mondialisme.org
Accueil du site > Temps critiques > Rapports à la nature, productivisme et critique écologique

Rapports à la nature, productivisme et critique écologique

mercredi 4 octobre 2017

Cet arti­cle se situe dans la conti­nuité et l’appro­fon­dis­se­ment des textes publiés sur le blog ou sur le site autour de tech­no­lo­gie et capi­tal d’une part et des insuf­fi­san­ces de la cri­ti­que anti­ca­pi­ta­liste d’autre part.

Plus concrètement, le point de départ sera prin­ci­pa­le­ment ici une cri­ti­que du livre de João Bernardo : Contre l’écolo­gie, NPNF, 2017 et aussi l’intégra­tion de remar­ques à propos du livre de Philippe Pelletier : La cri­ti­que du pro­duc­ti­visme dans les années 1930. Mythe et réalités, Noir et rouge, 2016.

 

Écologie et anti-industrialisme, une pensée qui prend son origine à droite.

Précisons tout d’abord nos points d’accord avec le livre de João Bernardo, car je ne cri­ti­que­rais pas ce livre s’il n’avait abso­lu­ment aucun intérêt.

– l’écolo­gie (terme employé pour la première fois par le bio­lo­giste alle­mand Ernst Haeckel en 1866 afin de décrire les rap­ports entre les espèces et leur milieu. Mais il tire l’écolo­gie vers une vision poli­ti­que d’une « bio­lo­gie appliquée » en rap­port avec l’eugénisme et la race. En tant que telle, de « science » elle se trans­forme en idéologie de droite, qu’elle soit reliée aux écolo­gis­tes alle­mands qui accordèrent leur sou­tien à Hitler pour sa défense de la nature alle­mande et des ani­maux, aux ini­tia­ti­ves de Salazar en ce sens au Portugal ou encore aux posi­tions des anti-confor­mis­tes des années 1930 quant au rap­port à la nature, le machi­nisme ou le « système tech­ni­que »1.

– le capi­ta­lisme a assi­milé l’écolo­gie comme élément de sa dyna­mi­que étant entendu que ce caractère dyna­mi­que est ce qui le caractérise par rap­port aux « modes de repro­duc­tions » antérieurs2.

Cela prend deux voies prin­ci­pa­les, la première est celle du souci écolo­gi­que à tra­vers l’idéologie du « dévelop­pe­ment sou­te­na­ble ». Elle est en soi un signe de fai­blesse des frac­tions du capi­tal les plus avancées vers « un capi­ta­lisme vert ». En effet, il me semble que, contrai­re­ment à ce que sou­tient Ph. Pelletier dans Climat et capi­ta­lisme vert, Nada, 2015), la notion même de « dévelop­pe­ment sou­te­na­ble » est le signe de la défaite des catas­tro­phis­tes du Club de Rome. L’hypothèse de la « crois­sance zéro » a été battue en brèche par la crise des années 1970. Le « sauver la planète » d’aujourd’hui n’a pas les mêmes impli­ca­tions. Il est à la fois beau­coup plus global dans sa prise en compte des exi­gen­ces écolo­gis­tes, mais bien moins radi­cal dans son contenu. Il ne s’agit plus de tou­cher à la crois­sance, mais de la réorien­ter et c’est par exem­ple la voie des éner­gies renou­ve­la­bles, celle de l’agri­culture bio­lo­gi­que, etc.

Or cette dyna­mi­que est en soi por­teuse de déséqui­li­bres qui ont ten­dance à se com­pen­ser à moyen terme (pro­duc­tion pol­luante engen­drant acti­vités de dépol­lu­tion ; gas­pillage/obso­les­cence et recy­clage, fric­tions entre lob­bies ou/et entre pays dans la concur­rence entre types d’énergie3, etc.) et fonc­tion­nent comme les ten­dan­ces et contre ten­dan­ces de Marx. C’est ce que ne com­pren­nent pas la plu­part des marxis­tes (et anar­chis­tes) qui confon­dent ins­ta­bi­lité inhérente au capi­tal et crise du capi­tal4. L’anti­ca­pi­ta­lisme écolo­giste est donc fon­da­men­ta­le­ment « catas­tro­phiste », ce que dénon­cent aussi bien Bernardo que Pelletier. Ce que nous avons aussi dénoncé dans plu­sieurs textes5.

Toutefois son argu­men­ta­tion devient cir­cu­laire quand J. Bernardo sou­tient à la fois ce point de vue de l’écolo­gie comme dyna­mi­que du capi­tal (elle res­sort de son ana­lyse générale du rap­port social capi­ta­liste) et comme obs­ta­cle au dévelop­pe­ment du capi­tal parce qu’anti-pro­duc­ti­viste (sa haine de l’écolo­gie et de son sub­strat pour lui d’extrême droite pro­duit un obs­cur­cis­se­ment de son juge­ment). On voit alors se côtoyer des phra­ses comme : « les pres­sions du mou­ve­ment écolo­giste ont pro­voqué l’aug­men­ta­tion des pro­fits pour le capi­tal » (p. 107) avec d’autres comme : « dans l’ensem­ble le ren­de­ment de la pro­duc­tion bio­lo­gi­que est générale­ment inférieur à la pro­duc­tion clas­si­que », cita­tion tirée de revue scien­ti­fi­que sur les­quels s’appuie Bernardo. Il conclue : « si l’agro-écolo­gie s’impo­sait sur cette planète et occa­sion­nait une telle baisse de la pro­duc­tion par hec­tare, elle pro­vo­que­rait une catas­tro­phe ali­men­taire sans précédent, non seu­le­ment direc­te­ment, en rédui­sant le volume des ali­ments dis­po­ni­bles, mais aussi indi­rec­te­ment en raison de l’énorme aug­men­ta­tion du prix des pro­duits agri­co­les qu’elle sus­ci­te­rait, les met­tant ainsi hors de portée d’une grande partie de la popu­la­tion » (p. 95). Que la plu­part des prix des pro­duits agri­co­les de grande consom­ma­tion soient des prix admi­nistrés ne cor­res­pon­dant abso­lu­ment pas à leur coût de pro­duc­tion n’a pas l’air de gêner Bernardo puis­que pour lui, la seule chose qui compte c’est que cette pro­duc­tion soit effectuée sur la base de l’extrac­tion de plus-value rela­tive, garante de sa pro­duc­ti­vité. Que ce système orga­nise aussi la faim dans le monde et non pas l’abon­dance n’est mis que sur le dos du capi­tal et non pas sur la concep­tion même de cette pro­duc­tion. 

– l’équi­li­bre natu­rel est un mythe qui est le pen­dant du mythe du « bon sau­vage » ; mais Bernardo n’expli­que pas clai­re­ment pour­quoi ce qui été l’apa­nage de la droite et de l’extrême droite aupa­ra­vant serait devenu aujourd’hui l’apa­nage de la gauche et de l’extrême gauche. Son atta­que contre les défen­seurs d’un retour à la nature manque son objet poli­ti­que car il pro­vo­que la confu­sion plus qu’autre chose. En effet, il leur repro­che leur mul­ti­cultu­ra­lisme et range l’écolo­gisme dans les mou­ve­ments post-moder­nes alors que les cou­rants multi-cultu­ra­lis­tes et post-moder­nes sont pour la plu­part contre toute référence à la nature (cf. Questions féminis­tes et un de ses titres « La nature(elle)ment ») ou alors ils se situent dans « l’a-nature » et qu’il faut choi­sir, on ne peut les trai­ter de post-moder­nes si on les rat­ta­che aussi aux mou­ve­ments d’extrême droite de l’entre-deux-guer­res. À ce compte-là, les nazis seraient des post-moder­nes ! L’expli­ca­tion réside dans le fait que Bernardo classe tout ce qui n’est pas dans le fil rouge des luttes de clas­ses comme post-moderne. Une catégorie inadéquate et fourre-tout.

Si Pelletier voit l’anti-pro­duc­ti­visme comme fédérateur des cou­rants de droite et de gauche, par rap­port à la pers­pec­tive cri­ti­que de l’écolo­gie de Bernardo, j’y ver­rais plutôt le fruit d’un anti-huma­nisme qui rompt jus­te­ment avec les Lumières et les mou­ve­ments révolu­tion­nai­res d’éman­ci­pa­tion qui tous met­taient l’homme (ou les clas­ses) au centre. Ce n’est pas pour rien que divers cou­rants reven­di­quent des droits pour la nature puisqu’elle aurait des intérêts qui lui sont intrinsèques qu’il faut défendre contre l’homme lui-même.

– toutes les sociétés ont utilisé des tech­ni­ques, même pri­mi­ti­ves. En effet, si la tech­ni­que est consub­stan­tielle à l’homi­ni­sa­tion (cf. André Leroi-Gourhan ou Gilbert Simondon), la tech­no­lo­gie représente à la fois son intégra­tion à des macro-systèmes (cf. Bernard Pasobrola dans le no 16 de Temps cri­ti­ques6) et son idéolo­gi­sa­tion. Dans cette concep­tion tech­no­lo­gi­que de la tech­ni­que, la réalité extérieure c’est-à-dire toute la réalité phy­si­que et bio­lo­gi­que non pro­duite par homo sapiens, donc ce qui était déjà là avant l’homi­ni­sa­tion n’est plus différent de l’homme. C’est pour­tant ce que Bernardo sous-entend dans sa phrase qui intro­duit ce point. La nature n’est plus « extérieure » ; elle devient un stock dont le capi­tal peut pro­fi­ter pour son propre profit ou sa puis­sance, mais dont on peut sup­po­ser que les anar­chis­tes à la Kropotkine pour­raient aussi dis­po­ser dans le cadre d’une « prise sur le tas » ou le « tout est à nous rien est à eux » de la CNT d’aujourd’hui. Ce sont jus­te­ment ces « exter­na­lités posi­ti­ves » que les écolo­gis­tes veu­lent préserver comme, par exem­ple celle que représente l’Amazonie, réserve écolo­gi­que mon­diale qu’il fau­drait protéger d’un pillage natio­nal éven­tuel orga­nisé par le capi­tal brésilien pour son propre compte. Peut-être, mais cela montre aussi com­bien les écolo­gis­tes sont les ges­tion­nai­res poten­tiels du capi­tal puisqu’il assi­mi­lent la nature extérieure à une exter­na­lité écono­mi­que. Une exter­na­lité en écono­mie est un inves­tis­se­ment qui par son fonc­tion­ne­ment pro­duire des avan­ta­ges à autrui que ce der­nier ne paye pas. Mais tout cela relève de la ges­tion du capi­tal même (et sur­tout) si elle se veut « rai­sonnée » ou « sou­te­na­ble ». En effet, le dévelop­pe­ment sou­te­na­ble ou dura­ble est de l’ordre de l’hyper­ca­pi­ta­lisme du sommet, pas d’un gou­ver­ne­ment natio­nal ou même d’une classe, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de frac­tions domi­nan­tes7.

En valeur rela­tive (des­truc­tion/création) les tech­ni­ques pri­mi­ti­ves ont sou­vent eu des conséquen­ces plus désas­treu­ses pour les éco-systèmes (culture sur brûlis, dis­pa­ri­tion des espèces au cours du noma­disme, etc.). Néanmoins, il y a des ques­tions d’échelle dont Bernardo ne semble pas tenir compte : les Maoris polynésiens auraient détruit 50 à 80 % des espèces d’oiseaux au cours de leurs pérégri­na­tions sur de nou­vel­les îles, mais à l’aune de la Terre entière cela est limité ; ce qui n’est pas le cas aujourd’hui où les pro­ces­sus sont glo­baux et sou­vent cumu­la­tifs.

– tous les écolo­gis­tes oublient l’exploi­ta­tion de l’homme par l’homme pour ne parler que de la domi­na­tion de l’homme sur la nature. En gros, c’est vrai, au sens où ils font de la seconde la matrice de la première et non l’inverse, mais cela ne veut pas dire qu’ils nient forcément l’exploi­ta­tion. En tout cas, ce n’est pas le cas de Murray Bookchin ni celui de Freddy Perlman. Il y a aussi des néo-écolo­gis­tes marxis­tes comme Lipietz et Harribey8.

Passons aux points de désac­cord

– la nature n’existe pas si ce n’est comme objet de l’action humaine (p. 21).

Thèse première qui tout d’abord néglige que les humains sont issus du monde non humain, ce der­nier étant même partie intégrante de leur huma­nité9 ; qui confond ensuite sujet et objet10. L’acti­vité est une objec­ti­va­tion du sujet et elle peut avoir comme des­ti­na­tion la « nature extérieure » à l’homme aussi bien que la « nature intérieure » de l’homme (les humains modi­fient leur monde et en même temps modi­fient leur être). Dans tous les cas, il y a un rap­port et non pas une immédiateté.

À partir du moment où il y a rap­port il y a des média­tions avant même que celles-ci ne domi­nent les rela­tions socia­les, par exem­ple pour l’échange que ce soit entre les hommes ou avec la nature extérieure. Ce rap­port homme/nature se retrouve dans la notion de limite. La fini­tude de l’homme est aussi celle de la nature en général.

La nature n’exis­tait sans doute pas dans la cons­cience des premières com­mu­nautés humai­nes avant qu’émerge un cer­tain niveau de « culture » ou de « civi­li­sa­tion » qui, par contraste fasse émerger l’idée de « nature11 », mais même cela reste très dis­cu­ta­ble dans la mesure où cer­tains anthro­po­lo­gues font remar­quer que très tôt la com­plexité des rela­tions de parenté par exem­ple pour­rait s’expli­quer par une volonté de mar­quer des différences par rap­port à la « nature ». Plus générale­ment, l’émer­gence d’une cons­cience ou d’une concep­tion d’une « nature extérieure » n’est pas contem­po­raine des rela­tions de parentés, quoiqu’en ait dit Lévi-Strauss. Elle apparaît plus pro­ba­ble­ment avec le pas­sage des com­mu­nautés ori­gi­nel­les à des formes de sociétés orga­nisées et hiérar­chisées qui divi­ni­sent la nature pour l’anthro­po­mor­phisme et l’uti­li­ser. Puis de manière plus affirmée par l’appa­ri­tion des États sous leur première forme, les­quels orga­ni­sent et contrôlent l’exploi­ta­tion de la nature extérieure à leurs pro­fits.

– sa posi­tion sur la pro­duc­ti­vité s’ins­crit dans le mou­ve­ment pro­gres­siste du socia­lisme qui relie pro­duc­ti­vité et abon­dance à une époque où lui cor­res­pond de fait une théorie des besoins, y com­pris chez Marx, limitée aux besoins essen­tiels. 

À partir du moment où pour les pays domi­nants du moins, l’abon­dance est une réalité, la théorie des besoins illi­mités ou des désirs chez les écono­mis­tes néo-clas­si­ques et les théori­ciens post-moder­nes, ruine tout rap­port ration­nel entre pro­duc­ti­vité et abon­dance. C’est d’ailleurs pour cela que Bernardo accuse les écolo­gis­tes de pro­mou­voir un « socia­lisme de la misère ».

Toujours sur la ques­tion de la pro­duc­ti­vité, il accuse les écolo­gis­tes de vou­loir faire bais­ser la pro­duc­ti­vité et donc d’affa­mer le peuple, c’est-à-dire qu’il se place là tout à coup du point de vue de la consom­ma­tion, alors que c’est jus­te­ment le repro­che qu’il fai­sait aux pro­mo­teurs du « bio », d’oublier pro­duc­tion et rap­ports de pro­duc­tion. En conséquence de quoi il n’y a rien d’éton­nant à ce que page 153 il se retrouve sur des posi­tions qui cor­res­pon­dent en gros aux recom­man­da­tions de la Commission européenne, à savoir, pra­ti­quer un pro­duc­ti­visme à outrance qui fait bais­ser le prix des pro­duits ali­men­tai­res du fait qu’ils ne seraient liés qu’à leur « valeur-rareté ». Drôle de marxisme quand même et en dehors de cela et plus concrètement encore, il oublie que le prix des pro­duits ali­men­tai­res est bien plus fonc­tion de la force des pays impor­ta­teurs et des firmes de l’agro-ali­men­taire et autres grands dis­tri­bu­teurs que de l’abon­dance et de la rareté. Là encore, c’est le point de vue de la consom­ma­tion qui semble privilégié alors que ce sont les petits pro­duc­teurs qui sont pres­surés dans l’affaire… et n’ont donc pas intérêt à pro­duire plus, tech­no­lo­gie ou pas !

On ne m’empêchera pas quand même de penser que derrière tout ça il y a la vieille haine du marxiste pour la pay­san­ne­rie. Il n’y a qu’a regar­der com­ment Bernardo parle du « Mouvement des sans terres ». Il asso­cie immédia­te­ment en titre de cha­pi­tre mythe de la nature et mythe de la pay­san­ne­rie ! Ses atta­ques contre la pay­san­ne­rie visent sur­tout deux formes, celle de l’agri­culture fami­liale par essence proto-fas­ciste et peu pro­duc­tive puisqu’elle repose soit sur l’extrac­tion de plus-value abso­lue soit encore sur l’uti­li­sa­tion de tra­vail non rémunéré, seule base de sa ren­ta­bi­lité (il fau­drait rajou­ter « capi­ta­liste » puis­que c’est la seule qui intéresse Bernardo au cours de sa démons­tra­tion) et celle du mou­ve­ment des sans-terre et sa thèse de la sou­ve­rai­neté ali­men­taire, une thèse pour lui aber­rante car l’abon­dance ali­men­taire ne repo­se­rait que sur les échan­ges et le trans­port ; thèse qui se double de l’illu­sion que ce tra­vail, dans ces condi­tions (fami­lia­les et agro­bio­lo­gi­ques), ne serait pas du tra­vail aliéné. C’est comme s’il leur préférait les lati­fun­dia dont il ne dit rien, à part en ce qui concerne la ques­tion de la rente. Or, elles ne sont pas connues pour leurs inno­va­tions tech­no­lo­gi­ques et pro­duc­ti­vis­tes. D’où vien­nent alors les pro­duc­tions à forte pro­duc­ti­vité qui auraient, d’après Bernardo, vaincu la faim et les épidémies ? Tous les chif­fres actuels mon­trent plutôt le contraire, mais enfin…

C’est qu’à trop vou­loir prou­ver il confond Pol Pot et Riesel ou Bové ! Il confond une cri­ti­que de la civi­li­sa­tion urbaine avec une cri­ti­que de la société capi­ta­liste/indus­trielle. 

Cette cri­ti­que de l’écolo­gie est aussi soulevée dans le livre cité (supra) de Philippe Pelletier, dans lequel il fait le lien entre anti-pro­duc­ti­visme et extrême droite, mais parce que plus que la dimen­sion de l’idéologie écolo­giste, s’y ferait jour un faux anti-capi­ta­lisme qui ne com­pren­drait pas que le capi­ta­lisme c’est la pro­duc­tion pour le profit et y ver­rait plutôt le fruit d’un culte de la pro­duc­tion pour la pro­duc­tion, le fruit de la domi­na­tion de l’avoir sur l’être derrière le per­son­na­lisme chrétien de Mounier, de Rougemont, de Jouvenel et autres avec une condam­na­tion morale/reli­gieuse12 de l’argent, la cri­ti­que du quan­ti­ta­tif et de la mesure, etc.

C’est tou­te­fois aller un peu vite quand on voit que plu­sieurs de ces anti­confor­mis­tes des années 1930, ayant appar­tenu ou non à la revue Plans pen­dant ces années n’en sont pas moins deve­nus (comme François Perroux) des experts écoutés de la pla­ni­fi­ca­tion française des années 1950-60 et des pro­duc­ti­vis­tes acharnés. C’est que les indi­vi­dus se trans­for­ment comme le capi­tal et le pro­duc­ti­visme, à l’époque moderne, n’est pas prin­ci­pa­le­ment pour le profit, mais pour la puis­sance et donc en pre­mier lieu pour la puis­sance de l’État comme l’a bien fait remar­quer François Fourquet13. C’est pour cela, je pense, que sa cri­ti­que manque son objet ou du moins n’est pas suf­fi­sam­ment centrée parce qu’il confond pro­duc­ti­visme et pro­duc­ti­vité, ce qui était aussi le cas des anti­confor­mis­tes. Or si la Russie sta­li­nienne et les fas­cis­mes sont bien des pro­duc­ti­vis­mes parce que jus­te­ment ils par­ti­ci­paient de la « mobi­li­sa­tion totale » (E. Jünger) du « soldat du tra­vail » (der Arbeiter), ils n’en sont pas pour les anti­confor­mis­tes des années 30 parce que derrière cette mobi­li­sa­tion totale, il y a la révolu­tion natio­nale, le natio­nal-bolchévisme, bref quel­que chose qui est de l’ordre de l’être et non pas de l’avoir. La pro­duc­tion y était bien pour la pro­duc­tion et non pour le profit comme l’a montré a contra­rio l’écrou­le­ment de l’URSS dont les critères de pro­duc­tion et de pro­duc­ti­vité y étaient complètement aber­rants parce que dictés poli­ti­que­ment par le Parti.

Le « cancer » pro­duc­ti­viste serait donc uni­que­ment celui porté par l’Amérique parce que c’est celui de l’intérêt, de l’avoir privé de l’indi­vidu bour­geois, du « capi­ta­lisme sans phrase » (Tronti) et du profit de Marx.

– il y a confu­sion entre pro­duc­ti­visme et pro­duc­ti­vité.

Là encore cela ne peut que le conduire au confu­sion­nisme poli­ti­que. En effet, les pro­duc­ti­vis­tes russes dont parle par exem­ple Pelletier (op. cit., p. 63) ne sont pas pour l’aug­men­ta­tion de la pro­duc­ti­vité, mais pour un pro­duc­ti­visme de l’acti­vité qui mêlerait art, pro­duc­tion et vie ; de même pour Gramsci et les tech­ni­ciens ou ingénieurs qui sont dans le mou­ve­ment des conseils de Turin : le pro­duc­ti­visme s’accom­pa­gne d’une idée de ges­tion ouvrière ; à l’inverse, les anti-pro­duc­ti­vis­tes ne sont pas forcément contre les aug­men­ta­tions de pro­duc­ti­vité comme on peut le voir avec les pla­nis­tes. D’ailleurs Pelletier fait bien remar­quer que le nazisme et le fas­cisme ita­lien ont été à la fois pro­duc­ti­vis­tes et anti-pro­duc­ti­vis­tes. Entièrement d’accord, mais au lieu de confor­ter l’argu­men­ta­tion d’ensem­ble, il me semble que cela tend plutôt à l’infir­mer14.

Le plus grave, poli­ti­que­ment s’entend, c’est que dans cette confu­sion Bernardo ne peut pren­dre en compte les luttes contre la pro­duc­ti­vité menée par le der­nier assaut prolétarien des années 1960-70 dont il se réclame pour­tant dans le point sui­vant. Pourtant, les luttes ita­lien­nes de cette époque ont été par­ti­culièrement impor­tan­tes et décisi­ves ; des luttes qui se situaient jus­te­ment contre le mode de régula­tion for­diste des Trente glo­rieu­ses, géré de façon tri­par­tite par l’État, le patro­nat et les syn­di­cats dans un même pro­duc­ti­visme (recons­truc­tion, auto­suf­fi­sance ali­men­taire) associé à l’aug­men­ta­tion de la pro­duc­ti­vité. Bernardo parle ensuite de défaite de la classe ouvrière sans voir que la cause de la défaite est ici dans le don­nant-don­nant pro­duc­ti­visme/consom­ma­tion repo­sant sur l’aug­men­ta­tion conti­nue de la pro­duc­ti­vité pen­dant cette période. La situa­tion est d’ailleurs fort différente depuis les restruc­tu­ra­tions des années 1980 qui se sont faites sur la base d’une dis­so­cia­tion entre pro­duc­ti­visme et pro­duc­ti­vité. Aujourd’hui le capi­tal est glo­ba­le­ment anti-pro­duc­ti­viste et pro-pro­duc­ti­vité. Cela a un nom : la course à la compétiti­vité.

– il néglige complètement les effets sur les rap­ports sociaux et sur le métabo­lisme homme/nature des dévelop­pe­ments nou­veaux dans la pro­duc­tion, par­ti­culièrement agri­cole, grâce aux bio-tech­no­lo­gies. Il ne semble pas s’alar­mer du pas­sage d’une expro­pria­tion des pro­duc­teurs à une expro­pria­tion du vivant avec les OGM. Mais bien sûr, si ces mêmes OGM per­met­tent de faire deux récoltes de riz annuel­les… dans une société qui a capi­ta­lisé la nature au lieu de l’huma­ni­ser, appa­rem­ment pas de problème.

– pour Bernardo, le dévelop­pe­ment de l’idéologie écolo­giste serait la mani­fes­ta­tion de la défaite de la classe ouvrière (p. 55), par exem­ple en 1975 après la défaite de la « révolu­tion des œillets » (Bernardo est por­tu­gais). Comme cette affir­ma­tion n’est pas argu­mentée, impli­ci­te­ment, le lien logi­que le plus immédiat serait de dire que c’est alors la classe ouvrière qui est la classe pro­duc­ti­viste par excel­lence, encore plus que la bour­geoi­sie ou l’entité capi­tal puisqu’elle serait la classe du progrès. Sa défaite va alors de pair avec la défaite du progrès15. Autre niveau de lec­ture, on pour­rait dire que la défaite de la classe ouvrière laisse le champ libre à tous les autres mou­ve­ments de « libération » ou d’éman­ci­pa­tion et ce qu’il dit pour l’écolo­gie vaut pour le féminisme, l’homo­sexua­lité, la libération ani­male, etc. Mais dans tous les cas c’est considérer la lutte des clas­ses comme une lutte des places ou chacun pour­rait occu­per le ter­rain en fonc­tion de stratégies, de rap­ports de force ou de tac­ti­que, comme si le ter­rain lui-même ne chan­geait pas ; comme si les rap­ports sociaux étaient inva­riants, comme si nous étions encore au temps de la cen­tra­lité de la classe ouvrière dans le procès de pro­duc­tion et a for­tiori de valo­ri­sa­tion.

Bien sûr qu’en France, en Italie, au Portugal, en Grande-Bretagne, la classe ouvrière a été battue entre 1967 et 1979, mais elle n’a pas été battue en Allemagne, pour cela aurait-il encore fallu qu’elle se batte et pour­tant c’est en Allemagne et de loin que le mou­ve­ment écolo­giste a été le plus fort.

Bernardo a quand même une intui­tion de la chose quand il dit que le capi­ta­lisme cher­che à conver­tir toutes les formes de contes­ta­tion en mou­ve­ment écolo­giste extérieur aux rap­ports de pro­duc­tion car seuls ces der­niers seraient légiti­mes aujourd’hui parce qu’ils ne tou­chent pas à la pro­duc­tion. Mais ce qu’il dit ne concerne pas que l’écolo­gie. Il procède de la même façon avec le féminisme et sur­tout avec les nou­veaux mou­ve­ments iden­ti­tai­res post-moder­nes. Mais il ne le fait pas parce qu’il aurait peur d’un blo­cage de la « pro­duc­tion » usinière, mais parce que ce sont les nou­veaux sec­teurs de sa dyna­mi­que. ; tout le reste représente ce qui le freine, ce qui nuit à sa flexi­bi­lité, à sa liqui­dité. Les grèves dans la « pro­duc­tion ne devien­nent donc pas illégiti­mes parce que tout le monde s’en moque, le pou­voir comme le reste de la popu­la­tion. Seules sont illégiti­mes les grèves de blo­cage de la repro­duc­tion, mais elles ne sont jus­te­ment pas direc­te­ment liées à la ques­tion du pro­duc­ti­visme.

Néanmoins il néglige le fait qu’en RFA par exem­ple un mou­ve­ment anti-par­le­men­taire alle­mand et un mou­ve­ment pré-écolo­giste anti-nucléaire, mais sans cri­ti­que de l’indus­tria­lisme et du pro­duc­ti­visme à cause du trau­ma­tisme nazi, sont soli­de­ment imbriqués jusqu’au ren­ver­se­ment de ten­dance en 1973 (Tendenzwende), de même en France jusqu’à Creys-Malville. Mais Thomas Keller16 fait bien remar­quer que pour la RFA ce ren­ver­se­ment est une rup­ture, c’est-à-dire que le mou­ve­ment pour la pro­tec­tion de l’envi­ron­ne­ment ne pro­vient pas de la pensée 68 mais de dis­si­dents des partis SPD et CDU, du groupe Action-troisième voie et de comités de citoyens comme des pay­sans ou viti­culteurs touchés dans leurs intérêts.

Pourquoi cet intérêt de J. Bernardo pour Malthus ?

Il me semble que la première raison, la plus évidente en tout cas, c’est que Malthus est connu pour sa thèse prin­ci­pale dans son Essai sur le prin­cipe de popu­la­tion (début XIXe siècle) qui est celle d’une crois­sance démogra­phi­que supérieure à la crois­sance du niveau des sub­sis­tan­ces17. C’est l’hypothèse du « ban­quet de la vie ». Si celui-ci ne gros­sit pas ou que très peu, le nombre de convi­ves ne doit pas aug­men­ter sinon les parts seront plus peti­tes ou même cer­tains seront exclus du ban­quet. Pour Bernardo cela est sûrement assi­mi­la­ble à l’hypothèse des « décrois­sants » d’aujourd’hui, même si les moti­va­tions poli­ti­ques ne sont pas les mêmes. Malthus était le représen­tant des grands propriétaires ter­riens (le « gâteau » n’a pas besoin d’aug­men­ter, il suffit de le repro­duire) et donc pro­pre­ment réaction­naire par rap­port à Smith et Ricardo les représen­tants de la bour­geoi­sie anglaise pour qui le gâteau devait bien évidem­ment aug­men­ter (d’où la recher­che de l’ori­gine de la richesse et les théories de la valeur). Donc pour lui, il ne fal­lait pas que le nombre de convi­ves aug­mente, les convi­ves étant les riches, il fal­lait éviter la prolifération des pau­vres d’autant qu’en Angleterre, à cette époque exis­tait la loi sur les pau­vres, une sorte de RMI18 qui les main­te­nait en état de survie sans qu’ils aient besoin de se poser vrai­ment la ques­tion de leur revenu, du pos­si­ble tra­vail salarié, etc. Couplé au rigo­risme pro­tes­tant cela don­nait ce qu’on a appelé plus tard les poli­ti­ques mal­thu­sien­nes.

Pour résumer, Malthus posait sa loi non en termes scien­ti­fi­ques, mais en termes de luttes des clas­ses et Bernardo oublie de ren­voyer à la struc­ture sociale telle que l’étudie Malthus, à savoir, trois clas­ses : les ouvriers, les capi­ta­lis­tes (contraints d’inves­tir et de limi­ter leur consom­ma­tion — Marx iro­ni­sait sur le modèle des capi­ta­lis­tes « moder­nes dis­ci­ples de Vichnou » contraints de se serrer la cein­ture !), les nobles (dans la dépense osten­ta­toire).

D’ailleurs, Proudhon répon­dait en disant : « Il n’y a qu’un seul homme de trop sur la terre, c’est M. Malthus ». Par contre Keynes19 « Si seu­le­ment Malthus, à la place de Ricardo avait été le père dont a procédé l’écono­mie du XIXe siècle ! Le monde en eût été bien plus riche et plus avisé » ; c’est que comme Malthus est le représen­tant des ren­tiers, oisifs et impro­duc­tifs, Keynes est le représen­tant de la « moyen­ni­sa­tion » dans la société capi­ta­liste (la société du « bien-être » dans la domi­na­tion réelle du capi­tal).

Ce n’est pas le cas des « décrois­sants ». Ils pen­sent eux que le gâteau peut aug­men­ter, mais qu’il est empoi­sonné ; il ne faut donc ni qu’il gros­sisse ni que les pau­vres vien­nent s’y gober­ger puis­que ça serait aug­men­ter la quan­tité de poison et le nombre d’empoi­son­neurs sans parler de l’accélération de la catas­tro­phe finale20. Il faut agir à deux niveaux, la décrois­sance dans les pays du centre et impo­ser les mêmes mesu­res pour les pays pau­vres en regard de l’état de la planète, donc ne pas copier le modèle américain, mais plutôt reve­nir à des systèmes dras­ti­ques de contrôle de la démogra­phie comme ceux pra­tiqués par la Chine et l’Inde à cer­tains moments de leur his­toire récente. C’est pour cela qu’il classe les décrois­sants dans les réaction­nai­res.

À partir d’une remar­que adressée à Malthus, Bernardo tente d’expli­quer que la baisse du nombre d’enfants par famille s’est pro­duite non par appli­ca­tion des thèses mal­thu­sien­nes, mais par le pas­sage de l’exploi­ta­tion à base de plus-value abso­lue à l’exploi­ta­tion à base de plus-value rela­tive dans lequel « la pro­duc­ti­vité est élevée et les famil­les ont intérêt à avoir moins d’enfants  ». J’ai exposé ce mécanisme dans mon livre, Economia dos confli­tos sociais, dont le texte dis­po­ni­ble sur Internet. Il pour­suit : « Dans les périodes et les régions où le capi­ta­lisme a été capa­ble de dévelop­per considérable­ment le pro­ces­sus de la plus-value rela­tive, il a pu ainsi assu­rer un taux de crois­sance signi­fi­ca­tif des salai­res en termes matériels, avec un double effet combiné. D’une part, l’aug­men­ta­tion de la pro­duc­ti­vité libère de la force de tra­vail dans chaque bran­che de la pro­duc­tion, ce qui permet d’ouvrir de nou­vel­les bran­ches ; et, tandis que le nombre de tra­vailleurs est en excédent dans les sec­teurs où l’on cons­tate une aug­men­ta­tion de la pro­duc­ti­vité, dans l’écono­mie considérée glo­ba­le­ment cette aug­men­ta­tion entraîne la réduc­tion du volume de la force de tra­vail par rap­port au volume des éléments du capi­tal cons­tant ; cela pro­vo­que donc aussi une dimi­nu­tion de la demande capi­ta­liste en tra­vailleurs par rap­port à l’aug­men­ta­tion du nombre de biens pro­duits. Ce contexte est abso­lu­ment opposé à toute crois­sance démogra­phi­que signi­fi­ca­tive et incite les famil­les ouvrières à ne pas procréer davan­tage d’enfants que ceux sus­cep­ti­bles de répondre à une demande d’emploi dont la ten­dance connaît clai­re­ment une baisse rela­tive. D’autre part, dans une situa­tion où les salai­res réels aug­men­tent, l’intérêt de chaque famille ouvrière est d’aug­men­ter légèrement la rémunération fami­liale grâce à l’emploi du père et de la mère dans des entre­pri­ses, mais aussi de limi­ter le nombre de ses enfants.

« Comme le salaire fami­lial est gagné seu­le­ment par les mem­bres de la famille qui tra­vaillent dans des entre­pri­ses, et comme la pro­gres­sion de leurs allo­ca­tions, etc. n’est pas pro­por­tion­nelle avec la pro­gres­sion des besoins liés au nombre crois­sant d’enfants, les famil­les ouvrières ont intérêt à limi­ter la taille de leur progéniture, afin de pou­voir effec­ti­ve­ment pro­fi­ter de l’aug­men­ta­tion du niveau de vie per­mise par la crois­sance réelle du salaire fami­lial. Ces effets se com­bi­nent et se ren­for­cent mutuel­le­ment, de telle sorte que les capi­ta­lis­tes, tout comme les famil­les ouvrières, ont intérêt à réduire la procréation de futurs tra­vailleurs. La plus-value rela­tive, à savoir, le dévelop­pe­ment capi­ta­liste, impli­que donc d’abord, la baisse du taux de crois­sance démogra­phi­que, puis sa sta­bi­li­sa­tion à un niveau très faible » (Economia dos confli­tos sociais, p. 99 du PDF). Cette ana­lyse est en fait très proche des ana­ly­ses de Ricardo et concer­nait une société au dévelop­pe­ment capi­ta­liste peu avancé et à majo­rité pay­sanne, où les moyens de contra­cep­tion moderne n’exis­taient pas. Et les conclu­sions de Bernardo ne sont justes que si on ne prend en compte que la popu­la­tion totale où effec­ti­ve­ment on a une baisse du taux de fécondité ; mais si on rai­sonne par catégories socia­les, c’est faux comme le montre le main­tien actuel d’une courbe en U qui fait que les taux de crois­sance de popu­la­tion sont les plus forts aux deux extrêmes. Ce sont en effet les pro­fes­sions intermédiai­res et les clas­ses moyen­nes inférieu­res qui plom­bent le taux, avec pour l’accom­pa­gner, une décélération du taux chez les immigrés d’ori­gine méditer­ranéenne (ita­lienne et maghrébine sur­tout). Pour moi, l’ana­lyse de Bernardo est d’un déter­mi­nisme écono­miste et mécaniste affli­geant. Il se rap­pro­che en effet de celui qui ani­mait les auteurs de la bro­chure de la revue Négation « Avortement et pénurie21 » que nous avons mis en Archives sur le site de Temps cri­ti­ques avec une intro­duc­tion cri­ti­que de ma part.

Les fac­teurs déter­mi­nants la fécondité à l’époque contem­po­raine sont assez com­plexes. La thèse de Becker et des néo-libéraux par­ti­cipe aussi d’un écono­mi­cisme fon­da­men­tal, mais non ricar­dien ou marxiste dans la mesure où s’il pose bien l’intérêt comme base de l’homo œcono­mi­cus ration­nel, c’est dans le cadre d’une écono­mie du désir. Le pro­ces­sus est le sui­vant : hausse du niveau de vie ouvrier et employé, pro­tec­tion sociale, offre et demande d’éduca­tion, limi­ta­tion de la mor­ta­lité infan­tile, espérances de mobi­lité, quête du confort et du bien-être, loge­ment plus coûteux… Donc hausse du « coût de l’éduca­tion »… Loin du misérabi­lisme propre à une cer­taine ultra gauche…

Mais Bernardo trouve un autre intérêt à Malthus dans ses Principes d’écono­mie poli­ti­que22 de 1820. Il semble effec­ti­ve­ment que Malthus soit à l’ori­gine des notions dites plus tard keynésien­nes de demande effec­tive, pro­pen­sions à consom­mer et épar­gner parce qu’il pre­nait en compte le rap­port entre épargne destinée à l’inves­tis­se­ment et épargne destinée à la consom­ma­tion. En fonc­tion de cela, il anti­ci­pait une insuf­fi­sance poten­tielle de la demande à partir du moment où s’appli­que­rait la loi d’airain de Ricardo sur les salai­res. En l’état, à l’époque, de la situa­tion écono­mi­que bloquée par une insuf­fi­sance capi­ta­lis­ti­que à laquelle Malthus concour­rait plei­ne­ment, il semble s’être posé la ques­tion de la via­bi­lité à terme du système d’ensem­ble et donc de sa crise. Je crois qu’il voyait une échap­pa­toire (pro­vi­soire ?) dans le dévelop­pe­ment de la consom­ma­tion osten­ta­toire des clas­ses riches et oisi­ves23, ce qui res­sem­ble par cer­tains côtés à la situa­tion actuelle. Il s’oppo­sait en cela à S. Mill, Ricardo et J.-B. Say pour qui la pro­duc­tion crée sa propre demande. Mais contrai­re­ment à ce que dit Bernardo, « la plus grave des erreurs de Jean-Baptiste Say, James Mill et David Ricardo fut de sup­po­ser que l’accu­mu­la­tion garan­tit la demande, “[…] ou que la consom­ma­tion des tra­vailleurs employés par ceux qui veu­lent épar­gner puisse créer une telle demande effec­tive pour les mar­chan­di­ses, encou­ra­geant ainsi une crois­sance conti­nue du pro­duit’”(p. 322) ».

Ce ne fut pas une « erreur » des écono­mis­tes clas­si­ques, car eux rai­son­naient non pas en écono­mie sta­ti­que, mais en dyna­mi­que de crois­sance du capi­tal, donc en dehors de l’hypothèse fon­da­men­ta­le­ment réaction­naire de Malthus sur laquelle Bernardo fait l’impasse puisqu’au contraire, tout son rai­son­ne­ment pour bien spécifier qu’il y a deux Malthus et que le second, le moins connu, est aussi le plus intéres­sant, en fait une sorte de « pro­gres­siste » qui dénon­ce­rait le capi­ta­lisme (indus­triel), réhabi­li­te­rait la rente qui ne serait pas le signe d’un refus de la pro­duc­ti­vité, mais le paie­ment de la valeur pro­duc­tive de la terre comme il y a une valeur de la force de tra­vail24.

Pour résoudre la crise, Malthus pro­po­sait concrètement d’aug­men­ter les salai­res des tra­vailleurs non pro­duc­tifs pour aug­men­ter leur consom­ma­tion sans que la pro­duc­tion n’aug­mente elle-même. De la même façon aujourd’hui, les décrois­sants » pro­po­sent de fait de déblo­quer la situa­tion en empêchant les habi­tants des pays les plus pau­vres de suivre le modèle de crois­sance des pays riches, tout en per­met­tant aux hauts et moyens reve­nus des pays pau­vres de consom­mer « bio ». Que les stan­dards de niveau de vie aient changé ne semble pas le préoccu­per, la « mal­bouffe » connaît pas puisqu’il est encore dans le monde des « besoins ».

Mais contre la théorie des ren­de­ments décrois­sants de Ricardo, Bernardo pense fina­le­ment que les nou­vel­les tech­ni­ques peu­vent améliorer le ren­de­ment de la pro­duc­tion agri­cole dans le cadre de la grande propriété foncière. On peut dire que Malthus épouse la nou­velle vision des propriétaires fon­ciers anglais dans leur trans­for­ma­tion en futurs capi­ta­lis­tes.

Bernardo conclut : encore une fois la théorie du dévelop­pe­ment de Malthus est bien supérieure à sa théorie de la popu­la­tion. Et Malthus ne serait pas « récupérable » aujourd’hui comme le pense Bernardo en tant que proto-décrois­sant mais parce que le capi­ta­lisme le plus moderne accu­se­rait à nou­veau de soli­des bases rentières dans sa phase de déclin. Ce qui était faux au départ chez Malthus devien­drait vrai. La rente mange le progrès d’après les théori­ciens de la crois­sance et du para­si­tisme du capi­tal. Comme il était logi­que que Ricardo gagne contre Malthus au XIXe siècle, il serait logi­que que Malthus trouve sa revan­che aujourd’hui avec le dévelop­pe­ment de l’indus­trie de luxe qui détruit une part de l’excédent d’épargne.

Contrairement à ce que laisse enten­dre aussi Bernardo, Marx accuse Malthus d’avoir plagié Sismondi dans ses Principes d’écono­mie poli­ti­que et non l’inverse.

À noter aussi que Marx et Dangeville font bien la différence entre les deux Malthus. Bernardo n’apporte à mon avis ici rien de nou­veau, mais semble se trom­per comme je l’ai dit plus haut, quant à la posi­tion poli­ti­que de Malthus puisqu’il donne l’impres­sion d’une conver­sion de celui-ci du conser­va­tisme au pro­gres­sisme à tra­vers le pas­sage de son pre­mier essai au second, alors qu’il y a quand même une complémen­ta­rité entre les deux : le pre­mier fait un cons­tat désas­treux et le second cher­che le remède, mais sur les prémisses théori­ques du pre­mier.

Comment replacer Marx par rapport à tout cela ?

Une ques­tion qui s’impose puis­que Malthus et Marx ont sou­vent été associés pour le plus sou­vent être ensuite opposés.

Dans les Manuscrits de 1844, l’être humain est un être natu­rel ; la nature « c’est le corps inor­ga­ni­que de l’homme » et le com­mu­nisme est un « natu­ra­lisme achevé ». Ce qu’il met en avant c’est l’unité essen­tielle homme/nature : « le natu­ra­lisme accom­pli de l’homme et l’huma­nisme accom­pli de la nature » (ES, 1962, p. 62, 87, 89). Par ailleurs, dans la Critique des Programmes de Gotha et d’Erfurt, il s’ins­crit en faux contre l’opi­nion las­sa­lienne comme quoi seul le tra­vail est créateur de richesse, ce qui est une dévia­tion de sa propre concep­tion du tra­vail comme seul créateur de valeur d’échange. Or, la nature est donc elle aussi créatrice de richesse, mais sous forme de valeurs d’usage.

La théorie de la valeur-tra­vail condamne en elle-même toute idée de rareté autre que celle qui serait orga­nisée par les rap­ports sociaux capi­ta­lis­tes (c’est la posi­tion reven­diquée de Bernardo), elle écarte par ailleurs toute idée de « valeur » des res­sour­ces natu­rel­les dans la droite ligne de l’écono­mie poli­ti­que clas­si­que, même si cela n’atteint pas le cynisme d’un J.-B. Say (la nature fait don… au propriétaire). Mais si les clas­si­ques ne reconnais­sent pas de valeur aux res­sour­ces natu­rel­les, ils en recom­man­dent l’uti­li­sa­tion en leur don­nant une valeur d’usage qui en jus­ti­fie a pos­te­riori l’exploi­ta­tion.

 

Il est vrai que si on prend comme référence le plus mau­vais texte de Marx à savoir la Préface à la Contribution à la cri­ti­que de l’écono­mie poli­ti­que on y trou­vera l’apo­lo­gie de forces pro­duc­ti­ves neu­tres comme chez Bernardo où il ne s’agi­rait fina­le­ment que de chan­ger les rap­ports de propriété et de conser­ver l’œuvre civi­li­sa­trice de la pro­duc­tion capi­ta­liste, là encore un point très proche de Bernardo qui confond d’ailleurs civi­li­sa­tion autour de la ville avec civi­li­sa­tion urbaine et civi­li­sa­tion urbaine avec civi­li­sa­tion capi­ta­liste.

Les seuls textes où on trouve des références aux limi­tes natu­rel­les des forces pro­duc­ti­ves ou aux des­truc­tions dues à la domi­na­tion sur la nature sont L’idéologie alle­mande25 et La dia­lec­ti­que de la nature d’Engels, un texte d’ailleurs fort contes­ta­ble en d’autres endroits pour son uti­li­sa­tion abu­sive de la dia­lec­ti­que26. Et dans Le Capital, Marx revien­dra plu­sieurs fois sur la rup­ture du métabo­lisme homme/nature comme résultat du pro­duc­ti­visme capi­ta­liste. Cela mérite de citer le pas­sage le plus connu à ce propos : « La pro­duc­tion capi­ta­liste […] détruit non seu­le­ment la santé phy­si­que des ouvriers urbains et la vie spi­ri­tuelle des tra­vailleurs ruraux, mais trou­ble encore la cir­cu­la­tion matérielle entre l’homme et la terre, et la condi­tion natu­relle de la fer­ti­lité dura­ble du sol, en ren­dant de plus en plus dif­fi­cile la res­ti­tu­tion au sol des ingrédients qui lui sont enlevés […] En outre, chaque progrès de l’agri­culture capi­ta­liste est un progrès non seu­le­ment dans l’art d’exploi­ter le tra­vailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fer­ti­lité pour un temps est un progrès dans la ruine de ses sour­ces dura­bles de fer­ti­lité » (vol I, ES, 1969, p. 363 ou Messidor-ES, 1983, p. 565-6).

Soit Marx et le « dévelop­pe­ment dura­ble » ! Il faut quand même noter son souci de tou­jours tenir bon sur l’inte­rac­tion ; si le tra­vail humain est un élément du métabo­lisme et de son échange avec la nature extérieure, l’exploi­ta­tion de ce tra­vail ren­voie à l’exploi­ta­tion de la nature, c’est-à-dire non pas à une rup­ture du métabo­lisme, mais plutôt à un mau­vais métabo­lisme.

D’autres pas­sa­ges sont éton­nants de ce point de ce point de vue même si Marx nous a habitués à ces capa­cités d’anti­ci­pa­tion, quand il nous dit que les hommes ne sont pas les propriétaires de la terre (même dans le socia­lisme) car ils n’en sont que les usu­frui­tiers (Nutzniesser) et « qu’ils doi­vent la lais­ser dans le meilleur état pos­si­ble pour les futu­res générations27 ». Ce souci des futu­res générations n’est donc pas la préroga­tive des écolo­gis­tes d’aujourd’hui qui l’aurait adopté contre le souci des inégalités de clas­ses comme le laisse enten­dre Philippe Pelletier dans Climat et capi­ta­lisme vert : de l’usage écono­mi­que et poli­ti­que du catas­tro­phisme (Nada, 2015, p. 87). On le retrouve d’ailleurs chez Bordiga puis Camatte avec la prise en compte du deve­nir de l’espèce et donc aussi celle d’une cons­cience des limi­tes « natu­rel­les » et aussi démogra­phi­ques28. Une préoccu­pa­tion fon­da­men­ta­le­ment étrangère à celle qui s’exprime dans les Manuscrits avec « l’huma­ni­sa­tion de la nature » qui apparaît jus­te­ment et naïvement sans limi­tes. Reconnaître des limi­tes « natu­rel­les », ce n’est pas faire preuve de conser­va­tisme à condi­tion de considérer ces limi­tes natu­rel­les comme natu­rel­les et socia­les29. Et la déter­mi­ner cons­ciem­ment comme limite est ce qui jus­te­ment évite toute pers­pec­tive catas­tro­phiste qui ne pose la limite que comme peur. Ainsi, cer­tai­nes limi­tes « natu­rel­les » ont de fait été créées par le dévelop­pe­ment capi­ta­liste. C’est une chose qui ne peut effec­ti­ve­ment être reconnue par les tenants du « la vérita­ble barrière de la pro­duc­tion capi­ta­liste, c’est le capi­tal lui-même » (cf. mes précédentes inter­ven­tions sur le blog à ce propos et ma cri­ti­que des posi­tions de François Chesnais).

 

Notes

 

1 – Cf. Philippe Pelletier : La cri­ti­que du pro­duc­ti­visme dans les années 1930. Mythe et réalités, Noir et rouge, 2016. Pour lui, c’est cet anti-pro­duc­ti­visme dès années 1930 qui fédérera l’écolo­gisme des années 1970 sans qu’on soit obligé, comme a ten­dance à le faire Bernardo ou encore Luc Ferry dans Le nouvel ordre écolo­gi­que, de les rat­ta­cher à un fas­cisme vert. Pelletier fait bien remar­quer l’ori­gine scien­ti­fi­que du terme qui prend racine dans le natu­ra­lisme des Lumières (p. 20) avant de dériver en une écolo­gie poli­ti­que.

2 – Cf. mon arti­cle : « Le cours chao­ti­que du capi­tal », Temps cri­ti­ques no 15, 2010.

3 – Les écolo­gis­tes sont à la fois contre le nucléaire, mais le mou­ve­ment anti-nucléaire est en sour­dine, et contre l’effet de serre et pour la taxe car­bone !

4 – Cf. J. Wajnsztejn, La crise et ses annon­ceurs, supplément à Temps cri­ti­ques no 18, mars 2017, dis­po­ni­ble sur le site de la revue à http://temps­cri­ti­ques.free.fr/spip....

5 – André Dréan : « Lovelock, l’hypothèse Gaïa », Temps cri­ti­ques no 11 (hiver 1999) ; A. Dréan : « Contribution à la cri­ti­que du catas­tro­phisme », in Temps cri­ti­ques no 14 (hiver 2010).

6 – Bernard Pasobrola, « Systèmes flui­di­ques et société connexion­niste », Temps cri­ti­ques no 16 : http://temps­cri­ti­ques.free.fr/spip.php?arti­cle288

7 – Cf. Temps cri­ti­ques, no 15, hiver 2010 et la domi­na­tion du niveau I.

8 – Cf. Capital contre nature, J-M. Harribey et Mickaël Löwy (dir.), Paris, PUF, coll. « Actuel Marx confron­ta­tion », 2003.

9 – Pour Élisée Reclus : « l’homme est la nature pre­nant cons­cience d’elle-même », cité par Ph. Pelletier, Climat et capi­ta­lisme vert. De l’usage écono­mi­que et poli­ti­que du catas­tro­phisme, Nada, 215, p. 122.

10 – Et se trouve en rup­ture avec toute la tra­di­tion phi­lo­so­phi­que à la base du marxisme dont le prin­cipe est celui de non-iden­tité de l’objet et du sujet, aussi bien avec Hegel pour qui l’homme s’oppose au monde natu­rel que pour Feuerbach qui réintro­duit l’homme dans la nature extérieure, mais à laquelle il est lié dans une unité bio­lo­gi­que et sociale et fina­le­ment pour Marx à tra­vers l’idée d’appro­pria­tion humaine de la nature.

11 – À partir du moment où une société se cons­ti­tue l’envi­ron­ne­ment devient signi­fi­ca­tif. Il n’existe pas comme objet, c’est nous qui le fai­sons exis­ter comme objet, mais il n’est pas non plus un sujet contrai­re­ment à ce que croient les dis­ci­ples de Gaïa ou autres.

12 – Toutefois elle se retrouve par­fois chez Marx dans les Manuscrits : « Moins tu es, moins tu mani­fes­tes ta vie, plus tu possèdes, plus ta vie aliénée gran­dit, plus tu accu­mu­les de ton être aliéné » (op. cit., p. 103).

13 – François Fourquet, Les comp­tes de la puis­sance ; his­toire de la comp­ta­bi­lité natio­nale et du Plan, Paris, Éditions Recherches, coll. « Encres », 1980.

14 – Le même débat a agité l’Allemagne pour savoir si le nazisme avait été un irra­tio­na­lisme absolu ou une forme de ratio­na­lisme.

15 – Là où il le déplore, cer­tains y voient une pos­si­bi­lité de remet­tre les pen­du­les à l’heure pour un nou­veau projet com­mu­niste comme Claude Bitot qui remet en avant le com­mu­nisme frugal de Babeuf, un com­mu­nisme sans crois­sance et de faible pro­duc­ti­vité (cf. aussi B. Astarian).

16 – T. Keller, Les verts alle­mands, un conser­va­tisme alter­na­tif, L’Harmattan, 1993, p. 32. Il en pro­fite pour reva­lo­ri­ser l’anti-pro­duc­ti­visme de gauche que l’on retrouve évidem­ment chez Landauer et la pensée de la com­mu­nauté sur le modèle agri­cole ; et aussi de W. Benjamin qui oppose à la phrase de Marx : « Les révolu­tions sont les loco­mo­ti­ves de l’his­toire de l’huma­nité » son « La révolu­tion est le geste par lequel on tire le signal d’alarme du train qui trans­porte le genre humain » (op. cit., p. 74). C’est encore plus net avec Marcuse sur­tout avec Contre révolu­tion et révolte (1973) dans lequel apparaît la notion d’écolo­gie.

17 – La crois­sance démogra­phi­que sui­vrait une pro­gres­sion géométrique, c’est-à-dire qu’elle est l’effet d’un pou­voir mul­ti­pli­ca­teur (par exem­ple, si elle est de raison 2, cela nous don­ne­rait la pro­gres­sion au cours des années t (n) : 2, 4, 8, 16, 32. Alors que la crois­sance des sub­sis­tan­ces sui­vrait une pro­gres­sion arithmétique, c’est-à-dire addi­tion­nelle, par exem­ple si elle est de raison 3, cela don­ne­rait pour t (n) : 3, 6, 9, 12, 15.

18 – Cf. K. Polanyi et la loi de Speenhamland dans La grande trans­for­ma­tion, Gallimard.
Cela cor­res­pon­dait aussi à un chan­ge­ment de para­digme avec le dévelop­pe­ment nais­sant du capi­tal. L’écono­mie clas­si­que, en cher­chant l’ori­gine de la richesse des nations (Smith) et de la valeur (Ricardo), rom­pait avec l’idéologie mer­can­ti­liste qui fai­sait que la puis­sance des nations repo­se­rait sur le nombre de sujets à dis­po­si­tion du sou­ve­rain.

19 – Bernardo aurait pu citer la note 3 du cha­pi­tre 2 de la TG de Keynes où il réhabi­lite Malthus contre Ricardo et le cha­pi­tre 23 de la TG « Notes sur le mer­can­ti­lisme » où il cite lon­gue­ment Malthus. Keynes a en outre écrit un Essai sur Malthus Essay on Biography. En effet Keynes est très reconnais­sant à Malthus d’avoir montré le rôle de la demande effec­tive, de la dépense, le caractère nui­si­ble de l’épargne.
Toutefois Keynes pen­sait qu’à terme (pour lui main­te­nant en gros) que nous pour­rions réduire dras­ti­que­ment le temps de tra­vail et nous libérer de la contrainte écono­mi­que sous-esti­mant le caractère infini du besoin (Veblen) et la capa­cité du capi­ta­lisme de jouer de l’inno­va­tion pour le sti­mu­ler (Lettre à nos petits enfants).

20 – Portée dans le champ de l’écolo­gie, c’est une sorte de repro­duc­tion du « Socialisme ou bar­ba­rie » de Rosa Luxembourg.

21 – Elle-même rele­vant du même procédé ayant donné lieu à la bro­chure bor­di­guiste d’Axelrad : « Auschwitz ou le grand alibi ».

22 – Thomas Malthus, Principles of Political Economy, Considered with a View to their Practical Application, Augustus M. Kelley, 1964.

23 – Une idée qui sera par la suite développée par Th. Veblen dans sa théorie de la classe des loi­sirs.

24 – Ricardo est bien sûr à l’opposé de cette « vision du monde » puisqu’il théorise la rente in fine comme liée au mono­pole (même s’il intègre la fer­ti­lité différen­tielle — les terres les plus fer­ti­les pro­dui­sent plus de rente), et sou­haite la liqui­da­tion des nobles par la baisse des prix du blé pour accélérer l’accu­mu­la­tion du capi­tal par hausse des pro­fits et baisse des coûts sala­riaux indexés sur les prix des sub­sis­tan­ces (anti­ci­pant la théorie de la plus-value rela­tive — le coût sala­rial baisse, mais le niveau de vie des ouvriers ne baisse pas et peut même légèrement aug­men­ter tem­po­rai­re­ment si la vitesse de l’accu­mu­la­tion sti­mule la demande de tra­vail plus vite que l’offre de tra­vail (elle-même liée aux sub­sis­tan­ces dis­po­ni­bles pour la classe ouvrière — en ce sens Ricardo est mal­thu­sien puis­que l’offre de tra­vail c’est-à-dire la popu­la­tion aug­mente au rythme de l’offre de sub­sis­tan­ces ce qui est faux à long terme bien entendu). À terme, les salai­res sont quand même fonc­tion du coût du panier de sub­sis­tan­ces et donc très contraints vers le mini­mum social.
On connaît la suite : « Ricardo conquit l’Angleterre comme la Sainte Inquisition l’Espagne » comme l’écrira Keynes dans la Théorie Générale (1936) et effec­ti­ve­ment le Royaume-Uni opta pour la crois­sance capi­ta­liste libérale avec le libre échange, la dérégula­tion du marché du tra­vail (1834) et l’étalon or… ce qui la différencia de la France très net­te­ment où le capi­ta­lisme peina à s’impo­ser sous cette forme (petite propriété pay­sanne, Lois Méline pro­tec­tion­nis­tes).

25 – Dans le dévelop­pe­ment des forces pro­duc­ti­ves, il arrive un stade où nais­sent des forces pro­duc­ti­ves et des moyens de cir­cu­la­tion qui ne peu­vent plus être que néfastes dans le cadre des rap­ports exis­tants et ne sont plus des forces pro­duc­ti­ves, mais des forces des­truc­tri­ces (le machi­nisme et l’argent) » (ES, p. 67-68).

26 – « Nous ne devons pas nous vanter trop de nos vic­toi­res humai­nes sur la nature. Pour cha­cune de ces vic­toi­res, la nature se venge sur nous. Il est vrai que chaque vic­toire nous donne, en première ins­tance, les résul­tats atten­dus, mais en deuxième et troisième ins­tance, elle a des effets différents, inat­ten­dus qui trop sou­vent annu­lent le pre­mier. Les gens qui, en Mésopo­ta­mie, Grèce, Asie Mineure et ailleurs, ont détruit les forêts pour obte­nir de la terre culti­va­ble, n’ont jamais imaginé qu’en élimi­nant ensem­ble avec les forêts les cen­tres de col­lecte et les réser­voirs d’humi­dité ils ont jeté les bases pour l’état désolé de ces pays » (op. cit., ES, 1968, p. 180-181).

27 – Das Kapital, Livre III, Dietz Verlag, 1960, p. 784 et 820, tra­duc­tion M. Löwy et p. 828, il ne définit plus le socia­lisme comme la domi­na­tion ou le contrôle humain sur la nature, mais plutôt comme contrôle sur les échan­ges matériels avec la nature. « La seule liberté pos­si­ble est la régula­tion ration­nelle, par l’être humain socia­lisé, par les pro­duc­teurs associés, de leur métabo­lisme (Stoffwechsel) avec la nature, qu’ils le contrôlent ensem­ble au lieu d’être dominés par lui comme par une puis­sance aveu­gle ».

28 – Je ne pense pas que ces limi­tes puis­sent être évaluées à l’aune de chif­fres d’ailleurs plus ou moins précis comme Pelletier essaie de le faire, p. 35 et 36 de son Quand la géogra­phie… Ce genre de calcul n’aurait d’impor­tance que dans l’absolu de condi­tions idéales de repro­duc­tion, c’est-à-dire non seu­le­ment de fin du capi­ta­lisme, de main­tien d’une haute pro­duc­ti­vité sans pro­duc­ti­visme et d’une résolu­tion du problème de la concen­tra­tion urbaine, sans passer par une solu­tion pol-potienne.

29 – Suivant le même prin­cipe que celui développé dans notre livre Rapports à la nature, sexe, genre et capi­ta­lisme, Acratie, 2014. Par exem­ple, les réserves de pétrole ne sont épui­sa­bles que dans le cadre d’une société éner­gi­vore et repo­sant sur cette forme de com­bus­ti­ble.

 

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0