Se demande un certain Le Furet dans Le Monde libertaire. Je serais tenté de répondre : Les deux, mon général !
Non pour annoncer un développement sur un quelconque fantasme érotico-phallocrato-impie (quoique…) mais pour souligner que, ni dans un cas ni dans l’autre, les révolutionnaires ne doivent souhaiter son interdiction dans l’espace public. Il y a quelques mois, Le Monde libertaire avait d’ailleurs, sous la plume d’un autre militant, bien expliqué que le débat sur le foulard était un débat pipé depuis le début et que même si, en bons athées, les révolutionnaires n’ont aucune sympathie pour la religion, ils n’ont pas non plus de raisons de soutenir les partisans de l’expulsion des jeunes filles « voilées » des établissements scolaires, partisans qui rappelons-le, vont du Front national et de la droite à une partie des féministes (Christine Delphy étant une heureuse exception), en passant par une la gauche et une bonne partie de l’extrême gauche, LO en tête (1).
Si l’on voulait vraiment discuter sérieusement avec les jeunes filles voire avec les pré-adolescentes qui font ce « choix », il faudrait commencer par leur expliquer que le hedjab (le foulard, qui n’est pas un voile) n’a rien de spécifiquement musulman (pas plus que l’excision), qu’il est apparu à une époque de l’histoire de l’islam pour cacher la gorge des femmes (et non leurs cheveux), dans certaines régions et pas dans d’autres, que son usage a progressé, puis reculé, puis de nouveau progressé, mais ne peut en aucun cas être mis par exemple sur le même plan que l’obligation des cinq prières par jour.
D’autre part, il leur faudrait expliquer aux partisans et partisans du hedjab que, même d’un point de vue strictement religieux, leur argumentation en France ne tient pas : les jeunes filles ou femmes prétendent porter le foulard pour complaire à Dieu, mais pas du tout pour éviter le regard « concupiscent » des hommes. Dans ce cas, pourquoi enlèvent-elles ce même foulard lorsqu’elles sont entre femmes ? Dieu disparaît-il quand les femmes se retrouvent entre elles ?
Mais ce discours, ce n’est pas aux athées de le tenir, quoique l’acquisition de quelques connaissances religieuses minimales leur éviterait d’écrire, comme j’ai pu le lire dans un journal gauchiste, que le hedjab allait jusqu’aux cuisses des jeunes filles ! En principe, ce type d’explications devrait être diffusée par les théologiens « réformateurs ». Or ces musulmans-là, les médias leur donnent peu la parole, parce que ces explications ne font ni vendre du papier ni augmenter l’Audimat, qu’elles ne permettent pas de jouer sur la peur et de susciter un soutien acritique aux actions de l’Etat quelles qu’elles soient.
Car, sans mauvais jeu de mots, inutile de se voiler la face : du vote Chirac à la quasi-unanimité contre le port du foulard, on ne sort pas du registre de la manipulation, de l’unité nationale, du mythe laïco-républicain qui gomme les différences de classe.
Et que l’on se range derrière Chirac et son gouvernement, au nom de la compassion pour les femmes musulmanes qui auraient besoin de la répression de l’Etat français pour se libérer, du féminisme, ou bien au nom de la défense de la sacro-sainte laïcité qui serait menacée par les visées conspiratrices des islamistes financés par l’Arabie saoudite, le Pakistan, ou tout autre Etat, ou bien au nom de l’athéisme épicurien ou cartésien lui aussi menacé par la montée des fanatismes religieux, sur le fond cela revient au même. (Y.C.)
1. LO dont la porte-parole compare à la télévision son dévouement militant à celui des bonnes sœurs et dont le dirigeant Robert Barcia compare lui-même ses militants à des « moines soldats ». On peut comprendre le souci pédagogique d’Arlette Laguiller et le sens de l’humour et de la provocation de Hardy, mais on souhaiterait quand même qu’au XXIe siècle des révolutionnaires soient capables d’expliquer leur engagement autrement qu’en faisant référence aux formes les plus obscurantistes et réactionnaires du militantisme…