Salut Yves,
1) Le raisonnement que tu fais me semble tout à fait opportun par rapport au terrorisme dans lequel ont été impliqués des militants anticapitalistes. Par rapport au terrorisme type Al-Qaïda, les choses me semblent un peu différentes. Je ne suis pas sûre que l’on puisse aussi facilement dire à propos de ce type de terrorisme-là que " ce type de raisonnement aboutit de fait à blanchir Ben Laden et ses imitateurs ", car il n’y a jamais eu d’osmose entre un milieu militant anticapitaliste et cette mouvance terroriste.
Au fond, dans cette forme de terrorisme-là, nous sommes tous condamnés à être spectateurs, car il s’agit d’affrontements entre appareils étatiques (de fait ou aspirant à le devenir) qui nous sont totalement extérieurs. Or, invoquer le fait que " son organisation a tué moins de gens que ne l’ont fait les sanctions économiques en Irak , les bombardements ou les interventions américaines au Japon (Hiroshima), au Vietnam, au Panama, au Kosovo ou en Afghanistan " n’est pas forcément une façon de justifier Ben Laden, c’est aussi une façon de rappeler que, toutes " démocratiques " qu’elles soient, les puissances impérialistes sont les premières à commettre des meurtres de masse de façon indifférenciée.
Sans doute les raisonnements en termes comparatifs de quantité sont-ils douteux, mais il est important de rappeler dans quel sens fonctionne en réalité le rapport de cause à effet. C’est ce que n’a cessé de faire la gauche américaine au moment du 11 septembre, et en effet, face à l’exploitation patriotique du sentiment d’horreur faite par tous les grands médias, qui revenait à créer l’émotion nécessaire pour soutenir Bush dans son entreprise, il n’y avait qu’une chose à faire : marteler que le premier responsable de ce développement du terrorisme, ce sont les pratiques impérialistes des Etats-Unis.
De ce point de vue-là, la réaction massive des Espagnols me paraît un signe de bonne santé, car s’il y a bien, à la base de cette réactivité, un fort sentiment national qu’on peut trouver ambigu, du moins ce sentiment ne se manifeste-t-il pas dans une adhésion aveugle au gouvernement.
2) Concernant le terrorisme d’extrême gauche, je suis tout à fait d’accord sur le fond avec ta critique. Mais il manque à mes yeux une dimension dans ton raisonnement : il y avait dans le choix des terroristes d’extrême gauche une idée assez naïve de l’affrontement avec l’appareil d’Etat outil du capital. Leur idée qu’ils pouvaient le mettre en crise en recourant au terrorisme contre certains de ses représentants est non seulement condamnable en termes de conception de l’action politique, mais aussi parce qu’elle reposait sur une grande méconnaissance des mécanismes qui font la solidité du système " démocratique " en Occident.
Pour cette raison, j’ai toujours eu du mal à dire (comme tu le fais toi-même) qu’il faut savoir quand même se solidariser avec eux face à la répression de l’Etat. Je n’ai jamais réussi, je l’avoue, à participer de tout coeur aux initiatives de soutien des militants d’AD ou basques emprisonnés, car je n’ai jamais cessé de me dire : ils ont joué aux Zorro avec l’appareil répressif de l’Etat, ils paient le prix de leur inconscience (une inconscience qui, en Italie, a eu des conséquences extrêmement lourdes pour des milliers de gens touchés par la répression sans avoir jamais été impliqués dans le choix du terrorisme, mais aussi en discréditant toute forme d’action directe collective pendant des décennies).
C’est vrai que, ce prix, ils le paient pour beaucoup d’autres moins conséquents et moins courageux qu’eux, qui ont défendu verbalement leur action et le modèle politique qu’elle sous-tendait sans jamais passer aux actes ; mais m’étant toujours opposée avec véhémence à cette conception-là de l’intervention politique, pour moi, ça coince.
Il me semble que je ne pourrai arriver à me joindre pleinement à un mouvement de solidarité avec les victimes de la répression que s’il y avait, de la part de ceux qui ont apporté un soutien de fait aux pratiques terroristes et qui appellent aujourd’hui à la solidarité face à la répression, une autocritique sérieuse et sans détours des pratiques de l’époque. Or, les arguments avancés ces derniers temps pour défendre aussi bien Persichetti que Battisti contre l’extradition que les militants d’AD en prison me semblent continuer à faire l’impasse sur cette autocritique nécessaire.
Nicole T.