Le score des révolutionnaires
(Extrait de Combat communiste n° 35, 25 mars 1978)
Rarement les résultats de l’extrême gauche auront-ils été commentés avec autant d’insistance qu’au soir du premier tour de ces élections. À droite, on en soulignait le « succès » pour mieux faire ressortir l’ « échec » de la gauche qui ne doit de frôler la majorité en voix qu’à l’appoint gauchiste. À gauche on se garde bien de dénigrer et on multiplie les appels du pied. En y regardant de plus près, force est pourtant de constater que les résultats électoraux de 1978 sont loin d’être les meilleurs de l’extrême gauche. Nous ne retiendrons pas ici les résultats du PSU - ou de son paravent électoral le Front autogestionnaire - qui sont à ranger dans la gauche unie ; encore faut-il noter qu’une petite partie de l’électorat du PSU (guère plus de 20 % sans doute) a pu voter LO ou LCR-OCT-CCA là où le FA n’avait pas de candidat. Quant aux maoïstes, nouveaux venus dans l’arène électorale, la faiblesse de leurs résultats (le quart environ de ceux de LO) rend l’analyse difficile. Restent les voix obtenues par les deux groupes concurrents : Lutte ouvrière et « Pour le socialisme, le pouvoir aux travailleurs » formé du cartel LCR-OCT-CCA.
Les voix de Lutte ouvrière
Lutte ouvrière arrive de loin en tête de tous les groupes, en voix et en pourcentage. D’une part, parce qu’elle est la seule à avoir présenté des candidats partout. D’autre part, parce que ses candidats obtiennent nettement plus de voix que ceux de la LCR, de l’OCT, des CCA ou des maoïstes (il y a quelques exceptions : ainsi certains maoïstes réussissent parfois des scores plus élevés en Loire-Atlantique, dans la Meuse - l’UOPDP - ou à Lyon, ce qui peut correspondre à une certaine implantation locale). Il faut noter également que, sur Paris, la LCR fait jeu égal avec LO, ce qui s’explique sans doute par l’existence d’un public gauchiste plus important dans la capitale, dont la composition sociologique n’est pas défavorable à la LCR.
Avec 1,7 % en moyenne pour LO contre 0,8 % à la LCR, et beaucoup moins à l’UOPDP maoïste, la tradition est respectée. Comme en 1973 et surtout en 1974 (2,33 % à Arlette Laguiller, 0,36 % à Krivine) LO passe mieux que les autres. À cela on peut avancer quelques explications : le sérieux et l’étendue de ses campagnes, le « tonus » d’Arlette Laguiller, l’implantation, ou l’image de marque, plus ouvrière, du groupe, enfin un langage qui exprime mieux la rancœur d’une partie de la population.
LO ne retrouve cependant pas ses pourcentages de 1974, ni même de 1973. Il faut certes tenir compte de ce que la concurrence au sein de l’extrême gauche était plus forte (en 1973, LO faisait cause commune avec la LCR et ne présentait que 171 candidats). Mais la raison essentielle est que la poussée à gauche, que les municipales paraissaient annoncer (les révolutionnaires avaient parfois atteint 10 % des voix) a été stoppée. C’est sur cette poussée que LO tablait pour réussir une percée électorale, au moins dans certains endroits puisque, son objectif avoué était de franchir la barre des 12,5 % des inscrits pour faire élire au moins un député.
À cet effet, la campagne locale d’Arlette Laguiller à Thiers a été l’objet d’un important investissement militant, qui ne suffit toutefois pas à expliquer les 8 % records qui ont été atteints, lesquels doivent beaucoup à la notoriété d’Arlette Laguiller.
D’autres observations peuvent être faites :
Les scores les élevés de LO sont souvent réalisés dans des circonscriptions détenues par la droite, où le PC, voire le PS, est faible. Il n’est pas rare qu’avec 3% des voix LO fasse le tiers des voix du PCF.
Par contre, dans les bastions du PCF (et particulièrement en Seine-Saint-Denis), LO régresse par rapport à 1973. On peut en déduire que, dans les places fortes de la gauche - et notamment dans celles du PCF - la querelle PC-PS n’a pas profité aux candidats révolutionnaires, et a sans doute permis à une partie des électeurs de LO d’exprimer leur méfiance vis-à-vis de Mitterrand en « votant utile » dès le premier tour pour le PCF.
Là où la gauche n’a guère de chances de l’emporter et ne dispose pas d’une implantation et de moyens de propagande très importants, le choix est resté plus ouvert. Les points obtenus par rapport à sa moyenne nationale dans des circonscriptions nouvelles, où LO ne possède souvent aucune implantation locale, compensés par les pertes dans des villes où elle est mieux implantée, prouvent qu’une partie de son électorat ne lui appartient pas en propre, et que son assise réelle est très faible (bien que supérieure à celle des autres groupes). Enfin, on peut penser que la campagne populiste de LO lui a fait perdre une fraction non négligeable des voix gauchistes, qui disposaient par ailleurs d’un éventail de candidats beaucoup plus vaste que lors des précédentes élections. En revanche, il est peu probable que LO ait mordu sur les couches de « petites gens » dont elle cherchait à capter la sympathie.
Et celle du cartel LCR-OCT-CCA
Les listes « Le pouvoir aux travailleurs » obtiennent en moyenne, là où elles étaient présentes, 0,9% des voix, soit moitié moins que LO. L’ « unité » des organisations révolutionnaires - assez tumultueuse il est vrai - n’a donc pas fait recette. Néanmoins, la LCR progresse par rapport aux résultats de Krivine aux présidentielles, ce qui n’est guère remarquable, mais oblige à relativiser le rapport de 1 à 7 créé en 1974 par LO grâce à la personnalisation de la campagne d’Arlette Laguiller, et qui ne correspondait pas au « rapport de forces » réel entre LO et la LCR. Avec une campagne plus dynamique à la télévision et sur le terrain, et surtout si sa politique ne l’avait pas conduite à axer l’essentiel de sa campagne sur le deuxième tour, la LCR pouvait sans doute obtenir quelques dizaines de milliers de voix supplémentaires. (Mais dans ce cas, la Ligue serait-elle la Ligue ?…)
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Un échec (Extrait de Combat communiste n° 35, 25 mars 1978 )
L’échec de l’Union de la gauche est également celui des organisations qui misaient sur la « stratégie du débordement », en premier lieu la LCR. Pour celle-ci en effet, la venue de la gauche au gouvernement constituait la condition sine qua non pour débloquer la situation politique et permettre à l’extrême gauche - en stagnation depuis plusieurs années - de proposer des perspectives aux travailleurs.
Sans caricaturer, on peut même dire que, pour les camarades de la LCR, la victoire de la gauche devait entraîner plus ou moins automatiquement une situation comparable à celle de juin 1936.
C’est cette vision qui explique d’ailleurs l’acharnement mis par la LCR à fustiger la « division » entre le PCF et le PS : face à une situation grave (qui pour la LCR est plus ou moins pré-révolutionnaire), il faut « l’unité des travailleurs » et la LCR confond cette unité avec celle des partis qui se réclament des travailleurs. Il reste que la LCR va devoir trouver une politique de rechange dans la mesure où toutes ses perspectives étaient fondées sur la mobilisation qui devait accompagner l’arrivée de la gauche au gouvernement. La conséquence inévitable - et prévisible - de cette politique est à coup sûr une certaine démoralisation d’une partie des militants entretenus depuis plusieurs années dans l’idée que 1978 constituait une échéance décisive.
Pour LO, la situation est un peu différente : LO n’a jamais affirmé que la venue de la gauche entraînerait automatiquement une vague de luttes. Pourtant, LO a misé des forces importantes sur une poussée à gauche qui - espérait-elle - se manifesterait sur le plan électoral au bénéfice de l’extrême gauche. LO espérait donc, grâce à sa campagne, effectuer une véritable percée politique qui la ferait apparaître comme une alternative, non seulement à la classe ouvrière mais aux couches de la petite bourgeoisie traditionnelle.
Le petit courant de sympathie qui entourait les camarades de LO en campagne a même pu laisser espérer à nombre d’entre eux que des candidats franchiraient la barre des 12,5% au premier tour, permettant des négociations sur le désistement au second tour, avec le PS et le PCF.
S’il était permis d’espérer un déplacement de l’électorat vers la gauche plus important, on comprend cependant mal comment LO pouvait espérer une poussée aussi importante en sa faveur, alors qu’aucune lutte d’envergure dans laquelle les révolutionnaires auraient joué un rôle ne le laissait présager. Contrairement à tout ce qu’affirmaient les militants de LO, il n’y avait rigoureusement aucune chance de voir élire un député d’extrême gauche dans la situation actuelle. Avoir laissé espérer un tel succès à ses militants et sympathisants n’est donc guère correct.
En fait, si LO a misé des forces aussi importantes dans une campagne électorale (sans commune mesure avec tous les efforts qu’elle a pu accomplir sur d’autres questions), c’est parce qu’elle pensait que cette campagne pouvait être un tremplin vers la construction du parti révolutionnaire…autour de LO. (Et elle ne semble pas avoir perdu cette ambition.) C’est véritablement accorder aux élections un rôle qu’elles n’ont pas : même si elles peuvent contribuer à faire connaître une organisation, ce n’est certainement pas sur la base de campagnes électorales - surtout aussi populistes que celles de LO - que les travailleurs les plus combatifs accorderont leur confiance à un groupe révolutionnaire. Il faudra pour cela de nombreuses luttes et une véritable avant-garde ne pourra se dégager que dans ces combats où les tendances révolutionnaires devront faire la démonstration pratique de leur capacité à proposer des perspectives correctes aux travailleurs.
Sous des formes différentes, les illusions de la LCR et de LO se rejoignent. Elles procèdent en effet de la même conception trotskyste erronée selon laquelle seule ferait défaut la bonne direction capable de mener le prolétariat au grand soir. Il en découle des tactiques manœuvrières et des tentatives de trouver des raccourcis qui visent à se placer en bonne position pour jouer ce rôle : en poussant le PCF et le PS en avant pour la LCR, en obtenant des sièges de députés et en opérant une percée politique en mettant son drapeau et son programme dans sa poche pour LO. Mais le chemin à accomplir pour remonter la pente après des décennies de contre-révolution est beaucoup plus long : il faudra que des dizaines et des dizaines de milliers de travailleurs soient passés par l’école de luttes acharnées, qu’ils aient acquis une formation politique au cours de ces combats et par la confrontation des idées dans le mouvement révolutionnaire pour que se constitue une avant-garde qui puisse sérieusement prendre le titre de Parti révolutionnaire. Il reste à espérer que les militants de LO et de la LCR sauront faire le bilan de ces échecs.
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La LCR et le deuxième tour (Extrait de Combat communiste n° 35, 25 mars 1978)
Après le premier tour des élections, toute critique de fond du PCF, du PS, de l’Union de la gauche et du Programme commun a disparu de la presse de la LCR. Rouge a consacré entre un tiers et la moitié de ses pages, entre les deux tours, à des commentaires électoraux. À la télévision nous avons même pu voir Alain Krivine demander au PCF et au PS d’organiser un grand meeting commun « avec la participation de Marchais, Mitterrand, Maire, Séguy, etc. » (sic). Quand Mitterrand est venu se faire filmer aux portes de Renault-Billancourt, Rouge lui a reproché d’avoir mal organisé son intervention et manqué une occasion… Ainsi la LCR est apparue comme une sorte de conseillère technique du PCF et du PS, visant à les aider à mieux faire leur travail… Le PCF ne s’en est guère montré reconnaissant, la LCR n’a pas eu droit à la moindre petite citation dans l’Humanité.
Il semble toutefois que, localement, certaines organisations du PCF aient accepté de recevoir des représentants de la LCR. Même s’il ne s’agit que de cas limités, cela constitue néanmoins un fait important. (Aux municipales, un représentant de la LCR avait déjà été autorisé à lire un communiqué dans un meeting de la gauche, en province.)
L’évolution pourrait se confirmer : face à l’existence durable d’une extrême gauche bénéficiant d’une petite audience, le PCF aura sans aucun doute tout intérêt dans l’avenir à utiliser les tendances les plus suivistes à son égard comme force d’appoint. C’est déjà une tactique qu’ont largement utilisée les PC italien et portugais.
Conclure des accords, et même des compromis avec le PCF n’est, certes, nullement à rejeter par les révolutionnaires. Mais à condition qu’un tel compromis se fasse dans la clarté et qu’il serve à renforcer la lutte, l’unité et l’organisation des travailleurs.
Ramper devant le PCF et le PS, et faire leur travail électoral, n’a rien à voir avec un tel accord de front unique. Derrière la position de la LCR, il y a évidemment l’illusion qu’un accord PC-PS peut entraîner une « dynamique unitaire » susceptible de déboucher sur une mobilisation des travailleurs. Encore une fois, la LCR confond l’unité des travailleurs avec celle des bureaucrates et des politiciens de gauche.