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La TVA sociale, une mesure protectionniste et un racket social

lundi 27 février 2012

Ce texte est paru dans Echanges n° 139 (hiver 2011-2012).

L’idée d’une « TVA sociale » n’est pas nouvelle ; le journaliste Robert Salmon en faisait déjà la promotion en 1994, dans son livre Tous les chemins mènent à l’homme (1) :

« Aujourd’hui, il me semble que l’urgence commanderait à la fois de maîtriser et de déplacer de la production à la consommation la charge financière considérable que représente le financement des retraites, de l’assurance-maladie, du chômage. En effet, avec la récente évolution vers la généralisation de la Sécurité sociale, il est admis désormais que tout le monde, travaillant ou non, a droit à un minimum de protection concernant sa santé, sa retraite, son revenu (RMI). Or tout le monde ne produit pas, mais tout le monde consomme. De ce point de vue, il est anormal (et anti-économique) de faire supporter seulement par ceux qui produisent ce qui va bénéficier à l’ensemble de la communauté nationale. Faire supporter cette charge par ceux qui consomment, c’est la faire partager par tous les assurés, et non plus par une partie d’entre eux seulement. C’est à l’évidence plus juste.

 » A l’occasion de ses achats et selon un barème modulable, le consommateur pourrait être obligé d’acquitter une cotisation sociale, retenue et transférée aux organismes sociaux de la même manière que la TVA est perçue pour le compte du Trésor. Le salarié paierait certes ses produits plus cher, mais il ne verrait plus son salaire amputé de prélèvements sociaux et pourrait même se voir accorder une certaine prime compensatrice par l’entreprise qui l’emploie, puisque celle-ci économiserait, elle, la part patronale. Ce système, sans effet sur l’indice des prix (la cotisation, simple transfert d’épargne, en étant exclue), remettrait sur un pied d’égalité les produits fabriqués dans des pays à forte protection sociale et ceux bénéficiant d’un coût de production réduit par défaut d’acquis sociaux. » (p.142-143)

Nous avons là toute l’argumentation qui va tourner en boucle pour justifier cette nouvelle ponction sur le peuple. En fait il est bien clair que la TVA sociale vise à réduire les cotisations sociales employeurs et à basculer une partie du financement des charges patronales vers la TVA dite sociale. Vous remarquerez que cette politique était prescrite bien avant la crise.

Tout bon ministre capitaliste se doit d’inventer une taxe. Pour rappel, la CSG (contribution sociale généralisée, dite taxe du socialiste Rocard), et la CRDS (contribution au remboursement de la dette sociale, dite taxe Balladur), sont prélevées directement sur les salaires et pensions. Une petite différence tout de même : la CRDS, gérée par la Cades (2), est classée trois AAA par les marchés financiers.

Sarkozy, pour le compte du capital financier, veut comme dans d’autres pays imposer la TVA sociale, il va même jusqu’à essayer de la positiver en lui donnant un autre nom. Par exemple certains ont déjà fait le pas et parle de TVA anti-délocalisation. Dans le journal Les Echos du 12 octobre 2006, Jean Arthuis, sénateur (UDF) de la Mayenne, nous faisait déjà la promotion de la TVA sociale « comme un moyen de sauvegarder notre système de protection sociale et de promouvoir l’emploi, en relevant les défis d’une économie mondialisée. »

Vous aurez compris qu’il s’agit de faire disparaître progressivement le salaire différé des salariés servant aux prestations sociales pour en reporter la charge sur les produits de consommation qui augmenteront de ce fait. Le sénateur UMP Philippe Marini proposait de relever la TVA de 19,6 % à 25 %. (+5,4 %). Il pense, en faisant ce transfert, lutter contre les délocalisations et l’économie souterraine (15 % du PIB) et rafler la plus-value de ce secteur. La TVA dite « sociale » vise à s’attaquer à la branche famille de la Sécurité sociale. Nicolas Sarkozy, reprenant les revendications du Medef, déclare tout haut (et il n’est pas le seul) qu’il est anormal que le financement de la branche famille repose sur le patronat. En effet, déclare Nicolas Sarkozy, ce sont 35 milliards d’euros qui sont prélevés tous les ans pour financer à 60 % la branche famille qui finance les allocations familiales, l’allocation de rentrée scolaire, la prime à la naissance, etc. Mais il y a un autre aspect de la TVA sociale dont la presse ne parle pas, c’est le hold-up du siècle que va faire l’Etat en taxant rétroactivement les économies des classes populaires et moyennes de France et notamment les retraités, qui devront payer 5,4 % plus cher tout achat qu’ils auraient pu faire avant (seulement taxé à 19,6 % ou 5,5 %).

Dans le journal La Tribune du 7 mars 2007, l’économiste Patrick Artus, favorable à la TVA sociale ; expliquait ceci :

« Sachant que la consommation des ménages représente 900 milliards d’euros environ, et les salaires versés aux ménages 600 milliards d’euros hors charges sociales, un point de taxation de la consommation d’ensemble rapporte donc 9 milliards et permet de baisser de 1,5 % point les charges sociales. Ainsi, 6 points d’augmentation de la taxation de la consommation permettent donc de baisser de 9 points les charges, et de donner 3 points de pouvoir d’achat aux salariés. »

Non seulement les salariés se font escroquer, mais que dire des retraités, chômeurs, Rmistes…

Le grotesque argument qui vient ensuite est « protectionniste » : cette TVA sociale serait une manière de taxer plus lourdement les produits importés, et ainsi d’améliorer la compétitivité du « Made in France » par rapport aux produits étrangers. Le sénateur Jean Arthuis, lui, va plus loin : « Dans une économie ouverte, taxer davantage les produits importés, c’est faire payer une partie de la protection sociale française par le travail chinois, et plus seulement français. »

Voilà la belle découverte, et après ce sont les mêmes qui veulent que le gouvernement chinois augmente les salaires en Chine, les mêmes qui, de cette manière, relanceront l’inflation pour que les gains de compétitivité finissent par être payés par les salariés, les retraités et le blocage des prestations sociales. Les mêmes qui s’attaquent au code du travail, au contrat de travail qu’ils rendent de plus en plus précaire pour couvrir cette précarité avec une « sécurité sociale professionnelle » véritable couloir de la mort pour les travailleurs condamnés à ne plus avoir de ressources pour vivre et survivre.

Le constat est une nouvelle fois fait que :

« Elle (la bourgeoisie) ne peut plus régner, parce qu’elle est incapable d’assurer l’existence de son esclave dans le cadre de son esclavage, parce qu’elle est obligée de le laisser déchoir au point de devoir le nourrir au lieu de se faire nourrir par lui »

(Marx, Le Manifeste communiste)

Gérard Bad (22 janvier 2012)

(1) Tous les chemins mènent à l’homme, de Robert Salmon, Interéditions 1994.

(2) Créée en 1996, la CADES est l’établissement public, placé sous la tutelle de l’Etat français, chargé de gérer et d’amortir la dette sociale française. Noté au plus haut niveau par les principales agences de notation (AAA/A1+, Aaa/P1, AAA/F1), il bénéficie par ailleurs d’une pondération 0 % au titre du ratio de solvabilité de Bâle. Voir La « dette sociale », ponction fiscale généralisée et CSG et CRDS, un racket permanent de l’Etat (Echanges 110-Automne 2004).