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Luttes pour le logement en Seine-Saint-Denis

mercredi 12 mai 2004

Dans la Seine-Saint-Denis (93, banlieue nord et nord-est de Paris) : lettre du 25 mars 2003 d’une camarade de "La ville est à nous". Questions sur le rôle de DAL (Droit au logement).

Lettre publiée dans Echanges n° 107 (hiver 2003-2004)

Ce courrier fait suite à l’envoi de la feuille d’infos sur le logement La ville est à nous, que nous avons arrêtée depuis un an, faute de temps, de moyens et de participants, mais aussi parce que nous n’étions pas sûrs de l’efficacité de cette forme de communication. La feuille d’infos était essentiellement distribuée dans les squatts ou lors de manifestations et campements de mal-logés, donc à des personnes maîtrisant généralement mal l’écrit ou la langue française. Une diffusion devant les Caisses d’allocations familiales par exemple aurait peut-être été plus utile, mais ce n’est pas dans nos possibilités.

Nous participons toujours à de petits collectifs de mal-logés, surtout à Paris et dans le 93 […] Plutôt qu’une organisation permanente qui privilégierait le quantitatif (et tomberait vite dans les pièges bureaucratiques), nous préférons les petits collectifs autonomes (mais parfois éphémères) en espérant que l’expérience de la lutte, les modes d’organisation et d’action laisseront des traces même après la fin du collectif.

Le collectif de mal-logés parisiens (le seul collectif actuellement en activité) est ouvert à tous, quelle que soit leur situation administrative. Des gens d’origines diverses gravitent autour du collectif (Russes ou Ukrainiens arrivés depuis un an ou deux enFrance, Algériens, Français précaires...) mais le noyau dur se compose majoritairement d’Africains avec ou sans papiers, à la fois en raison d’une mobilisation de longue durée sur les problèmes de logement et du fait de fortes solidarités (voire contraintes) sociales et familiales.

Vu la dégradation de la situation, en particulier l’accès aux services sociaux, aux hébergements d’urgence et bien sûr à un vrai logement, nous intervenons de fait beaucoup pour des situations ponctuelles : occupation de divers services sociaux de la capitale pour obtenir une aide financière ou une prise en charge en hôtel, harcèlement de l’agence EDF et de la mairie du 18e qui refusait l’accès à l’électricité à des squatters, occupation des locaux du Samu social de Paris qui acceptait de prendre en charge femmes et enfants mais laissait les hommes à la rue.

Ce type d’action permet de rencontrer de nouvelles personnes et de voir de près les différentes stratégies des mairies, des bailleurs HLM, des services sociaux ou des humanitaires qui gèrent des secteurs de plus en plus grands du travail social ; mais cela ne suffit pas à créer une dynamique de lutte à moyen terme.

Pression policière accrue

L’augmentation de la pression policière complique encore les choses surtout pour les sans-papiers. La police profite des expulsions de squatts ou de campement de Roms pour contrôler les titres de séjour et envoyer les irréguliers en centre de rétention, ce qui ne se faisait pas il y a encore un an. Et apparemment, la consigne est d’éradiquer les occupations de logements vides, qui sont non seulement une réponse concrète et immédiate à un besoin, mais aussi un moyen de mettre la pression sur les propriétaires. Cela peut permettre également des conditions matérielles (un local où les gens peuvent s’informer, rencontrer d’autres mal-logés en lutte, organiser des réunions) plus favorables à la lutte. Mais, comparé aux années passées, peu de nouvelles occupations ont été couronnées de succès cet hiver [2002-2003, NDLR]. La publicité médiatique sur le volet anti-squatt de la loi Sarkozy a laissé croire à beaucoup que le seul fait d’ouvrir un squatt devenait un délit, alors que la seule mesure nouvelle concerne les « vendeurs/loueurs de squatts « . Et la police (consignes officielles ou initiatives autonomes) se montre bien plus dure lorsqu’elle arrive sur les lieux d’une occupation récente. Etre là depuis deux semaines et avoir apporté toutes ses affaires n’est plus une garantie de rester. La police exige souvent un contrat EDF, alors que, depuis trois ans, cette entreprise collabore ouvertement avec les propriétaires. Des conventions sont passées avec les bailleurs sociaux pour exiger un bail lors de l’ouverture d’un contrat ; les propriétaires peuvent conclure un contrat spécial qui ne prévoit aucune fourniture d’énergie mais empêche un éventuel occupant d’en avoir une. Et, pour les propriétaires qui n’auraient pas pensé à cette solution, une simple dénonciation et EDF coupe sans se poser de questions.

Voilà pour donner une idée de la situation. Les résistances sont encore peu nombreuses, mais elles existent. Notre collectif n’a pas gagné grand-chose mais il a permis d’éviter des expulsions ou des coupures, de trouver un hébergement pour quelques personnes à la rue. Il a surtout montré que, même à quelques-uns, il est possible de s’attaquer aux mairies, à EDF et, une fois sur deux de repartir avec un petit quelque chose.

Le rôle de DAL

Le fait que des mal-logés s’organisent de manière indépendante, particulièrement dans le 18e, fief historique de l’association Droit au Logement, a montré aux pouvoirs publics que le DAL perdait de son efficacité dans le contrôle des luttes des mal-logés. Il y aurait beaucoup à dire sur le rôle du DAL dans l’étouffement des luttes et des occupations de logement... En trois ans sur le terrain, j’ai eu le temps de voir toute une gamme de saloperies (l’extorsion de fonds, pardon, le paiement des cotisations et des honoraires d’avocat ; les militants du DAL avertis d’une expulsion qui n’en soufflent pas un mot aux occupants, les réunions du comité de soutien où les principaux intéressés écoutent sagement sur un banc sur le côté, les échanges de bons et loyaux services avec Emmaüs, trois couvertures et une bâche en échange d’un article sur l’abbé Pierre au chevet des mal-logés...). Nous venons de commencer la rédaction d’une brochure sur les luttes du logement de ces cinq dernières années. Tout cela sera plus détaillé et peut-être plus compréhensible que cette lettre.

Réponse (7 avril 2003)

Ce que tu écris sur les actions de base des « mal-logés » ou « sans-logis » présente beaucoup d’intérêt car cela montre comment ces luttes, dans leur quotidien d’affrontement avec toutes les « autorités » diverses, pas seulement policières mais toujours plus ou moins complices des pouvoirs répressifs, sont éloignées des représentations officielles qui prétendent « agir pour eux » mais qui bien souvent sont conduits à « agir contre eux ».

Cet intérêt est encore plus important pour nous car nous avons toujours défendu, dans tous les domaines des luttes que, tant que le système capitaliste reste debout, des organismes permanents de luttes, même lorsqu’ils avaient été créés au cours d’une lutte, étaient mis tôt ou tard devant l’obligation de se placer dans le cadre de la légalité du système, ne serait-ce que pour éviter les sanctions auxquelles toute action « illégale » amènerait la disparition de leur organisation. Cela ne met nullement en cause l’honnêteté des protagonistes (bien que cela puisse parfois l’être) mais leur est imposé par le système lui-même à partir du moment où ils tentent de pérenniser cette organisation en lui donnant un cadre légal d’existence et de représentation.

La formule des collectifs de base est en quelque sorte le produit d’une telle situation : si l’on veut, dans une lutte quelconque, échapper aux conséquences inévitables de cette permanence, la formation d’organismes de lutte de base pour un but déterminé ponctuel s’impose. Il en va ainsi aussi bien dans les comités de grève que dans les comités de lutte dont tu exposes le fonctionnement dans ta lettre. Une idée communément répandue dénigre une telle forme d’action, sous prétexte qu’elle serait une marque de faiblesse d’un mouvement de lutte et que seules des organisations permanentes style syndicats, partis, ou plus spécifiques (comme le DAL que tu cites) seraient capables de donner plus d’efficacité à une action qui se voudrait globale et dont ils seraient les agents.

Outre ce que nous venons de dire (qu’une attitude a précisément l’effet inverse de ce qu’elle disait chercher), cette vision correspond à la vision d’une organisation hiérarchisée, celle-là même du système capitaliste, hiérarchisée autour de spécialistes, plus « conscients » que les acteurs directement concernés.

C’est une autre raison qui fait pour nous l’intérêt de tels collectifs : leur efficacité, réduite certes mais pas inutile dans une sorte de harcèlement, vient précisément de leur mode d’action. Une efficacité plus grande ne pourrait venir que de l’extension de l’activité de ces collectifs de base dans des formes et pour des objectifs qu’ils définiraient eux-mêmes, sans avoir d’autre but que celui d’une action définie – et pas une permanence pour un but plus politique plus général. Un tel mouvement ne pourrait partir que de la base, mais il importe de voir qu’il ne serait pas le résultat d’une volonté des protagonistes mais des nécessités elles-mêmes de la lutte, de par l’extension qu’elle prendrait alors.

H. S.

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