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Limites de l’antisionisme (4) : À propos de Norman Finkelstein et de la crapuleuse expression « Shoah Business »

lundi 3 mai 2004

Le pamphlet de Finkelstein contre ce qu’il appelle le « business » de l’Holocauste est un excellent exemple… de ce qu’il ne faut pas faire. À partir de sa position individuelle de militant (plus exactement de celle de ses parents - en substance : « La vie n’a pas de prix, donc je ne veux pas recevoir un rond d’aucun État, fût-ce l’État allemand ») il voudrait que tous les proches des rescapés et les rescapés de la Shoah eux-mêmes fassent le même raisonnement. (Dans son second ouvrage sur le même sujet, il livre d’ailleurs une information contradictoire : ces parents auraient bien reçu une indemnité, mais une indemnité ridicule. De là à penser que la violence de son indignation vient de là, il n’y a qu’un pas… que je ne franchirai pas, ne connaissant pas l’auteur. Mais reconnaissons qu’il donne des verges pour se faire battre.)

D’ailleurs, je me souviens d’un documentaire sur Planète qui montrait les débats extrêmement violents qui se déroulaient dans un kibboutz à propos de la visite d’un maire allemand (dont la ville était jumelée avec celle proche du kibboutz), et de la question de l’indemnisation. Le problème était difficile à trancher, mais il faut vraiment être intolérant comme Finkelstein pour mettre tous les Juifs qui ont accepté des indemnisations dans le même panier. Sans compter qu’on apporte encore de l’eau aux moulins des antisémites puisque l’on dénonce des Juifs qui ne seraient intéressés que par l’argent et n’auraient pas de principes moraux (1). Toute cette polémique sur les réparations n’a aucun sens. S’il y a des escrocs chez les grands avocats américains, d’accord pour les dénoncer.

Mais des escrocs chez les avocats il y en a pas mal et surtout pour des questions beaucoup plus importantes qui touchent au fonctionnement même du capitalisme. Là encore, faudrait peut-être revoir les priorités, si l’on se prétend révolutionnaire. Mais on peut se demander pas pourquoi, alors que n’importe quel type victime d’une inondation, d’un cyclone, d’un tremblement de terre (phénomènes naturels, certes, mais où l’imprévision et la corruption des hommes politiques joue un rôle) aurait le droit à demander à l’État (donc à tous les contribuables) de lui verser une indemnité, on peut se demander pourquoi donc les Juifs n’auraient pas tiré de l’État allemand le maximum, que ce soit pour vivre en Israël ou ailleurs.

Et que les contribuables allemands (ou d’autres pays) paient n’est que justice. Sans tomber dans la théorie de la responsabilité collective, il faut quand même bien mettre les gens devant leurs responsabilités. Idem pour les Indiens ou les Noirs d’Amérique, les Roms, les homosexuels assassinés par les nazis, etc. Personne ne dénonce les Indiens d’Amérique parce qu’ils réclament des compensations pour le génocide dont ils ont été victimes, même si cela a amené une petite tribu de 1 200 membres, afin de toucher plus d’argent par tête, à exclure aujourd’hui de ses rangs des métis Indiens-Noirs qui en faisaient partie depuis 150 ans ! Pourquoi donc en faire tout un fromage à propos des Juifs ?

(1). Notons à ce propos que dans le livre Libertaires et ultragauches face au négationnisme Gilles Dauvé (ex animateur de La Banquise) s’indigne du « Shoah Business » dans cet ouvrage censé, selon le préfacier Gilles Perrault, présenter une « autocritique courageuse ». Le même Perrault nous explique que les « ultragauches » seraient en quelque sorte des artistes aimant la provocation, des disciples de Mouna Aguigui (sympathique agitateur écolo-pacifiste qui arpentait le pavé du Quartier Latin dans les années 60 et 70.) ou de l’Entartreur belge. Nous n’avons pas dû lire les mêmes textes…

Dans un article plus récent (1999) intitulé « Le fichisme ne passera pas » (dès le titre, le jeu de mots, digne d’une pub de Séguela, essaie de dissimuler le vide de la pensée) quatre mousquetaires de La Banquise nous expliquent que l’un d’eux (G.D.) a eu tort de se livrer à une « autocritique » défensive. Suggérant, par quelques citations au début et à la fin de l’article, que le lynchage médiatique dont ils ont été victimes serait dans la lignée de ceux de Rimbaud ou Flaubert (modestes, nos Banquisards !), ils déclarent que c’est parce qu’ils dévoilaient la véritable nature du nazisme et de la démocratie qu’on les a traînés dans la boue.

Pourtant ni Léon Trotsky (dès les années 30), ni Amadeo Bordiga, ni Daniel Guérin, ni même le très stalinien Charles Bettelheim qui ont analysé les fondements économiques et politiques du nazisme bien avant nos « ultragauches » n’ont jamais été victimes d’une telle campagne de presse. Les textes de La Banquise ne contenaient qu’une seule minuscule « nouveauté » : les formules destinées à choquer le « bourgeois »… et elles ont atteint leur but. En effet, pour le reste, cela fait des décennies que les liens entre impérialisme, crise de la démocratie, anéantissement du mouvement ouvrier, antisémitisme et nazisme ont été dévoilés.

En fait d’autocritique, Libertaires et ultragauches face au négationnisme est surtout une charge contre Pierre Guillaume et contre la presse qui a monté en épingle les élucubrations d’un quarteron de négationnistes. Si la presse a effectivement joué un tel rôle, pourquoi Dauvé et Quadruppani ne s’en sont-ils pas immédiatement servi à leur tour pour régler son compte à Pierre Guillaume et aux « idées » qu’il colportait ? Pourquoi racontent-ils dans leur livre qu’encore en 1991 ils ont eu des contacts avec des sous-marins de ce milieu négationniste ? À aucun moment ni Dauvé ni Quadruppani ne nous expliquent comment ils ont pu écrire et cautionner les phrases ignobles que La Banquise publiait sur les camps, et en même temps éprouver une empathie quelconque avec les victimes de l’Holocauste. Certes, leurs textes n’étaient pas antisémites (on comprend donc qu’ils se soient sentis blessés, salis par les calomnies dont on les a bombardés) mais ils ont fait preuve d’une légèreté politique incroyable en traitant de l’Holocauste et de la « question juive ».

Les références constantes aux analyses de Hannah Harendt sur le procès Eichmann et au prétendu caractère « froid, bureaucratique » des meurtres de masse pratiqués par les nazis font bon marché de la réalité du génocide. On n’arrête pas, on ne rase pas, on ne dépouille pas, on n’affame pas des millions de Juifs dans une officine bureaucratique en signant un simple morceau de papier. Ce sont des dizaines de milliers de soldats et de civils qui ont brutalisé, humilié, torturé les Juifs, et cela n’avait rien de froid ni de bureaucratique… Il s’agissait d’un déchaînement de violence, de bestialité, de sadisme et de haine pratiqué contre des hommes, des femmes, des enfants et des vieillards absolument sans défense. La « froideur » de l’Holocauste constamment invoquée par Dauvé/Quadruppani n’existe que dans leurs piètres tentatives de justification.

Enfin, ce texte évoque sans cesse le poids des liens d’amitié entre les ex de la Vieille Taupe N°1 pour expliquer pourquoi il a leur fallu tellement de temps pour se démarquer bruyamment de Pierre Guillaume. On ne peut que rester incrédule quand on connaît les publications de ce milieu qui a toujours (et avec raison d’ailleurs) dénoncé le copinage des politiciens de gauche avec les politicards de droite, les amitiés entre les intellectuels carriéristes, les dignitaires de l’Église, les puissants, les journalistes, etc. Ou bien s’agit-il d’une confidence involontaire ? Le copinage sans principes serait-il un des principes de fonctionnement de nos radicaux chics ? Et pour revenir à la campagne de presse qui s’est abattue sur eux, se sont-ils jamais demandé si leurs provocations stylistiques n’avaient pas contribué à discréditer les idées dont ils se réclament ? (Y.C.)

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