Contrairement à ce que les médias ont propagé, il n’y a pas eu à proprement parler de « grève Alsthom » mais une série de grèves sur des objectifs distincts (même si la question des salaires restait centrale dans ces conflits dispersés), dans des usines ou ateliers du même groupe, certes, mais constituant autant d’unités économiques autonomes, avec des conditions spécifiques de fabrication, de travail, et de rémunération.
On peut penser, en suivant les mêmes médias, que la grève née spontanément dans une de ces usines du groupe (EGT à Bourogne, près de Belfort), s’est étendue une semaine plus tard, non pas spontanément, mais sur mot d’ordre et contrôle syndical. Et de même, une autre semaine plus tard, dans les mêmes conditions, dans la banlieue de Paris, à Rouen et au Havre. Puis, encore une semaine plus tard, alors que certaines usines en grève reprennent, en ordre dispersé et d’une manière assez sporadique, à de nouvelles usines, Mâcon, Le Creusot, Tarbes, etc. Tout cela étalé pendant plus d’un mois dans une apparente confusion.
A aucun moment, il n’y a eu véritablement unité de lutte entre tous les travailleurs du groupe. Au départ cette lutte était celle d’une seule usine (EGT à Bourogne) et la revendication de salaire (1 500 F mensuels) pouvait paraître susceptible d’entraîner les travailleurs des autres usines dans la même lutte. Mais constater que cela ne s’est produit qu’à retardement et sous des formes très diversifiées, à l’opposé d’une unité, oblige à aller, au-delà des propos critiques habituels sur l’action perverse des syndicats qui prennent le train en marche et qui, pour mieux freiner une extension possible hors de leur contrôle, se font les promoteurs d’une telle extension prudente et planifiée, au-delà aussi des litanies sur un machiavélisme syndical qui aurait lancé la lutte de Bourogne pour démarrer ce scénario de contrôle et de prévention d’une lutte plus importante dont ces encadreurs de la force de travail auraient décelé les germes.
Encore une fois, de tels schémas laissent de côté la dialectique des luttes. Si la lutte avait comporté une tendance unitaire puissante, l’intervention des syndicats aurait dû se situer à un tout autre niveau et, si elle s’était révélée impuissante à contenir cette poussée autonome large, la police se serait chargée de ramener les luttes dans le « droit chemin » du contrôle des syndicats. La division en unités économiques distinctes n’a pas été dépassée Si les syndicats ont pu s’insérer très tôt dans la lutte, imposer non seulement leurs propres perspectives à l’explosion autonome de l’usine de Bourogne et le scénario habituel de « l’extension contrôlée », c’est d’abord parce que la division patronale en unités économiques distinctes n’était pas dépassée et que, dès lors, les syndicats pouvaient effectivement et efficacement utiliser cette structure du capital. C’était aussi parce que les travailleurs de Bourogne, initiateurs de la lutte, étaient d’abord motivés par leur situation particulière dans cette usine, situation qui ne se retrouvait pas dans les autres usines du groupe (de ce point de vue, on peut rapprocher — et y trouver de grandes similitudes — ces grèves à Gec-Alsthom de celles de l’année 1989 dans le groupe PSA — grève limitée à Peugeot Sochaux et Mulhouse — et dans les usines Snecma — le moteur de la grève étant une catégorie d’ouvriers de l’usine de Villaroche.
« Ils firent peur parce qu’imprévisibles »
(commentaire sur la grève de Bourogne)
Pour bien comprendre le déroulement du conflit à partir de son début, il faut considérer la carte de la région de Belfort et celle des implantations Alsthom en France (carte établie le 23 novembre, où les manœuvres syndicales ont réussi à briser la grève dans la région de Belfort ; d’autres usines, non mentionnées en grève à ce moment, connaîtront des débrayages ultérieurement à l’appel des syndicats).
La grève éclate le 24 octobre à Bourogne, à une quinzaine de kilomètres de Belfort. L’usine EGT (European Gaz Turbine) fabrique des turbines à gaz ; c’est l’une des plus prospère du groupe. Elle a été construite récemment et comporte un fort pourcentage de jeunes (moyenne d’âge inférieure à trente ans), ouvriers qualifiés, mais qui malgré leur qualification gagnent moins de 7 000 mensuels en moyenne. La semaine précédente,, la CGT a distribué un tract révélant que l’usine EGT avait réalisé, en 1993/94, 220 millions de profit, soit 280 000 F par ouvrier. On a beaucoup parlé de « l’effet Pechiney » pour expliquer le démarrage du mouvement et la revendication de 1 500 mensuels pour tous. Mais la grève n’éclate à Pechiney Dunkerque que le 25 octobre alors que l’usine de Bourogne est en lutte dès le mardi 24 octobre.
Ce qui est sûr par contre, c’est que la situation des jeunes d’Alsthom — salaires et conditions de travail — est similaire à celle des jeunes ouvriers de Pechiney : travail en continu 7 jours sur 7 (ce qui implique des contraintes importantes sur la vie), professionnels qualifiés embauchés récemment mais avec des paies qu’ils jugent dérisoires eu égard à leurs qualification et aux servitudes du travail en continu. Il n’y a pas bien sûr « d’effet Pechiney », mais seulement une situation similaire qui explique cette explosion aux deux bouts de la France. Y a-t-il eu, comme on a pu le lire, manœuvre syndicale pour déclencher la grève ? A Bourogne, moins de 10% de syndiqués, mais le tract CGT reproduisant des chiffres, s’il n’appelle pas à la grève, peut avoir été un élément de discussion et de polarisation d’un mécontentement ; de même, à Péchiney-Dunkerque, la journée d’action intersyndicale de la chimie peut avoir aussi causé cette polarisation : pourtant, personne n’attendait une telle grève, ni à Dunkerque, ni à Belfort.
Les piquets de grève, premier acte d’expression autonome
Ce mardi 24 octobre, à 5 heures du matin, l’équipe de l’atelier 327, une dizaine d’ouvriers tout au plus, débraie en avançant cette revendication de salaires, les 1 500 F pour tous ; deux heures plus tard, ils sont soixante, puis deux cents pour bloquer les portes d’accès de l’usine ; alors, toute l’usine bascule dans la grève. Aucun de ce noyau d’origine n’est syndiqué, si influence syndicale il y a, c’est une influence indirecte.
Dans la période de lutte qui va suivre, le seul élément qui va continuer à traduire la détermination d’origine, ce seront les piquets de grève, ceux là même qui ont constitué le premier acte d’expression autonome. Ils seront d’ailleurs, et ce n’est pas un hasard, un des derniers éléments d’affrontements avec les leaders syndicaux à la fin de la grève. A Bourogne, il n’y aura pas de comité de grève, seulement les piquets et les assemblées aux portes. Rapidement pourtant, les syndicats vont reprendre les choses en mains .Un syndiqué CGT va devenir le pilier des piquets ; la fonction de ceux-ci n’est pas définie par les ouvriers qui ont lancé la grève mais par les syndicats qui, pour rester à ce stade dans la coulisse, n’en poussent pas moins la radicalité de la lutte vers le « respect » de l’organisation de l’usine. Vers la fin de la grève, on apprendra comment cette reprise en mains s’est effectuée :
« ...De cette non-syndicalisation, ils (les jeunes de Bourogne) tirent presque une légitimité supplémentaire, une marque personnelle. Leurs rapports avec les responsables syndicaux sont toutefois très cordiaux. Ces derniers jouent un peu un rôle de grands frères et de conseillers. Ils tirent avantage de leur expérience pour éviter de faire des “conneries”. Un exemple concret, au début du conflit, a été le maintien des gardiens au poste de garde pour assurer des rondes dans l’usine afin de veiller à ce qu’aucun incident grave ne se produise. Au départ, ils étaient contre, mais le conseil retenu s’est révélé judicieux... » (Le Monde, 19 novembre 1994 ; la dernière phrase soulignée par nous).
Cette précision explique la confusion qui va être entretenue par les syndicats et les médias sur « l’occupation de l’usine » (il en sera de même pour les autres usines de Belfort lorsqu’elle se mettront en grève). En fait, les piquets resteront aux portes ; les gardiens de la direction resteront à leur poste, laissant parfois les grévistes entrer dans l’usine, mais les contrôlant. Parlant des piquets, un journaliste écrira : « Ils nous ont fait visiter leurs ateliers. » L’usine n’est pas occupée, seul l’accès en est interdit aux non-grévistes, à la direction et à tout mouvement de matériel.
La grève ne s’étend pas spontanément. Toute la semaine, il ne se passe rien d’autre à Belfort ; un vote organisé par les grévistes de Bourogne donne 452 sur 600 en faveur de la grève (la filiale EGT du groupe Alsthom comporte d’autres installations hors de Bourogne et compte en tout 1 800 salariés).
L’extension contrôlée de la grève à Belfort
Il faut donc attendre une semaine, jusqu’au mercredi 2 novembre, pour qu’un mot d’ordre de grève lancé par une intersyndicale CGT, CFDT, FO, pour les autres usines Alsthom de Belfort, reprenne la revendication des 1 500 mensuels pour tous. Sans doute le temps de reprendre en mains le noyau dur de Bourogne, de voir si la détermination des grévistes est toujours aussi forte et de voir que, s’ils ne font rien, la grève pourrait peut-être s’étendre en se donnant des moyens d’organisation distincts. Mais l’opération permet surtout de noyer la combativité de Bourogne dans un mouvement plus vaste mais celui-là bien contrôlé : c’est l’intersyndicale qui décide, qui fait tenir les assemblées devant l’une des usines de Belfort, qui organise les manifestations, qui va entamer et poursuivre les pourparlers. Là aussi on va trouver la fiction de « l’occupation » qui en fait se limite à des piquets aux portes de usines.
Les autres usines Alsthom de Belfort ont des fabrications différentes et sont des entités juridiques distinctes entre elles et de celle de Bourogne : Cycles (études de thermodynamique) (environ 110 salariés), Transport (1 216 salariés), DEM (plus de 4 000 salariés) : chacune a sa propre convention collective, adaptée aux différentes fabrications. L’Intersyndicale va, en reprenant la revendication initiale des jeunes de Bourogne, regrouper apparemment dans un seul mouvement plus puissant autour d’une revendication unifiée et dans l’apparence d’une généralisation, des unités distinctes qui seront regroupées dans des manifestations répétées au centre de Belfort, loin des usines et spécialement de Bourogne ; mais chacun retournera dans l’isolement des piquets distincts aux portes de chacune des usines, avec ses problèmes spécifiques, les pourparlers se feront avec des directions distinctes, les votes seront décomptés par usine...
Il n’est pas nécessaire de mentionner tous les artifices habituels déployés pour contenir et éteindre la combativité des ouvriers de l’usine de Bourogne et parvenir à faire accepter à tous bon gré mal gré des accords de reprise qui avant tout seront favorables aux employeurs. Les manifestations de rue, dans leurs diverses variantes, accompagnent et ponctuent l’ouverture de négociations, le tout étant bien en mains des syndicats. Comme nos l’avons déjà souligné, ces négociations ouvertes le 8 novembre se font compagnie par compagnie : comme elles s’avèrent difficiles en raison de la détermination d’une partie des grévistes, patronat et syndicats manient la carotte et le bâton ; finalement un médiateur est désigné, l’astuce habituelle pour laisser croire que les propositions finales seront celles d’un « observateur impartial » ; mais en même temps, la direction attaque sur deux fronts : d’une part, elle fait assigner onze travailleurs devant le tribunal pour faire ordonner la levée des piquets (c’est-à-dire le recours aux « forces de l’ordre ») ; d’autre part, elle va organiser des votes « démocratiques » sur la reprise, qui ne tromperont personne mais qui tendent à faire ressortir et à exploiter une soi-disant division parmi les travailleurs de l’entreprise (chose relativement facile étant donné la forte proportion de cadres et de techniciens dans ce secteur). Un premier vote à EGT-Bourogne, organisé cette fois par la direction, fait ressortir que 278 sur 600 seraient pour la reprise. La situation n’a pas encore assez évolué : le tribunal dans sa séance du 9 novembre renvoie sa décision au 17 novembre.
Une autre phase de l’extension de la grève
Une partie des grandes manœuvres va consister alors à faire monter d’un degré l’extension contrôlée de la grève non plus à Belfort, mais dans les autres usines du groupe Alsthom dans toute la France. Cela peut donner effectivement l’impression que tout le groupe va basculer dans la grève et bercer d’illusion le noyau dur de la grève : la chute et la désillusion seront d’autant plus grandes lorsqu’il apparaîtra clairement, au bout de quelques jours, que cette extension est si partielle et si diverse qu’elle n’apporte pratiquement aucun soutien au mouvement initial.
Partout, ces luttes spécifiques restent entre les mains des syndicats qui assument totalement les contacts et le défaut de coordination : à aucun moment dans la lutte, il n’y aura de tentatives hors appareils de coordination horizontale directe, même entre les différentes usines pourtant proches de Belfort. Cette « extension » intervient opportunément le 10 novembre, plus de quinze jours après l’explosion de la grève à Bourogne, alors qu’à Belfort tout est déjà engagé sur la pente descendante. On entendra même un délégué de l’usine du Petit-Quevilly, près de Rouen, qui entre en « grève illimitée » le 10 novembre à l’appel de la CGT, déclarer : « On n’a rien à voir avec Belfort. Nous ne faisons pas cette grève par solidarité avec eux ».
Phrase ambiguë qui peut tout autant signifier qu’ils se battent pour eux (ce qui est une réalité puisqu’il s’agit d’une usine distincte) bien que leur principale revendication soit celle des salaires.
On peut avoir une idée de ce que représente cette « extension » en regardant une fois de plus la carte des implantations Alsthom en France et en considérant qu’à aucun moment, il n’y aura plus de 10 000 travailleurs Alsthom en grève sur les 33 000 salariés de ces différentes usines. Pour l’essentiel, cette « extension » va se polariser à La Courneuve, dans la banlieue nord de Paris, et dans la région Rouen-Le Havre. Etant principalement sous l’impulsion de la CGT, on peut suspecter qu’en cette période électorale (présidentielle et municipale), les considérations politiques vont jjouer un rôle particulier. Comme nous l’avons souligné, chaque usine est une unité économique distincte avec une fabrication bien définie et son arrêt n’a aucune incidence sur la production des autres usines encore en activité. L’exemple de La Courneuve est typique avec trois usines du groupe : Alsthom travaux extérieurs (280 salariés travaillant essentiellement sur des chantiers), LCA (270 dans ce bureau d’études des turbines à vapeur) et Rateau (750 dans une usine implantée depuis longtemps dans cette banlieue et entrée sans que son nom soit modifié dans le groupe Alsthom). Par contre il n’y aura pas de débrayages dans une autre usine proche, celle de Saint-Ouen (1 000 salariés).
Dans les autres usines du groupe qui vont entrer en lutte, on observera la même dispersion, la même déconnexion du mouvement de Belfort de sorte que, dans cette ville, tout va suivre une voie, en quelque sorte toute tracée, sans que ce qui se passe ailleurs en France influe de quelque manière sur le cours des événements, sauf précisément l’effet de cette déconnexion sur la détermination des grévistes.
La fin de la lutte à Belfort
Cette « extension » prend place après un vote sans succès organisé par le seul patronat dans les usines de Belfort (qui voit les 5297 votants sur 7 648 se partager en 2 867 pour la reprise et 2.191 contre) ; vote suivi par de nouvelles propositions du médiateur, par la décision du tribunal, le 17 novembre, d’ordonner la levée des piquets (qui ne sont pas levés mais qui restent sous la menace d’une attaque policière si cela devient nécessaire), pour en arriver, le mardi 22 novembre, à un vote organisé par l’intersyndicale sur ces nouvelles propositions, essentiellement des augmentations – 500 F pour les salaires inférieurs à 7 000 F, dégressives jusqu’à 100 F pour ceux compris entre 8 500 et 9 500 F –, et la conversion de contrats temporaires en contrats permanents. Comme prévu, les modalités diffèrent selon les usines et le vote est organisé par usine, ce qui donne :
pour pour continuer la reprise la grève
cycles 91 18
Transport 552 517
EGT 898 684
DEM 1 711 1 498
Total 3 252 2 708
(sur 7313 salariés à Belfort)
Comme toujours dans de tels votes, la masse des non-grévistes, notamment des cadres et techniciens, pèsent lourd dans la balance et fausse complètement les résultats ; mais ceux qui ont organisé le vote n’en ont cure, l’essentiel est d’avoir un « vote pour la reprise » et que ce vote introduise une confusion encore plus grande sur l’issue de la lutte et brise la détermination des grévistes.
La journée du mercredi 23 est cruciale de ce point de vue : malgré le vote, les piquets ont été maintenus aux portes des usines et des heurts se produisent avec des cadres qui essaient, forts du résultat du vote, d’entrer dans les usines. Au lieu de concentrer les forces dans celles-ci, l’intersyndicale organise encore un sempiternelle manifestation devant la préfecture et annonce qu’elle va procéder à une « consultation des grévistes » sur les piquets. Les jeunes de Bourogne ont décidé de ne pas rouvrir l’usine, quel que soit le résultat du vote, et un militant CFDT déclare « qu’il faudra bien une journée pour discuter avec les piquets de grève car les jeunes se radicalisent plus vite ».
Pour accroître la confusion, les syndicats agissent en ordre dispersé. La CFDT (30 % des votes aux élections d’entreprise) appelle à la levée des piquets, s’appuyant derrière la « légitimité » du vote. La CGT (40 % aux mêmes élections) prend la tangente, commençant à faire le tour des piquets sans prendre vraiment position. FO (12% aux élection)n’a rien à perdre et prend la position dure de refuser la levée des piquets. C’est ce même jour, après plus d’un mois de grève Alsthom que les syndicats appellent les ouvriers de Peugeot de Sochaux toutes proches à débrayer en solidarité : c’est un échec total.
Le jeudi 24, de nouveau bien unis, CGT et CFDT appellent à la « suspension de l’occupation » ce qui signifie en clair la levée des piquets. A Bourogne, ils seront levés le jeudi soir.
Les lundi 28 et mardi 29 novembre, des escarmouches se produiront encore à l’intérieur des usines avec des débrayages suite à des altercations avec les cheffaillons ou sur des points précis comme le paiement des jours fériés de la période de grève. Mais peu à peu, ce sera le « retour à la normale »
Belfort reprend mais ...
Il est difficile de dire ce qui anime les luttes en cours dans les autres usines du groupe : celles qui sont déjà en lutte depuis la mi-novembre, celles qui entrent en lutte alors que le conflit central prend fin. Mis à part les deux petites unités de La Courneuve (chantiers extérieurs et LCA ) et l’usine du Petit-Quevilly (transformateurs) et du Havre, les débrayages seront non seulement dispersés mais aussi sporadiques : Tarbes, Le Creusot, Aix-les-Bains, Aytré en Charente-Maritime. A La Courneuve, l’usine Rateau travaille mais contre leur délocalisation et les frais de déplacement, Alsthom Travaux extérieurs et LCA multiplient les actions parfois spectaculaires mais plutôt inefficaces (occupation du siège de Paris) . La reprise sera effective le 9 décembre avec quelques concessions patronales et, semble-t-il l’arrêt de la délocalisation. Au Petit-Quevilly près de Rouen (transformateurs), la grève est illimitée dès le 10 novembre pour les salaires : là aussi, « l’occupation » consiste en des piquets qui bloquent les mouvements de matériels mais laissent entrer les non-grévistes mais il semble que la moitié des travailleurs (450) participent réellement au mouvement.
A la mi-décembre, tous ces mouvements sont terminés après des négociations locales et quelques concessions. Ils se fondent d’ailleurs dans un courant diffus de luttes, les unes spontanées mais localisées comme dans les postes par exemple, les autres présageant une campagne de reprise en mains syndicale qui va se développer dans tout la période préélectorale, sorte de contre feu face à un mécontentement s’exprimant dans des actions ponctuelles et dont la médiatisation forcée ne facilite pas l’approche réelle et l’analyse.
Dans une telle lutte, on retrouve non seulement les traits de la lutte à Péchiney-Dunkerque mais aussi ceux des luttes des années écoulées : la volonté de lutte de catégories limitées de travailleurs sur des problèmes qui leur sont très spécifiques ; d’où des grèves déterminées mais localisées et même sectorielles dans un même lieu de travail.
Pour ces raisons, elles ne s’étendent pas et ne cherchent pas à s’étendre. Ayant tiré l’expérience des structures de lutte parallèles comme les coordinations ou des comités de grève de base, les syndicats essaient, sans grand mal, de poser les termes d’un contrôle d’une possible extension, alors même que cette extension ne se produit pas. D’où l’importance des piquets de grève qui, dans cette période semblent prendre une certaine autonomie et devenir le creuset de la détermination de la lutte : tout comme la localisation, la parcellisation, ils apparaissent l’expression d’une volonté de garder la lutte sous le contrôle étroit des grévistes.
La grève d’Alsthom montre aussi les limites d’une telle forme de lutte. Nul doute que l’expérience tirée de ces limites tissera les relations dialectiques d’où surgiront d’autres formes de lutte dans une prise en mains totale de l’action par les travailleurs eux-mêmes.
H. S. (avril 1995)
Annexe
Le groupe Gec-Alsthom
Cette multinationale franco-anglaise (50/50) compte 200 000 salariés dans le monde entier. Le groupe est spécialisé principalement dans l’électromécanique, les transports (locomotives et trains), les centrales électriques, etc. Il est impossible de citer ici, ou bien toutes les ramifications de ce trust modèle, ou bien tout l’échafaudage financier et juridique complexe. Disons seulement qu’au fil des années, il a absorbé de multiples entreprises de ces secteurs mais qui restent, sous un contrôle central, des unités autonomes, c’est-à-dire, en termes financiers, devant fixer leur activité, c’est-à-dire leurs conditions d’exploitation, de manière à dégager un profit dans leur sphère limitée.
Pour la France, on trouve dans la corbeille du trust : Alcatel, Cegelec, DEM, Rateau, Alsthom-Travaux Extérieurs, LCA, EGT, etc.