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Sur les origines d’un certain relativisme « ultragauche » et ses dérives hypercritiques

samedi 10 août 2013

Dans leur texte intitulé « A propos des racines et des excroissances du négationnisme » (http://www.mondialisme.org/spip.php... republié dans Ni patrie ni frontières n° 38-39 en mai 2012), les Luftmenschen soulignent le rôle du négationnisme antisémite dans le développement d’un relativisme aux effets particulièrement nocifs. Ils considèrent notamment que ces idéologies (le relativisme et, l’un de ses sous-produits, le négationnisme) ont sapé les bases de l’antifascisme traditionnel de la gauche et de l’extrême gauche et permis l’établissement de passerelles, voire de collaborations, entre des courants de gauche, d’extrême gauche et d’extrême droite aujourd’hui, comme on le constate par exemple dans le mouvement altermondialiste, chez les Indignés, dans le mouvement de « soutien à la Palestine », etc.

Ils dénoncent le rôle de certains militants de l’ultragauche (1) dans la diffusion de ce relativisme, notamment ceux qui acceptèrent de discuter avec Faurisson, défendirent sa liberté d’expression, ou ceux qui, moins téméraires mais tout aussi dangereux, prétendirent banaliser le judéocide à grands coups de comparaisons imbéciles (2).

Les Luftmenschen ont raison de dénoncer le rôle mortifère du négationnisme, mais aussi les positions hypercritiques de certains ultragauches qui semèrent la confusion, voire facilitèrent une forme de complicité objective avec les thèses de Faurisson, mais à mon avis il faut replacer ce relativisme des négationnistes, mais aussi les réactions infantiles et dangereuses de certains de leurs critiques ultragauches, dans un contexte plus large pour bien comprendre les positions et surtout les responsabilités des uns et des autres dans la confusion actuelle.

Le relativisme, fruit de Mai 68 ?

Le relativisme est apparu comme une réaction après Mai 1968 au dogmatisme marxiste (en tout cas stalinien) et au scientisme (souvent assimilé à la science). Schématisme marxiste présent dans tous les domaines de la pensée et qui se combinait au dogmatisme structuraliste qui avait envahi la philosophie, la linguistique, les sciences sociales, etc.

Ce dogmatisme marxiste qui sévissait dans les milieux d’extrême gauche, et évidemment chez les jeunes attirés par les organisations « révolutionnaires » dans l’immédiat après-Mai, a, après une phase de fascination (grosso modo les années 1965/1973 qui chevauchent donc l’année 1968), provoqué un rejet massif non seulement des pratiques bureaucratiques des groupuscules trotskystes ou maoïstes, de leur logorrhée, mais aussi de leurs analyses « marxistes ».

Dès le début des années 1980, on pouvait constater, dans les facs, des différences importantes avec les comportements de la population universitaire durant les années 1960 et 1970. Les étudiants exprimaient ouvertement une véritable phobie des organisations gauchistes ; ils fuyaient les débats entre étudiants, y compris en classe avec des professeurs ouverts au dialogue, et avaient le plus souvent une vision strictement utilitaire du savoir. Cette attitude ne concernait pas seulement les salariés trentenaires, voire quadragénaires, qui venaient en cours pour achever une licence et espérer toucher une paie moins minable en passant ensuite un concours ou en postulant pour un job plus qualifié, mais aussi les étudiants beaucoup plus jeunes qui n’étaient pas encore entrés dans la vie active.

La disparition du sens de l’Histoire et ses conséquences

À la même époque, on pouvait déjà percevoir aussi la montée de l’irritation chez les jeunes lycéens contre l’enseignement de l’Histoire, « Ça sert à rien, c’est des vieux trucs », etc. Irritation qui est désormais devenue presque une doctrine d’État (cf. les programmes d’histoire au collège et au lycée dont l’émiettement ne peut qu’engendrer la confusion et la perte de repères politiques).

Ce renversement total dans l’enseignement de l’Histoire, ce passage d’un récit cohérent à un patchwork de documents divers, de fragments d’idéologies opposées, d’événements épars et sans lien, a contribué à déformer, fausser la réflexion de générations de collégiens et de lycéens.

Au début des années 60, l’Histoire avait encore un sens – pour les lycéens (rappelons qu’à l’époque le collège unique n’existait pas et que les lycéens constituaient une catégorie sociale encore plus privilégiée qu’aujourd’hui) comme pour les enseignants. Les manuels offraient certes un grand « récit national » gaulois (évidemment chauvin et pro-capitaliste mais homogène) auquel on pouvait opposer un contre-récit socialiste, communiste ou anarchiste ; ils présentaient de façon plus ou moins neutre, mais détaillée, ce qu’étaient les prétendues révolutions « socialistes » (Russie, Chine) ; les élèves découvraient l’enjeu de la lutte historique entre le bloc soviétique et le monde capitaliste occidental, même si la présentation du conflit « Est/Ouest » était tendancieuse ou erronée. Nous savions ce qu’était le nazisme même si nous ne ne mettions pas autant l’accent sur le rôle de l’antisémitisme et du judéocide qu’aujourd’hui.

Ce récit cohérent, étayé par la conviction que l’Humanité évoluait vers un progrès social (stimulé par des réformes ou des révolutions, selon l’orientation idéologique des enseignants) était relayé par les organisations d’extrême gauche dans leurs publications et leurs structures de formation. Même à la Fédération anarchiste.

Ceux qui ne militaient pas dans des organisations de gauche, d’extrême gauche ou libertaires, mais adhéraient au MRAP, à la LICRA, aux Comités Vietnam de base, au Comité Vietnam national, etc., étaient antifascistes et antinazis sans la moindre ambiguïté ni réticence.

Une bonne portion du mensuel du MRAP (Droit et Liberté), par exemple, était constituée d’articles dénonçant de façon argumentée Tixier-Vignancour, Le Pen, tous les groupuscules d’extrême droite en France, les ex-collabos qui continuaient à sévir dans des publications comme Aspects de la France, Rivarol, Minute, etc., les néonazis en Allemagne, la ségrégation aux États-Unis, l’apartheid en Afrique du Sud, etc.

Le nazisme et le collaborationnisme pendant la Seconde Guerre mondiale étaient constamment attaqués et les articles étaient parfois illustrés par des photographies des cadavres de déportés, donc il ne venait à l’esprit de personne de nier l’existence des chambres à gaz.

Si tu étais vaguement de gauche et passais par ces organisations-là, ce qui était un chemin de politisation normal lorsque tu n’adhérais pas directement à un groupuscule ou un parti politique, il était impossible de ne pas être antinazi et antifasciste.

Dans les années 60, à l’extrême gauche et même souvent à gauche (PCF, PSU), la notion qu’il existait un sens de l’Histoire était très répandue, et elle supposait d’avoir foi en :

– un héros (le prolétariat),

– un modèle, le modèle soviétique (même s’il existait des divergences sur la date à laquelle ce modèle avait failli),

– et des sous-modèles : yougoslave, chinois, cubain, albanais, etc.

L’enseignement de l’Histoire a, depuis cette époque, totalement changé dans les manuels de lycée. L’Histoire n’a désormais plus de sens puisque, au nom de la « mondialisation », de la « fin des grandes idéologies », de la disparition du bloc de l’Est et de l’URSS, nous devons tous accepter une « modernisation » incessante, en clair, pour la majorité d’entre nous, une adaptabilité et une précarité permanentes.

Nous ne devons plus prendre position face à un combat historique entre le capitalisme et le « socialisme » ou le « communisme »... réellement inexistants. On ne nous enseigne plus l’histoire du XXe siècle comme une continuité, très marquée par la Seconde Guerre mondiale, mais comme des blocs d’événements discontinus sans rapport entre eux, des idéologies qui se valent toutes, même si les systèmes totalitaires sont jugés plus néfastes que d’autres.

Le relativisme a été enseigné à plusieurs générations par le biais de l’Éducation nationale, du moins, en France, et ce décervelage en matière historique a sans doute sévi sous d’autres formes ailleurs.

Le rôle des antitotalitaires de droite et des partisans de la « déconstruction »

De plus, à partir de 1975, nous avons assisté à l’offensive des « nouveaux philosophes » (BHL, Glucksmann) et à celle des antitotalitaires de droite à partir de l’œuvre de Soljenitsyne (dont L’Archipel du Goulag fut traduit en français en 1973). Ce sont eux qui ont introduit définitivement le relativisme, en matière historique, par rapport notamment à la nature du stalinisme et du nazisme. À mon avis, ces différents phénomènes ont eu mille fois plus d’impact sur les militants de gauche et d’extrême gauche que les discussions au sein de la petite minorité d’ultragauches influencés par la Vieille Taupe n°1 à partir de 1968 et la découverte des écrits de Rassinier, ou par les thèses négationnistes de La Vieille Taupe n° 2 à partir de 1979 !

Sur le plan scientifique, c’est certainement l’écologie et tous les mouvements annexes qui ont le plus développé une atmosphère favorable au relativisme : critique de la médecine (qui a abouti à l’apologie des médecines douces, orientales, etc.), critique de la technique (nucléaire, informatique, etc.), critique de l’agriculture industrielle, critique de la science (qui aboutit souvent à une critique de la rationalité), etc.

Certains courants du féminisme ont eux aussi contribué à développer le relativisme. On constate l’aboutissement absurde de ces interprétations quand aujourd’hui l’opération des transsexuels est présentée quasiment comme un droit humain par les mêmes personnes qui affirment que les différences sexuelles n’ont aucun fondement physique et biologique, et que les différences entre les hommes et les femmes relèveraient seulement de l’ idéologie et de l’éducation sexistes.... Cette forme de relativisme part d’une critique juste des rapports de domination entre les sexes, mais aboutit à un acte chirurgical aux conséquences irréversibles (empêchant l’homme – ou la femme – de devenir biologiquement père – ou mère –, le tout au nom d’une idéologie qui se présente comme radicalement... égalitaire (2 bis) ).

On pourrait aussi citer, comme exemple de relativisme, les débats actuels entre féministes sur la prostitution, où à partir d’une position juste (refuser la répression de l’Etat contre les hommes ou les femmes qui se prostituent), certaines d’entre elles en arrivent à nier toute différence concrète entre la « prestation » d’un travailleur ou d’une travailleuse sexuels et le travail d’un éboueur, gommant ainsi toute la place de l’intime dans l’équilibre psychique et l’auto-estime d’un ou d’une prolétaire....

Ce relativisme a été aussi nourri par ce qui est devenu très à la mode dans les milieux universitaires anglosaxons et hélas aussi dans les milieux militants, d’abord le « droit à la différence », puis le multiculturalisme et enfin la French Theory (Deleuze, Foucault, Guattari, Derrida) et le postmodernisme. Ce n’est pas un hasard si ces théoriciens ont remplacé l’analyse historico-sociale ou historico-économique fondée sur l’existence de classes sociales aux intérêts irréconciliables par des réflexions sur la « déconstruction » des « discours » politiques, sociologiques, littéraires, etc. Ils ont ainsi accompagné utilement (du point de vue de la classe dominante) le grand décervelage en matière historique des jeunes générations qui se sont cru désormais autorisées à ignorer, comme leurs maîtres à penser affectaient de le faire, l’histoire des luttes et des combats du mouvement ouvrier, des débats théoriques au sein des mouvements anarchiste, socialiste et communiste. Pour remplacer ce solide héritage militant par une bouillie hypercritique, pseudo radicale et postmoderne.

À l’offensive des antitotalitaires et des nouveaux philosophes, se sont ajoutés tous les discours sur le droit à la différence, les droits des minorités, la multiplicité des oppressions que le marxisme avait sous-estimées ou carrément ignorées. Plusieurs générations se sont politisées depuis 1968. Elles ont été formées à l’école, dans les associations antiracistes et dans les luttes avec l’idée que les oppressions identitaires étaient les plus importantes, qu’il n’y avait plus ni classes sociales ni luttes de classe. Et en croyant souvent que les prolétaires étaient plus racistes, homophobes et sexistes que les autres couches ou classes sociales, donc qu’il avait été vraiment risible de croire qu’ils auraient pu être l’avant-garde d’un profond mouvement social et encore moins capables de construire un autre monde.

Individualisme, pseudo « libération sexuelle », etc.

Le relativisme que l’on constate, de façon très concrète, sur tous les forums de discussion Internet est aussi un produit du recul fantastique des luttes ouvrières, de la démoralisation que ces défaites ont entraînée pour les militants des années 60 et 70, mais aussi de tous les courants « mouvementistes » qui, en attaquant systématiquement la centralité du rôle du prolétariat, ont tout mis sur le même plan. Pas étonnant que l’on soit arrivé au citoyennisme béat des mouvements altermondialistes puis Occupy.

Ce relativisme est également issu d’une montée de l’individualisme (lui aussi produit des défaites de la classe ouvrière, et d’une bataille idéologique gagnée par la réaction au sein des médias et des universités), individualisme qui a envahi les milieux militants. Tout comme les croyants se bricolent leur religion, les militants aussi bricolent désormais leur idéologie et choisissent des pratiques à la carte en fonction de leurs centres d’intérêt temporaires, de leurs trips identitaires variés, etc. Ils s’avèrent incapables de structurer une activité de façon régulière, responsable, etc., parce que tout cela serait, selon eux, « dogmatique », « aliénant », « stalinien », « digne de curés rouges » ou de « moines soldats », etc.

Donc ce qui aurait pu être un enrichissement (sortir du dogmatisme marxiste, léniniste, trotskyste et maoïste en intégrant des analyses plus fines des oppressions et de l’exploitation) s’est traduit par un appauvrissement, un morcellement des explications, des luttes, des discussions, des formes d’organisation, etc.

Il y a un autre élément du relativisme qu’il faudrait creuser, c’est celui des expériences liées à la « libération sexuelle ». Comme le montrent à la fois le livre de Cohn-Bendit (Le Grand Bazar, 1975) où il évoquait certains jeux sexuels avec des enfants, ou l’émission d’Apostrophes de 1982 avec Bernard Pivot et Paul Guth (visible sur le Net) où il déclare en riant : « La sexualité d’un gosse, c’est absolument fantastique, faut être honnête. J’ai travaillé auparavant avec des gosses qui avaient entre 4 et 6 ans. Quand une petite fille de 5 ans commence à vous déshabiller, c’est fantastique, c’est un jeu érotico-maniaque... », et les pitoyables textes (« Un monde sans morale » (3) et « Ami(e)s pédophiles bonjour ») de La Banquise (revue animée par Gilles Dauvé, ex-membre du collectif de la Vieille Taupe n°1 et Serge Quadruppani entre 1983 et 1986), le relativisme a aussi frappé dans ce domaine. Sous prétexte de lutter contre l’oppression des enfants, des adultes ont en fait imposé leurs désirs à des enfants ou au moins entretenu la confusion à propos des relations adultes/enfants....

Pédophilie et paraphilie, ou la confusion persistante de Gilles Dauvé

L’article « Ami(e)s pédophiles bonjour » (paru dans La Banquise n° 2 en 1984) n’est pas disponible sur le site de Gilles Dauvé : troploin. On le trouvé cité partiellement dans des textes de Didier Daeninck (4) – dont la probité intellectuelle et politique est plus que sujette à caution – et sur le site Wikipedia (notamment ces deux passages : « combien de meurtres commis par des pédophiles auraient pu être évités, si la pédophilie, “ épisode particulier des relations adultes-enfants ” était moins dramatisée ? » et : « Un pédagogue libéral américain n’explique-t-il pas que le principal traumatisme que subit l’enfant "victime" d’un satyre provient de ses parents qui en font tout un plat, alors que lui, s’il n’y a pas eu violence, aurait plutôt tendance à s’en foutre ? » Si tout l’article était reproduit sur le Net par son ou ses auteurs, plutôt que ces interrogations provocatrices propices aux pires accusations, il serait plus facile d’avoir un jugement équilibré. Mais une certaine ultragauche préfère se réfugier dans sa tour d’ivoire...

Malheureusement, il semble que cette confusion ultragauche face à la pédophilie continue à sévir aujourd’hui comme en témoigne le texte signé en 2001 par J.-P. Carasso, G. Dauvé, D. Martineau et K. Nesic sur les rapports entre adultes et enfants intitulé « Autre temps », mais dont on ne trouve bizarrement sur le Net qu’une version abrégée en anglais et signée du seul Dauvé « Alice in the monsterland » http://libcom.org/library/alice-mon....

Pour éviter toute mésinterprétation, nous reproduirons des extraits du texte de Dauvé en anglais puis notre propre (re)traduction en français : « The question : What would become of child-adult relation in “communism” ?, can only be answered by questioning the question. Marx opposed ideal Utopian plans (which often contained illuminating insights) with the critique of the existing social and mental order : critique of philosophy and Law, critique of the Jewish question, critique of economy... Any present solution to the problem is wrong, because it is based on “child” and “adult” as they are currently defined. All we know is that a child is not a miniature adult. An insurmountable difference separates and binds them. » Soit en français : « A la question : “Que deviendront les relations entre les enfants et les adultes sous le ‘communisme’ ?” on ne peut répondre qu’en remettant en cause la question elle-même. Aux plans idéaux des utopistes (plans qui comprenaient souvent des intuitions fulgurantes) Marx opposait la critique de l’ordre social et moral existant : la critique de la philosophie et du droit, la critique de la question juive, la critique de l’économie... Toute solution actuelle au problème est erronée. Tout ce que nous savons c’est qu’un enfant n’est pas un adulte en miniature. Une différence insurmontable les sépare et les relie. »

Il est pour le moins étonnant que 2500 ans de réflexion philosophique et anthropologique (de Socrate à...Dauvé) n’aboutissent qu’à un résultat théorique aussi maigre (« un enfant n’est pas un adulte » !), et qu’il nous faille de surcroît attendre patiemment l’avènement d’un hypothétique communisme mondial pour prendre une position claire sur la pédophilie sous prétexte que nous serions tous des « paraphiles » (traduire : des partisans de pratiques sexuelles non reconnues par la morale dominante)... Où l’on voit que le contenu réel du radicalisme hypercritique des « provocateurs » de La Banquise est toujours aussi superficiel. Leur élitisme ne peut qu’entretenir la confusion. C’est ainsi que Dauvé écrit : « This society holds as a principle that sexual consent on the part of a child is not valid, because he can’t know what he really wants and needs. But his needs and wants are considered valid when they concern his right to buy and enjoy. » (« Cette société considère, par principe, que le consentement sexuel d’un enfant n’a aucune validité parce qu’il ignore quels sont ses désirs et ses besoins. Mais ceux-ci sont considérés comme valides lorsqu’ils concernent son droit à prendre du plaisir en achetant. »)

Pas étonnant que les Banquisards aient publié en 1983 un texte intitulé « Le roman de nos origines » et non « Une analyse critique de nos origines », bilan qui aurait été et serait pourtant fort utile aux jeunes générations exposées à toute la propagande conspirationniste, antisémite, citoyenniste, nationaliste, tiersmondiste sur le Net.

A propos de Chomsky et de sa position sur l’antifascisme

Dans leur critique du relativisme, les Luftmenschen mettent Chomsky et Bricmont dans le même sac que Dauvé et Quadruppani. Je ne pense pas que cela soit pertinent, en tout cas pour Chomsky qui a pris position depuis très longtemps en faveur d’une liberté d’expression totale (cf. la fin de son interview en anglais sur la liberté d’expression et l’antifascisme www.zcommunications.org/ freedom-of-speech-and-anti-fascism-by-noam). Son soutien à la liberté d’expression du négationniste Robert Faurisson ou du néonazi Vincent Raynouard, plus récemment n’a rien à voir avec le relativisme qui fleurit depuis les années 70 en Europe et aux Etats-Unis. Son éloge permanent de l’exceptionnelle liberté d’expression qui règnerait aux Etats-Unis montre qu’il adhère totalement à l’un des mythes de la démocratie bourgeoise, conviction qui n’a rien d’anarchiste ou de libertaire, ou de relativiste (à ce sujet on lira les deux articles http://brasiersetcerisiers.antifa-n... et http://brasiersetcerisiers.wordpres... 2013/02/02/ sur-la-liberte-dexpression/ qui constituent d’excellentes réponses à la « naïveté » chomskienne et à celle de ses disciples). Chomsky est convaincu qu’il faut « présenter des arguments convaincants » (« win the argument ») face aux fascistes et ne pas empêcher les négationnistes de s’exprimer. Aux Etats-Unis, selon Chomsky, personne « n’entend parler des négationnistes » « même s’ils sont des milliers » ( ?!) ; on ne s’intéresse pas plus aux négationnistes qu’à « ceux qui prétendent que la Terre est plate » ; en Europe, par contre, « tous les journaux font de la publicité à leurs thèses en les évoquant ». Cette argumentation ridicule sépare de façon schématique et arbitraire la propagande des fascistes, des antisémites ou des racistes et leurs inéluctables passages à l’acte... Dans son interview sur l’antifascisme, Chomsky cite les persécutions au moment de la Première Guerre mondiale contre les socialistes antimilitaristes américains comme Eugene Victor Debs, puis contre le Mouvement des droits civiques, mais curieusement il oublie le plus important : les conséquences de la guerre froide et du maccarthysme dans la si libre Amérique. Il ignore superbement l’existence légale, officielle, de centaines de milices armées d’extrême droite, de près de mille groupes racistes et néonazis, de gangs partisans de la « suprématie aryenne » actifs jusque dans les prisons, etc., tout cela dans ce merveilleux pays où, selon notre distingué linguiste libertaire, le négationnisme serait resté groupusculaire grâce à la liberté d’expression. Etrange cécité politique !

Sur le relativisme anti-antifasciste de Dauvé et Quadruppani

Pour ce qui concerne l’hypothèse des Luftmenschen sur le relativisme anti-antifasciste de Quadruppani et Dauvé, je proposerai une autre explication.

Certains éléments de l’ultragauche, issus d’une génération radicalement antifasciste, n’ont su résister au rouleau compresseur de la propagande antitotalitaire et pro-identitaire qu’en rejetant les acquis (5) de l’antifascisme et en défendant des positions hypercritiques absurdes qu’elles soient anti-antifascistes, antiféministes, anti-antiracistes, etc. Il est symptomatique que, dans « Le Roman des origines » (paru dans La Banquise) ils accusent l’affaire Faurisson et l’attentat de Copernic d’avoir réveillé un « communautarisme juif », et qu’ils ne se rendent pas compte que ce communautarisme (et les autres mouvements identitaires dont ils percevaient dès 1983 l’influence néfaste) ne peut se combattre en renvoyant dos à dos sionisme et antisémitisme, racisme et antiracisme, homophobie et défense des droits des homosexuels, pédophilie et défense de l’intégrité physique de l’enfant, fascisme et antifascisme, etc.

Ils se sont servis d’un langage « marxiste » et de références abstraites aux gauches communistes des années 20 pour s’opposer au féminisme et à la reconnaissance des discriminations racistes, pour dénoncer l’antiracisme et l’« instrumentalisation » ou « l’usage mystificateur » par Israël et les sionistes du génocide des Juifs (6) , pour dénoncer le culte de l’enfant initié par le Capital, pour s’opposer aux mouvements de travailleurs immigrés jugés trop parcellaires au nom de raisonnements sur le « communisme » intégral, etc.

Et alors, oui, si l’on restitue ce contexte plus large, l’ignoble passage sur le tatouage des déportés dans la revue La Banquise (7) prendrait peut-être tout son sens. Leur langage « radical » leur permettait (et leur permet encore pour certains comme Dauvé) de se distinguer des autres ultragauches définitivement passés au négationnisme et à l’extrême droite, mais la rhétorique creuse, inspirée à la fois des situs et des « gauchistes » de la Troisième Internationale, qu’ils nous proposent est un remède aussi néfaste que les maux qu’ils prétendent combattre.

Y.C., Ni patrie ni frontières, 10 août 2013

Notes

1. Ils donnent à cette notion une acception plus large que la mienne, mais peu importe puisque, au niveau international, les textes de Gilles Dauvé (alias Jean Barrot) traduits en anglais et dans d’autres langues suscitent encore l’intérêt des milieux communistes libertaires, post-situs, post-autonomes, communisateurs, etc., au-delà des ultragauches classiques – les partisans des gauches communistes italienne, allemande et néerlandaise, communément appelés « bordiguistes » et « conseillistes ».

2 « Dans Nuit et Brouillard, Alain Resnais, utilisant des documents réalisés par les Américains après la libération des camps, montre des monceaux de cadavres remués au bulldozer. (...) en remuant avec de gros engins à chenilles la terre du cimetière de Bagneux, on obtiendrait des images à peu près aussi horribles. Que prouveraient-elles ? » La Banquise n°2, « Y a-t-il une question juive ? » A ce sujet on lira notre article « A propos des comparaisons absurdes défendues par La Banquise sur la question juive et le sionisme », compil’ n° 1, 2008.

2bis. Je ne résiste pas à l’envie de citer ici le mail d’un internaute dans lequel le scientisme des chirurgiens plasticiens (censés obtenir un changement de « sexe biologique » par la magie du bistouri !) se conjugue à un relativisme « antisexiste » assez ébouriffant. Car ce type d’opération n’est qu’une façon de passer, la tête haute, sous les fourches caudines des apparences du « sexe social » si violemment dénoncé : « Vous vous méprenez en ce qui concerne les transsexuel-le-s :refusant le sexe social qui est obligatoirement assigné au sexe biologique, illes refusent ouvertement les normes de genre et sont ainsi catalogué-e-s malades mentaux. Entre autres, illes revendiquent le droit de changer leur état civil (immuable et attribué à la naissance), notamment au niveau des prénoms et sexes. D’après ce que j’ai cru comprendre, la plupart ne veulent pas forcément se faire opérer. Ce sont les autorités qui les obligent à se faire opérer pour changer cet état civil ; quand bien même certain-e-s souhaitent changer de sexe biologique (mais on ne peut pas non plus réduire les transsexuel-le-s uniquement à une volonté de changement de sexe biologique), quand bien même certain-e-s souhaitent changer de sexe biologique : pourquoi pas ? En ce qui concerne la paternité biologique, ce n’est pas tant important, ou alors si cela l’est vraiment pour un-e individu-e, ille peut déposer son sperme ou ovocyte en lieu sûr avant toute opération, et le réutiliser après coup. » Autant il me semble totalement justifié de lutter contre toutes les discriminations dont sont victimes des individus, quelle que soit leur orientation sexuelle, leur apparence physique, etc., autant le fait de croire que les problèmes complexes d’identité sexuelle peuvent être résolus par la chirurgie ou les bébés éprouvettes ou d’ailleurs par quelque "technique" que ce soit, y compris la psychanalyse, me semble terriblement naïf. Et ce discours pseudo-égalitaire ne fait que fournir une justification idéologique supplémentaire, pseudo-radicale, aux manipulations du corps humain par certains scientifiques.

3 On le trouvera ici : http://troploin0.free.fr/biblio/mor...

4 Son site (amnistia.net) est désormais fermé ou plus exactement il est devenu payant. Sur les falsifications et manoeuvres de Daeninckx, on lira le livre de Guy Dardel, LeMartyr imaginaire, 2005, Éditions Reflex/No pasaran, assez convaincant même si nous sommes en total désaccord sur bien d’autres points. On n’oubliera pas les huit condamnations de Daeninckx pour diffamation, et les nombreux procès qu’il a lui-même perdus contre ses accusateurs (notamment Guy Dardel).... Ceux qui souhaitent connaître le point de vue de l’écrivain pourront lire Le Goût de la Vérité, chez Verdier (dirigé surtout contre Gilles Perrault), et sa contribution dans l’ouvrage collectif Négationnistes, les chiffonniers de l’Histoire, Golias-Syllepse, reproduite dans Le jeune poulpe contre la vieille taupe.

5 J’en distinguerai au moins trois qui tracent une ligne de démarcation politique essentielle :

– le judéocide n’est pas un « gigantesque point de détail » de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ;

– les libertés et les droits démocratiques ne sont pas un luxe superflu, ou un écran, destiné à empêcher toute révolution sociale ;

– et les militants fascistes et staliniens ne sont pas à mettre dans le même sac, même s’ils défendent des systèmes totalitaires.

6 « Les passions soulevées par la mise en question du nombre des victimes juives du nazisme révèlent un mode de pensée commun aux bourreaux et à leurs contempteurs. » « L’horreur est humaine », La Banquise n°1. On a là un raisonnement qui peut mener tout droit à des amalgames, du type nazisme = sionisme, ou démocratie = fascisme.

7 « Mis en fiches et cartes par la Sécurité sociale et tous les organismes étatiques et para-étatiques, l’homme moderne juge particulièrement barbare le numéro tatoué sur le bras des déportés. Il est pourtant plus facile de s’arracher un lambeau de peau que de détruire un ordinateur. » « L’horreur est humaine », La Banquise n°1.

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