Chaque jour Internet charrie son lot d’âneries antisionistes qui flirtent avec l’antisémitisme de gauche.
C’est ainsi qu’aujourd’hui j’ai reçu, par l’intermédiaire d’a-infos, ce communiqué de l’Organisation Communiste Libertaire de Strasbourg (http://oclibertaire.free.fr/spip.ph...) dont j’extrais le passage suivant (le reste relevant du délire complotiste comme cette affirmation "Ne faudrait-il pas enfermer une partie de la population de France et d’ailleurs qui soutient et partage les mêmes convictions [que Georges I. Adballah] pendant qu’on y est !") :
"Ce jeudi 16 janvier à Bagnolet se tenait une assemblée d’information en soutien à Georges I. Abdallah. Le Groupe d’Association de Bagnolet avait réservé une salle auprès de la communauté d’agglomération dénommée « EST Ensemble » (bureaucratie sous contrôle du Parti "Socialiste - PS)... La réservation accordée au départ fut annulée à la dernière minute. Après information des organisateurs, dont nous ne pouvons pas douter de leur bonne foi, ces derniers ont informé que le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France - pro sioniste -) serait intervenu auprès du PS pour faire annuler le rassemblement."
Le Conseil communautaire d’Est Ensemble compte 91 délégués (dont 36 élus socialistes ou apparentés) représentant 9 villes : Bagnolet, Bobigny, Bondy, Le Pré Saint-Gervais, Les Lilas, Montreuil, Noisy-le-Sec, Pantin et Romainville, soit plus de 400 000 habitants.
Le Conseil communautaire d’Est Ensemble de l’Ile de France compte également
un bureau avec des représentants du PS, du PG, du PCF, du MRC, des Verts, du Centre et de l’UMP
et 6 commissions permanentes.
L’OCL pleurniche régulièrement qu’on l’accuse d’antisémitisme, mais la voilà prise en flagrant délit. Elle accuse le CRIF d’avoir obligé les 91 conseillers communautaires (ou le Bureau communautaire qui les représente et supervise l’administration de 9 villes de l’Ile-de-France) à refuser une salle de réunion en s’appuyant sur l’affirmation de mystérieux "organisateurs" (de quel service, on l’ignore), information présentée de surcroît au conditionnel, sans citer le nom de leurs interlocuteurs ou des responsables administratifs de cette décision... Pourquoi protéger l’anonymat de ces "socialos-sionistes" s’ils ont vraiment tenu de tels propos ?
Si les militants de l’OCL ont besoin qu’on leur explique comment fonctionne l’antisémitisme, en voilà un excellent exemple.
Le CRIF n’est pas simplement "sioniste", pour reprendre le vocabulaire de l’OCL, mais regroupe surtout des associations JUIVES SANS AUCUN POUVOIR ADMINISTRATIF et SANS LA MOINDRE CAPACITE LEGALE A INTERDIRE UNE REUNION. Prétendre que ce conglomérat d’associations juives pourrait manipuler en coulisses, de façon illégale et occulte, des dizaines de conseillers communautaires d’Ile-de-France, sans compter les maires et les parlementaires de toutes tendances qui font partie du Bureau communautaire d’Est Ensemble, c’est accorder aux Juifs (pardon aux sionistes) le pouvoir de manipuler les institutions de l’Etat français.
Ce n’est pas un simple bobard antisioniste, c’est une saloperie antisémite. Une de plus.
Y.C., Ni patrie ni frontières, 4/3/2014
Commentaire judicieux d’un lecteur à propos du communiqué de l’’OCL : "La stratégie politique de l’OCL Strasbourg serait elle fouettée au ragot ? "
" J’ajoute qu’on ne sait pas à quels "pouvoirs successifs" l’OCL fait allusion. S’agit-il de tous les gouvernements français ? Depuis quand ? Depuis que la France est France ?
Loin de moi de défendre l’Etat français (ni même un quelconque Etat) mais est-ce que les organisations juives de France ont des collusions d’intérêts si importantes (si elles en ont) avec celui-ci au point de pouvoir réellement l’influencer ? Et depuis quand encore une fois ? Depuis la création d’Israel ? Etc etc etc.
Même si la forme ne permet pas vraiment des développements, mais n’empêche pas un minimum de précision, pour l’OCL Strasbourg LES pouvoirs successifs (expression aussi vague que floue) en France considèrent que toute opinion ou activité anti-sioniste est antisémite. Pour raviver les fantasmes de conspiration juive internationale, les équations dangereuses comme par exemple Etat français = Etat sioniste, voire pourquoi pas France = Israël, on peut dire que cette section communiste libertaire est sur la bonne voie.
Pour éviter d’alimenter les fantasmes et les amalgames, l’OCL Strasbourg ferait bien de prouver ce qu’elle avance à propos du "Conseil Représentatif des Institutions juives de France [qui] SERAIT intervenu pur faire annuler le rassemblement". "SERAIT", on nage presque dans les eaux troubles de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours, degré zéro de la scientificité et de la vérité. La stratégie politique de l’OCL Strasbourg serait elle fouettée au ragot ? "
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Pour plus de clarté voici le communiqué dans sa version intégrale (NPNF)
CA 237 février 2014 Non à l’impérialisme de la bourgeoisie française et d’ailleurs… Libérez Georges Ibrahim Abdallah !
jeudi 27 février 2014, par ocl-lyon
En novembre 2003, Georges Ibrahim, militant de la cause palestinienne révolutionnaire, internationaliste et prisonnier politique devait sortir de prison et est être en conditionnelle, alors qu’il est enfermé par la justice Française depuis 30 ans.
Ce n’est pas sans compter sur les obsessions compulsives des États les plus impérialistes de la planète à son égard et sous prétexte que Georges garde intacte ses opinions anti-impérialistes. Ne faudrait-il pas enfermer une partie de la population de France et d’ailleurs qui soutiennent et partagent les mêmes convictions pendant qu’on n’y est !
Aussi, toute activité ou opinion anti-sioniste sont considérés par les pouvoirs successifs français comme anti-sémite. Ce fantasme sert bien le pouvoir de l’État Israélien et sa politique d’apartheid envers les communautés dominées de la région. Cette confusion idéologique, entretenue par l’État français et ses mandarins, sert aussi à manipuler l’opinion et mettre à l’index sous prétexte d’anti-sémitisme toutes personnes critiquant l’État colonial d’Israël.
Ce jeudi 16 janvier à Bagnolet se tenait une assemblée d’information en soutien à Georges I. Abdallah. Le Groupe d’Association de Bagnolet avait réservé une salle auprès de la communauté d’agglomération dénommée « EST Ensemble » (bureaucratie sous contrôle du Parti Socialiste – PS)...
La réservation accordée au départ fut annulée à la dernière minute. Après information des organisateurs, dont nous ne pouvons pas douter de leur bonne fois, ces derniers ont informé que le CRIF (conseille représentatif des institutions juives de France – pro sioniste -) serait intervenu auprès du PS pour faire annuler le rassemblement.
Pas étonnant car tous les gouvernements de France successif quels que soient leurs étiquettes n’ont jamais déviés de leur politique impérialiste séculaire et sécuritaire.
OCL Strasbourg
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Commentaire d’un autre lecteur
Il me semble que tu t’égares, à propos du communiqué de l’OCL, aussi mauvais soit-il. Que le CRIF cherche à faire annuler des réunions publiques hostiles à Israël, rien de bien surprenant, il le dit lui même sur son site, considérant qu’elles sont de nature à troubler l’ordre public. Pour le faire, il n’y a pas besoin de contrôler les maires de 91 communes, juste d’envoyer un courrier à l’élu responsable des prêts de salles, voire à un quelconque technicien de la communauté d’agglomération. La crainte de débordements, d’articles dans la presse, etc. surtout en période électorale, peut suffire. Quand on connait le fonctionnement de l’administration, ça n’a rien de surprenant. Et l’OCL ne dit rien de plus là-dessus, même si la phrase grandiloquente sur le gouvernement laisse penser qu’ils ne comprennent pas grand-chose aux collectivités locales. Si je te l’écris, c’est parce que ce n’est pas le moment de prêter le flanc à la critique facile, vu comme la situation se tend.
Réponse
Merci de ton opinion. Je ne pense pas que cela se réduise à une simple maladresse de style. Je crains qu’il s’agisse d’une question plus large comme l’indique l’introduction de leur communiqué qui affirme qu’une partie de la population française partagerait les opinions d’Abdallah (premier délire) et de plus risquerait d’être mise en prison (deuxième délire).
De surcroît le commentaire du lecteur que j’ai publié ci-dessus me paraît lui aussi pertinent.
Une bonne partie des gauchistes croient comme Badiou et Hazan être des victimes des "sionistes" alors qu’ils sont des vecteurs de l’antisémitisme, inconsciemment le plus souvent, consciemment dans d’autres cas (cf. Bricmont et ses calculs sur la portée progressiste de l’antisémitisme) mais le résultat est le même.
Quant à la tension de la situation que tu évoques, effectivement, c’est toujours en période de crise, notamment identitaire que l’antisémitisme croît. On y est en plein, dans la crise, économique ET identitaire (crise de l’euro et des institutions européennes, redéfinition des pouvoirs des différents Etats nations, etc.). Il existe en anglais des articles très intéressants sur les modes antisémites au Japon à des moments clés de son histoire, alors que les Juifs y étaient et y sont quasi inexistants. L’antisémitisme réapparaît toujours dans les moments de crise identitaire pour les peuples et a fortiori les Etats nations, y compris dans des pays où les Juifs et les juifs ne constituent que des minorités microscopiques.
Alors en France ne me dis pas qu’ils ne constituent pas une cible facile ! Sinon comment expliques-tu le silence de tous les gauchistes pendant 10 ans sur la propagande antisémite de Dieudonné ? L’article incroyable de Bouteldja sur Merah puis plus récemment son intervention sur Dieudonné au Forum "Penser l’émancipation" justifiant l’antisémitisme comme "progressiste" en falsifiant la pensée de CLR James ?
Oui la situation se tend, les tensions identitaires s’exacerbent, DONC l’antisémitisme croît. Si l’OCL ou d’autres gauchistes ne le comprennent pas c’est aussi fondamentalement que certains d’entre eux pensent encore comme les sociaux-démocrates allemands des années 1880-1890, ou comme certains anarchistes exactement à la même époque, qu’on pourrait chevaucher la vague d’antisémitisme anticapitaliste (aujourd’hui j’ajouterais anti-impérialiste en raison des liens privilégies entre Israël et les Etats-Unis) et l’orienter dans une direction révolutionnaire.
Ils creusent notre tombe à tous par leur irresponsabilité, leur confiance dans la toute-puissance de leurs raisonnements et/ou leurs calculs politiques.
Amitiés Yves
Post-scriptum : suite à un débat engagé avec un lecteur sur Facebook, je tiens à apporter quelques précisions
1. Je ne pense pas que toute l’OCL soit antisémite, ni même toute la section de l’OCL de Strasbourg. Si la virulence de mon billet peut le laisser penser, c’est dommage car ce n’est pas mon opinion. A mon humble avis il s’agit d’une question plus intéressante que de lancer des anathèmes contre cette organisation ou d’autres...
2. La première chose qu’il faut reconnaître si on veut engager un débat utile c’est qu’il existe une tradition antisémite anticapitaliste et/ou anti-impérialiste particulièrement vivace en Europe, mais aussi ailleurs. A ma connaissance seuls deux groupes très différents ont bossé sur cette question et se sont démarqué publiquement des ambiguités des milieux gauchistes et altermondialistes sur cette question : l’AWL en Grande-Bretagne (un groupe trotskyste) et Doorbraak (issu de la fusion de deux autres groupes avec De Fabel van de illegaal) aux Pays-Bas, organisation que l’on pourrait étiqueter grosso modo comme communiste libertaire. Je pourrais inclure les Anti-Deutsch en Allemagne, qui viennent au départ du maoïsme, mais leurs positions ne peuvent plus depuis longtemps être qualifiées d’extrême gauche, même au sens le plus vague de ce terme, puisqu’elles sont devenues "pro-impérialistes" et "pro-sionistes" pour résumer à la louche leur itinéraire.
3. A ma connaissance ni l’OCL ni aucun des groupes libertaires ou d’extrême gauche français ne se sont posé cette question et n’ont essayé de l’approfondir. Ou alors j’attends qu’on me fournisse les textes. Tous ces groupes, en France comme ailleurs, nient ce phénomène ou le réduisent aux délires de quelques individus isolés, de quelques ultragauches décérébrés ou aux calomnies des "sionistes" pour faire taire toute critique contre Israël.
4. Pour expliquer cet antisémitisme anticapitaliste et/ou anti-impérialiste je vois plusieurs facteurs à l’oeuvre qu’il faudrait évidemment détailler :
a) l’incapacité des marxistes et des anarchistes à définir une position matérialiste sur ce qu’il est convenu d’appeler la question juive (comme d’ailleurs sur d’autres questions nationales, religieuses ou culturelles) :
b) la méconnaissance abyssale de l’histoire du peuple ou des peuples juifs – et évidemment aussi de la religion juive (d’où par exemple les propos absurdes sur le "Peuple Elu", dénonciation qui repose sur un contresens grossier) ;
c) la tendance, dans la propagande quotidienne voire dans certains écrits plus théoriques, à toujours personnaliser, diaboliser, certains exploiteurs – en particulier les usuriers et banquiers juifs, et à ignorer le système capitaliste.
d) l’illusion que l’anticapitalisme antisémite populaire de droite ou d’extrême droite pourrait avoir un côté progressiste : en clair, les prolétaires antisémites ont tort de limiter leur haine du système à quelques individus mais ce n’est pas grave les choses se décanteront, ils ouvriront les yeux et bientôt se rendront compte que c’est tous les capitalistes qu’il faut haïr, et plus largement tout le système capitaliste, pas simplement la "banque ou la finance juive".
e) une sous-estimation, et surtout généralement une négation totale, de l’importance de l’antijudaïsme puis de l’antisémitisme moderne dans les pays dits musulmans (les 57 Etats de l’Organisation pour la Conférence islamique). Négation fondée à la fois sur une méconnaissance de l’islam, du statut discriminatoire des dhimmi, du rôle politique de la religion dans ces pays y compris dans les mouvements dits de libération nationale au XXe et XXIe siècles et parfois sur une notion baroque celle de l’existence de peuples sémites (Juifs et Arabes étant rangés dans la même ethnie, ce qui est contraire à tous les enseignements de l’histoire et de l’anthropologie) ;
f) une volonté de se débarrasser à bon compte des problèmes politiques posés par le judéocide européen (l’apathie, le silence gêné de la gauche face à ce judéocide pendant et après la Seconde Guerre mondiale) en la ramenant à un passé lointain, quasi préhistorique, ou plus prosaïquement à une paranoïa multiséculaire des Juifs et des juifs ;
g) la volonté des courants gauchistes de s’adapter à la mode multiculturaliste et postcoloniale anglosaxonne dans les milieux universitaires, importée ensuite en Europe. Cette attitude les a notamment poussés à diviser les sociétés occidentales en deux catégories : les Blancs et les non-Blancs. Les Juifs étant rangés dans la catégorie des "Blancs" la critique de l’antisémitisme actuel, moderne, est passé à la trappe. Le gauchiste moyen et même l’intellectuel gauchiste ou altermondialiste moyen est incapable de comprendre qu’on puisse être "Blanc" et victime de discrimination raciste puisque dans sa tête la discrimination principale (en fait la seule) est celle qui vise les "non Blancs". Le Juif n’a donc qu’à fermer sa gueule. On remarquera que cette intransigeance ne s’applique pas aux homosexuels, lesbiennes, queer, transgenre et aux femmes dont les gauchistes multiculturalistes reconnaissent la domination ou l’oppression même si ces homosexuels, lesbiennes, queer, trans ou femmes appartiennent aux "classes moyennes" ou à la petite bourgeoisie.
h) la confusion et l’amalgame sous le terme vague d’islamophobie d’au moins plusieurs phénomènes différents : le racisme traditionnel, le racisme systémique, les passions religieuses antimusulmanes et la critique athée rationaliste des religions.