capital, l’organisation du travail, la « machine », etc. pour comprendre le rôle des centres d’appels dans le processus d’accumulation et comment les centres d’appels fonctionnent de l’intérieur.
3. Nous-mêmes, nous avons travaillé dans plus de 10 centres d’appels pour créer des relations directes avec les autres travailleurs et pour permettre une intervention dans les conflits et les luttes.
4. Nous avons réalisé des interviews entre nous et avec les autres travailleurs sur le processus de travail, le comportement durant le travail, le sabotage, l’expérience durant les grèves, etc.
Pour nous, les interviews ne sont pas seulement « pour questionner les travailleurs et pour recevoir des informations » mais pour commencer une discussion avec et entre les autres travailleurs, pour développer un critique de la situation ensemble, par exemple contre les divisions racistes, contre l’identification avec le boulot, contre le mythe démocratique.
5. Nous avons contacté d’autre groupes qui font des enquêtes ou organisent quelque chose sur les centres d’appels. Avant tout, nous avons discuté avec un groupe en Angleterre, Undercurrent et un autre groupe en Italie qui ont écrit des tracts et ont traduit notre publications.
6. Nous avons commencé à écrire des tracts sur l’état de la situation et les luttes et nous les avons distribués dans notre région et, par l’intermédiaire d’internet, ailleurs. Et nous avons établi un site internet avec les compte- rendus, les tracts, etc.
Résultats
Nous espérions trouver des luttes intéressantes et la possibilité de nous mêler à ces luttes. J’ai déjà souligné que nous cherchons des luttes parce que, pendant les luttes, les travailleurs pourront surmonter leurs divisions et pourront développer une autre perspective et d’autres espoirs comme celui d’une vie sans travail et sans exploitation.
Nous voulions savoir si les travailleurs dans les centres d’appels pourront prendre l’initiative et mener à bien leurs luttes.
Malheureusement, nous n’avons pas trouvé ce type de luttes dans les centres d’appels. Naturellement, comme dans d’autres lieux de travail, nous avons trouvé le sabotage quotidien, la prolongation des pauses, la colère contre les patrons, la cadence du travail, etc. Mais il y a peu de luttes plus importantes.
Pour expliquer cet état de fait, au début je dois parler de la situation dans les centres d’appels en général :
1. Les centres d’appels ne sont pas un secteur mais une manière de travailler, un certain processus de production… telle que la chaîne de montage. Le travail dans les centres d’appels, c’est le travail avec un téléphone et normalement avec un ordinateur.
2. Les centres d’appels sont une attaque, une remise en cause du travail actuel des employés de bureau.
a) Jusqu’à présent, l’essentiel du travail de bureau laisse le contrôle du processus de travail auprès des travailleurs. Ceux-ci ont souvent une qualification certaine et effectuent un grand nombre de tâches successives. Ça leur donne la possibilité de faire des choses à leur manière.
b) Il y avait d’autres tentatives d’industrialiser le travail de bureau - par exemple, l’entrée des données et la retranscription. Mais durant les années quatre-vingts, les nouvelles technologies des ordinateurs et des téléphones ont permis aux capitalistes de démarrer une nouvelle attaque contre le travail actuel des employés de bureau.
c) La standardisation et la taylorisation du travail de bureau a été établie en grande partie pour déqualifier le travail, pour permettre l’embauche de travailleurs non qualifiés qui gagnent beaucoup moins et plus faciles à remplacer.
d) Dans les départements du tertiaire où la communication et les relations avec les clients étaient très importantes, on a ouvert des centres d’appels. Le travail est été divisé en tâches individuelles pour mieux contrôler les travailleurs et pour les contraindre à travailler plus vite.
e) Les nouvelles machines - standards automatiques, ordinateurs etc. - dictent un rythme de travail que les travailleurs doivent suivre. Tout est fait pour augmenter la productivité capitaliste.
3. Tout ça a mené à la création de nouveaux centres d’appels à l’intérieur des entreprises existantes et à la création des nouvelles entreprises qui organisent le service téléphonique avec les client pour d’autres entreprises.
4. En Europe, c’est environ 1,5 million de travailleurs dans les centres d’appels, aux Etats Unis, le chiffre oscille entre 1 et 5 million, cela dépend de la définition des centres d’appels et c’est difficile de trouver de bonnes statistiques parce que les centres d’appels ne sont pas un secteur clairement défini.
5. Les différences entre les boulots dans les centres d’appels sont énormes : les salaires, les conditions de travail, les qualifications exigées varient. Il y a des centres d’appels avec 400 appels durant 8 heures avec la répétition sans fin des mêmes tâches de travail - par exemple dans la vente par correspondance - mais aussi, des centres d’appels avec jusqu’à 20 appels durant 8 heures et un travail plus qualifié - comme dans quelques boulots d’assistance technique.
6. Normalement la fluctuation est très haute, le travail est ennuyeux ou stressant, le rythme des machines et le stress sont nuisible à la santé.
7. Les travailleurs
a) Pour beaucoup des travailleurs le travail dans les centres d’appels est encore meilleur en comparaison avec des autres jobs non qualifiés : nettoyage, dans les usines, comme vendeuse ou dans les restos rapides. C’est toujours quelque chose de pire.
b) La plupart des travailleurs sont de jeunes, des femmes et ils peuvent parler bien. Plus de la moitié font un travail à temps partiel.
c) En essayant de supporter le rythme stressant du travail ils essaient d’échapper aux appareils de surveillance. Ils ont développé un comportement contre le stress, par exemple quelques fois, ils ne répondent pas aux appels, ils prolongent les pauses et ils utilisent d’autre formes de petit sabotage.
d) Beaucoup de travailleurs ne s’identifient pas à la profession ou à l’entreprise. Ils changent souvet de boulot.
e) Il y avait des grèves comme ceux à la Citibank en Allemagne, en 1998, à British Telecom en Angleterre en 1999, à la Verizon aux Etats Unis en 2000 ou à la Telecom Italia en 2001, mais ils ne sont pas beaucoup.
Donc, pourquoi n’avons-nous pas vu plus de luttes plus importantes ? Je répète :
a) Nous connaissons une période avec peu de luttes, peu de mouvements en général.
b) Les centres d’appels ne sont pas un secteur avec des conditions identiques. Il y a beaucoup de départements et d’entreprises avec des conditions très variées.
c) Les travailleurs changent plutôt de travail. Ils tentent d’éviter la confrontation parce qu’ils ne s’identifient pas à leur travail ou à leur entreprise.
d) C’est pourquoi, il n’y a pas beaucoup de luttes et peu d’organisations syndicales militantes.
Une conclusion provisoire : Les travailleurs des centres d’appels n’ont pas trouvé une forme collective pour lutter sur la base de leur situation spécifique. Mais on sait que les travailleurs des chaînes de montage ont mis une génération entière pour y parvenir.
6) projets
Nous voulons continuer à faire quelque chose sur les centres d’appels. Quelques-uns de notre groupe y travaillent encore. Mais il y a un an, nous nous sommes concentrés aussi à discuter et analyser les autres luttes, par exemple dans les secteurs du nettoyage et de la restauration rapide.
En outre, nous avons trois autres projets :
1. Nous avons organisé des rencontres régulières dans nos villes avec d’autres camarades qui veulent discuter la réalité de la classe, des luttes etc. En ce moment nous discutons par exemple les licenciements et nous voulons organiser des rencontres publiques contre la guerre.
2. Nous participons à des discussions avec d’autres groupes en Allemagne et ailleurs et nous voulons organiser plus de rencontres avec des camarades étrangers sur la crise, le concept des enquêtes, etc.
3. Pour échanger les articles et les compte-rendus des luttes, de la situation au travail etc. et pour commencer à intensifier la discussion sur les enquêtes et les possibilités d’intervention (www.prol-position.net).
C’est pour vous une invitation à y participer.