Mouvement communiste - Lettre numéro 34 - janvier 2011
PRESENTATION Face à une des plus importantes attaques de ces dernières années contre la classe ouvrière que constituait la réforme des retraites, deux mois de mouvement scandés par neuf journées d’actions, du 7 septembre au 6 novembre 2010, aboutissent à un résultat qui sonne comme une défaite. Pas seulement parce que la réforme a été adoptée mais parce que, dans le cours de la lutte, aucun signe de solution alternative aux actions syndicales ou d’organisation autonome n’a vu le jour.
Le principal constat que l’on pouvait dresser dès les deux premières semaines était que les grèves ne mordaient pas dans les entreprises du secteur privé et étaient faibles dans le secteur public. Une seule exception, la SNCF, où un réel combat minoritaire a été mené durant précisément ces quinze premiers jours mais ne s’est pas développé. D’autres secteurs ont lutté pour des problèmes qui leur sont spécifiques (dockers et travailleurs municipaux de Marseille, éboueurs parisiens, ouvriers des raffineries principalement chez Total, etc.) et ont pu obtenir satisfaction ou, au moins, ont évité une défaite en rase campagne.
Sur les retraites elles-mêmes, une grande confusion a régné sur la nature du problème. Encore trop souvent, les retraites sont comprises comme extérieures au salaire. Le régime par répartition (et sa gestion paritaire) se voit encore gratifié de vertus que n’aurait pas le régime par capitalisation. Sur l’organisation des luttes, les appels incantatoires incessants en faveur d’une mythique « grève générale » sans tenir compte d’un quelconque rapport de force sur le terrain n’ont pas aidé non plus.
En 1995, un mouvement centré sur la SNCF et la RATP avait réussi à faire abandonner la réforme des régimes spécifiques du gouvernement Juppé mais cette victoire avait masqué les limites du mouvement d’ensemble, notamment celle de la grève par procuration. Quinze ans après, alors que le mouvement était incapable de paralyser les entreprises, vouloir rejouer au « tous ensemble » a eu l’effet d’une mauvaise farce.
D’une façon opposée et sans analyse réelle, beaucoup ont crié d’entrée de jeu à la trahison des syndicats, ignorant la complexité du rôle de ces derniers qui, certes, n’œuvrent pas à la révolution, mais ne peuvent justifier leur position institutionnelle face aux patrons et à l’Etat dont ils sont l’un des rouages, qu’à condition d’avoir une conflictualité ouvrière à canaliser.
On a vu surgir ici et là des regroupements qui se voulaient « à la base et interprofessionnels » ou d’aspirants bloqueurs de l’économie. Là aussi, l’auto-intoxication sur la réalité des initiatives ne doit pas empêcher la critique raisonnée de ces tentatives. Enfin, nous parlerons d’une expérience limitée mais sympathique d’initiative locale à Douarnenez.
Ce texte contient donc :
• Un rappel des mesures gouvernementales, • • Un rappel sur la nature des retraites, • • Une chronologie analytique, • • Une critique de la grève générale, • • Une critique de la grève par procuration, • • Une analyse du rôle et de la pratique syndicale, • • Une critique de l’AG interprofessionnelle de Paris-Est, • • Une critique des « bloqueurs » de l’Economie, • • Un exemple d’initiative locale, • • Une tentative de conclusion.
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• L’ATTAQUE DU GOUVERNEMENT
Le gouvernement a déclaré que les caisses de retraite seraient bientôt vides. Pour les remplir, il a décidé de faire payer les salariés. Pour cela, il a le choix entre augmenter les cotisations, en allonger la durée ou diminuer le montant des pensions ou toute combinaison des trois.
C’est ce qui a déjà été fait :
• En 1993, recul de la retraite à taux plein de 37 et demi à 40 années complètes de cotisations pour les salariés du privé, ainsi que le calcul sur les 25 meilleures années (au lieu des 10) et l’alignement sur l’évolution des prix et non plus des salaires, • • En 1995, tentative de modification des régimes spéciaux (SNCF, RATP) qui échoue face à la réaction des salariés, • • En 2003, indexation de la durée de cotisation sur l’espérance de vie à 60 ans. • En 2010, la mesure la plus importante est le recul de l’âge légal de départ à la retraite pour le privé et le public. Jusqu’en 2018, on en prend pour 4 mois de plus de travail par an pour pouvoir partir à la retraite. A cette date, l’âge légal de départ à la retraite sera de 62 ans. La classe d’âge de 1952 est la première concernée. De la même manière, l’âge à partir duquel la retraite à taux plein est acquise, même avec un manque d’annuités, passe de 65 à 67 ans.
Dans la fonction publique, tous les âges d’ouverture des droits sont repoussés de 2 ans. Aujourd’hui, parmi les salariés, ce sont les employés de l’État qui vont être le plus touchés : pour eux, le taux de prélèvement moyen de leur cotisation retraite va passer de 7,85 % (taux actuel dans la fonction publique) à 10,55 % (taux en vigueur dans le privé). Cette hausse sera échelonnée sur 10 ans. Quelque 5 millions de travailleurs est concerné au premier chef.
Conséquence : le nombre de prolétaires considérés comme actifs (lire bons pour le turbin) va bondir. Mais le nombre de travailleurs dotés d’un emploi effectif, lui, a peu de chances d’augmenter d’autant.
Résultat : plus de chômeurs âgés qui s’ajouteront aux bataillons déjà bien fournis de jeunes sans travail ou astreints à galérer à perte de vue. Les périodes de chômage pèseront sur le calcul du montant de la retraite.
Le paradoxe, c’est que les mesures du gouvernement répondent à une logique de court terme. L’exécutif admet que d’ici trois-quatre ans, il faudra certainement remettre le couvert et que personne, y compris lui-même, ne peut garantir la situation financière des caisses de retraites à l’horizon 2020 sauf à espérer une hypothétique reprise de l’économie. Alors ? Pourquoi si peu de réformes alors que la situation serait si grave ? L’explication doit être recherchée dans la crise financière mondiale qui a éclaté aux Etats-Unis à l’été 2007 et dans sa transformation en crise fiscale des Etats. Ce dernier développement a déjà frappé la Grèce, le Portugal et l’Irlande et menace d’emporter désormais l’Espagne, l’Italie et la Belgique. Malgré des reins plus solides que ces derniers, l’Etat français affiche cependant lui aussi un bilan largement déficitaire. Il dépend donc, comme les autres, des marchés de la dette publique pour compléter son financement à hauteur de ses besoins de fonctionnement. Or, les investisseurs sur les marchés obligataires acceptent d’être rémunérés à des taux plus faibles de prêt de leurs capitaux à mesure de la capacité de remboursement des Etats. Plus celle-ci est élevée, moins ils exigeront un taux élevé de rémunération de leurs crédits. Mais un système des retraites fondé sur les contributions des salariés et des patrons et qui, en plus, aurait besoin à courte échéance de financements publics pour boucler son bilan, un tel système n’offre guère de garanties aux grands prêteurs d’argent à l’Etat et ne les incite pas à avoir confiance en sa capacité de maîtriser le budget public. Ceci est d’autant plus vrai que les taux exigés sur les marchés des obligations d’Etat sont nettement plus hauts aujourd’hui du fait de la crise fiscale. Dans un mécanisme classique d’auto-entretien, des taux plus hauts aggravent les déficits budgétaires et imposent davantage de mesures d’austérité des dépenses publiques, etc. C’est une spirale que les Etats capitalistes stoppent traditionnellement en faisant payer leur crise fiscale, en premier, aux travailleurs et aux citoyens, en général. Pas question pour eux de mettre la main dans la poche des entreprises qui sont, ne l’oublions jamais, leur véritable raison sociale.
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LES RETRAITES, C’EST DU SALAIRE
Le salaire est la somme d’argent indispensable à la reproduction de la force de travail de chacun. Ce montant est renégocié sans cesse en fonction, notamment, des rapports de force entre les travailleurs et les patrons épaulés par leur Etat. Le contrat est la formalisation de ces rapports de force. Parmi les éléments contractuels, il y a celui, essentiel pour préserver la continuité du rapport d’exploitation, de la garantie d’un revenu pour ses vieux jours. C’est pourquoi ce thème est, depuis longtemps, l’un des grands facteurs de la lutte des classes. Ainsi, la retraite n’est autre que du salaire dont le versement est différé jusqu’à la sortie légale des salariés du marché du travail.
Aujourd’hui, c’est bien de cette portion de notre salaire dont il s’agit. Les balivernes sur la solidarité entre générations, sur le paritarisme, l’espérance de vie, la pénibilité au travail et autres pyramides des âges ne sont qu’autant d’écrans de fumée dressés par les patrons, l’État et les syndicats afin de ne pas traiter la question dans le cadre qui est le sien : celui du salaire, de la rémunération échangée contre l’emploi de la force de travail.
Le système par répartition, c’est prélever aujourd’hui pour redonner demain. Sur le fond, le système par capitalisation, c’est la même chose ! Seul point réel de différence, celui qui gère le placement de l’argent prélevé sur les salaires.
Dans les systèmes dits par capitalisation, de manière plus explicite, l’argent collecté correspondant au salaire qui sera versé sous forme de retraites se transforme immédiatement en capital puisqu’il est directement investi dans le circuit financier par les fonds d’investissement qui le gèrent. Le mécanisme par répartition fonctionne de la même façon. L’argent collecté est placé auprès d’institutions financières qui le font « travailler » dans la sphère financière en attendant de le restituer aux retraités.
Ce dernier circuit des cotisations est juste un peu plus opaque que celui, plus évident, des dispositifs par capitalisation. La comptabilisation y est plus difficile aussi car les gérants syndicaux et patronaux de ces systèmes prétendent que les cotisations salariales et patronales servent aux traitements des anciens salariés déjà retraités. On oublie à dessein que le mécanisme est identique dans le cas de la retraite par capitalisation. L’argent accumulé de la sorte est certes logé dans un compte individuel mais il est immédiatement utilisé par le fonds de pension pour ses placements financiers et pour verser les retraites à ceux qui y ont déjà droit.
La prétendue opposition entre ces deux mécanismes sert à entretenir le mythe de la solidarité intergénérationnelle incarnée par le système paritaire par répartition. En France, ce seraient les caisses de retraites et ailleurs les fonds de pension. En réalité, en France, la partie dite « complémentaire » des retraites est déjà gérée par des fonds d’investissement classiques (Un exemple ? Le plus ancien Préfon-Retraite créé pour les fonctionnaires, en 1964, est géré par les syndicats via des assureurs).
L’unique véritable différence, entre répartition et capitalisation, tient aux garanties légales fournies aux salariés : est-ce que le fonds ou la caisse de retraite s’engage à verser un montant fixé en amont (prestations garanties) où est-ce que ce montant va varier en fonction de la capacité des gérants des systèmes de pension de l’accroître par les placements financiers (contributions garanties) ?
On nous dit que les systèmes par capitalisation exposent davantage les retraités aux aléas des marchés financiers. Mais que signifie d’autre l’allongement de la période contributive couplée à la réduction escomptée du montant total des retraites qui seront versées ? On paye plus aujourd’hui pour avoir moins demain compte tenu de l’espérance de vie qui, elle, n’a pas augmenté instantanément de deux ans par décret gouvernemental.
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CHRONOLOGIE
Le premier mois (commençant le 7 septembre) Aperçu général Il y a eu un nombre croissant de manifestants dans beaucoup de grandes et moyennes villes de France dans les manifestations appelées par les syndicats et soutenues par les partis de gauche. Mais du côté de la classe ouvrière, les grèves ne sont guère suivies.
Tout d’abord, les grèves n’ont pas touché le secteur « privé » industriel (à part les exceptions que nous détaillerons plus loin). Nos deux usines automobiles de référence de la région parisienne, Renault Flins et Citroën Aulnay n’ont seulement vu que 100 grévistes sur environ 4 000 salariés chacune (même tous les délégués et représentants syndicaux n’ont pas fait grève) ; et comme l’a dit un ouvrier, « il n’y a pas de climat pour cela. » Même dans les manifestations, il y avait peu de banderoles d’entreprises du privé.
A la SNCF, le nombre de grévistes a varié d’un site à l’autre, mais les chiffres globaux (des syndicats et de la direction) ont varié entre 25 et 35 %. Il faut rappeler que sur un effectif de 160 000 agents (1), les conducteurs (le secteur souvent le plus combatif) ne sont que 18 000 et parmi eux le nombre de grévistes est de 50 %. Du point de vue des « usagers », sur la banlieue parisienne, la direction a été capable de faire rouler 50 % des trains.
Plus ennuyeux, la participation aux assemblées générales a été faible : par exemple, les 7 et 23 septembre, à Paris – Saint-Lazare seulement 50 personnes étaient présentes. Le 12 octobre, les journaux indiquèrent une remontée de participants à Paris Montparnasse (100 personnes) mais ce n’était que la moitié de ce qui s’était passé en novembre-décembre 1995.
A la RATP, sauf sur le RER B (voir plus loin), les chiffres de grévistes n’atteignirent jamais plus de 30 % pour le métro et moins pour les bus, tant à Paris qu’en banlieue.
Le nombre de grévistes a été un peu plus important dans le secteur hospitalier (environ 30 %), même si la grève pour les infirmières est toujours problématique car elles peuvent être réquisitionnées. La participation aux manifestations derrière les banderoles SUD était importante comme on l’a vu à Orléans, Quimper et Brest.
Chez les fonctionnaires, les chiffres ont varié sans jamais dépasser 25 % à l’exception des impôts où le chiffre de 33 % a été atteint.
A la Poste, à Paris, il n’y a jamais eu plus de 33 % de grévistes, dans les centres de tri, les bureaux de poste ou à la distribution. Selon un camarade, délégué de base CGT, même la CGT n’a pas été capable d’établir des chiffres précis.
Dans l’Education nationale, les chiffres ont pu varier énormément d’un endroit à l’autre mais, en moyenne, il n’y a jamais eu plus de 20 % de grévistes.
Exceptions On peut dire que les exceptions, c’est à dire de véritables grèves en termes de participation et d’organisation, n’ont pas eu lieu contre la réforme des retraites mais plutôt pour des raisons spécifiques.
RER B On y atteint 75 % de grévistes et seulement un train sur cinq. Cette combativité s’explique par plus de 20 ans militantisme syndical, tant parmi les conducteurs que les ouvriers de maintenance du dépôt de Massy Palaiseau.
Depuis la création du RER B, en juin 1983, la RATP l’exploite jusqu’à Gare du Nord et la SNCF au-delà, impliquant ainsi le changement de conducteurs à Gare du Nord qui, selon les deux exploitants, pénalise les usagers. Suite à un accord direction-syndicats à la RATP (sauf la CGT) en novembre 2008, progressivement (30 % des circulations en février 2009, 100 % en novembre 2009), les conducteurs de la RATP assurent la conduite des trains au-delà de la Gare du Nord. Si la direction a alors promis une prime annuelle d’interopérabilité de 1 200 euros, les conducteurs ont vu leurs conditions de travail empirer en termes de tournées et de manque d’effectifs. Par ailleurs, l’ensemble du personnel RATP du RER B (1 200 salariés dont 600 conducteurs) craint, à terme, d’être rattaché à la SNCF et de perdre divers avantages. C’étaient les raisons de la grève de novembre 2009 et ce l’était encore en 2010.
Les raffineries Total Il y a 12 raffineries en France, dont Total en possède six (voir liste après).
Dans ce secteur, du point de vue des patrons, il y a trois problèmes :
• Surcapacité générale en Europe (20 % des 114 raffineries), • • Vieilles installations en France (la majorité date des années 30), bien que régulièrement améliorées. Elles sont plus onéreuses que les nouvelles (et la tendance dans cette industrie est d’en construire des nouvelles près des champs pétrolifères et des nouveaux marchés), • • Inadéquation au marché automobile français pour les carburants (les raffineries produisent moins de diesel que d’essence mais le diesel est la carburant le plus utilisé, environ 60 % de la consommation), • A cause de la surcapacité générale en Europe, Total a décidé de fermer des raffineries en 2009, en attaquant d’abord Dunkerque en janvier 2010. Mais les ouvriers menés par les syndicats ont réussi à repousser les projets de la direction (le gouvernement a même averti Total de ne pas « détruire le potentiel industriel de la France »). Les syndicats ont gagné au tribunal mais Total a fait appel. C’est pourquoi les ouvriers restent vigilants et tirent avantage de la lutte contre la réforme des retraites pour maintenir la pression sur Total. Et ce même si, il y a quelques années, ils ont obtenu un accord spécifique sur les retraites qui est plus avantageux que le régime général et sûrement meilleur que le futur régime général réformé. Total avait assuré qu’elle ne souhaitait pas revenir sur cet accord.
Les six raffineries Total ont donc été en grève depuis le début septembre, mais seulement le 12 octobre pour Grandpuits. Les raffineries ont une forte composition technique du capital et n’emploient pas plus de 600 à 900 salariés chacune. De plus, arrêter la production dans les raffineries ne peut se faire instantanément, ni même rapidement, à moins d’être prêt à endommager l’appareil de production. Les ouvriers des autres raffineries ont été en grève mais de façon discontinue.
(Tableau plus lisible sur le site de mouvement communiste)
Nom Entreprise Ville (Département) Effectifs (2009) Capacité (million de tonnes par an) Création Produits Raffinerie de Normandie Total Gonfreville-l’Orcher (Seine-Maritime) 909 15,9 Mt/an 1932 Produits pétrochimiques + Carburants Raffinerie de Donges Total Donges (Loire-Atlantique) 641 11,3 Mt/an 1933/1947 Carburants Raffinerie de Port-Jérôme-Gravenchon ExxonMobil Notre-Dame-de-Gravenchon (Seine-Maritime) 912 11,3 Mt/an 1933 Produits pétrochimiques + Carburants Raffinerie de Lavéra INEOS Lavéra (Bouches-du-Rhône) 974 10,2 Mt/an 1933 Produits pétrochimiques + Carburants Raffinerie de Provence Total Châteauneuf-les-Martigues (Bouches-du-Rhône) 500 7,5 Mt/an 1935 Carburants Raffinerie de Petit-Couronne Petroplus Petit-Couronne (Seine-Maritime) 557 7,3 Mt/an 1929 Produits pétrochimiques + Carburants + huiles Raffinerie de Berre Basell Berre l’Etang (Bouches-du-Rhône) 1473 6,3 Mt/an 1931 Produits pétrochimiques + Carburants Raffinerie de Feyzin Total Feyzin (Rhône) 641 5,8 Mt/an 1964 ETBE (additifs) + Produits pétrochimiques + Carburants Raffinerie de Fos ExxonMobil Fos-sur-mer (Bouches-du-Rhône) 250 5,6 Mt/an 1965 Carburants Raffinerie de Dunkerque SRD (filiale Total) Dunkerque (Nord) 620 5,6 Mt/an 1932/1950 Carburants Raffinerie de Grandpuits Total Grandpuits (Seine-et-Marne) 405 4,8 Mt/an 1966 Carburants Raffinerie de Reichstett Petroplus Reichstett (Bas-Rhin) 270 4,0 Mt/an 1963 Carburants Raffinerie des Antilles SARA Fort de France (Martinique) N.C. 0,8 Mt/an 1967 Carburants
Port de Marseille C’est une place forte de la CGT (100 %) et du PCF préservée par le maintien du mécanisme du contrôle syndical de l’embauche. Le mouvement y a démarré, le 27 septembre, contre la réforme portuaire des terminaux pétroliers de Fos et Lavéra, spécialisés dans le traitement de pétrole brut, de GPL, de produits raffinés et chimiques.
Le 1er octobre 2010, le Port de Marseille a validé la reprise de ses activités pétrolières par la filiale Fluxel, détenue à 60 % par le port et 40 % par des opérateurs industriels. C’est contre certaines modalités de mise en place de cette filiale que la CGT a déclenché le mouvement de grève, réclamant notamment que les personnels détachés conservent un bulletin de salaire à l’entête du Port de Marseille. La direction du port, qui a accédé à de nombreuses revendications ces derniers mois (maintien des avantages, possibilité de retour au sein du port en cas de défaillance de Fluxel, maintien de la masse salariale si plusieurs raffineries ferment...) estime que « toutes les garanties ont été données » aux 220 salariés qui seront détachés dans cette filiale,
Ensuite, les agents portuaires du Port de Marseille se sont mis en grève aux terminaux marchandises de Fos et aux bassins Est à Marseille où les dockers ont bloqué les grilles du port, tandis que les dockers des bassins Ouest travaillaient normalement. Les salariés de la société de gardiennage AMO, qui demandent leur intégration au sein du Port de Marseille sont également en grève.
Le trafic passagers était quant à lui perturbé par la grève des marins de la SNCM et de la CMN qui entraîne le blocage du trafic avec la Corse. Au total, trois navires de la SNCM, dont deux ferries et un de la CMN, sont bloqués à quai à Marseille, les autres navires de ces compagnies étant bloqués en Corse.
Par ailleurs, l’ensemble des remorqueurs de la société Boluda (Bassins Est et Ouest) étaient également en grève empêchant un porte-conteneurs qui a terminé ses opérations d’appareiller.
Le trafic passagers à destination de l’international et notamment du Maghreb était quant à lui assuré normalement.
Employés municipaux de Marseille Au contraire du port, c’est une place forte de FO plus liée au parti socialiste. Il y a une concurrence rampante entre FO et la CGT. La grève portait aussi sur des problèmes spécifiques (horaires, salaires, conditions de travail) et a touché principalement :
• les employés des cantines scolaires, à partir du 21 septembre, • • les éboueurs, à partir du 13 octobre. • Pour les employés des cantines scolaires, le mouvement, sous forme de grève reconductible (jusqu’au 12 octobre), touche la moitié des cantines des écoles marseillaises à l’appel d’une intersyndicale des territoriaux de la ville, à laquelle n’a pas adhéré FO. La principale revendication est le refus de l’allongement de la durée du travail qui peut aller, pour certains, jusqu’à 7 ans de plus qu’aujourd’hui.
Pour les éboueurs, douze arrondissements marseillais sur seize sont touchés par la grève des éboueurs du secteur public à l’appel de FO, le syndicat majoritaire chez les agents territoriaux de la ville. Lundi 12, le mouvement contre la réforme des retraites dans ce secteur a pris un nouveau tour avec le blocage de la gare de stockage des déchets des Aygalades, cette fois au nom de l’intersyndicale (FSU, SUD, CGT, Unsa, CFDT). FO tente d’élargir le mouvement à l’ensemble de la communauté urbaine et de convaincre les salariés du privé (Véolia), potentiellement mobilisables, chargés du ramassage.
Semaine du 12 au 19 octobre Aperçu général Ce qui a caractérisé cette semaine fut l’irruption des lycéens à Paris, en banlieue et en province. Ça a démarré spontanément par des lycéens quittant leurs lycées en petites manifestations (100 - 150) pour aller vers d’autres lycées et ainsi de suite. A Paris, c’était tranquille (la police surveillant « gentiment » les manifestations et s’occupant de réguler la circulation) mais en banlieue (Montreuil, où un jeune a presque perdu un œil, Argenteuil, etc.) la police a immédiatement attaqué les manifestants avec des grenades lacrymogènes et des tirs de flash-balls.
Cela été le cas aussi en province (comme à Caen, où un jeune a été gravement blessé). Le message du gouvernement a été très clair : « Si vous voulez jouer avec nous, vous devez être à la hauteur ! » En fait le gouvernement craignait la répétition du mouvement de 2006, contre le CPE. Il était donc nécessaire d’écraser dans l’œuf toute velléité. Cela n’a pas été une réussite et plus de lycées ont connu mouvements et blocages. Selon le ministère de l’Education, 300 des 4 300 établissements du secondaire ont été touchés.
Mais la participation parmi les élèves reste en général faible (pas plus de 30 %). Dans quelques endroits, des jeunes ont brûlé des voitures et des poubelles et ont pillé quelques boutiques comme à Nanterre. Mais il n’y a pas eu d’affrontements avec la police, même de basse intensité, plus un jeu du chat avec les souris. Qui plus est, il est possible que ceci ait contribué à réduire la participation à un « mouvement » jusque-là très pacifique et « citoyen ».
Si les manifestations du mardi 12 ont vu un plus grand nombre de participants, celles du samedi 17 ont connu un nombre décroissant (plus fort dans l’Est, plus faible décroissance à Paris et au contraire un nombre plus important dans l’Ouest).
La notable différence est à la SNCF où les grèves (avec le même nombre de grévistes que précédemment) durent depuis le mardi.
Nouveautés La principale nouveauté a été le blocage des centres de distribution des carburants près des grandes agglomérations. Ils ont été principalement menés par la CGT. Cependant ces blocages n’ont jamais duré plus de deux jours sur un même dépôt car la police expulsait rapidement les bloqueurs, qui alors partaient ailleurs bloquer un autre centre ou revenaient quelques jours après.
A l’appel de FO, de la CFDT et de la CGT, des routiers salariés ont bloqué ici ou là des routes et provoqué des ralentissements sur les autoroutes. Ces actions n’ont pas su s’inscrire dans la durée et se sont rapidement essoufflées.
La distribution de carburants est perturbée parce que :
• les dockers des terminaux pétroliers près de Marseille ne déchargent plus les tankers et ainsi assèchent les raffineries du sud de la France, • • la grève continue chez Total (dont une raffinerie, Grandpuits, approvisionne la région parisienne), • • la grève discontinue des autres raffineries, • • les dépôts d’essence qui approvisionnent les stations-service. Depuis 1968, leur nombre a énormément augmenté pour s’adapter à la suburbanisation croissante de la France, constituant ainsi une cible facile pour les blocages. Au total, seulement une douzaine de dépôts ont été effectivement bloqués, • • le comportement des consommateurs eux-mêmes qui ont envahi les stations service en multipliant les achats de carburant. • Dans le Nord et le Pas-de-Calais, la CGT a appelé à une grève, le 12 octobre, de quelques heures durant la même journée mais suffisante pour paralyser 30 grosses usines (dont Alstom, Bombardier, mais ni Renault, ni Toyota). Dans les usines touchées, les grévistes n’étaient pas majoritaires mais furent capables de frapper le patron par des grèves tournantes sans pour autant être capables de reproduire l’attaque un autre jour.
A Paris, les éboueurs entrent en grève. Bien que bénéficiant d’un régime spécial dû à la pénibilité du travail, certains pouvant partir à 55 ans, les revendications portent sur une augmentation des salaires, la charge de travail ou l’évolution de carrière. Les grévistes vont bloquer les centres de traitement des déchets de Romainville, Saint-Ouen et Ivry.
La participation des élèves aux manifestations a changé leur ambiance en y apportant une atmosphère de fraîcheur et a temporairement arrêté la décrue du nombre de manifestants.
On a commencé à voir à la fin de manifestations le spectacle français habituel : des gens (appartenant ou pas au milieu « autonome ») commencent à jeter des projectiles de loin sur la police en essayant de « radicaliser » les autres manifestants. Le tout, comme d’habitude, sans efficacité ni succès et surtout sans organisation. Cela amène la panique quand la police charge et trop de « combattants » isolés sont alors arrêtés (plus de 1 500 personnes ont été arrêté en France). Nous publions ci-après, le témoignage d’un camarade de Saint-Nazaire (disponible sur Infozone, signé « Black Canary »)
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INTERROGATION APRES LES FINS DE MANIF A SAINT NAZAIRE
Combien de fois encore à faire office de chair à police et à juge ? Et pourquoi ? Hier, nous n’avons pas suivi le parcours de la manif, après avoir récolté de l’argent pour les inculpés nous avons rapporté les boîtes dans une voiture avant d’attendre l’arrivée de la manifestation. Autour du Ruban Bleu, nous avons rencontré des jeunes avec qui nous avons essayé de discuter pour éviter une fin de manifestation houleuse avec des arrestations à la clé. C’était peine perdue : en groupe, ils fanfaronnent et pourtant, quand la police attaque, ils ont peur, ils ne sont pas fiers, on est très loin des « casseurs venus pour en découdre », pour en découdre on ne reste pas à 200 mètres de la police pour lancer deux, trois canettes et des petits cailloux et détaler en courant au moindre signe de réponse bleue. Il y a de la colère, colère que l’on peut comprendre, quand on analyse la situation de classe dans laquelle ils se trouvent, quand on sait qu’ils ont régulièrement maille à partir avec la police, que l’horizon qu’ils entrevoient c’est un boulot de merde ou le chômage, quand certains ont vu leur copain partir en prison après des procès où tout est joué d’avance. La colère est malheureusement souvent mauvaise conseillère et conduit dans des souricières. L’impasse est d’autant plus grande que la peur n’arrange rien et qu’en partant en courant nombreux sont ceux qui se retrouvent isolés, proie facile.
Pour ma part, je ne veux plus assister à ces fins de manifestations stupides, où en 24h la vie de quelques-uns pris au hasard bascule, parce qu’ils étaient au mauvais endroit, au mauvais moment. Alors oui, la question se pose : jusqu’où est-on prêt à aller et pourquoi ? En premier lieu, il s’agit d’une question générale. Je pense qu’il serait bon d’en débattre, pas forcément dans des grandes AG, du moins dans un premier temps. Mais je crois qu’il vaut mieux débattre aujourd’hui pour mettre au jour nos oppositions et savoir sur quoi on est d’accord, plutôt que d’attendre les « fissures » de fin de mouvement où chacun rentrera chez soi avec des arrières goûts de trahison et de défaite, quelle que soit l’issue du conflit. Certes, il y aurait sûrement quelques prises de tête et de bec, mais c’est ça la démocratie, c’est le débat. Et au final, cela crée bien plus d’unité que de conflits. Car c’est ainsi que l’on sort des préjugés, que l’on crée du lien social et de la solidarité. Acceptons la pluralité des fins comme des moyens et faisons-en une force plutôt que de la cacher et de laisser nos « ennemis » exploiter les failles et nous monter les uns contre les autres. La révolution ce n’est pas prendre les armes, c’est la réappropriation par chacun du débat, le partage de savoir et de savoir-faire. En second lieu, revenons à des éléments plus terre à terre. Pourquoi rester en fin de manifestation ? L’objectif conditionne l’organisation et le mode d’action. S’il ne s’agit que de se faire plaisir, de rester au spectacle, alors c’est simple rentrons chez nous et basta. S’il s’agit d’affirmer que la rue est un espace public et de fait nous appartient, alors pourquoi pas, par exemple, organiser un bal populaire en fin de manifestation. Si l’objectif est de marquer une opposition au patronat ou à l’Etat (au gouvernement), occupons les bâtiments qui les représentent. Si symboliquement pour tous, il semble important que les manifestations aillent jusqu’à la sous-préfecture, alors organisons une chaîne non pour dissuader ceux qui voudraient « aller au carton » d’y aller, ce serait peine perdue (ça fait déjà deux manifestations que certains ont essayé, ça n’a rien changé — ce qui n’empêche de faire attention aux personnes avinées et aux gamins qui ne sont pas forcément conscients du danger auquel ils s’exposent) mais pour protéger les manifestants des rafles qui suivent.
Du mardi 19 au mardi 26 octobre Aperçu général Pour le nombre de manifestants, ce fut positif (pour les syndicats), mais pas positif pour le nombre de grévistes.
Les cheminots sont restés en grève mais le nombre de grévistes a diminué (environ 20 % et le dimanche 24, la CGT a annoncé 19 % de grévistes) et la participation aux assemblées est restée au même faible niveau. Mais il n’y a pas eu de blocages, ceci étant évidemment dû au rapport de forces entre grévistes et non-grévistes, même si l’atmosphère est restée calme (témoignages de Paris – Saint-Lazare et Paris-Est) mais la centralisation des grèves n’est pas à l’ordre du jour : à la région Paris – Saint-Lazare, il n’y a pas eu de liens entre grévistes de tous les établissements.
A la Poste, dans la Santé et l’Education, le nombre de grévistes a diminué et est passé sous les 20 % (avec des variations locales).
Il n’y a plus de grève à la RATP, à l’exception habituelle du RER B (où le nombre de grévistes est passé sous les 50 %). A Marseille, les salariés de la société de remorquage Boluda ainsi que ceux de la SNCM et de la CMN ont repris le travail le 19 octobre.
Dans le reste de la fonction publique, les chiffres sont les mêmes que précédemment. Aucune grève significative n’a été signalée dans le secteur « privé ».
Le mouvement à Paris – Saint-Lazare en octobre
15 octobre
Chiffres des grévistes selon les syndicats, toutes catégories confondues.
Paris-Est : 15 %
Paris Nord : 11,93 %
Normandie : 16 %
Paris Rive gauche : 14,45 %
Paris Sud-est : 16 %
Alsace : 9,68 %
Paca : 27,13 %
Roussillon : 35 %
18 octobre
Clichy : Toute la semaine dernière, pas de grève, c’est-à-dire que pratiquement tout le monde était là (agents de manœuvre, poste d’aiguillage). Les trains qui roulent sont ceux décidés par la direction et elle en garde le contrôle. Elle joue le pourrissement de la situation.
Saint-Lazare : dans les AG quotidiennes, il y a entre 170 et 200 personnes tous les collèges confondus. Des AG qui se basent sur l’espoir d’une remobilisation ou plutôt d’une mobilisation très forte « Ne pas laisser tomber les dépôts de raffinerie ».
Région Paris – Saint-Lazare : 28 % de grévistes.
19 octobre
Saint-Lazare : 200 personnes à l’AG interservices qui a duré à peine une heure et a reconduit la grève à l’unanimité. L’AG ne représente pas une catégorie particulière, il y a autant de conducteurs que de contrôleurs, etc.
L’escale et la manœuvre ont très peu de grévistes. Beaucoup de conducteurs présents en 2007 et combatifs n’étaient pas présent aujourd’hui, j’en ai vu travailler. En discutant, ils disent « être déçus par les syndicats. »
Clichy : idem.
Achères et Mantes : grève reconduite à l’unanimité des présents (100 à Achères, 50 à Mantes)
Sur la région, il y a un piquet de grève à la feuille Saint-Lazare et aux ateliers de Clichy mais pas ailleurs vu le faible nombre de grévistes et de participants aux AG.
21 octobre
Saint-Lazare : 140 à l’AG interservices le matin, la grève a été reconduite. Très, très peu de conducteurs à l’AG. L’après-midi, défilé des grévistes dans la gare et les bureaux.
La direction va faire le forcing pour mettre un maximum de trains demain vendredi, jour de départ en vacances.
24 octobre
Le travail reprend doucement. Pour beaucoup de collègues, un moyen de ne pas perdre de l’argent, c’est de faire grève de temps en temps quand ça les arrange : 1 jour de grève, 3 jours de boulot, etc.
Ça reste une grève minoritaire à Saint-Lazare. Beaucoup ne font grève que lors des journées d’action syndicales.
Les conducteurs sont beaucoup moins présents qu’en 2007 (en 2007, il y avait des AG uniquement de conducteurs avec 250 présents) ; cette fois-ci, toutes catégories confondues, on n’a atteint au maximum que 200 présents.
Tant que les grèves seront reconduites à l’AG, la direction garde son service minimum, mais à Saint-Lazare, il y a eu plus de trains que le week-end dernier.
Ce qui continue Les ouvriers de Total, les dockers et les employés municipaux de Marseille sont toujours en grève. Les dépôts de carburant sont toujours bloqués mais, le vendredi 22, seulement 14 restaient dans les mains des grévistes. Pire, le gouvernement a « réquisitionné » les salariés de Total de la raffinerie de Grandpuits et a commencé à défaire les piquets, le vendredi 22, mais le samedi les ouvriers sont revenus et le dimanche, toutes les raffineries Total et les autres étaient toujours en grève. Depuis le vendredi, en région parisienne, le carburant coule à nouveau dans les stations service, le gouvernement ayant prélevé dans les réserves stratégiques et importé de l’essence d’autres pays.
Nouveautés A Marseille, les deux centres de transfert des ordures ménagères, situés aux Aygalades et à Bonnefoy sont occupés depuis lundi 18 pour l’un, mercredi 20 pour l’autre, par des agents territoriaux en grève à l’appel de l’intersyndicale CGT, CFDT, SUD, FSU, UNSA (donc pas FO).
Le vendredi 22, Eugène Caselli, le président socialiste de la communauté urbaine de Marseille a demandé au préfet de région d’ordonner le déblocage et la reprise du travail dans deux centres de transfert des ordures ménagères de la ville pour des raisons de « salubrité publique ».
Des grèves ont commencé chez les éboueurs de Toulouse et Belfort. En région parisienne, et plus particulièrement dans l’Essonne, les élèves sont en grève (mais de façon minoritaire – environ 20 %). Par trois fois, mercredi, jeudi et vendredi, une centaine d’entre eux a arrêté, pendant une heure, la circulation sur la RN 20 à Arpajon ainsi que le trafic du RER C à Brétigny-sur-Orge.
Mais le vendredi, quand commencent les deux semaines de vacances de la Toussaint, le gouvernement a obtenu un gel de la situation.
Du côté de Total, le mouvement peut se renforcer. Le vendredi, la cour d’appel a condamné Total qui « n’a pas assumé son rôle d’information vis à vis de ses salariés, mais est néanmoins autorisé à fermer la raffinerie de Dunkerque. »
Le samedi 23, il y a eu des manifestations spontanées ou appelées localement dans des villes comme Auch (500), Castres (3 000) et Narbonne (2 000).
Au contraire, ce même jour, on a vu les premières contre-manifestations à Paris (250 d’extrême-droite), Chambéry (500 avec des petits patrons et des commerçants).
Le lundi 25, le préfet de Marseille a « réquisitionné » les éboueurs.
La fin : 26 octobre-6 novembre Les grèves spécifiques se terminent et les grèves nationales se délitent.
Le 30 octobre, après 33 jours de grève, le travail reprend aux terminaux pétroliers de Fos et de Lavéra. Il y avait à ce moment 78 navires pétroliers bloqués et il faudra trois semaines pour que le trafic redevienne normal.
Les derniers jusqu’au-boutistes à la SNCF persistent jusqu’au 6 novembre. Les éboueurs reprennent le travail, le 8 novembre, après avoir obtenu, de la mairie de Paris, qu’elle augmente la rémunération annuelle, en fin de carrière, de plus de 1 000€ nets par an et qu’elle crée un grade supplémentaire en fin de carrière. Cette mesure concernera près de 400 éboueurs, ces deux prochaines années, et elle aura un effet direct sur le calcul de leurs retraites.
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CRITIQUE DE LA GREVE GENERALE
Dans les conditions d’un mouvement qui s’annonçait plus que restreint, appeler à une grève générale reconductible et illimitée correspondait, au mieux, à un doux rêve, au pire, à une posture purement idéologique vouée à désarmer dans la pratique les ouvriers disposés à aller plus loin dans le combat.
Pour en revenir à la grève générale, on voit bien (sans remonter à ses théoriciens comme Georges Sorel) sur quoi repose son intérêt pour ceux qui la professent. Plus on est nombreux dans la lutte, plus on a de chances de gagner contre l’adversaire, l’Etat et les patrons. Si on en restait là, la critique serait simple : les tenants de la grève générale ne voient que l’aspect quantitatif du rapport de force, jamais son aspect qualitatif. Bien sûr, l’aspect du nombre n’est pas négligeable. Les mouvements minoritaires meurent souvent de ne pas s’étendre. Bien sûr encore, au sein de la classe ouvrière, tout secteur qui ne participe pas peut devenir un frein au succès d’un mouvement et donc unifier toutes les composantes en lutte est un besoin vital de tout mouvement quels que soient ses objectifs. Mais est-ce que la grève générale est la solution miracle, valable de toute éternité qui agirait à la fois comme instrument et comme finalité ?
De même que dans une simple grève, il n’y a pas de moyens positifs en soi et de tout temps ; un blocage d’autoroutes peut être utile ou peut être utilisé pour faire tomber la pression, l’extension peut servir à noyer le mouvement ou lui donner du souffle, la même revendication, en des circonstances différentes, peut être à la fois unifiante ou créer une division. Beaucoup dépend de ceux qui impulsent ces actions, de ceux qui les pratiquent et de ceux qui les dirigent. Si l’on regarde les grands exemples du passé (2) on peut en tirer la conclusion que la grève générale se convoque mais ne se décrète pas. On sait aussi, qu’en règle générale, elle suit et couronne une longue série de conflits localisés, et qu’au moment où tout est en jeu, des secteurs ouvriers partent souvent en lutte bien avant un quelconque appel à une lutte globale.
La garantie du succès d’une grève générale n’est pas liée forcément à la puissance de ceux qui la convoquent. On a vu des syndicats puissants appeler à des grèves générales qui ratent, tandis que des appels de syndicats plus faibles peuvent se transformer en succès.
On a vu également, d’abord en France, en mai 1968 (3), puis en Italie entre 1969 et 1977, comment les syndicats ont mis en place des grèves générales à répétition ayant pour but de noyer un mouvement ayant démarré sans eux ou même contre eux, et dont ils appréciaient peut-être mieux les potentialités que les acteurs de mouvement eux-mêmes. L’objectif était alors de briser le développement de l’initiative autonome ou, tout du moins, de le faire reculer. Et il faut malheureusement le dire : ils ont atteint leur but. Ces deux épisodes importants de la lutte de classe montrent également que la durée de la grève générale n’est pas suffisante pour qualifier et apprécier sa nature. Une grève générale longue comme mai 68 en France a, d’une part, servi à noyer un mouvement minoritaire mais parti en dehors de consignes syndicales, du 14 au 18 mai, tandis que, d’autre part, sa durée exceptionnelle (du 18 au 30 mai) ne s’est guère traduite en organisation autonome des ouvriers en grève.
Les partisans de la bonne grève générale rétorqueraient que celle-ci ne peut être organisée que par la base et pas par les bureaucraties syndicales (4). Ceci appelle deux remarques. La première : appeler à une grève générale, action d’une grande complexité qui nécessite une énorme préparation, c’est aussi informer l’adversaire des temps de la lutte, donc lui permettre d’installer ses lignes de défense. En 1926, les classes dominantes anglaises ont exploité cette information et se sont donné les moyens de gagner la confrontation. La deuxième : en supposant que le mouvement qui rend réellement possible une grève générale soit le fait de noyaux ouvriers solidement auto-organisés et reliés les uns aux autres, forgés dans des combats à périmètre plus limité, pourquoi jeter toutes les forces sur une seule échéance ? Dans ces conditions, il faut savoir que l’affaire ne se cantonne pas à un beau refus prolongé du travail.
L’Etat, avec ses imposants moyens répressifs, et la bourgeoisie, avec les couches sociales qui lui sont acquises organisées dans un front réactionnaire actif, n’ont aucune difficulté à transformer la grève générale en affrontement direct et violent. La partie se joue alors sur les temps d’action et de réaction et sur la force concentrée que chacun des camps en présence est capable d’exprimer. Autrement dit, ce type de grève générale, expression d’une maturité élevée de l’autonomie ouvrière, se couple au problème de l’usage déployé de la force. Elle laisse la place à la transformation du conflit en insurrections. Sous cet angle, il est aisé de comprendre que le déclenchement d’une grève générale n’est pas une mince affaire. Il faut absolument y parvenir seulement quand la classe a une chance de remporter la confrontation décisive. Avant cet instant, il faudra, encore et encore, mettre à l’ordre du jour de la lutte de classe la pérennisation des instituts politiques de l’autonomie ouvrière, leur renforcement par et dans les luttes indépendantes des prolétaires et, surtout, leur centralisation croissante autour d’un corpus politique et théorique adéquat aux immenses enjeux.
Donc, pour qu’une grève générale ait une chance de succès au travers de son dépassement et de sa mutation en affrontement direct global entre les forces du prolétariat et celles des classes dominantes, il faut d’abord – et bien avant cela – qu’il y ait une organisation préalable, enracinée, dotée de nombreux liens avec la classe. Une organisation dont les capteurs sont fiables et capables de prendre sans cesse la « température » des ouvriers, ceux qui sont les véritables protagonistes de la lutte de classe. Il faut en somme garder toujours à l’esprit que si l’organisation est le prédicat de la grève générale insurrectionnelle, elle n’en est certainement pas le sujet. Pas plus qu’elle ne sera le sujet de la transformation communiste de la société qui en suivra. L’unique facteur qui a la qualité de prétendre à être le sujet, c’est la classe ouvrière dans son ensemble, seule capable de faire pencher la balance en sa faveur. Dans cette perspective, les plans les plus perfectionnés et sophistiqués des Etats-majors prolétariens réels ou présumés sont bien peu de chose.
Enfin, il ne faut pas faire l’économie de la critique de cette forme comme de toute autre forme de lutte spécifique. La transformation communiste de la société ne peut aucunement être réduite à un grand acte de révolte, de cessation choisie de l’exploitation et d’expropriation des expropriateurs. La grève générale n’est qu’un moment du processus complexe et discontinu de la révolution communiste. Tout d’abord, ce processus est fait de conflits de taille et d’intensité différents. Mais cette phase initiale du processus naît pour céder, dès que possible, la place à la transformation capillaire des rapports de production, à l’action consciente de contrôle ouvrier sur la production sociale dont les moyens, les produits et leur répartition sont en passe d’être révolutionnés dans le sens d’une coopération productive la plus étendue et de la destruction des rapports sociaux capitalistes.
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CRITIQUE DE LA GREVE PAR PROCURATION Proposer le schéma de 1995 n’était pas juste non plus. La nature de l’affrontement de 1995 était profondément différente de celle d’aujourd’hui. À l’époque, le gouvernement Juppé s’était attaqué en priorité aux régimes spéciaux dont ceux de travailleurs dotés d’un pouvoir très élevé de blocage de l’économie du pays comme ceux de la SNCF. Le choix de l’exécutif en place cette année-là lui a coûté cher. Il l’a payé en s’effaçant devant la lutte.
Aujourd’hui, le couperet n’est pas tombé sur les retraites des salariés des secteurs les plus à même de devenir le levier d’un affrontement plus large contre l’État, les patrons et leur gouvernement. Ces secteurs ont été, pour l’instant, épargnés dans la première série de mesures. Leur tour viendra bien sûr, mais sensiblement plus tard. Voilà donc – si l’on tient compte aussi de la modification des rapports de force généraux entre les classes en faveur du capital, du gel prolongé des salaires réels et des effets de fragilisation des conditions d’emploi induits par la crise – pourquoi il est impossible de réitérer le schéma relativement gagnant de 1995.
La grève par procuration est intrinsèquement mauvaise du point de vue de la constitution de la classe pour soi. De plus, elle ne marche plus, et on a vu, en novembre-décembre 1995, les premiers symptômes qu’elle engendrait. En effet, les deux secteurs en grève sérieuse, la SNCF et la RATP, bénéficiaient du soutien important des autres secteurs de la population, non seulement dans les manifestations (du samedi mais aussi en semaine, où de nombreux manifestants prenaient des jours de congés pour y participer) mais aussi dans les sondages (où la majorité de la population interrogée soutenait les grévistes) et enfin par une absence, en région parisienne, de contre-manifestations hostiles aux grévistes.
Mais comme on le sait, mis à part les entreprises d’Etat, et avec des succès variables (La Poste, EDF, GDF, Education nationale, etc.), il n’y avait déjà eu aucune grève dans le secteur industriel privé. Le mouvement à la SNCF et à la RATP ayant été victorieux en faisant retirer au gouvernement Juppé ses mesures, l’enthousiasme simpliste (5) n’avait pas voulu voir les limites que faisait poser une telle dichotomie entre ceux qui luttent et ceux qui les soutiennent tout en ne faisant pas grève ! Car, selon ce schéma, quelles étaient les figures en présence ?
D’un côté, les chevaliers blancs de la lutte, les grévistes de la SNCF et de la RATP, brandissant l’étendard de la révolte contre le gouvernement honni et censés lutter pour tous les autres. De l’autre côté, le bon peuple passif des salariés qui, incapables de faire grève par eux-mêmes, s’en remettaient aux chevaliers blancs et les assuraient de leur plus fort soutien possible. Ce conte pour enfants serait risible s’il n’avait pas l’objectif de masquer la réalité du rapport de force pendant le mouvement et de faire reculer dans les limbes, après le mouvement, ce qu’est la compréhension des conflits entre la classe ouvrière et les patrons et l’Etat. Alors, rappelons ces principes.
Lorsqu’un secteur ouvrier d’une usine ou d’une usine parmi les autres d’un groupe industriel, ou d’une région dans un pays, entre en grève, il le fait d’abord pour ses propres raisons, ses propres objectifs et ses propres moyens. Et c’est en faisant grève pour cela que ces ouvriers font grève pour les autres. Bien sûr, plus on est nombreux contre l’adversaire, plus on augmente ses chances de le vaincre pour un temps. A condition que la lutte ainsi enrichie de la quantité n’y perde en qualité.
En plus, au printemps 1995 au moment de la campagne pour les présidentielles, des luttes de salariés du « privé » avaient vu le jour, avaient réussi à obtenir satisfaction, et dans les deux cas les plus exemplaires, comme à Belin Evry ou Renault Flins (6) il y avait eu l’apparition d’initiatives autonomes sous forme de comités de grève capables d’impulser et de mener la lutte. Preuve que la classe ouvrière du « privé » est capable de mener des luttes quand les conditions le permettent ; preuve aussi que tous ceux qui se sont béatement extasiés sur les grèves de novembre-décembre de la même année, ne s’y étaient pas intéressés. Mais les usines en banlieue, c’est loin pour les « militants » parisiens.
Quant à penser que l’on puisse choisir un « champion ouvrier » qui va représenter l’ensemble des salariés, le regarder en spectateur, et s’exonérer ainsi de lutter soi-même, c’est préparer à coup sûr la défaite du « champion » et donc la sienne propre, plutôt que d’apprécier lucidement le rapport de force et en tirer les conséquences sur les actions à mener dans un contexte défavorable.
Quant au « champion », il en conclut rapidement qu’étant le représentant de facto de l’ensemble de la classe ouvrière, son investiture lui donne le droit d’échapper à toute critique (heureusement, cette attitude était peu répandue, en 1995, chez les cheminots).
Si déjà dans un mouvement comme celui de novembre-décembre 1995, le ver de la procuration était dans le fruit de la lutte, et que cette lutte par procuration n’a pas reçu de critique pratique, on se rend bien compte, 15 ans après, avec le faible rapport de force qui a présidé au mouvement contre la réforme des retraites, des ravages qu’il a pu occasionner et qui ont débouché sur une véritable schizophrénie sociale, où entre 2/3 et 3/4 de la population (7) se déclarait en faveur des grèves tout en ne faisant jamais grève elle-même.
Cela ne pouvait et n’a pu que conduire à ce qui s’est passé, c’est à dire à un « mouvement » quasi inexistant en dehors des initiatives syndicales, ou des secteurs spécifiques déjà évoqués, qui très rapidement était condamné à ne plus se maintenir que sous forme symbolique (et la procuration en est une) ou à susciter des actions (blocage de l’économie) ou des moyens (AG interprofessionnelles) tentant de contourner l’état de fait.
Il faudra essayer de comprendre de façon exhaustive pourquoi ces phénomènes se reproduisent depuis 15 ans sans tomber dans le simplisme qui considère que c’est « dur de faire grève dans le privé », le mépris de ceux qui pensent que les salariés (entendez les « garantis ») sont intégrés ou le maximalisme qui attribue les vertus d’un anti-syndicalisme lucide à ce qui n’est que passivité.
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LE ROLE DES SYNDICATS ET LEUR PRATIQUE
Dans notre analyse (8) du mouvement de 1995, nous écrivions, à propos de la politique des syndicats :
« La raison de l’échec du mouvement ne repose pas sur la “ruse” des directions syndicales, qui se seraient appuyées sur un syndicalisme de délégués qui aurait remplacé le syndicalisme d’appareil, et le “piège” de la délégation. Ce n’est pas non plus parce que les salariés en grève seraient semblables à des êtres tellement simplets qui s’en remettraient constamment aux décisions des appareils, alors que, dans le même temps, ces mêmes appareils, seraient largement dévalorisés aux yeux des travailleurs. Ce type d’explication est basée sur la recherche permanente, dans chaque conflit de classe, d’une contradiction insoluble entre “base” et “sommet”, entre “travailleurs” et “appareils” Cette terrible illusion, interdit, à celui qui l’a, la lisibilité du rapport dynamique entre la classe exploitée et son expression politique et/ou syndicale bourgeoise, et empêche, plus généralement, de percevoir le fondement matériel -social- de la démocratie et de la “corruption” du prolétariat dans les pays forts du mode de production capitaliste. Cette véritable chimère d’une “base” naïve mais toujours prête au “bon” combat, qui tente inlassablement de se libérer des chaînes d’une bureaucratie étouffante, s’apparente singulièrement à la thèse trotskiste qui veut que la crise du mouvement révolutionnaire se réduise à la crise de la direction révolutionnaire. »
Et encore :
« Il faut comprendre le rôle et l’existence des syndicats comme fondamentalement produits par l’état de la classe, du marchandage du prix de la marchandise force de travail et des liens complexes qui se tissent entre base et appareil.
Pour nous, les syndicats sont un organe de l’Etat qui vise à répartir d’une certaine façon la partie de plus-value sociale qui sert à la maîtrise des poussées ouvrières indépendantes (9).
Les syndicats d’Etat ne défendent pas les travailleurs en tant que capital variable : le travailleur, dans le capitalisme, vend une marchandise, la force de travail, mais jamais il n’existe, en soi et pour soi, comme capital variable (surtout lorsqu’on parle de ses droits, c’est-à-dire les droits d’un acte d’échange). Le salaire est ce capital variable, mais il l’est en toutes circonstances, pour le capital et seulement pour lui.
Très souvent, les syndicats ne défendent pas le salarié, même en tant que facteur subjectif nécessaire de la production ; en revanche, ils peuvent négocier des termes plus avantageux pour la vente de la part du travailleur salarié de sa force de travail à la condition que le commandement d’entreprise et d’Etat ne soit pas remis en cause pour de bon. Les syndicats d’Etat défendent le travailleur en tant que variable dépendante du mode de production capitaliste, afin qu’il le demeure. Il n’y a rien de choquant dans le fait de se battre pour vendre la seule marchandise qui appartient au salarié le plus chèrement possible, cela s’appelle défense du salaire réel ; on ne peut pas critiquer les syndicats lorsqu’ils négocient (qui dit négociation, dit recherche d’un compromis) sur ce terrain. La force de travail est la seule marchandise dont le prix fixé sur le marché du même nom ait une incidence directe sur la plus-value : la négociation concernant le prix de cette marchandise particulière ne peut pas nous trouver indifférents ou, pire, hostiles. »
Nous ne retranchons rien à ce que nous avions écrit, mais, ceci posé, quelle a été l’attitude syndicale pendant ce mouvement ?
Le fait que ce soit les syndicats qui ont rythmé les séquences du mouvement en imposant les dates des journées d’action leur a donné un immense avantage pour piloter le mouvement, en fonction des possibles réactions. Déjà reconnaître cet avantage aux syndicats, après coup, devrait amener ceux qui se contentent de ces jugements à comprendre que si les syndicats sont les seuls (et parmi eux, bien souvent uniquement la CGT) à pouvoir organiser des appels à la grève, alors les ouvriers n’en sont pas capables (en tout cas au départ) et que le « mouvement » porte en lui de graves faiblesses.
Le fait qu’il existe plusieurs syndicats leur permet de varier leur partition en fonction du déroulé du mouvement. Derrière l’unité présentée lors de ce mouvement entre la CGT et la CFDT (contrairement à novembre-décembre 1995, où c’était l’unité entre la CGT et FO qui existait tandis que la CFDT soutenait les mesures Juppé), unité reposant sur l’appréciation du rapport de force, faible, en faveur du mouvement, il y avait des différences.
SUD, fort de son implantation dans la Santé (confirmée en province, par les nombreux cortèges derrière ses banderoles, mais sans mener de grève dans les hôpitaux) avait décidé de jouer « à fond » la radicalité en appelant systématiquement à la « Grève générale » Lors de ses interventions dans les différents média, le secrétaire de SUD Rail, Christian Mahieux, après des rappels justes sur ce qu’est une grève, affichait un jusqu’au-boutisme déconnecté de la réalité du rapport de force, y compris à la SNCF. SUD, depuis 1995, joue donc la partition de l’extrémisme syndical pour empiéter sur les plates-bandes des autres, CGT en tête.
La CFDT a, depuis 2008, et contrairement à 1995, recentré son discours vers un peu plus de « contestation » tout en faisant preuve de réalisme et en guettant les moindres appels du pied du gouvernement pour proposer de négocier. La chute de ses effectifs et sa disparition dans certains secteurs (SNCF), obligent la CFDT à ce retour de balancier mais qui, dans le fond, ne signifie pas grand-chose.
La CGT, quant à elle, appréciant le faible rapport de forces en faveur des grèves, et contestée par quelques militants et délégués de sa base, a, d’une part, appelé le plus longtemps possible au niveau fédéral à la poursuite du mouvement, tout en laissant faire, d’autre part, ladite base lancer les actions plus « combatives », comme dans le Nord-Pas de Calais.
Justement sur le terrain, des entreprises et des quartiers, quelle a été la pratique des syndicats ? Dans les entreprises privées, nous avons pu constater un tractage, à destination des salariés de l’entreprise, réduit au service minimum (une fois sur quatre environ pour les manifestations nationales) ; les syndicats se contentant de mettre à jour les panneaux d’information syndicaux (et encore pas toujours). Le jour des manifestations, suivant le nombre envisagé de participants, les syndicats louaient un ou plusieurs cars. Quant à la population, il y a eu quelques affiches et quelques tracts déposés, par exemple, dans les trains de banlieue mais rien de bien sérieux. Résultat, dans plusieurs entreprises (comme Renault Flins et Citroën Aulnay) le nombre de participants, derrière la banderole syndicale d’entreprise était inférieur au nombre de représentants syndicaux et de délégués des mêmes entreprises !
Pour en revenir aux manifestations, les syndicats en pensant que, plus il y avait de manifestants, plus le mouvement était fort, ont joué le jeu ridicule de la « gonflette » des chiffres allant jusqu’à doubler le nombre réel des manifestants.
Alors qu’en conclure ? Certainement pas que les syndicats ont trahi un mouvement qui existait si faiblement et qui, dans le cours du déroulement des faits, n’a pas montré de potentialités qui eussent nécessité l’intervention des dits syndicats. Ce qui ne signifie pas que, dans le cas contraire, ils ne l’auraient pas fait, bien au contraire. En décembre 1995, lorsque certains cheminots ont voulu continuer, une fois les mesures Juppé annulées, et alors qu’il n’y avait pas eu un seul écart entre la « base » et la « direction » de la CGT pendant le mouvement, la direction de celle-ci, Viannet en tête, avait alors rappelé à ces « extrémistes » que la fête était finie et qu’elle prendrait toutes les mesures nécessaires pour le faire comprendre.
Les syndicats ont donc assuré un service minimum pour montrer au gouvernement qu’ils étaient toujours nécessaires en cas de débordement possible et, pour eux-mêmes, que pour qu’il y ait débordement, il fallait qu’il y ait un mouvement et qu’il fallait contribuer à sa création.
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CRITIQUE DE L’AG INTERPROFESSIONNELLE DE PARIS-EST
Cette assemblée, constituée dès le 15 septembre sur l’initiative d’une dizaine de cheminots de Paris-Est, a regroupé aux AG entre 50 et 100 personnes, voire parfois moins, et pour les actions décidées (tractage, etc.), pas plus d’une trentaine.
Nous y avons diffusé, le 15 octobre, la critique suivante :
Durant l’AG interprofessionnelle qui s’est tenue le 12 octobre à la bourse du travail, une interrogation ainsi que sa réponse ont traversé les discussions : comment se fait-il que malgré le nombre croissant de manifestants dans les rues et de travailleurs arrêtant le travail, le gouvernement ne montre aucun signe de recul.
La tentative de réponse, qui fût donnée, était la suivante : comme les syndicats ne font que de mendier des négociations au gouvernement, ce dernier a tout intérêt à ne rien lâcher.
Ou pour le dire d’une autre manière, les syndicats sont, au choix, faibles, corrompus ou salauds, et s’ils se présentaient face au gouvernement en position de force, celui si serait contraint de reculer.
La conséquence, toute naturelle de ce raisonnement, c’est de dire qu’il faut renforcer les AG interprofessionnelles, à la base, pour pouvoir contrer le contrôle des syndicats sur le mouvement, les empêchant de l’arrêter une fois les négociations achevées.
C’est là un raisonnement on ne peut plus critiquable.
Il part du présupposé qu’un nombre élevé de manifestants est une conséquence mécanique d’un rapport de force favorable à la classe ouvrière face à l’Etat capitaliste. On croit, de manière simpliste, que plus il y a de gens dans la rue, plus on est fort.
Puisqu’il faut le dire et le répéter, la force de la classe ouvrière, c’est la grève. Pas les manifestations, pas les émeutes, pas les blocages, pas le sabotage, quelle que soit la radicalité apparente (ou non) des slogans et des actions et quel que soit le nombre de participants.
Le 12 octobre, il y avait beaucoup de gens aux manifestations. C’est en métro qu’on y est allés. Pour ce qui est de la RATP, à part sur la ligne B du RER, le trafic était normal, ou quasiment normal. Même dans des entreprises où des majorités de travailleurs refusent d’aller au boulot, comme à la SNCF, ces derniers ne se rendent pas aux AG de boîte, et ne participent donc pas à élargir le mouvement, à l’intérieur de la boîte, et donc, à bloquer la production.
Car puisqu’il faut encore le dire et le répéter, une grève, ce n’est pas simplement de ne pas aller à son poste de travail pour aller manifester. La grève, c’est non seulement participer activement à l’arrêt total de la production dans sa boite, et ensuite, quand ce rapport de force est établi, de s’adresser aux autres prolétaires.
Et ça, les deux âmes en présence de l’Etat bourgeois, c’est-à-dire son gouvernement et ses syndicats, l’ont très bien compris et intégré. En l’absence de grève, c’est à dire d’arrêt de travail gênant la reproduction du capital à sa source, aujourd’hui, le rapport de force est défavorable à la classe ouvrière. C’est pour cette raison que les syndicats sont prêts à négocier n’importe quoi, pourvu qu’on les laisse négocier pour sauver la face, et c’est pour cette raison aussi que le gouvernement ne veut rien lâcher.
Dans cette situation, le nombre élevé de manifestants est un reflet temporaire, et non une conséquence mécanique, de ce rapport de force défavorable, face à l’Etat capitaliste. Tout le monde part perdant, se disant que la grève dans sa propre entreprise n’aura aucune utilité, et va donc à la manifestation pour faire un bon geste. Pour beaucoup, on ne prend même aucun risque en posant un jour de RTT ou en se faisant porter pâle pour ne pas être mal vu de sa hiérarchie.
Face à cette situation, les militants doivent éviter trois écueils :
1) Le désespoir, car même s’il faut éviter l’enthousiasme aveugle au vu du nombre de participants aux manifestations, celui-ci est malgré tout la preuve d’un ressentiment qui traverse la société civile ; de plus, des grèves ont malgré tout lieu dans certains secteurs, de manière majoritaire (raffineries), ou minoritaires (enseignement, transports).
2) La tentation de sortir de l’entreprise, car même si ces réformes touchent une grande partie de la société civile, et que d’un autre côté, le moral dans les boîtes est bas, ce n’est pas en portant le combat sur le terrain de l’ennemi de classe, là où nous n’avons aucune force, que nous pourrons le battre,
3) Enfin, et en conséquence du point précédant, l’absence de grèves importantes fait des AG interprofessionnelles des institutions creuses, dont la vocation, coordonner les luttes à la base, ne peut se traduire dans la pratique que deux manières : dans le meilleur cas, un lieu permettant à des militants plus ou moins isolés d’échanger des informations quant à des luttes embryonnaires, sans pouvoir dépasser la situation ; dans le cas le pire, un terrain de lutte, tenant de la farce idéologique, entre fractions, nécessairement minoritaires, de militants, pour le contrôle d’une institution qui ne représente rien ni personne d’autre qu’eux-mêmes.
Les AG de bases seront utiles et importantes uniquement à partir du moment où elles représenteront des luttes. Vu le faible nombre de militants actifs dans l’AG interprofessionnelle « de la Gare de l’Est » en rapport aux nombre de participants, ces militants devraient concentrer leur action à un faible nombre d’entreprises bien ciblées, choisies selon trois critères : 1. la présence de militants à l’intérieur, 2. un niveau de combativité qui, même faible pour le moment, présente un potentiel de radicalisation, 3. enfin la place de l’entreprise au sein de l’appareil productif.
Il faut maintenant revenir sur le bluff que constituait ce rassemblement. Précisons, pour être clairs, que nous ne sommes pas opposés à toute action, fusse-t-elle minoritaire. D’ailleurs aucune action n’est mauvaise en soi, ce qui compte c’est qui la réalise, dans quel cadre avec quel but et quels résultats. Dans le cas de l’AG, à part les créateurs (eux-mêmes, comme ils l’admettaient, sans forte capacité d’entraînement à Paris-Est), les présents ne représentaient qu’eux-mêmes et surtout pas des entreprises, et encore moins des entreprises en grève. De plus, cette réalité, tout au long de la vie de l’AG, n’a pas évolué. En plaquant ainsi un schéma préétabli sur une réalité qui n’a rien à voir avec, les initiateurs, quelle que soit leur bonne volonté, ont obéré la qualité de leur action d’autant qu’au cours des événements, la barre ne se redressait pas. L’affluence déclinant, ils persistaient sans réflexion critique alors qu’aux AG, la plupart des intervenants venaient parler honnêtement de « leur boîte où il ne se passait rien. »
Pour ce qui est de la pratique, des tentatives d’élargissement de la lutte ont eu lieu depuis l’AG. Cependant, ces initiatives ont à chaque fois souffert du même problème : la subsomption aux rythmes imposés par l’intersyndicale et à la logique du nombre. Les initiatives (tractage, prise de contacts…) tournées vers des entreprises proches géographiquement n’ont eu d’autre horizon que d’appeler les autres prolétaires à se rendre aux manifestations syndicales ou à l’AG, sans jamais se soucier d’un saut qualitatif. Durant ces moments, très peu des participants de l’AG en profitait pour discuter avec les travailleurs, non de manière dogmatique, mais pour essayer de comprendre les réalités locales aux différentes entreprises visitées ; compréhension qui aurait été utile à l’élaboration d’objectifs à court terme peut-être plus convaincants et réalisables, pour commencer, que la seule réforme des retraites.
Il a existé d’autres AG de ce type dans plusieurs autres villes (Le Havre, Angers, Saint-Étienne, etc.), ce qui tend à montrer que la faiblesse générale perçue du mouvement engendrait ces tentatives de contournement. Le peu que nous ayons pu lire ou le flou le plus total (sur ce qui a été fait, par qui et pendant combien de temps et avec quel retour d’expérience) est associé avec l’enthousiasme acritique de ceux qui font circuler ces informations, nous incite à une grande prudence tant pour y appliquer le « schéma parisien » qu’envisager que de meilleures choses s’y sont déroulées.
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DU COTE DES BLOQUEURS
On a vu surgir à partir de la mi-octobre dans plusieurs villes (dont Brest) des collectifs de bloqueurs souvent constitués de militants de petits groupes ou de collectifs locaux auxquels se sont joints des militants syndicaux de SUD, FO, etc., dont l’objectif était de « bloquer l’économie ». Les objectifs assignés étaient souvent des entrées de zones industrielles (comme à Caen), des centres commerciaux (comme à Saint-Brieuc) ou de zones portuaires (comme à Brest).
Mais à quelques dizaines de participants, ces blocages ont été plus symboliques qu’efficaces et facilement délogés par la police sans incident, ni arrestations dans la grande majorité des cas.
Le fait que ces actions étaient menées par peu de militants n’est pas critiquable en soi ; il faut bien commencer, même si l’on est peu nombreux. Mais il ne faut pas oublier d’apprécier si l’action lancée va dans le sens de l’autonomie, d’en comprendre son déroulement et surtout d’en tirer un bilan.
Sans prétendre à l’exhaustivité de la connaissance des actions des bloqueurs, des traits suffisamment communs s’en dégagent :
• On décide de bloquer l’économie en attaquant la circulation des marchandises sans reconnaître ouvertement qu’il n’y a pas de grève dans la production, ni dans les transports et donc que ce blocage est un palliatif à l’absence de grèves, • • On choisit des objectifs symboliques et intenables face à l’inévitable réaction policière, compte tenu du faible nombre de bloqueurs, • • On ne se préoccupe pas de l’accueil qu’on va recevoir de la part de ceux qui seront bloqués (ou alors on espère les réveiller par l’exemple ?), • • On ne fait pas le bilan de l’échec de l’action, • • On recommence … • L’absence de tentative d’analyse et d’évaluation du rapport de forces dans le mouvement contre les retraites est malheureusement chose trop répandue (9). Compter ses forces, voir comment elles évoluent, réaliser des actions qui frappent durement le patron et sans coûter trop à l’ouvrier, a disparu du paysage social y compris chez des grévistes sincères et combatifs. Ce manque de réflexion initiale conduit à mythifier des actions ou des méthodes supposées exemplaires et efficaces quel que soit le contexte, et en même temps à refuser sans vergogne de dire les vraies raisons de ce que l’on fait. La grève est la principale arme de blocage de l’économie aux mains des ouvriers. Les lieux de production restent centraux et primordiaux dans l’organisation capitaliste (et nous intégrons dans ces lieux de production la logistique, prolongement de l’unité productive sur le territoire). En l’absence de grève et en cas d’échec de tentatives d’y pallier, de l’intérieur ou de l’extérieur, il faut en comprendre les raisons avant de préparer la prochaine tentative.
Les échecs nous apportent de l’expérience mais à condition d’en tirer des leçons. Les objectifs doivent être choisis afin de s’inscrire dans le prolongement du mouvement (même faible) et doivent parler par eux-mêmes (y compris via le filtre déformant des média) ou être clairement explicables. Les tentatives de blocage ont souffert d’avoir commencé alors que le mouvement était déjà sur le déclin et menés par de trop faibles forces, sans aucune chance même symbolique de succès. D’autant que les zones industrielles, construites aujourd’hui loin des quartiers ouvriers, empêchent toute solidarité spontanée et tout point d’appui pour résister éventuellement aux forces de répression.
A une autre époque et dans d’autres lieux (10) des collectifs ouvriers organisaient des rondes du samedi pour empêcher les heures supplémentaires dans les petites entreprises, où les ouvriers étaient surexploités, ou forçaient la mise en grève d’autres usines. Mais, d’une part, ils étaient organisés et conscients de leurs actions et, d’autre part, ils concevaient ces actions non comme des palliatifs à leur faiblesse mais comme prolongement naturel à leur propre lutte. Et s’ils « forçaient » des usines à entrer en grève, c’était dans le cas où leur intervention faisait basculer le rapport de force et non le créait ex-nihilo.
En l’absence de réflexion, les actions des bloqueurs se sont contentées de se répéter, sans prendre d’ampleur, restant aussi symboliques qu’inopérantes, avec pour seule satisfaction l’impression de « faire quelque chose ».
Cette fuite en avant qui n’a d’autre objectif qu’elle-même, n’est pas seulement inopérante mais, à la longue, dangereuse : croit-on que nous vivions une époque où nous disposerions d’un réservoir inépuisable de militants formés, trempés, conscients et insensibles à la répétition des défaites ? Non, évidemment. Dans ce cas, persister dans des actions sans perspective n’a non seulement aucun intérêt mais peut contribuer à démoraliser les maigres forces qui veulent faire plus que manifester leur mécontentement.
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UNE INITIATIVE LOCALE
Nous avons reçu, d’un camarade de Douarnenez, le compte rendu d’une initiative locale ayant eu lieu à partir du 15 octobre.
Création de « Pen-sardin Enarch » :
« Penn-sardin Enarch », c’est le nom que s’est donné un collectif pour essayer d’agir contre la réforme des retraites et...« plus si affinités » à la mi-octobre.
La motivation apparente de la poignée d’initiateurs était le ras-le-bol des six manifestations précédentes à Quimper (jusqu’à la préfecture) sur le même parcours, et assez traîne-savates ou plutôt retrouvailles de copains. Les participants du nouveau collectif ont eu envie de manifester dans leur ville, Douarnenez, et, sans le dire, d’organiser quelque chose sans les organisations syndicales et partis de gauche.
Au maximum de la réunion de préparation de la manifestation suivante, nous étions 28 : apparemment, pas de gauchistes visibles, un seul syndicaliste (SUD). Les participants avaient entre 25 et 40 ans, étaient de sensibilité de gauche et un peu plus sans doute, assez autonomes, sympas, actifs dans des structures associatives souvent culturelles.
Le tract d’appel ne faisait que deux phrases, y inclus l’appel à la manifestation. Le même texte sera affiché en A3 dans la ville. Il est distribué sur le marché et devant quelques boîtes : Chancerelle (conserverie de poissons), Paul Paulet (idem), Lagasse communications, l’Hôpital et le Lycée ainsi que la zone industrielle de Lanugat.
Le jeudi, à 14 heures (pour ne pas gêner la manifestation syndicale prévue à 11 heures à Quimper), les manifestants se rassemblent face à la mairie, dont le sénateur-maire est UMP, un maire de droite dans une ville à l’histoire liée au PCF. Environ 300 personnes se rassemblent, écoutent le topo d’un des organisateurs. Une collecte est organisée pour les grévistes de la raffinerie Total de Donges, qui recueille 300 €.
Par ailleurs, dans la même période de 20 à 40 personnes syndicalistes Solidaires et autres (dont une dizaine de Douarnenez) ont participé à des actions de « blocage » d’abord à un dépôt pétrolier près de Brest ou devant un centre de tri postal (il n’y a pas eu de courrier ce jour là à Quimper), puis des actions plus symboliques : devant l’entrée du siège du MEDEF ou du Crédit Agricole, un centre commercial....
On continue
Nouvelle manifestation prévue pour le samedi 6 novembre sur le plan national.
Un collectif des organisations de gauche et syndicales appelle, le 5 novembre, à un rassemblement devant la mairie, jour du conseil municipal dont le maire UMP a voté, bien sûr, le texte de contre-réforme des retraites. Un petit discours enflammé d’un syndicaliste devant la porte de la mairie et en route pour un petit tour de ville mais pas d’affrontements verbaux à la mairie.
Devant la mairie, nous étions moins de 100, quelques slogans et puis certains partent, sans doute à 50 où 60, le reste des présents, le collectif et d’autres se retrouvent pour bavarder-discuter au bistro.
Le lendemain, samedi 6, il pleut mais les gens arrivent avec banderoles, panneaux et un accordéon ; nous partons à environ 200. Un groupe, avec un drapeau CGT et un drapeau PC, bien qu’ils aient refusé de se joindre à l’appel du collectif « Penn-sardin Enarch », participe à la manifestation. Après un grand tour de ville, retour à la place de la mairie, la pluie tombe toujours, le pique-nique est impossible sous la pluie, il se fera dans une salle d’exposition.
Dernière manifestation sur les retraites
Réunion de préparation de la manifestation suivante, arrivent 3 délégués de la gauche, pour annoncer qu’ils ont décidé d’un rassemblement devant la mairie et une manifestation de nuit, la veille de la journée d’action nationale contre la « contre-réforme » des retraites et il n’y a rien à discuter ; ensuite la délégation se retire. La réunion des « Pen-sardin Enarch » continue, l’idée est d’utiliser, citer, une phrase du sénateur-maire de retour de Chine : « La Chine est un grand pays, quand on est là bas on comprend tout de suite pourquoi ça ne marche pas ici ! »
Cette phrase sera décomposée en autant de lettres, chacune étant portée par un manifestant ; séance photo devant la mairie et en surplomb d’une rue passante. Le Télégramme de Brest et Ouest France sont là. Le Télégramme sera le seul à publier la photo de la phrase.
Cette période d’agitation va se terminer par un acte symbolique voulu par la gauche : brûler des photocopies de la loi qui vient d’être votée ! Les bourgeois peuvent dormir tranquilles.
Le collectif va peut-être essayer de survivre, tout le monde est bien conscient que les attaques contre les salariés vont continuer et que ce n’est pas la gauche qui va changer le cours actuel de la politique bourgeoise....suite aux prochaines mobilisations.
Que penser de cela ?
Il est tout d’abord bien sympathique que, dans une petite ville de 16 000 habitants (dont la population chute depuis 1946), dont l’industrie traditionnelle (pêches et conserveries) est sinistrée depuis 30 ans, une trentaine de personnes se réunisse pour décider de quelque chose à faire (ici une manifestation locale) et soit capable d’en entraîner 300.
Reprendre, aux syndicats et aux partis de gauche, l’initiative des actions est un premier pas nécessaire que nous saluons. Le faire sans illusion, c’est également appréciable. Comprendre que même pour organiser une simple manifestation, il faut subir, non pas la « répression » de la droite municipale, mais les avis, conseils plus ou moins appuyés, plus ou moins amicaux des professionnels (syndicats et partis) puis leur refus et leur rejet, est une leçon salutaire qui ne peut que servir pour les prochaines fois.
A Douarnenez, comme ailleurs, les grèves n’ont pas du tout touché les quelques entreprises locales. Et certains participants au comité avaient tellement intégré qu’il « n’y avait plus d’usines » qu’il a fallu le rappeler pour distribuer les tracts d’appel à la manifestation. A Douarnenez, comme ailleurs, certains ont tenté de pallier les faiblesses du mouvement en allant « bloquer l’économie » ailleurs, sans succès évidemment. Enfin, dans les discussions au sein du comité, comme ailleurs, les mêmes incompréhensions sur les problèmes des retraites ont existé.
Mais sans cette volonté de s’organiser pour faire quelque chose décidée ensemble, quelles que soient les limites que nous avons pointées, il ne se passera rien, à la prochaine occasion, ni à Douarnenez, ni ailleurs. C’est pour cela que les participants les plus lucides du comité doivent continuer à se rencontrer, maintenir les liens et faire le bilan de ce qu’ils ont fait. C’est tout le mal que nous leur souhaitons.
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NOTRE CONCLUSION
Sur le contenu
On peut dire que la confusion est très enracinée dans le mouvement. Si tout le monde comprend que la « réforme » du gouvernement est une attaque contre la classe ouvrière, il n’y a pas de compréhension du fait que les retraites sont du salaire. Au contraire, l’idéologie de défense du « système social français » est toujours très forte, sans parler de la « solidarité entre générations ».
Dans les manifestations, on a vu beaucoup d’affiches et de panneaux individuels montrant que certains voulaient trouver des solutions alternatives au projet du gouvernement.
Sur les grèves
Premièrement, elles n’ont pas touché le secteur « privé » et c’est la faiblesse principale.
Deuxièmement, à la SNCF, la grève est restée minoritaire et incapable d’engendrer une organisation autonome des grévistes. Une minorité de travailleurs politisés voulait aller aussi loin que possible mais sans tenir compte du rapport de force défavorable.
Troisièmement, dans les secteurs de la fonction publique (Poste, Santé et Education) les grèves ne duraient que lors des journées d’actions et étaient plus des témoignages que quelque chose qui pouvait déboucher.
Quatrièmement, dans les secteurs où les grèves étaient suivies sérieusement, cela était dû à des conditions spécifiques, et non à des actions contre la réforme des retraites.
Sur l’ambiance générale
Les grèves étaient soutenues par les non-grévistes. Si l’on se base sur les sondages, jusqu’au vendredi 22 octobre, 2/3 de la population était opposé à la réforme gouvernementale et en faveur des « grèves ». Cette schizophrénie sociale (action par procuration) qui a surgi en 1995 est un vrai fardeau et la preuve des limites du mouvement.
D’une certaine façon, c’était la même chose chez les grévistes qui, faibles sur leurs lieux de travail, ont essayé de contourner le problème en tentant des blocages à l’extérieur.
Sur les syndicats
Contrairement à ce que la plupart des gauchistes pensent, les syndicats n’étaient pas opposés au « mouvement » et pas sur le point de le « trahir ». Leur « offre » était très large. Depuis SUD appelant de façon totalement irréaliste à la « Grève générale », à la CFDT plus « réaliste » et attendant vainement des propositions du gouvernement, en passant par la CGT appréciant le faible rapport de forces en faveur des grèves, et contestée par quelques militants et délégués de sa base, le schéma habituel de la « trahison » ne s’est pas appliqué.
Sur la politique
D’un côté, la faiblesse générale du mouvement a conduit à une perspective politique toute interne au capital et à ses institutions étatiques : les élections présidentielles de 2012. Et cela a permis au parti socialiste de se refaire une virginité.
D’un autre côté, les appels frénétiques à la « Grève générale », sans tenir compte du moindre rapport de forces, de SUD à la CNT via le NPA, avec des nuances, est une preuve supplémentaire que ces militants ne comprennent absolument pas ce que pourrait être l’autonomie ouvrière.
Pour rester optimiste
Dans beaucoup d’endroits, de petits groupes de personnes ont essayé de s’organiser eux-mêmes à la base pour faire quelque chose, par exemple en tentant de bloquer l’économie. Quoique cela ait été totalement irréaliste, compte-tenu du rapport de forces, cela a certainement permis de créer des liens horizontaux qui pourront être utiles à l’avenir.
Nous avons participé à Paris à une « assemblée interprofessionnelle » (qui, en fait, n’était qu’un « comité d’actions » sans grandes actions à mener et certainement pas, pour la majorité des présents, une AG de salariés en grève) organisée autour de roulants de Paris-Est et d’autres travailleurs. Malgré toutes les limites identifiées, cela peut être aussi une chance pour l’avenir si les liens sont maintenus.
MC/KPK, le 10 janvier 2011
Bratislava, Bruxelles, Londres, Paris, Prague
Notes :
1. La SNCF emploie 160 000 salariés et 40 000 dans ses filiales. Qui se composent en : traction (20 000), maintenance du matériel (20 000), maintenance voie et bâtiments (32 000), contrôle (11 000), commercial et exploitation (44 000), recherches et direction (28 000)
2. De la grève en Belgique en 1902, la grève en Allemagne contre le putsch de Kapp mars 1920, à la grève au Royaume uni de 1926 sans oublier Mai 68 en France.
3. Voir « Mai 68 : une occasion manquée pour l’Autonomie ouvrière » Brochure, supplément à Mouvement Communiste n°9.
4. Si l’on écarte les trotskystes qui voudront d’abord demander aux syndicats d’organiser la grève générale tout en sachant qu’ils ne la feraient pas pour les mettre en contradiction devant leur base.
5. Dont la forme extrême avait été représentée par Antonio Negri qui s’enthousiasmait sur « la gigantesque coopération sociale » pour aller au travail, tout en servant, avec beaucoup de flagornerie, les plats à Bernard Thibault, alors seulement secrétaire de la fédération des cheminots CGT, dans le numéro 33-34 d’avril 1996, de la revue Futur Antérieur.
6. Voir pour le récit de ces grèves, le Bulletin Ouvrier n°2. Juin 2001.
7. Cela dit, un sondage Opinionway du 22/10 indiquait que 56 % des Français étaient pour que les grèves s’arrêtent, une fois la loi votée.
8. Voir Bulletin ouvrier supplément au n°1, mars 1996
9. Voir correspondance dans le Bulletin ouvrier n°1.
10. C’est le cas de tous les mouvements, en France, ces vingt dernières années.
11. Voir E.Mentasti, « La garde rouge raconte. Histoire du comité ouvrier de la Magneti Marelli. Milan 1975-1978 » Les Nuits Rouges. Paris, 2009.
Pour toute correspondance écrire, sans autre mention, à : BP 1666, Centre Monnaie 1000, Bruxelles 1, Belgique.
Consulter le site Internet de Mouvement Communiste : www.mouvement-communiste.com