Le premier est un texte de Claude Guillon, le deuxième de Mouvement communiste. La version longue du texte de Claude Guillon se trouve ici : http://claudeguillon.internetdown.o... Le troisième texte est le compte rendu d’une discussion entre les militants de l’Initiative communiste ouvrière. (Ni patrie ni frontières)
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IL N’Y A
PAS DE COMPTES À RENDRE
QUAND UN PATRON demande à ses employé(e)s d’accepter des licenciements et une baisse des salaires « pour sauver l’entreprise », c’est toujours qu’il a déjà décidé de la fermer. Ni bonne action ni coup de poker, c’est un mode de gestion préventif des conflits sociaux. Celui qui tombe dans le panneau et accepte le principe des « sacrifices » sera lui-même sacrifié.
QUAND LA DROITE ET LA GAUCHE, France Info, TF1 et Le Monde, nous expliquent qu’il va falloir travailler plus longtemps « pour sauver notre système de retraites », ils annoncent que sa fin est programmée.
Retraites, sécurité sociale, services publics, c’est liquidation totale tous les jours. Et toujours les mêmes qui font de bonnes affaires !
CROIRE AU « RÉALISME » du projet Fillon-Sarkozy contre les retraites, c’est gober tous les elements du mensonge bourgeois sur l’histoire et le monde :
a) LE SALARIAT, c’est-à-dire l’exploitation du travail, serait une fatalité indépassable, assurant la domination de la nature par l’homme et sa supériorité sur le babouin.
b) LES DITS « ACQUIS SOCIAUX », c’est-à-dire les concessions faites par la bourgeoisie au proletariat en lutte, au cours de l’histoire de la lutte des classes, devraient être considérés comme temporaires, momentanés, « précaires » — comme toute vie, ainsi que le rappelait la patronne des patrons français.
Plus ces acquis sont anciens dans l’histoire de la lutte des classes, plus facilement ils seront dénoncés comme des archaïsmes incompatibles avec les nécessités de l’économie moderne.
c) L’ÉCONOMIE serait une science objective qui permet d’organiser rationnellement la satisfaction harmonieuse des besoins humains. Et non l’idéologie propre au capitalisme, qui exploite le travail et met l’ensemble de la vie humaine sous le signe de la marchandise et du profit.
SI L’ON ACCEPTE de tels bobards préalables, il devient impossible de discuter autrement que sur des détails, de la loi contre les retraites, du démantèlement du Code du travail ou du déremboursement à 100% des maladies de longue durée.
NOUS SUBISSONS le système capitaliste, crises comprises, nous n’avons pas à partager en plus les petits soucis de ses gestionnaires. C’est toujours dans nos poches qu’ils viennent voler de quoi couvrir leurs dettes de jeu. Leur logique va toujours contre nos intérêts, qu’il ferment un hôpital, un bureau de poste ou augmentent les impôts sous prétexte d’« équité fiscale ». À la niche, les raboteurs !
Notre légitimité se construit dans les luttes.
C’est le seul langage que les patrons entendent : grèves, blocages, sabotages.
NOUS N’AVONS DE COMPTES À RENDRE À PERSONNE…
…ÉCONOMISTES, JOURNALISTES, SPÉCIALISTES, RAPPORTEURS “POUR LA LIBÉRATION DE
LA CROISSANCE FRANÇAISE”, POLITICIENS, PATRONS, MINISTRES, DIRECTIONS SYNDICALES
ENTRE EUX ET NOUS, IL N’Y À QUE DES COMPTES À RÉGLER !
24 octobre 2010
[http://claudeguillon.internetdown.org]
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LE POINT POUR PRENDRE L’INITIATIVE
OÙ EN EST-ON ?
Après six semaines de journées d’actions et de manifestations du samedi, l’état du mouvement n’autorise pas à identifier une dynamique d’élargissement et d’enracinement de la lutte contre la réforme des retraites. Globalement, les grèves sont franchement minoritaires et ont touché peu d’entreprises productives du secteur dit privé. Aucune trajectoire ascendante ne peut être tracée ni au niveau des mouvements collectifs sur les lieux de travail, ni dans les manifestations importantes.
Malgré tout, le refus de la réforme reste élevé et les défilés ne manifestent des premiers signes d’essoufflement qu’à l’est de l’Hexagone, d’après les informations disponibles. Les rassemblements ne font pas présager d’un saut de qualité dans l’organisation indépendante. Généralement, les participants sont tiraillés entre une colère bien réelle et un certain sentiment d’impuissance face à la détermination affichée par l’exécutif. La voie de la politisation autonome et offensive n’est donc pas praticable massivement ici et maintenant. Même le soutien aux actions minoritaires des lycéens ne fait pas le plein chez les manifestants. Surtout, la critique de la réforme des retraites demeure très insuffisante, inspirée par l’idée qu’il faut préserver le système tel qu’il est. Ce système paritaire qui aujourd’hui montre toutes ses failles et que seuls les travailleurs sont appelés à combler. L’idée que la retraite est une affaire de salaire et pas de solidarité entre générations successives de travailleurs peine aussi à se frayer un chemin dans la tête des prolétaires en colère.
DES FAUSSES SOLUTIONS
Dans ces conditions, appeler à une grève générale reconductible et illimitée correspond, au mieux, à un doux rêve, au pire, à une posture purement idéologique vouée à désarmer dans la pratique les ouvriers disposés à aller plus loin dans le combat. Proposer le schéma de 1995 n’est pas juste non plus. La nature de l’affrontement de 1995 est profondément différent de celui d’aujourd’hui. À l’époque, le gouvernement Juppé s’était attaqué en priorité aux régimes spéciaux dont ceux de travailleurs dotés d’un pouvoir très élevé de blocage de l’économie du pays comme ceux de la SNCF. Le choix de l’exécutif en place cette année-là lui a coûté cher. Il l’a payé en s’effaçant devant la lutte.
Aujourd’hui, le couperet sur les retraites des salariés des secteurs les plus à même de devenir le levier d’un affrontement plus large contre l’État, les patrons et leur gouvernement, n’est pas tombé. Ceux-ci ont été, pour l’instant, épargnés dans la première série de mesures. Leur tour viendra bien sûr, mais sensiblement plus tard. Ici, comme dans la modification des rapports de force généraux entre les classes en faveur du capital, le gel prolongé des salaires réels et les effets de fragilisation des conditions d’emploi induits par la crise, réside la raison du caractère hautement improbable de la réitération du schéma relativement gagnant de 1995.
La grève par procuration est intrinsèquement mauvaise du point de vue de la constitution de la classe pour soi et en plus ne marche plus. La politisation précoce du combat ne marche pas non plus. L’importation, dans le mouvement pacifique et fondamentalement aligné sur les positions des syndicats d’État actuel, de pratiques manipulatrices violentes, susceptibles, dans la tête de leurs partisans, de déclencher un cercle vertueux action-répression et encore action est une politique contre l’autonomie ouvrière.
Mais attention : ne confondons pas les brûleurs professionnels de poubelles des fins de manifestations avec les centaines de jeunes qui, par inexpérience et par rage, cherchent à en découdre avec les forces de répression. Ces jeunes doivent être défendus sans hésitation et convaincus, dans la mesure du possible, de doser leur pratique de haine de classe vers l’objectif stratégique de la formaliser en une organisation politique ouvrière autonome.
QUE FAIRE ?
Il n’y a pas d’alternative. Seul un combat articulé, long, difficile et très auto-organisé à la base peut permettre d’avoir le dessus. Bloquer l’économie, sans rapport de force favorable, n’est pas à l’ordre du jour. En revanche, la désorganiser pour longtemps, oui. Et surtout à moindres frais pour les travailleurs en lutte. La grève illimitée reconduite épuise les forces très insuffisantes du présent. Il faudra poser cette question quand elle sera devenue réellement possible.
Les grèves perlées, intermittentes, sans préavis et coordonnées par atelier, par usine, par catégorie, par zone, voilà ce qui peut donner un corps plus solide au mouvement actuel. Ces grèves auront plus de chances de se matérialiser si elles ne se cantonnent pas à exiger le seul retrait des mesures sur les retraites.
La question du salaire et de la rémunération des travailleurs expulsés de la production est tout aussi urgente. Il faut relier la lutte pour le retrait de la loi Woerth-Sarkozy à la défense du salaire réel immédiat.
Il est aussi indispensable de s’émanciper au plus tôt de la tutelle des syndicats d’État, surtout intéressés à préserver leurs prérogatives dans le cadre du système paritaire français de protection sociale. Il faut avoir le courage de dire que ce système a failli et que nous ne voulons pas en payer les conséquences. Que les patrons et leurs laquais syndicaux et politiques trouvent les ressources budgétaires ou autres pour au moins préserver le contrat social en vigueur !
Au tout début de la mobilisation, le 6 septembre, nous écrivions :
« Les manifestations avec des millions de salariés dans les rues sont certes utiles mais ne sont pas suffisantes. Il faut joindre la frappe à la démonstration. Il faut bloquer les entreprises et le fonctionnement de l’État. Exercer un réel pouvoir d’interdiction au commandement patronal dans les entreprises et à la dictature de l’État sur la société pratiqué par le prolétariat dans et par la lutte est la seule solution viable.
Pour ce faire, il faut que les travailleurs prennent directement leur destin en main, en s’organisant par eux-mêmes, de façon autonome contre les patrons, l’État et leurs valets politiques et syndicaux de droite comme de gauche.
Cette lutte pour les retraites qui doit unir salariés du public et du privé doit se comprendre comme une lutte pour le salaire, seule façon d’agréger aujourd’hui une partie importante des salariés pour qui la retraite est un horizon perdu : les jeunes. Sans eux, la lutte a peu de chance de succès.
Si les salariés savent remporter ce premier objectif de l’abandon en bloc de la réforme des retraites, il faudra, dans la foulée, prendre à bras le corps, et largement, la question des salaires, bloqués ou ne progressant que marginalement depuis trop longtemps pour la grande majorité des travailleurs. Il sera aussi nécessaire de poser à l’échelle globale la problématique de la garantie de revenus pour les salariés licenciés ou précaires. Il faudra, enfin, effacer toutes les réformes des retraites engagées par l’État depuis 20 ans. »
Des mots dont l’actualité reste intacte. On n’a rien à leur ajouter.
MOUVEMENT COMMUNISTE
Paris, le 18 octobre 2010
Pour toute correspondance écrire, sans autre mention, à : BP 1666, Centre Monnaie 1000, Bruxelles 1, Belgique.
Consulter le site internet de Mouvement Communiste : www.mouvement-communiste.com
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Résumé d’une discussion animée par des militants de l’Initiative Communiste-ouvrière sur Pal Talk le samedi 23 octobre.
I – la situation du mouvement
1/ La « guérilla ouvrière »
Le mouvement contre la « réforme » des retraites, qui dure déjà depuis un mois et demi, semble vouloir s’installer dans la durée. Les équipes militantes planifient leurs actions sur la semaine à venir, les lycéens et les étudiants se structurent pour l’après-vacances, grève dans les raffineries... Surtout, il prend la forme d’une « guérilla ouvrière » : actions coup-de-poing menées par quelques centaines de manifestants, grèves minoritaires soutenue par la majorité de la population laborieuse et génératrices de perturbations, blocages visant l’économie. Le mouvement s’étend jusque dans les petites entreprises, les petites villes voir les gros villages, sans se généraliser véritablement. Notre blog de grève nous offre un observatoire important pour sentir ces évolutions, même si de nombreuses nouvelles nous échappent. La réactivité des contributeurs et des commentaires est un outil précieux pour l’analyse. Il est clair que, dans l’état actuel, nous ne sommes pas dans une grève générale, mais nous assistons à un phénomène différent, qu’il faut se garder d’analyser de manière normative, à l’aune de ce qu’il « devrait être ». Nous devons être à l’écoute du mouvement ouvrier, comprendre ce qu’il se passe tel qu’il est, pour agir en son sein, et non plaquer des conceptions préétablies – ce qui ne veut pas dire que nous devons nous contenter de le suivre : il est essentiel d’essayer d’anticiper ses développements, de saisir ses formes les plus avancées et de conserver, à notre échelle, un esprit d’initiative.
En terme de mobilisation, cette situation de « guérilla ouvrière » n’est pas sans susciter des inquiétudes sur les, risques d’isolement des équipes militantes. Les vacances, qui suscitent des problèmes très concrets, peuvent amener une relative démobilisation (enfants à garder pour les parents, absence du lien constitué par l’école pour les lycéens ou les enseignants), mais aussi encourager les équipes à déployer une activité déconnectée de la situation réelle de la mobilisation. C’est pourquoi il est important, là où nous sommes, de continuer à mobiliser nos collègues et d’appeler les équipes militantes à ne pas perdre de vue cette tâche. La collègue non gréviste aujourd’hui le sera peut-être demain, celle qui ne vient pas sur les blocages pourrait le faire, en fonction de l’évolution rapide de la situation. Continuer à mobiliser les collègues dans nos boîtes ou nos bassins d’emploi, c’est ce qui permettra d’éviter l’isolement, l’étiolement et la fatigue inutile. Puisque les raffineries donnent le rythme du mouvement, il faut le structurer pour tenir sur les six semaines à venir au moins. Cela nécessite d’être inventifs, de surveiller les meilleures actions réalisées ailleurs, de les répéter, de les adapter, de les améliorer. Là encore, notre blog de grève est un outil parmi d’autres, au service du mouvement, pour connaître ce qui se fait ailleurs.
Il en va de même pour la tenue des assemblées générales. Nous sommes, par principe, partisans des assemblées générales et de l’auto-organisation du mouvement à la base. Mais il faut être précis sur ce que cela signifie. On met, sous le même vocable, des choses de nature très différentes. Pour certains syndicalistes, il s’agit de réunir les travailleurs pour écouter les leaders syndicaux, puis voter pour un résultat connu à l’avance. Mais, pour des militants qui souhaitent sincèrement des assemblées générales animées de véritables débats, la réalité pratique est souvent une grande déconvenue, qui reproduit exactement les même travers : le fait de donner la parole à la salle ne signifie pas qu’elle va la prendre, surtout là où n’existe pas une tradition de luttes sociales, de grèves et de discussions à la base. Ce n’est pas parce que les premières sont ratées qu’elles le seront toujours la parole se libère lentement. La parole se libère lentement, en fonction de l’évolution générale et locale du mouvement. Un nouvel aspect du mouvement, c’est qu’il commence à engendrer une véritable solidarité internationale. L’annonce la plus importante, c’est naturellement celle de la CGSP (Confédération générale des services publics) belge, qui a déclaré qu’elle appellerait à des débrayages pour stopper toute tentative de faire transiter de l’essence vers la France via la Belgique. La tenue de rassemblements au Brésil, au Maroc, ou en Grande-Bretagne – ce dernier à l’appel de camarades communistes-ouvriers – est un signe de l‘intérêt que suscite le mouvement français. C’est le sens de l’appel international aux organisations ouvrières que nous avons préparé. Cet élan international de soutien devrait jouer, si le mouvement se prolonge, un rôle important, notamment s‘il débouche sur des actions concrètes (soutien financier, blocages d’exportation,…). Cela peut avoir des répercussions directes sur le mouvement ouvrier européen.
2/ L’intersyndicale sous pression
La force du mouvement, malgré son hétérogénéité, a contraint l’intersyndicale à conserver un semblant d’unité et à reconduire des dates sur les 15 jours. Les appels du pied de dernières minutes lancés par le sénat à l’égard de la CFDT, sur la question de la « retraite à points », n’ont apparemment pas fonctionné. Contrairement à 2003, où la CFDT assumait sa position et ne lançait pas ses troupes dans la bataille, elle a mobilisé et se trouve impliquée dans les raffineries ou chez les routiers, y compris dans les blocages. Il lui sera plus difficile de les faire rentrer maintenant. Même si le choix des dates laisser penser à une tentative de décélération du mouvement, comme l’ont dénoncé FO et Solidaires, cela peut constituer un avantage pour un mouvement qui s’installe dans la durée, en donnant une visibilité sur les quinze jours à venir. Mais c’est à la fois une force du mouvement jusqu’ici, et une limite aujourd’hui, puisque cette unité de façade est susceptible de se fissurer très vite, que les syndicats craignent précisément cette radicalisation. Tant que l’intersyndicale conserve un rôle effectif pour imprimer le rythme du mouvement, il sera plus efficace d’employer cette décision à notre avantage que de la dénoncer. Le gouvernement ne joue plus le jeu des négociations, contrairement à 1995 ou 2003. Il ne donne pas le moindre os à ronger, même aux syndicats les plus réformistes de l’Intersyndicale. Avec cette question de retraite à 62 / 67 ans, le gouvernement veut donner un coup de massue à l’ensemble du monde du travail y compris à ses organisations les plus bureaucratiques et réformistes. Cela met en échec leur stratégie, leur rôle privilégié d’interlocuteurs de l’Etat et patronat, ce qui les oblige à adopter une posture syndicale et militante pour démontrer qu’ils sont encore indispensables. Cela les conduit malgré eux à accompagner la radicalisation du mouvement malgré la peur qu’ils en ont et qu’ils expriment ouvertement. Nous devons compte du fait qu’il existe une forte demande d’unité syndicale à tous les niveaux, dans un mouvement qui reste très encadré par les syndicats. Non seulement il n’y a pas de véritable débordement hors du cadre syndical, même si la pression est forte à la base pour une mobilisation, mais il y a peu de raisons qu’il y en ait, tant que les directions syndicales semblent appuyer le mouvement et qu’elles ne le trahissent pas. Il en va de même à l’échelle locale : les villes, les bassins d’emploi, les départements dans lesquels le mouvements est le plus puissant sont ceux où il existe une intersyndicale locale, qui assure la direction du mouvement et fait de propositions d’actions au-delà des manifestations nationales. Cela répond à cette demande d’unité, qui exerce une pression sur les directions syndicales. Ce cadre syndical qui marque le mouvement limite les possibilités, à ce stade, de dénoncer les tactiques des directions syndicales de manière efficace. Nous pouvons le faire, mais il reste plus efficace pour développer le mouvement et lui donner la possibilité d’évoluer vers des formes plus radicales, d’appuyer la mise en place d’intersyndicales locales partout où c’est possible. Nous avons besoin, d’un point de vue stratégique, d’un mouvement qui se développe en ampleur pour que puisse s’y développer des formes de radicalisation.
3/ Des centres stratégiques
Les raffineries jouent un rôle stratégique au niveau national. La majorité de la classe ouvrière est prête à affronter la pénurie d’essence et à soutenir les grévistes. C’est un phénomène très important : des gens qui ne sont pas prêts à faire grève par eux-mêmes, sont prêts à soutenir celles-ci financièrement en sachant qu’ils en subiront les conséquences dans leur vie quotidienne sous peu. On peut dénoncer les grèves par procuration, et c’est important de le faire quand il s’agit de discuter avec des collègues pour les mobiliser, mais il faut aussi analyser le rôle que joue cette attitude. Au-delà des incertitudes et des craintes liées aux pertes de salaire, aux pressions patronales ou à la peur du chômage, il s’agit d’une reconnaissance du caractère plus ou moins stratégique de sa propre situation. Certains salariés, certains secteurs pensent, à tort ou à raison, qu’ils n’ont aucune capacité de blocage, ou, dans les services publics et apparentés, que faire grève nuit plus aux usagers qu’au gouvernement et au patrons. Cela constitue une limite subjective à l’entrée en grève, même si c’est rarement le seul facteur d’explication – et qu’il joue surtout là où n’existent pas de fortes traditions de luttes. De leurs côté, les cheminots expriment à juste titre leur crainte d’être isolés et leur refus d’être les sujets d’une grève par procuration, mais n’en font pas moins massivement grève parce qu’ils sont conscients de leur rôle stratégique. Les ouvriers des raffineries, les routiers, sont un cas très frappants, puisqu’ils bénéficient d’un statut de retraite plus avantageux, qui n’est pas directement menacés, mais qu’ils sont conscient de devoir défendre maintenant pour ne pas être isolés s’il est menacé plus tard. Ils emploient de manière optimale leur rôle stratégique pour l’ensemble du mouvement social.
Cette question des centres stratégiques joue également un rôle à l’échelle locale, mais d’une manière différente. L’existence d’un secteur de grève dure dans une ville est une condition essentielle pour la réussite du mouvement à l’échelle locale. Mais il ne s’agit pas nécessairement d’un secteur stratégique, au même sens qu’il en existe au niveau national : une entreprise en lutte, même pour des raisons qui ne sont pas directement liées aux retraites, un service municipal qui dispose d’un certain réseau social (comme les cantines de Marseille), peuvent jouer ce rôle, peuvent jouer ce rôle et assurer un certain leadership sur le mouvement à l’échelle d’une ville, surtout si les meneurs ont conscience du leadership qu’ils peuvent exercer et des responsabilités que cela leur confère. Par contre, en l’absence d’un secteur et d’une équipe capable d’assumer ce rôle, la mobilisation est d’un moindre niveau. En termes tactiques et militants, cela signifie qu’il faut essayer d’identifier quel secteur, quelle entreprise, pourrait jouer ce rôle et mettre l’accent dessus, en terme de solidarité locale pour assurer la continuation du mouvement. Dans les deux cas, national et local, la question de la solidarité financière et matérielle est importante.
4/ Répression et organisations des actions
La répression a commencé par frapper très durement les lycéens, dès le premier jour du mouvement : interpellations massives, comparutions immédiates, sentences lourdes, « tolérance zéro ». C’est particulièrement net dans les petites villes ouvrières de province, avec un taux de chômage massif chez les jeunes, où les affrontements avec les flics ont été particulièrement violents. Dans certaines villes, comme à Saint-Nazaire, où il existe une tradition de bagarres ouvrières contre la police, cela s’est produit également. Mais maintenant, cette répression s’abat également sur les travailleurs, notamment les syndicalistes investis dans les blocages. Il ne s’agit pas seulement d’interpellations lors des actions, mais aussi et surtout des convocations ou des arrestations a posteriori. Il ne s’agit pas de « débordements » policiers, mais bien d’une politique déterminée, choisie au plus au niveau et appliquée implacablement – souvent, par des flics qui partagent les inquiétudes des manifestants sur leurs retraites, mais se soumettent aux ordres sans états d’âmes. Les moyens de défense juridiques se mettent lentement en place. Si les centrales syndicales disposent de moyens rôdés pour défendre leurs propres militants, les lycéens, les jeunes, les non-syndiqués, sont particulièrement exposés à la répression. De plus, en dehors des milieux habitués à la confrontation avec la police, les connaissances des « gestes qui sauvent », lors d’une interpellation, d’une garde à vue ou d’une comparution immédiate, sont peu diffusés. Les « legal teams » et autres systèmes d’information et de protection juridique se mettent lentement en place, réagissant à la répression plutôt que la devançant. C’est une faiblesse évidente, non seulement du mouvement, mais aussi et surtout des organisations qui agissent en son sein.
Il existe une bonne culture de l’action de blocage, en milieu ouvrier, mais presque aucun moyen de les maintenir face aux flics. Quand ils mettent la pression, il faut plier bagage. Cela rend la guérilla ouvrière très dépendante des marges de tolérance de l’état, plus ou moins grande selon les situations locales. Bien sûr, le nombre, la détermination, permettent d’imposer un rapport de force et la multiplication des actions, de compliquer la tâche de l’adversaire, mais il n’existe pas véritablement de cas où il ait été possible de maintenir un blocage face à une police décidée à le démanteler. C’est un véritable problème, dont il faut discuter sérieusement.
Appeler à un blocage, c’est aussi assurer sa préparation technique et la protection des manifestants. Cela devrait vouloir dire, être en mesure de l’imposer sans pour autant faire courir de risques inutiles à celles et ceux qui ne sont venus pour ça. Or, les SO des syndicats sont obnubilés par la chasse aux « casseurs », à la sécurité des flics dans les manifs, mais ne s’intéressent pas à garantir le succès des actions ou à protéger les manifestants. Il en va de même pour la défense des sites, notamment des raffineries, qui ne peuvent pas résister, dans l’état actuel des choses, aux multiples réquisitions. Cela limite l’impact de leur grève, pourtant stratégique pour l’ensemble du mouvement. Nous faisons face à une police et une armée équipée et entraînée pour la guerre civile, face à laquelle nous sommes désarmés, incapable de résister plus que de manière symbolique. C’est une responsabilité pour une organisation communiste que d’aborder ces questions sans détours. Le contraire, c’est entretenir la mentalité pacifiste, légaliste et républicaine qui plombe le mouvement ouvrier.
II – Perspectives
1/ Derrière les retraites, l’esclavage salarié
Les revendications détaillées des syndicats et les acrobaties sur la question du retrait n’apparaissent pas vraiment dans les manifs. Par exemple, nous avons critiqué la question des annuités, mais si elles apparaissent dans les tracts syndicaux, elles ne jouent aucun rôle dans les slogans, dans les banderoles. En réalité, il n’y a pas vraiment de revendications, même si le maintien de la retraite à 60 ans conserve un rôle mobilisateur important. Derrière les retraites, la colère ouvrière est dirigée contre l’exploitation, contre l’esclavage salarié en général – personne n’a envie de bosser plus longtemps dans les conditions pourries de l’exploitation capitaliste. Cependant, chez les jeunes, les lycéens surtout, c’est moins cet aspect parfaitement virtuel de l’allongement de l’âge de la retraite que la crainte du chômage. Les deux aspects se complètent comme critique du capitalisme, mais fonctionnent selon des ressorts très différents. C’est pour cela que, dans notre travail, il faudra continuer à la fois à critiquer de manière fine les revendications des syndicats et des partis de gauche, sur ces deux sujets. Nous avons atteint un niveau de mobilisation, au moins dans la frange la plus motivée du mouvement, où il est tout à fait possible de discuter ces questions et faire apparaître un discours communiste.
2/ La question du pouvoir politique
La question du pouvoir politique, qui s’exprime dans la hargne contre Sarkozy, est essentielle, mais elle n’est pas posée telle quelle – sauf en terme d’alternance électorale. C’est-à-dire que tout le monde, dans le mouvement, clame sa haine du gouvernement, rêve de la voir tomber, mais sans que cela soit jamais posé comme une alternative possible, comme une question concrète. Confondre la chute d’un gouvernement, même si cela peut constituer un moment fort de cette crise, avec celle de l’Etat, serait une grossière erreur. Mais surtout, au mieux, on considère que la grève générale, volontiers présentée comme une panacée, voire un fin en soi, pourrais contraindre le gouvernement à la démission. Or, la grève générale n’est pas une fin en soi, ni un moyen suffisant pour changer les choses. Elle permet de se mobiliser, de s’organiser et de créer les conditions d’une crise politique, d’une division au sommet, mais cela ne suffira pas à briser l’Etat capitaliste. Bien sûr, il ne s’agit pas de lancer à tort et à travers des appels à l’insurrection pour se donner des allures révolutionnaires, mais par contre, dans notre manière d’aborder les questions politiques et les limites du mouvement, il faut en parler : critiquer Sarkozy et son gouvernement, les conspuer ne sert à rien, si on ne prend pas sérieusement en considération les moyens nécessaires pour le renverser, et cela commence par marteler le fait que cela ne se fera pas sans une insurrection pour arracher le pouvoir à la classe dominante