Nous tentons d’apporter notre vision de la vie prolétarienne en Hongrie à ceux qui viennent d’autres pays. En fait, nous avons eu maintes fois l’expérience de la difficulté qu’il y a de faire comprendre la réalité prolétarienne d’ici à ceux qui viennent de l’Ouest, quelles que soient leurs idées sur le prolétariat. Les situations quotidiennes auxquelles on doit faire face diffèrent tant de celles que l’on trouve dans les pays occidentaux, que l’ignorance de ces situations peut conduire à des erreurs élémentaires quand on tente de voir quelles sont les perspectives prolétariennes en Hongrie.
Nous pensons qu’il est important de comprendre un peu plus les tristes réalités d’ici à cause de la nature très particulière de la société locale en comparaison avec le reste du monde. Bien que les salaires, les prix et la consommation figurent dans la moitié supérieure des moyennes mondiales, celle-ci est beaucoup plus proche de la ligne médiane que celle de tous les pays occidentaux.
Quelques notes maintenant sur ce qui se passe en Hongrie. On doit remarquer que nous ne mentionnerons dans ce petit résumé ni activité de résistance ni activité prolétarienne. Ce n’est pas par hasard et les raisons n’entreront pas dans mon analyse, en partie parce qu’elles restent également obscures pour moi-même.
Il y a beaucoup de discussions publiques en Hongrie sur les « attaques contre la démocratie », la « domination d’un parti conservateur-fasciste » ou sur des notions similaires tout aussi sinistres (sans aucun doute dans les médias locaux, mais aussi parfois dans les médias étrangers bien qu’on puisse dire que ces derniers sont plus réalistes). D’abord, comme vous pouvez le voir, vous n’avez pas à vous souciez de nous : la menace d’un gouvernement fasciste n’est pas plus importante qu’auparavant. Pas plus que dans les autres pays d’Europe, le temps qui contraindrait la bourgeoisie hongroise à recourir à un gouvernement de type fasciste n’est pas encore venu.
En fait la plupart des prolétaires (et une part importante de la bourgeoisie) voient l’avenir avec un certain optimisme – au moins pouvons-nous espérer avec une grande probabilité que la détérioration continue de la situation n’ira pas plus loin avec un gouvernement de droite (Fidesz [1]) qu’elle aurait pu aller sous le règne des ex-staliniens « camarades du parti » et des industriels libéraux (MSzP/SzDSz [2]). En fait, personne n’avait d’illusion sur le fait que si les « socialistes » avaient continué à être dominants dans le gouvernement et sur les orientations politiques, la politique économique brutale des « sangsues » aurait subsisté. Comme pour nous tous, la population ouvrière hongroise, la question reste ouverte de savoir si nous « bénéficierons » de la possibilité d’une autre orientation économique ou bien si la combinaison « contrôle de l’Etat/paupérisation » restera le destin de la plupart d’entre nous.
De toute façon, si nous sommes appelés à en bénéficier (sous la forme de quelque augmentation de salaire, de nouveaux emplois, d’une inflation réduite sur les prix des biens de consommation, etc.), nous savons par avance que ce ne serait pas parce que le « gouvernement populaire » est un grand ami des prolétaires, mais parce que la nouvelle politique à long terme impliquant une domination bourgeoise stable, requière une population moins paupérisée avec un pouvoir d’achat plus élevé. Mais comme je l’ai évoqué, il est trop tôt actuellement pour anticiper de telles questions.
En dépit de ces perspectives, on peut observer une sorte de contestation en Hongrie, avec des protestations bruyantes dans les médias, parce qu’il existe une sorte de bataille interne à la bourgeoisie depuis que le nouveau gouvernement a été élu et qu’il a remplacé la plupart des dirigeants des organisations politiques et économiques par ses propres partisans. Tous ceux qui protestent en clamant « démocratie » appartiennent à la bourgeoisie de gauche et ses enfants qui ont été évincés des bonnes places. L’argent qui nous est extorqué va soit dans les poches des gens de la droite libérale, soit dans les structures collectives colonisées par les gens de gauche.
Certains de ceux qui attaquent (très modestement devons-nous dire) quelques secteurs des vieux profiteurs cherchent en fait des places auprès du nouveau gouvernement. Par exemple, contre les fonds de pension privés, contre quelques politiciens corrompus, quelques secteurs bancaires, des institutions financières ou, voilà juste un mois, contre les journalistes (de l’opposition). Chaque fois que de telles régulations, bien timides, sont introduites, des protestations bruyantes s’élèvent contre « les ennemis de la démocratie » et les « fascistes », réponses venues des quatre coins d’un champ « indigné » de militants politiques, d’« alternatifs », de gauchistes.
Et en fait, la version « gauche » de ces sangsues (les « socialistes), leurs rejetons et leurs fidèles ont raison sur un point dans leurs protestations : les intérêts défendus par le Fidesz vont à l’encontre de vingt années d’un vieux consensus de toute la bourgeoisie (de gauche et de droite), accord tacite conclu à la fin des années 1980 quand le parti unique se divisa, consensus stipulant qu’ils partageraient tous également les profits de notre exploitation. Aussi, maintenant qu’une partie de cet argent extorqué vient de quelques secteurs de la bourgeoisie au lieu de l’extorquer uniquement du prolétariat selon la vieille école, alors, le « contrat social » de la bourgeoisie est quelque peu rejeté par une des parties prenantes au contrat, le Fidesz et cela met en colère, avec de bonnes raisons, l’autre partie.
Pourtant, les attaques sont (encore) juste symboliques et sans aucun doute parce que les véritables pouvoirs économiques sont équilibrés entre les deux groupes d’intérêts et qu’un nouveau « contrat social » peut être possible, conclu sur notre dos.
Très brièvement (et en ne mentionnant pas d’autres importants aspects et perspectives), c’est ce que nous pouvons dire de la situation présente en Hongrie. C’est toujours le même vieux problème : comment les différents secteurs de la classe dominante se partagent entre eux la même masse exploitée qui ne bouge pas. Pas très intéressant à discuter, pouvez-vous penser, mais si rien d’autre n’apparaît dans le corps social, au moins vaut-il la peine de voir qui exploite ce corps social, et d’où ils viennent.
Un autre point que quelques-uns d’entre nous ont discuté au cours des dernières semaines : la situation désespérée des Gitans de Hongrie (en partie pouvant être mise en parallèle avec la situation des immigrants turcs en Allemagne). Nous voyons que c’est un problème que la bourgeoisie doit résoudre et que ce sera un problème beaucoup plus important dans cinq, dix ou quinze ans. Par exemple, en Allemagne, sur trois enfants qui naissent deux ne sont pas d’origine allemande (je ne suis pas très sûr du chiffre) ; et en Hongrie, un dixième de la population est gitane. Les plus jeunes n’ont ni emploi ni perspectives et avant tout veulent vivre (au moins manger, avoir un logement, etc.).
La question de savoir si cela dégénérera en une situation de guerre civile ou si le gouvernement actuel de la bourgeoisie sera capable de résoudre le problème d’une manière ou d’une autre reste ouverte. Le contrôle de la colère causée par la misère présente deux aspects :
1 - le traitement des symptômes par une présence policière croissante dans les villages, punir le moindre vol par des jugements iniques, etc. Et en même temps accentuer la pression économique sur cette population pauvre ;
2 - la réduction des causes de la misère, ce qui tempère les frustrations en accordant plus d’emplois et plus d’aides à la fraction la plus pauvre de la population (principalement les Gitans).
Dans les six derniers mois (le nouveau gouvernement, apparemment, s’est mis à chercher une solution à une question que ses prédécesseurs, les socialistes, ignoraient), les mesures prises par le gouvernement vont plutôt dans le sens de la répression, quoique qu’il y ait quelques tentatives dans la seconde voie, dans le but de réduire la misère au moins à un niveau contrôlable.
Quelques faits concrets :
1 a) des faits déjà connus au cours de mois précédents :
peines plus sévères pour vol jusqu’à 20 000 forints (75 euros) y compris l’emprisonnement d’un mois pour les mineurs de moins de 18 ans et de deux mois pour les adultes ou une amende maximale de 150 000 forints (550 euros) ;
possibilité d’une procédure expéditive « administrative », sans comparution judiciaire, pour les « petits vols » ;
augmentation des effectifs policiers.
1 - b) nouvelles mesures :
réduction de trois mois à deux mois de la « période de tolérance » entre l’enregistrement d’un chèque en bois réglant les factures d’électricité ou de gaz et la coupure des services concernés ;
simplification de ces coupures d’un point de vue bureaucratique ;
transfert à l’Etat par les entreprises publiques du gaz et de l’électricité de la dette globale des usagers (pour que le recouvrement soit effectué par l’Etat, ce qui soulagerait les entreprises concernées d’un milliard de forint par mois [3,7 millions d’euros]).
2 - L’Etat envisage de créer 13 000 emplois dans le secteur public (similaires aux « emplois à 1 euro » en Allemagne.