On a vu chez un sous-traitant de General Motors à Indianapolis (1) des travailleurs refuser de se laisser enfermer dans l’alternative acceptation/fermeture et (ce qui est aussi important) former un comité de lutte autonome tentant de trouver la solidarité des autres travailleurs ; on a vu aussi (ce qui est plus important) le développement d’autres formes de résistance similaires se développer. Même si le cas reste isolé, la soumission du syndicat UAW aux impératifs des constructeurs a été dépassée. Le maintien, après toutes les tentatives syndicales d’imposer le nouveau contrat liant les salariés à l’entreprise, du refus de la majorité des travailleurs d’entériner ce contrat a mis tous les protagonistes au pied du mur.
L’effet global du chômage et de sa pression sur les travailleurs encore en activité semble avoir eu pour effet, comme dans ce cas de General Motors, une baisse du coût unitaire du travail de telle dimension dans certains secteurs et pour certaines catégories de travailleurs qu’elle entraîne la relocalisation aux Etats-Unis des activités délocalisées (notamment celle de centres d’appel revenant d’Inde pour employer des Latinos).
Cette pression énorme sur les conditions d’exploitation de la force de travail aux Etats-Unis appelle deux observations dans des domaines apparemment différents mais qui peuvent converger dans une contestation plus radicale de tout le système :
dans les usines couvertes par les « nouveaux contrats » amoindrissant considérablement salaires et avantages des nouveaux embauchés, il est fréquent de voir travailler côte à côte sur un travail parfaitement identique des travailleurs payés le double du voisin. Cette situation reflète une différence de génération et si les anciens ne peuvent guère tirer gloire d’avoir conservé leurs avantages, les jeunes qui peuvent leur reprocher de ne pas s’être battus, ont quand même accepté leur condition très différente parce que la situation de l’emploi les y contraignait (2). Outre les conflits internes personnels qui peuvent surgir de cette situation ubuesque, des témoignages montrent que cette « jeune génération » commencera à revendiquer dès que l’évolution économique comportera moins de précarité ;
si on évalue à plus de 25 % la proportion de travailleurs ayant vu leur salaire réduit dans ces conditions drastiques, un phénomène semble s’être développé, celui qu’un quotidien appelait les « voleurs de salaires » (3) : soit des entreprises qui utilisent toutes les astuces possibles, y compris la faillite, pour retarder le paiement des salaires ou même ne pas les payer du tout, soit des donneurs d’ordre qui disparaissent dans la nature, ce qui est possible lorsqu’on embauche à la journée ou pour une tâche précise les plus précaires, notamment immigrés, qui restent sans argent et sans aucun recours. Cette situation n’est pas sans rappeler celle des pays en développement où de fréquent conflits, souvent très violents, surgissent des délais ou du non-paiement des salaires dus. Le développement de telles pratiques aux Etats-Unis peut-elle générer de telles révoltes ?
Comme partout, les chiffres officiels minimisent l’impact du chômage. Fin août 2010, le nombre officiel des chômeurs atteignait 15 millions (14,6 % de la population active), mais on décomptait 11 millions de découragés qui avaient quitté les recensements, et on pouvait y ajouter quelque 9 millions subissant ce que les Américains nomment « temps partiel involontaire ».
Les journaux américains sont remplis de cas individuels exposant les difficultés de ceux qui se retrouvent à la fois sans emploi, sans logis et ne comptant que sur des expédients temporaires, familiaux et autres, pour garder la tête hors de l’eau sans pouvoir savoir comment cela se terminera.
Obama a affirmé à diverses reprises qu’il n’était pas là pour combattre la pauvreté et que seule la reprise de l’économie libérale y pourvoirait. Des « programmes de formation » pour les chômeurs dont le financement est très réduit, n’ont en 2009 concerné que 241 000 chômeurs, qui pour la plupart n’ont pas retrouvé d’emploi. Après avoir été prolongée plusieurs fois, la période d’indemnisation du chômage, actuellement de 99 semaines, est restée fixée à ce chiffre après le refus récent du Sénat américain de la prolonger de nouveau. Ce qui place de plus en plus de chômeurs longue durée dans une situation particulièrement précaire. Car hors du système d’aide alimentaire (les food stamps) et les aides humanitaires submergées et dont le financement s’est réduit à cause de la crise, il n’existe aux Etats-Unis aucun des « amortisseurs » que l’on trouve en Europe : plus de ressources d’aucune sorte, plus de garantie maladie et de plus, des restrictions dans tous les services publics que chaque Etat particulier devrait procurer à ses ressortissants.
Les ravages de la politique libérale du crédit. En mars 2010, la dette globale des foyers américains s’élevait à 122 % des revenus disponibles. Un commentateur a pu écrire que chaque Américain pouvait croire qu’il disposait dès sa naissance d’un droit à un logement en toute propriété, ce qui était évidemment considéré par la classe dominante comme un élément de stabilisation sociale définissant ce sentiment d’appartenance à une classe moyenne disposant d’un ensemble de droits et de garanties quasiment innés. C’est une telle idéologie qui peut expliquer le développement exponentiel des crédits de toutes sortes et en particulier des crédits immobiliers : chacun pouvait spéculer sur son avenir, même si c’était purement imaginaire.
L’éclatement de la bulle immobilière et ses conséquences, les difficultés apparues dans toutes les autres formes de crédit, n’ont apparemment pas calmé cette frénésie d’emprunt. Comme le soulignait le Financial Times : « Plus les politiques interviennent, plus c’est la même chose (4) ». Le nombre des défaillances des crédits hypothécaires et des « repossessions », c’est-à-dire des expulsions de ceux qui ne peuvent plus payer les mensualités, n’a cessé de croître encore cette année (95 000 de plus rien qu’en août 2010) et il est prévu qu’elles augmenteront encore en 2011. Le marché immobilier est toujours en plein déclin (de plus de 25 % en un an fin août 2010) ceci malgré des taux de prêts les plus bas depuis trente ans. Plus de 4 millions de logements sont invendus, la construction de logements neufs très réduite, ce qui obère sérieusement l’industrie de la construction. Néanmoins le taux des particuliers propriétaires de leur logement reste de 67 % (60 % en 1960).
Le gouvernement, timidement, a bien tenté de réduire les ravages des défaillances par des garanties financières et des pressions politiques sur les établissements créanciers pour une recapitalisation de l’ensemble des crédits individuels ; mais cette tentative n’a eu que des effets très limités en raison de l’hostilité des banques créancières qui tirent plus de profits dans la poursuite des débiteurs (sur 8 millions de créanciers défaillants supposés pouvoir bénéficier de ces mesures, seulement 422 000 ont pu y souscrire, alors qu’il est prévu que jusqu’à 2012 le nombre des défaillances va croître jusqu’à 10 millions).
Les difficultés de chacun pour faire face au problème du logement peuvent être illustré par ce qui s’est passé à Atlanta (Georgie) le 11 août 2010. Le service du logement, East Point Housing Authority, ayant annoncé qu’il distribuerait des formulaires pour obtenir soit un logement soit une allocation, 30 000 demandeurs, une bonne partie au chômage, se présentent au lieu de distribution, certains y ayant passé toute la nuit. Comme il apparaît rapidement les 13 000 formulaires distribués ne servent qu’à figurer sur une liste d’attente qui ne sera satisfaite qu’au bout de mois sinon d’années, qu’il n’y a ni logements, ni crédits disponibles, une émeute emporte tout et la police des émeutes intervient : 62 blessés dont 20 hospitalisés.
Pour le seul mois d’août, presque 100 000 logements ont été saisis. Mais un courant inverse s’amorce, non pas parce que les emprunteurs disposeraient de quoi payer leurs mensualités de remboursement, mais parce que des failles juridiques dans les procédures expéditives d’expulsion entraînent des recours qui peuvent, s’ils se multiplient, coûter aux banques des sommes faramineuses. Plusieurs banques ou établissements financiers auraient ainsi en septembre 2010 gelé toutes les procédures en cours (80 % des procédures seraient entachées d’irrégularités). Tout le système de prêts hypothécaires serait ainsi paralysé avec des conséquences imprévisibles.
Cette crise des prêts hypothécaires qui se mue en crise du logement a des effets indirects importants. Un de ces effets est de prévenir la mobilité des travailleurs, ce qui dans le passé était un des éléments de la mentalité des travailleurs et un des atouts du capital dans son développement et ses restructurations. Un autre aspect dont on mesure mal les conséquences est la dévastation qu’elle engendre dans les familles et notamment chez les enfants particulièrement sensibles aux détresses familiales et aux perturbations dans leur cursus scolaire (5) :
« Les bidonvilles, ce ne sont pas aujourd’hui des cabanes en tôle ou en carton vacillant dans le vent. Mais ils sont cachés derrière les murs des maisons vacantes ou abandonnées, ou alors ils se trouvent dans ces alignements de maisons encore occupées par des précaires, des isolés ou des familles entières, les marginaux de la société (6). »
Moins d’écoles, moins de services, plus d’impôts locaux. Il n’y a guère à ajouter à ce qui a été écrit dans nos précédents articles sur les déséquilibres financiers de la plupart des Etats des Etats-Unis qui, en moyenne affichent des déficits de 30% par suite de la chute des recettes due à la crise économique et à l’augmentation des charges (une partie des aides aux plus démunis étant assumée par chaque Etat). Comme l’Etat fédéral ne veut pas contribuer à combler ces déficits, force est aux Etats de pratiquer des coupes plus ou moins importantes dans les services à leur charge. Les plus touchés sont évidemment ceux qui avaient les bases industrielles les plus importantes.
On peut ajouter quelques exemples récents : dans le Massachusetts (région de Boston, côte Est) un signal d’alerte sur l’état dangereux des infrastructures ; dans l’Illinois (région de Chicago), en août 2010 l’Etat a cinq mois de retard pour le paiement de ses factures ; la rentrée scolaire se fait avec en moins 22 % d’enseignants, 44 % d’assistants et la suppression d’une classe sur six, alors que pour l’ensemble des agents de l’Etat, la retraite est portée de 62 à 67 ans. Dans le même temps, les habitants subissent une augmentation générale des impôts locaux. Le financement des pensions des anciens agents est déficitaire à un tel niveau que 40 % de ce fonds doit être financé par des emprunts.
C’est dans ce même Etat, à Pilsen (banlieue de Chicago), qu’en septembre 2010, 300 parents d’élèves occupent pendant une semaine une école promise à la démolition pour en faire un terrain de sport privé alors qu’eux ont décidé que cela devrait faire une bibliothèque sérieusement nécessaire dans ce quartier et qu’ils réclament en vain depuis sept ans.
Depuis plusieurs années, les jeunes et les précaires connaissaient déjà la progression de la pauvreté, les minorités raciales étant plus marquées que la majorité blanche par cette descente aux enfers. Mais aujourd’hui c’est l’immense majorité de ceux que l’on définissait comme « classe moyenne », qui croyaient au rêve américain, ceux qui avaient cette « culture of entitlement » (7) fustigée par un grand patron, qui subissent de plein fouet les contrecoups de la crise.
Un des aspects de cette évolution est qu’un fossé social s’est creusé et élargi entre une petite catégorie de « riches » qui s’enrichissent et l’immense majorité de ceux qui galèrent dans leur quotidien. Comme le remarquait ironiquement un commentateur, « alors que certains optent pour une BMW, d’autres luttent pour un hamburger ».
Ce n’est pas seulement une formule : en 1973, un manager de haut niveau gagnait 26 fois le revenu moyen, en 2010 il le gagne 300 fois. En septembre 2010, 44 millions d’Américains vivent sous le seuil de pauvreté (évalué à 700 euros par personne, 1 400 pour un foyer avec deux enfants) ; mais 25 % d’entre eux sont des Noirs ou des Latinos. Si en 2009, le revenu moyen a diminué pour tous de 0,7 %, celui des Noirs a diminué de 4,4 %. Les plus touchés sont les adultes de moins de 60 ans et les jeunes (20 % des 16-24 ans, dont la moitié n’ont pas de diplôme secondaire).
Nous avons expliqué qu’à cette descente dans la pauvreté les réponses étaient déjà individuelles. Le fossé social élargi a pu être mesuré, dans cette perspective, à travers les changements des habitudes de consommation ; d’après une étude datant de mai 2010, 71 % de la population achètent les produits les moins chers, 57 % ne prennent pas de vacances et 10% sont retournés chez leurs parents.
Un autre indicateur est l’extension de l’usage des « food stamps » (8). Un seul exemple, encore l’Illinois : 785 000 familles (1 630 000 personnes sur 13 millions d’habitants, 12,50 %) reçoivent ces bons d’achat de denrées de base, 12 % de plus qu’en 2009, mais la moyenne de ce qu’il reçoivent ne représente que 296 dollars par mois (220 euros) ; en août 2010 le nombre de « bénéficiaires » avait augmenté de 17 % par rapport à août 2009, ce même chiffre ayant bondi de 58,5 % par rapport à août 2007 (9) ; 2 millions d’enfants de l’Etat bénéficient de repas gratuits dans les cantines scolaires à cause du bas revenu des parents.
Les immigrés légaux ou illégaux sont dans une situation de plus en plus difficile. On vient de voir que les immigrés, qui sont pour la plupart des Latinos, sont beaucoup plus que d’autres catégories sociales victimes d’une précarisation accrue. La crise a, comme partout, donné une nouvelle dimension à une xénophobie impulsée en partie par le personnel politique encourageant un nationalisme économique.
Le cas récent de l’Arizona a récemment défrayé la chronique jusqu’en Europe. Cet Etat a voulu légiférer pour permettre à la police d’arrêter toute personne sur la simple suspicion toute subjective d’« illégalité ». Le juge fédéral a modifié cette disposition en précisant que le contrôle ne pouvait être effectué que sur la « suspicion raisonnable d’illégalité ». Cette nouvelle disposition législative est d’ailleurs parfaitement superflue car il existe déjà un arsenal de lois pour la chasse aux illégaux. Par exemple, la loi fédérale contre la contrebande peut être utilisée contre un immigrant accusé d’avoir introduit illégalement sa propre marchandise force de travail. Parallèlement, une loi peut entraîner des poursuites contre les patrons exploitant des immigrés illégaux, mais, sans aucun doute, son application dépend de l’importance économique de l’employeur considéré.
Cette chasse aux immigrés est plus concentrée en Arizona, Etat frontalier du Mexique : la moitié des arrestations d’émigrés entrés clandestinement sont effectuées dans cet Etat, y compris celles commises par les « Border Patrols », garde-frontières, qui peuvent opérer notamment dans les transports jusqu’à plus de 100 km de la frontière. Mais d’un autre côté une évaluation trouve 400 000 illégaux en transit dans l’Etat et leur nombre s’accroît. Pour donner un aperçu de l’inefficacité de ces contrôles renforcés : dans le seul comté de Maricopa ce contrôle « au faciès » a été appliqué à 331 000 suspects, dont 36 000 se sont révélés être des immigrants illégaux qui ont été expulsés. Le rouleau compresseur ne fait pas de détail quant aux situations dramatiques qu’il engendre : par exemple un jeune de 25 ans qui, venu avec ses parents, a passé presque toute sa vie aux Etats-Unis, est expulsé au Mexique où il n’a aucune attache.
Le 31 août 2010, une opération de grande envergure dans dix Etats du Middlewest amènera l’arrestation de 330 illégaux de 56 nationalités. Fin septembre 2010, 400 000 immigrants auront rejoint la cohorte de ceux qui sont déjà parqués, 369 000 dans des camps où ils vivent sous la tente, 250 000 derrière des murs de prison. Ce n’est sans doute pas suffisant, et là aussi il faut donner des gages à la montée du conservatisme nationaliste : dès le 27 mai 1 200 gardes nationaux supplémentaires ont été déployés le long de la frontière mexicaine, ce qui a quadruplé les effectifs de l’armée dans ce secteur. Le 13 août, Obama signait un décret affectant 600 millions de dollars à l’utilisation de drones dans la surveillance de la frontière sud.
Bien d’autres projets répressifs défient l’imagination, comme l’obligation de posséder une carte d’identité biométrique pour obtenir un emploi.
Des résistances s’élaborent pour faire face à la multiplicité des situations – depuis les actions diverses de groupes locaux contre les expulsions de logements, jusqu’aux actions dans le secteur de l’enseignement contre les restrictions budgétaires (10) jusqu’à celles que nous avons mentionné ci-dessus.
Nous avons écrit que la première étape de ces résistances n’était pas dans ces solidarités locales et temporaires (bien qu’on puisse penser que par exemple dans les cités de tentes où atterrissent les SDF américains, se tissent des solidarités) mais dans des réactions parfois très violentes qui restent bien sûr des actes individuels mais dont la répétition dans des secteurs définis inquiète les gouvernants.
Outre la constatation que tout ce que nous avions ainsi évoqué a persisté et comporte même des éléments nouveaux, on peut citer un cas précis. A Manchester dans le Connecticut, en août 2010, le livreur licencié d’un dépôt de bière rentre dans le dépôt, tue huit de ses collègues, en blesse deux autres et se suicide. La fréquence de tels actes de révolte dans tous les domaines a fait apparaître des firmes de conseils spécialisées dans la détection et la prévention de toute violence individuelle sur les lieux de travail, à la fois surveillant les « individus suspects » à l’entrée de lieux et organisant des séminaires de patrons sur la manière d’interpréter les suspicions d’hostilité pouvant dégénérer.
Un autre aspect des résistances, bien qu’il ne se manifeste pas par des actes individuels ou collectifs contre les conséquences de la crise doit être relevé dans les mutations relatives aux idéologies qui jusqu’à présent étaient un des fondements du système mais que la crise ébranle ; là aussi c’est plus dans les comportements individuels que dans le développement de mouvements politiques de contestation. Le mouvement du « Tea Party » (11) avec sa dérive fascisante en est une des expressions les plus médiatisées. Mais presque la moitié des Américains (46 %) ne croient plus qu’une solution à la situation présente puisse venir d’un parti politique quelconque.
Une telle désaffection dans le fonctionnement d’un système politique (et en fait dans le système économique lui-même) pourrait former la base d’une résistance ; et empêcher toutes solutions à la crise telle qu’une guerre qui suppose l’adhésion d’une grande majorité de la population.
Une contre-attaque du système ? Ce que nous avons pu écrire sur la montée des instruments de contrôle social et des idéologies les justifiant n’est que la partie émergée d’un iceberg dont les parties cachées sont autrement inquiétantes tant pas leur caractère secret que par leur dimension. Ce que révèlent trois articles du Washington Post (12) donne quelque peu le vertige, nous pose la question de savoir si chacun d’entre nous dans le monde entier n’est pas soumis, contrôlé et même manipulé par cette hydre qui œuvrerait de toutes les façons possibles pour assurer la pérennité du système d’exploitation, pour éradiquer toute forme de résistance jugée dangereuse.
« Le monde top secret que le gouvernement a créé en réponse à l’attentat du 11 septembre 2001 est devenu si étendu, si, pesant et si secret que personne ne sait combien il coûte, combien de gens il emploie, combien de programmes il met en œuvre et exactement combien d’agences spécifiques œuvrent en son sein… (13) »
L’enquête journalistique a révélé que sur le seul territoire américain, 1 271 organisations gouvernementales et 1 931 sociétés privées sous-traitantes travaillent sur des programmes supposés « combattre le terrorisme » et qui, sécurité ou contre-espionnage, disposent de 10 000 bases ; 854 000 agents y travaillent, 39 % directement pour le gouvernement, 30 % pour l’armée et 31 % dans les sociétés de la sous-traitance ; rien qu’à Washington, ils opèrent camouflés dans 33 immeubles et, ailleurs, ils forment un véritable maillage du territoire, en général dissimulé sous des apparences anodines mais dont l’accès est couvert par d’incroyables sécurités.
L’envers de ce réseau, qui limiterait son efficacité, se trouve dans les chevauchements de trop nombreux services travaillant sur les mêmes affaires, leur manque de synchronisation et leur concurrence. Mais c’est aussi dans le fait que le système croule sous une telle masse d’informations que l’important est souvent noyé dans l’inutile. Il n’en reste pas moins que cette énorme machinerie peut être (et est déjà) facilement convertie pour juguler des troubles intérieurs quels qu’ils soient, ce qui fait réfléchir sur les concepts d’émancipation tout comme sur les stratégies que des travailleurs devraient élaborer dans une lutte émancipatrice.
Mais ce gigantesque réseau d’espionnage n’exclut pas l’extension de mesures directes préventives sur le terrain. Un seul exemple : le refus par le parlement de proroger la durée de la période d’indemnisation du chômage fait craindre des troubles et rien que dans la ville d’Indianapolis 36 gardes armés ont été recrutés pour garder un seul bureau de chômage de la ville (14).
H. S.
NOTES
(1) Voir « Une amorce de résistance ouvrière organisée ? », in « Que sont devenus les Etats-Unis dans la crise ? », Echanges n° 134, p. 25.
(2) Les rares propositions d’emplois, même très mal payés, voient affluer un nombre de postulants totalement disproportionné avec le nombre d’emplois offerts et le chômage élevé des jeunes fait qu’ils ne sont pas très regardants avec ce qu’on leur offre. De plus dans cette situation pour laquelle ils peuvent remercier le syndicat UAW qui a conclu et imposé le nouveau contrat collectif, les jeunes doivent obligatoirement adhérer à ce syndicat, dont les cotisations sont prélevées par l’employeur sur leur maigre salaire.
(3) Washington Post, 17 mars 2011.
(4) Financial Times, 17 août 2010 : « Sunset Boulevard. »
(5) Washington Post, 21 novembre 2010 : « Foreclosure takes toll on increasing number of children ».
(6) Baltimore Sun, 21 novembre 2010 : « How bigotry shaped an American City. »
(7) Le directeur général de Fiat, Sergio Marchione, déclarant : « Il faut accepter une “culture de la pauvreté” (“poverty”) plutôt qu’une “culture des droits” (“entitlement”) » (voir Echanges n° 134, p. 23).
(8) « Food stamps » : voir n°131, p 2 sur le système d’assistance alimentaire aux Etats-Unis.
(9) Washington Post, 9 novembre 2010 : « The growing threat of food insecurity in America ».
(10) Voir La Crise en Californie et les précédents numéros d’Echanges (La crise : aux Etats-Unis, conséquences sociales, restructurations et mesures d’adaptation (I), Aux Etats-Unis : conséquences sociales, restructurations et mesures d’adaptation à la crise (2), Les mesures de sauvetage du capitalisme américain).
(11) Sur le « Tea Party », voir « Journée contre les impôts à Washington » dans Echanges n° 133, p 35. Dans la perspective d’élections prochaines et de la future élection présidentielle, le mouvement des « Tea Party Patriot » développe une intense propagande autour des « valeurs » pour restaurer « l’honneur » et pour faire pression sur les candidats républicains pour qu’ils adoptent un « contrat pour l’Amérique ». Bien que bénéficiant d’importants soutiens financiers et qu’il reste une force politique, les excès mêmes de ce mouvement seraient préjudiciables au parti qu’il prétend rénover en provoquant des réflexes de défense pas seulement parmi les minorités. (Financial Times 20 septembre 2010.)
(12) Washington Post des 19 (« A hidden world growing beyond control »), 20 (« National Security Inc ») et 21 juillet 2010 (« The secrets next door »).
(13) Washington Post, 19 juillet 2010.
(14) Dépêche Associated Press (AP) du 3 novembre 2010.