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Egypte : L’armée, les Frères musulmans et le prolétariat (Mouvement communiste)

vendredi 11 octobre 2013

ÉGYPTE : L’armée emploie la force pour reprendre le contrôle de l’exécutif ; les Frères se préparent à un long combat ; le prolétariat tarde à entrer en scène pour lui-même (Mouvement communiste, Bulletin n° 5, 9 septembre 2013).

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Mouvement Communiste/Kolektivně proti Kapitălu

Bulletin n°5 09 septembre 2013

ÉGYPTE : L’armée emploie la force pour reprendre le contrôle de l’exécutif ; les Frères se préparent à un long combat ; le prolétariat tarde à entrer en scène pour lui-même Un peu plus de deux ans se sont écoulés et aux mêmes causes ... Réduction des subsides alimentaires et énergétiques, pénuries à répétition, y compris dans les grandes villes, hausse des prix alimentaires, ras le bol de l’ordre moral instauré par les Frères et chômage surtout des jeunes sont à l’origine des manifestations de juillet 2013. Manifestations qui ont été précédées par plusieurs éruptions urbaines violentes au printemps. L’armée, surfant opportunément sur la vague de mécontentement, a repris la tête de l’État et avec l’approbation d’une partie de la population, a éjecté le président Morsi issu des rangs des Frères musulmans.

Une crise politique aiguë au sommet d’un État au bord de la faillite aggravée par la longue crise de valorisation du capital

Les données brutes sont éloquentes. Le taux de change de la livre égyptienne face au dollar a fortement diminué, passant de 6 livres pour 1 dollar en 2011 à un peu plus de 7 livres pour un dollar en 2013. Les achats de blé et de pétrole se font en dollar, ce qui alourdit d’autant la facture de l’État égyptien qui applique des subsides massifs aux prix de vente de la nourriture et de l’énergie pour les particuliers et les entreprises (en trois ans, les prix à la consommation ont augmenté de plus de 33,6 %, tandis que l’indice des prix alimentaires a, lui, augmenté de près de 50 % ). Conséquence : le déficit budgétaire de l’État Égyptien dépasse 14 % du PIB pour le budget 2012/2013. Les réserves de change en devises fortes qui servent à la fois à soutenir le cours de la monnaie nationale, à garantir les emprunts publics, à les repayer quand ils arrivent à échéance et, éventuellement si le contexte l’impose, à régler des achats de nourriture et d’énergie en devises étrangères, ont fondu de 36 milliards de dollars début 2011 à environ 15 milliards de dollars début juillet 2013.

La croissance du PIB qui était de l’ordre de 5 % par an en moyenne entre 2000 et 2008 n’est plus que de l’ordre de 2,2 % en 2012 et est attendue à 2 % en 2013 (source FMI). L’Égypte aurait besoin d’une somme comprise entre 10 et 30 milliards de dollars de financement externe jusqu’en juin 2014 pour honorer les dettes arrivant à échéance. Le risque de défaut de paiements de la part de l’État devient jour après jour plus élevé. L’Égypte doit restituer des prêts pour 5 milliards de dollars dans les quatre mois à compter de novembre prochain. Un défaut aurait des conséquences dramatiques pour le secteur financier du pays dominé par les banques nationalisées et dont quelque 40 % des actifs totaux sont des titres financiers adossés à la dette publique. Des pays comme l’Arabie Saoudite, le Koweït ou les Émirats Arabes Unis ne pouvant permettre que la situation égyptienne contamine l’ordre de la région, ont accordé des prêts pour 12 milliards de dollars. Ces prêts devraient permettre à l’Égypte de souffler mais ne résolvent en rien les problèmes économiques, sociaux et politiques qui l’affectent.

La dégradation des conditions de vies des égyptiens occasionnée par la chute de la livre égyptienne face au dollar et la hausse des prix des matières premières explique que l’on retrouve massivement parmi les manifestants anti-Morsi, non seulement des jeunes laïcs, mais aussi énormément de musulmans qui avaient voté pour Morsi et qui avaient massivement approuvé le changement de constitution.

La marge de manœuvre des Frères Musulmans à la tête de l’État était très réduite car la restructuration indispensable au capital de l’État égyptien ne pouvait se faire qu’à trois conditions impossibles à remplir dans le contexte donné. D’abord, il leur aurait fallu procéder à la réduction drastique, voire la suppression, des subsides de l’alimentation et du prix de l’énergie, ce qui inévitablement allait amener à des grèves et des protestations massives. Les mesures de réduction des dépenses publiques qui auraient dû suivre, allaient finir inévitablement par toucher le budget de l’armée, ce qui explique en grande partie la réaction de cette dernière. Ensuite, il aurait fallu accentuer le processus de « déflation intérieure » lancé par la dépréciation violente de la devise nationale en baissant par des dispositifs législatifs idoines encore davantage le coût déjà faible de la force de travail pour pallier l’incapacité du capital social local à accroître sa compétitivité face aux pays concurrents par l’intermédiaire d’investissements de productivité. Enfin, le gouvernement Morsi aurait dû garantir la paix sociale y compris par la force pour restaurer pleinement l’ordre productif dans le pays.

Un compromis historique qui cherche à chaud sa formule durable

En Égypte, il n’y a que deux forces politiques réellement organisées : l’armée et les Frères Musulmans. Deux autres cherchent à tirer avantage de la situation mouvante pour exister : la dite opposition laïque et les salafistes.

L’armée est une armée de guerre civile, bien outillée pour la répression interne. Si elle a subi des défaites à l’étranger tout au long du XXème siècle, elle a montré sa force militaire à l’intérieur et sa force économique, tant dans les entreprises publiques que privées, tant dans le secteur civil que militaire. Elle est la seule puissance politique capable de contenir l’influence des Frères.

Dans la situation actuelle, la priorité de l’armée est de préserver ses intérêts et de jouer une nouvelle fois « les faiseurs de rois ». En revanche, son État-major ne souhaite pas prendre directement l’exécutif car son rôle d’ultime recours et de gardien super partes de l’État s’en trouverait entamé. L’armée peut compter encore aujourd’hui sur de nombreux relais politiques issus à la fois du régime Moubarak et de plusieurs formations démocratiques nouvelles constituées dans la foulée du dit printemps arabe. Ces relais ne sont pas encore en mesure de concurrencer les Frères mais ont montré une efficacité croissante pendant la campagne pour destituer Morsi. Aussi, l’armée ne désespère pas de diviser les formations islamistes et de rallier à son projet au moins une partie d’entre elles en marginalisant la fraction la plus déterminée en la poussant à un combat armé inégal de longue durée.

Le mouvement des Frères est composé d’un noyau dur regroupant des vieux militants aguerris et capables, formés dans la clandestinité et ayant survécus à la répression. Sa base repose sur des organisations de masses profondément enracinées dans la société égyptienne. Le mouvement des Frères ne constitue pas formellement un parti politique mais recouvre une myriade d’associations caritatives, d’entraide, offrant à ses membres des soutiens divers et, plus généralement, une communauté. À côté des œuvres caritatives, les Frères disposent d’un réseau de société et d’entreprises. Bien qu’hostiles au capital étranger, les Frères sont libéraux sur le plan économique. Favorables à un État et une fonction publique dégraissés, ils ont toujours soutenu les différentes politiques de privatisation et d’ajustements structurels des successeurs de Nasser, considérant la propriété privée comme un droit béni par l’Islam. Ces organisations sont dirigées par de nombreux cadres intermédiaires qui, pour la plupart d’entre eux, sont assez bien vus par la population car, jusqu’ici, peu ou pas impliqués dans les mécanismes de corruption.

Le mouvement des Frères est avant tout un organisme pré-politique de type communautaire, très enraciné dans certaines franges de la population mais qui, de par son histoire d’oppositionnel au pouvoir et de structure essentiellement religieuse et caritative, manque de cadres capables de diriger les affaires d’État. Une fois au sommet de l’exécutif, les Frères n’ont pas réussi non plus (tout comme l’armée avant eux) à attirer des technocrates expérimentés peu envieux d’être associés soit à un Conseil militaire au pouvoir impopulaire, soit à l’idéologie obscurantiste de la confrérie.

Les salafistes étaient totalement absents des manifestations du début, en position d’attente. Mais très vite, compte-tenu de l’ampleur du mouvement et de l’ostracisme dont ils sont la cible par les Frères, ils vont le rejoindre. Pour autant ils évitent de mobiliser massivement leurs troupes dans les rues aux côtés des anti-Morsi laïcs. Leur tactique est simple : prendre la place des Frères dans les négociations institutionnelles afin d’obtenir des positions dans l’exécutif. Positions qui leur avaient été niées par les Frères. Leur argument principal est que l’éjection du fusible Morsi préserve la place des musulmans dans le jeu institutionnel.

Depuis, leur attitude n’a pas changé. Ils essayent de passer à travers la vague anti-Morsi, de ne pas être mis dans le même sac que son gouvernement, tout en évitant une confrontation directe avec les Frères, affaiblis mais encore bien vivants. Traduction : non-participation mais soutien critique au nouveau gouvernement.

L’opposition dite laïque : Tamarod, formé au printemps par trois jeunes démocrates issus de milieux aisés présents dès les premières agitations dans la place Tahrir, qui militait dans les rangs de Kefaya (Mouvement égyptien pour le changement), depuis 2011. C’est un regroupement nationaliste arabe qui s’est développé à partir des mouvements de protestation de 2004 et dont les racines sont à rechercher dans les comités de soutien à la Seconde Intifada d’octobre 2000. Kefaya est le fruit de la convergence de plusieurs forces démocratiques bourgeoises égyptiennes qui se sont placées sous la houlette du nassérisme. Le Mouvement peut aussi compter sur l’appui d’une partie de la communauté copte. Professeur et consultant de son état, George Isaac, l’un de ses fondateurs, né à Port Saïd, est un membre influent de cette communauté religieuse. Il a contribué à la formation, fin avril 2012, du Parti de la Constitution de Mohammad ElBaradei. Kefaya a été la force la plus organisée présente à la place Tahrir avant l’arrivé en force des Frères.

Le mouvement Tamarod est donc une structure agile et circonstanciée de Kefaya qui a apporté, aux manifestations qui ont débouché sur le coup d’État, ses militants et ses relations influentes dans les milieux bourgeois. Tamarod, mouvement spontané et « de base » ? Pas vraiment..... En revanche, sa capacité de capitaliser le mécontentement croissant de la population a été bien réelle. Aujourd’hui, il capitalise ce nouvel enracinement en soutenant la répression menée par l’Armée.

Un coup d’État rondement mené et préparé depuis longtemps

De toute évidence, le coup d’État, entrepris en juillet par l’Armée égyptienne, a été préparé de longue date, avec probablement l’accord de l’allié traditionnel de l’armée, à savoir les États-Unis . La police, l’armée et la magistrature ont organisé bien avant juillet 2013, une sorte de paralysie du pays. L’insécurité a d’ailleurs été favorisée par la passivité des forces de l’ordre qui ne sont que rarement intervenues lors des viols collectifs , des lynchages ou des attaques des bâtiments tenus par les Frères. Les opposants à Morsi ne pouvaient que se réjouir de cette situation car les conséquences retombaient systématiquement sur le président en place. Aux premiers signes de l’intervention de l’armée sur la scène politique égyptienne, elle fut acclamée par une majorité de manifestants anti-Morsi. Ensuite, l’armée a su capitaliser ce sentiment nationaliste, par exemple, en faisant survoler la place Tahrir par des hélicoptères ornés d’immenses drapeaux égyptiens. Ces éléments ont incontestablement contribué à créer les conditions matérielles et l’adhésion populaire au coup d’état. L’armée ne s’est pas seulement assurée du soutien populaire des opposants à Morsi, elle a également compté avec ses alliés étrangers de toujours. Afin de les rassurer, les putschistes ont confirmé le respect de tous les accords internationaux signés (dont ceux de coopération militaire avec les USA et les traités de paix avec Israël) et sécurisé le canal de Suez.

La classe ouvrière ne s’engage pas encore pour elle-même

Est-ce que ces événements sonnent le glas de la présence des Frères musulmans dans la société égyptienne ? Non, évidemment, si leurs bases sont ébranlées, elles ne sont pas cassées. Leur sommet est en grande difficulté, traversé par un débat difficile sur la marche à suivre à moyen/long terme, et avec de nombreux responsables arrêtés ou morts. Toutefois, cette association a prouvé pendant des décennies d’être en mesure de survivre à la répression la plus féroce. Le mécanisme qui les a rendus si forts est encore en place. La tactique adoptée après le coup d’État n’est pas nouvelle et bien rodée : mobiliser la rue pacifiquement à partir des mosquées et harceler, y compris s’il faut en payer un prix élevé en vies, les forces de répression sans tomber dans le piège de l’affrontement armé direct. Il est peu probable, à ce stade, que des secteurs minoritaires des Frères choisissent la voie de l’action directe. La discipline de fer qui règne dans l’association n’est pas démentie par les derniers développements. Pendant ce temps, la direction poursuit les tractations avec les puissances et les mouvements étrangers qui lui sont acquis ou qui se montrent sensibles à leur cause. Objectif : exercer une pression de l’intérieur et de l’extérieur du pays pour revenir dans le jeu institutionnel la tête haute.

Quant à l’armée, sa ligne est simple : créer les conditions pour le retour au pouvoir d’une coalition de forces capables de contrebalancer les Frères. Pour ce faire, la connexion avec le mouvement anti-Morsi est essentielle. Mais elle veut aussi rembarquer les Frères ou une partie d’entre eux dans le compromis institutionnel forgé après la chute de Moubarak. L’opération de rééquilibrage à chaud des forces en présence qui a pris la forme d’un coup d’État sur fond de guerre civile à peine larvée n’a pas encore capoté. Le bras de fer se poursuit dans la rue au moyen d’actions répressives brutales, qui ont déjà fait plus de 1 000 morts, mais ciblées, susceptibles de diviser les Frères sur la riposte à donner. Entre-temps, les pourparlers se poursuivent avec Morsi lui-même et avec les nombreux agents de liaison nationaux et étrangers dont disposent les Frères. Le changement de la Constitution selon des critères acceptables par les généraux et la fixation des dates d’une nouvelle tournée électorale sont au cœur des tractations.

Les grandes puissances globales et régionales sont désormais explicitement de la partie. Les pays riches du Golfe mettent la main à la poche pour renflouer d’urgence les caisses de l’État. Les États-Unis et l’Union européenne offrent leurs bons offices pour rétablir au plus tôt un semblant de vie démocratique et de légalité dans le pays. Craignant un basculement d’alliances dans la région, la Turquie, le Qatar et le Hamas persistent à soutenir les Frères et leurs revendications. Israël se tait tout en tentant, avec le parrainage des puissances occidentales, de relancer les négociations dites de paix avec l’Autorité palestinienne et, indirectement, avec le Hamas. Les autres pays arabes, dont les régimes syrien et libyen, se rangent bruyamment du côté de l’armée à l’exception près de la Tunisie où les islamistes au pouvoir d’Ennahdha sont en difficulté et tentent d’éviter la dérive égyptienne vers la guerre civile.

Le prolétariat d’Égypte, pour sa part, est bien présent dans la rue et dans les deux camps qui s’affrontent. Les prolétaires en uniforme de l’armée, des secteurs de prolétariat des villes aux activités économiques les plus développées (Port Saïd et Alexandrie par exemple), des segments amples de la fonction publique dont les secteurs à plus fort taux de syndicalisation, des bataillons de sans réserves du Caire intéressés par le désordre bien ordonné et les trafics de l’époque Moubarak, des fractions amples de jeunesse scolarisée ont soutenu ouvertement le coup d’État. Leurs motivations sont en revanche très différentes.

Les soldats n’ont pas leur mot à dire bien encadrés par des officiers soudés par la cause commune du maintien de la primauté de l’armée. Il faut savoir aussi que la majorité des officiers de l’armée égyptienne sont des fils de paysans, qu’il s’agisse d’engagés volontaires, de conscrits ou même d’officiers des forces de sécurité. Ceci expliquant en grande partie pourquoi les campagnes, qui ont pourtant souffert de la crise, n’ont pas bougé. L’armée y est très implantée.

Chez beaucoup de prolétaires des villes, il y a un mélange de sentiments anti-Frères (contre leur ordre moral) et de juste protestation contre la vie chère qui a souvent débouché en émeutes depuis le printemps. Les luttes contre la vie chère semblent prendre corps y compris dans les zones rurales du Nil. Peu touchés par la crise, nombre d’employés du secteur public, craignent de perdre des postes acquis pendant l’ère Moubarak et de faire l’objet d’une épuration par les Frères au pouvoir. Les sans réserves des grandes villes, quant à eux, sont prisonniers des mécanismes de l’économie grise ou criminelle. La volonté affichée par les Frères de boucher ces canaux de survie en a fait basculer beaucoup du côté de l’armée.

Enfin, les composantes démocratiques plus ou moins radicales les plus lucides du mouvement de la jeunesse scolarisée ont vu dans le coup d’État un moindre mal face à la menace contre la dite révolution et contre le processus d’établissement en Égypte d’une démocratie moderne à l’occidentale. Aucune expression autonome significative n’est apparue pendant le mouvement anti-Morsi et à plus forte raison après le coup d’État.

Dans le camp des Frères, on retrouve, à l’exception près des soldats, les mêmes composantes du prolétariat d’Égypte que celles qui s’y opposent. Leurs motivations, en revanche, sont nettement plus homogènes reflétant fidèlement la ligne politique adoptée par leur parti. La véritable force des Frères réside précisément dans leur capacité, au cours des décennies d’opposition, de former une organisation de masse soudée autour de son groupe dirigeant et de son programme.

Les anciennes classes moyennes (professions libérales, commerçants et petite paysannerie plus ou moins pauvre pour l’essentiel) et la nouvelle bourgeoisie n’ont pas, à leur tour, la capacité d’exprimer un point de vue unifié et se polarisent d’une façon analogue au prolétariat. Les milieux financiers internationaux, pour leur part, sont relativement confiants vis-à-vis du coup d’État militaire.

Ce tableau des forces sociales en présence ne justifie aucun triomphalisme par rapport aux développements probables de la situation en Égypte. L’absence de tout processus d’autonomie politique du prolétariat et plus largement des classes subalternes ne fait pas envisager à court/moyen terme l’amorce d’une reprise en grand de la lutte de classes. Néanmoins, l’instabilité politique et sociale aiguë qui s’est installée dans ce pays rend possible, quoique improbable en l’état, des accélérations et de nouvelles polarisations qui pourraient déboucher sur l’irruption sur scène des classes subalternes avec un projet propre. L’épisode du coup d’État de l’armée est fondé sur le risque très calculé d’exacerber les combats entre partisans des deux fractions en conflit pour que l’État et l’armée en tirent le meilleur parti.

Un État et une armée qui, faute de vainqueurs dans la rue, se proposeraient à nouveau comme les seuls garants de la paix civile et de la cohésion sociale, en un mot de l’intérêt général. Il ne s’agit que d’une variante spécifique du bonapartisme. Marx définit le bonapartisme par « la victoire du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif » avec l’État qui semble « être revenu à sa forme primitive, à la simple domination insolente du sabre et du goupillon » « La lutte parut apaisée en ce sens que toutes les classes s’agenouillèrent, également impuissantes et muettes, devant les crosses des fusils »... le rêve des généraux égyptiens. En dépit de la mascarade de l’installation d’un exécutif d’experts et de personnages éminents présumés super partes, l’armée égyptienne du coup d’État permanent présente aujourd’hui « le pouvoir gouvernemental comme une antithèse de la société civile, c’est-à-dire comme un extrême dominateur ».

Mais l’état-major de l’armée et ses influents conseillers et bailleurs de fonds étrangers savent parfaitement que cette situation n’est guère tenable longtemps. D’autant plus que le nouveau régime n’a pas beaucoup plus à donner aux masses affamées et survoltées que celui qui vient d’être évincé par la force. « Le pouvoir de l’État ne plane pas dans les airs », rappelait encore Marx.... Il faudra que le pouvoir de l’État revienne sur terre au plus vite sous peine que l’armée elle-même devienne la cible de la critique pratique des masses déshéritées d’Égypte.

Les usines continuent de produire . À quelques rarissimes exceptions près, l’ordre capitaliste règne dans les ateliers. En témoigne le bond des exportations de marchandises hors hydrocarbures. Après avoir crû d’un modeste 2 % en 2012, les exportations de ces marchandises ont rebondi de 15 % en valeur, à 65,50 milliards de livres, (grâce notamment à la dépréciation de la devise nationale) dans les cinq premiers mois de 2013 par rapport à la même période de l’an passé. Le rebond des exportations est encore plus accentué dans le textile (+16,5 % sur la même période, à 2,44 milliards de livres). Or, tout réveil de la classe passe nécessairement par l’installation progressive et par la lutte indépendante du pouvoir ouvrier dans les lieux de l’exploitation. L’Égypte ne fait pas exception.

La crise politique et économique égyptienne connaîtra d’autres soubresauts violents. Elle ne s’est toujours pas transformée en situation prérévolutionnaire et encore moins en l’ouverture d’un processus menant à la révolution communiste car le prolétariat, abondamment présent sociologiquement dans les combats en cours, n’existe pas encore pour lui-même.

Il faut garder à l’esprit que pour qu’une situation prérévolutionnaire ou révolutionnaire se déclare, il faut deux ingrédients objectifs – l’arrêt du développement des forces productives dans la forme d’une crise cyclique d’une gravité telle que les prolétaires en subissent de plein fouet les conséquences dans leur vie matérielle et une crise politique et institutionnelle grave – et deux conditions subjectives : la majorité des ouvriers conscients prêts à l’assaut final et une politisation accélérée des « masses retardataires ». De plus, la formation d’une situation révolutionnaire n’est pas suffisante à déclencher une révolution communiste car celle-ci est le fait exclusif de la subjectivité prolétarienne, de l’émergence du besoin du communisme chez les masses exploitées et opprimées.

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