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Mme Bouteldja falsifie CLR James au service d’un « antisémitisme progressif »... imaginaire !

mercredi 23 juillet 2014

Une citation criminelle de Mme Houria Bouteldja circule sur les réseaux sociaux pour justifier les actes antisémites commis par les exploités. Je ne ferai aucune publicité aux propos indignes de cette dame qui s’identifie à Mohammed Merah (http://mondialisme.org/spip.php?art...) pour faire le buzz et flatter son ego. Je me contenterai ici de procéder à une explication et une mise en contexte élémentaire du texte de CLR James qu’elle falsifie et dont elle extrait la citation suivante :

« Les mouvements qui cherchent à “faire sortir les Juifs de Harlem ou du quartier sud” ont une solide base de classe. Ils constituent les réactions du nègre revanchard qui cherche un secours économique et quelques remèdes à son orgueil de race humilié. Que ces sentiments puissent être exploités par des idiots fanatiques, des Nègres antisémites ou Nègres affairistes, cela ne saurait changer leur base fondamentalement progressive. Cet aspect progressif ne peut en aucune façon être confondu avec l’insatisfaction de la petite bourgeoisie blanche démoralisée qui cherche un refuge dans le fascisme. La réaction américaine peut financer et financera probablement ou encouragera quelques-uns de ces mouvements (Bilbo et Back to Africa) afin d’alimenter la malveillance. Mais les Nègres sont des prolétaires, des semi-prolétaires et des paysans dans leur composition sociale. Le cours général de l’histoire américaine est tel que tout mouvement fasciste d’étendue nationale (aussi déguisé soit-il) sera obligé d’attaquer la lutte des Nègres pour l’égalité. »

Ce qui est progressif pour CLR James ce n’est PAS DU TOUT L’ANTISEMITISME mais la revendication de vouloir émigrer en Afrique (rappelons qu’à l’époque Marcus Garvey avait encore beaucoup d’influence chez les Noirs américains, beaucoup plus que les trotskystes en tout cas) et la fierté de ses origines africaines !!!

La citation est extraite d’une résolution du Workers Party de 1943 (le Workers Party étant une scission du parti trotskyste américain « officiel ») et d’un passage qui traite du nationalisme noir pas du pseudo caractère « progressif » de l’antisémitisme chez les prolétaires noirs !!! C’est le nationalisme noir américain – du moins quand il est répandu chez les PROLETAIRES noirs, pas chez les petits-bourgeois – qui intéresse CLR James et le Workers Party, et pour lequel ils ont les yeux de Chimène.

C’est la lutte des Noirs américains pour « les droits démocratiques et le socialisme » qui les intéressent, contrairement au PIR de Mme Houria Bouteldja qui se foutent du socialisme comme de leur première chemise, mais sont effectivement des nationalistes de la pire espèce – comme ceux que combattait CLR James, en tout cas dans les années 30 et 40.

Avant et pendant la seconde guerre mondiale, CLR James se battit dans le parti trotskyste (SWP) puis dans le Workers Party pour que la « question noire » ne soit pas mise de côté, mais centrale pour le parti.

CLR James n’avait à ma connaissance aucune complaisance pour l’antisémitisme (et s’il en avait eu il faudrait le dénoncer, et pas du tout s’en féliciter comme Mme Bouteldja).

Ce texte écrit par lui fait partie d’une résolution du Workers Party, parti qui se réclamait de la révolution russe et de la lutte des classes, des quatre premiers congrès de l’Internationale communiste, de la révolution socialiste mondiale, de la révolution permanente, PAS DE LA LUTTE DES RACES et PAS DU NATIONALISME comme le PIR et Mme Bouteldja. Quelques lignes plus loin que la citation manipulée par Mme Bouteldja la résolution du Workers Party dit clairement :

« Le parti prévient le mouvement ouvrier que les éléments fascistes et profascistes, dans leurs efforts pour abattre les organisations ouvrières, ne manqueront pas d’utiliser la tension raciale croissante dans le pays, comme les Nazis ont utilisé l’antisémitisme en Allemagne. »

Cette résolution prend clairement parti contre l’antisémitisme, explique que les éléments fascistes et profascistes utiliseront l’antisémitisme et les tensions raciales croissantes aux Etats-Unis pour « abattre les organisations ouvrières ». L’antisémitisme y est clairement condamné comme une arme de division au service de la bourgeoisie, mais surtout un moyen d’écraser le mouvement ouvrier.

CLR James a pris position à plusieurs reprises contre l’antisémitisme comme par exemple dans ce texte antérieur sur la deuxième guerre mondiale « Why Negroes Should Oppose the War » (Pourquoi les Noirs devraient s’opposer à la guerre) écrit en 1939 et où il déclare : « Il existe aujourd’hui plus de 150 millions de Noirs dans le monde. Il y en a quinze millions en Amérique. Ce sont les personnes les moins bien payées, les plus humiliées, les plus méprisées dans le pays, et dans le Sud, où vivent les quatre cinquièmes d’entre eux, ils sont traités comme les Juifs en Allemagne. Nous savons comment cette grande "démocratie" terrorise les Noirs dans le Sud et comment elle les discrimine dans le Nord. »

Ces citations montrent que, contrairement à Mme Bouteldja, CLR James voyait une similitude entre les persécutions hitlériennes contre les Juifs en Allemagne en 1939 et le racisme de la démocratie américaine à la même époque. Il ne cautionnait absolument pas l’antisémitisme ni en Allemagne ni aux Etats-Unis et ne lui trouvait rien de « progressif » contrairement à cette porte-parole des Indigènes de la République.

On peut ne pas partager les opinions trotskystes de CLR James à l’époque puis son soutien ensuite au panafricanisme. C’est mon cas. On peut considérer que cette résolution est particulièrement malvenue en 1943 alors que le judéocide a commencé et que l’on est parfaitement au courant de la situation des Juifs en Allemagne. C’est mon cas, bien qu’il soit très facile aujourd’hui de juger des erreurs des révolutionnaires qui nous ont précédés.

Encore faudrait-il décrire ce que le Workers Party (dont faisait partie CLR James) a écrit et fait contre l’antisémitisme aux Etats-Unis, contre les organisations pronazies, etc. Je n’ai pas enquêté à ce sujet. Je rappelle quand même que les grands journaux américains annoncèrent en novembre 1942 (dans les pages intérieures pas en première page) que deux millions de Juifs avaient déjà été tués en Europe. Que le PC américain (donc je suppose aussi les trotskystes de l’époque qui les suivaient de près dans toutes leurs initiatives...), des intellectuels dits progressistes (comme Ben Hecht qui joua un rôle important mais bien d’autres), des acteurs et metteurs en scène célèbres de Hollywood et des dirigeants syndicalistes tentèrent – en vain malheureusement – d’obliger l’administration Roosevelt à intervenir pour sauver les Juifs qui n’avaient pas encore été massacrés en Europe. Et en tout cas dénoncèrent l’antisémitisme aux Etats-Unis comme en Europe.

Présenter CLR James comme un partisan du prétendu caractère « progressif » de l’antisémitisme est une FALSICATION ignoble de sa pensée, falsification tout à fait cohérente avec l’idéologie réactionnaire des Indigènes de la République.

Y.C., Ni patrie ni frontières, 23/07/2014

PS. Une partie des écrits de CLR James ont été publiés aux Editions Syllepse (http://www.syllepse.net/lng_FR_srub...). Mieux vaut lire les textes de James que les commentaires des universitaires ou demi-intellectuels postmodernes qui tentent d’enrôler CLR James sous leur bannière en châtrant ses convictions révolutionnaires et... prolétariennes (le gros mot est lâché).

***

Quelques précisions sur le contexte des rapports entre Juifs et Noirs américains dans les années 30 et 40, notamment à New York. Précisions essentielles pour comprendre le passage de la résolution du Workers Party cité par la faussaire Bouteldja qui profite de l’ignorance de ses lecteurs – l’étude de la réalité complexe des rapports entre Juifs et Noirs américains ne fait pas partie des programmes des collèges ou des lycées en France, on peut donc raconter n’importe quoi sur le sujet sans risque d’être contredit – pour cacher sa propre ignorance. Ce qu’il y a d’intéressant c’est que son intervention a été prononcée devant un parterre d’universitaires et de militants qui apparemment n’ont pas réagi non plus. De là à penser qu’eux aussi pensent qu’il existe un "antisémitisme progressif" il n’y a qu’un pas, que je n’hésite pas à franchir tant que les propos de Dame Bouteldja n’auront pas été publiquement dénoncés...

1° Une campagne a commencé dans les années 30 à Harlem « N’achetez pas dans des magasins qui ne sont pas prêts à vous employer ». En clair si un commerçant blanc (juif ou pas) n’employait pas de salariés noirs il fallait le boycotter. Un nationaliste noir fut traité de "Hitler noir" par l’Association des commerçants (dont faisaient partie des commerçants juifs) mais ce militant nationaliste fut défendu par Claude McKay, écrivain jamaïcain naturalisé américain, et qui ne le considérait pas du tout antisémite. On se trouve donc face à des appréciations divergentes sur cette campagne qui n’était pas dirigée contre les Juifs, mais contre les commerçants, ce qui n’est pas pareil... sauf pour les antisémites. Première confusion des genres.

2) La plupart des membres du PC de Harlem étaient Juifs. Certains Noirs méfiants vis-à-vis du PC américain avant le New Deal le sont devenus davantage quand les communistes ont pris plus de poids sous Roosevelt dans les services sociaux ; cela a donc donné naissance à raisonnements antijuifs et anticommunistes chez certains Noirs. Deuxième confusion des genres.

3) De nombreux Juifs contrôlaient des dancings et des salles de théâtre. Comme tous les patrons, quelles que soient leurs origines, ils exploitaient les musiciens et artistes noirs. Cela alimenta un mécontentement croissant des artistes noirs et du public noir qui faisaient vivre ces établissements et avaient l’impression que le fric n’était pas réinvesti à Harlem ou sur place. On en a un écho dans un film de Spike Lee (Mo Better Blues) dans lequel le patron du héros saxophoniste est juif (cela se passe dans les années 80) et où les remarques ambiguës sur les Juifs pullulent ce qu’aucun critique n’a remarqué bien sûr. Troisième confusion des genres.

D’autres infos suivront en fonction de ce que je trouverai comme articles sur le Net ou des extraits de livres sur la question très complexe des rapports entre les Juifs et les Noirs aux Etats-Unis...

Mais déjà, rien qu’avec les trois éléments de contexte ci-dessus on voit qu’il ne s’agissait pas d’antisémitisme racial stricto censu mais d’un mélange d’anticommunisme (enfin d’anti PC stalinien mais peu importe ici), de ressentiment anti-commerçants et anti-patrons (d’un anticapitalisme populaire plutôt positif et qui peut expliquer – expliquer et non excuser, surtout 70 ans plus tard – la formulation de la résolution du Workers Party) et d’antisémitisme économique "classique".

Tout cela la faussaire Bouteldja le cache à ses lecteurs....

PPS. Ceux qui s’intéressent aux positions politiques de Mme Bouteldja et de son parti, le PIR pourront lire :

http://www.mondialisme.org/spip.php...