Texte publié sur le site armurerie.wordpress.com/2014/02/16/lettre-ouverte-a-une-camarade-antifa-que-lantisionisme-ne-derange-pas/
CherE camarade antifasciste,
il y a longtemps que je voulais t’écrire mais je ne l’ai pas fait.
Il aurait fallu commencer par parler d’Histoire et je ne voulais pas te donner une leçon, ni réinventer l’eau tiède, juste parler du sens des mots.
J’ai justement essayé de te parler, mais tu n’as pas écouté.
Nous étions, coudes serrés, derrière notre barricade à 2 côtés et c’était important d’y être, plus que de parler, croyais-je.
Nous nous rassurions sur les concessions et les compromis qu’il fallait accepter de faire pour être si nombreux du nôtre.
On se disait que le temps d’autres combats viendrait après.
Je me suis tue sur mes doutes quant à la présence de drapeaux, fussent-ils palestiniens. Je partageais après tout le sentiment d’urgence à soutenir la création d’un Etat palestinien.
Je me suis tue en entendant des slogans contre le sionisme. Je partageais après tout la légitime critique de la politique de l’Etat d’Israël, que nous combattions, encore une fois, coude à coude.
Je voulais pourtant te parler à ce moment là, pour t’expliquer le sens du mot sionisme, te dire que c’était une erreur et qu’il était dangereux de l’utiliser ainsi, mais on m’a dit de me taire.
Je me suis tue.
Après tout nous étions du même côté, coude à coude.
Et puis le mot à « sionisme » à explosé dans un contexte de racismes et de fascismes virulents et décomplexés instrumentalisés et alimentés par le gouvernement, comme une réponse et une cause à tous les autres.
Les "sionistes" devenaient une entité oppressive dominante au contrôle des fantasmes de personnes que nous connaissions que trop bien pour les combattre depuis si longtemps.
Leurs rangs se resserraient de l’autre côté de la barricade, ces antisionistes à côté de nos autres luttes, coude à coude. Ils criaient « mort aux juifs ».
Alors il fallait parler, informer.
Je l’ai fait.
Mais pas à toi. Tu savais qui ils étaient, tu avais reconnu dans leur quenelle le salut nazi des lâches, tu savais remplacer le mot « sioniste » par le mot « juif » dans leur bouche.
Alors nous nous sommes de nouveau et à juste raison, retrouvés coudes serrés, derrière notre barricade.Mais cette fois vous avez crié « Paris-Gaza antifa », ce qui pour moi signifie qu’à Gaza comme à Paris l’oppresseur est le même : le « sioniste ».
Il y avait écrit sur la banderole sionisme et fascisme.
Et j’ai eu vraiment peur.
Alors je vais simplement te dire ce qu’est le sionisme. Le sionisme c’est un mouvement de libération collective des juifs en tant que peuple avec pour but la création d’un Etat.
L’Etat d’Israël existe aujourd’hui, le sionisme devrait appartenir à l’Histoire révolue.
Seulement Israël n’est toujours pas considéré comme allant de soi en droit et en fait alors le sionisme peut se définir comme la considération de la légitimité de cet Etat.
L’antisionisme ce n’est pas la critique nécessaire de la politique colonialiste du gouvernement d’Israël (tiens, tu sais qu’il y a des colons antisionistes ?), c’est la négation du droit à exister d’Israël. C’est une entreprise de délégitimation qui ne vise ni les structures juridiques de l’Etat, ni la politique de son gouvernement, elle met en cause sa société et le peuple qui en constituent la part essentielle.Le mot sionisme en est venu à résumer tout ce qui rend Israël injuste et haïssable.Cette délégitimation est un vecteur de haine et d’antisémitisme qui porte atteinte à la paix, car comment y parvenir en niant les droits d’un des peuples en présence ?
Et puis pourquoi ne s’opposer qu’à cet Etat si la juste justification de cette opposition est l’oppression du peuple palestinien et pas aussi à la Syrie par exemple ? Les palestiniens opprimés par Assad sont exclus du combat antisioniste parce qu’ils ne sont pas opprimés au bon endroit ?
Et pourquoi toujours seulement Israël ? Pas la Russie, la Hongrie, le Rwanda ou la Syrie ?
Pourquoi refuser à Israël et à Israël seul le droit à l’autodétermination ?
Mais le discours antisioniste bénéficie de cette présomption d’innocence, selon laquelle il devrait être ipso facto exempt de tout soupçon d’antisémitisme qui peut donc aussi s’y abriter. Et nous pourtant nous le savons. Et c’est le contexte.
Les mots ont un sens qu’on ne peut pas réinventer et une portée que l’on ne peut pas ignorer.
Manifester dans ce contexte sans le prendre en considération, en feignant d’ignorer qui s’en sert et qui cela sert, si ce n’est pas pas de l’inconscience, cela tend à l’exacerbation volontaire des amalgames.
Et si tu n’as pas réfléchi à qui cela allait servir, tu n’as pas réfléchi non plus qui cela allait blesser. N’y avait-il pas pourtant dans cette manifestation une volonté de répondre aux slogans antisémites de celle qui l’a précédée ?
De toutes façon je suis contre toute forme de nationalisme mais puisque la binarité d’une barricade nous oblige à l’être, voilà simplement mes mots.
Et alors oui je suis sioniste. A cause des 2 côtés. Tant qu’il le faudra. Hélas. Attention à la barricade, elle est une bien mince frontière qui menace parfois de tomber sous le poids de ceux qui sont du même côté par compromis et concessions. Parce qu’il n’y a que 2 côtés. Encore. Toujours.
La paix et l’Etat palestinien ne sauront se construire que sur la reconnaissance des peuples en présence.
Et la paix à besoin de bâtisseurs de paix.
Cher camarade antifasciste, il y a longtemps que je voulais t’écrire mais il est trop tard.
Je n’ai qu’un seul combat : l’antifascisme.