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Histoire du mouvement ouvrier (1) La lutte pour la réduction du temps de travail

mardi 26 octobre 2010

Cet article est le premier d’une série d’articles consacrés à l’histoire du mouvement ouvrier en France.

1. La lutte pour la diminution du temps de travail (Combat Communiste) voir article 1561

2. La CGT, de la Charte d’Amiens à Mai 68 (Combat Communiste) voir article 1562

3. La CFDT de la création (1964) à 1976 (Combat Communiste) - voir article 1563

4. L’union sacrée en 1914-18 (Combat Communiste) voir article 1566

5. Juin 36 (Combat Communiste et Pierre Monatte )- voir article 1567

6. Luttes ouvrières 1944-47 (Combat Communiste, Pierre Bois, Courant Alternatif, Communistes révolutionnaires )- voir article 1569

7. 1950-1955 (Combat Communiste) 1571

8. 1961-1963 : Les mineurs en lutte (Combat Communiste) 1574

9. Luttes de classe en France 1964-1967 (Combat Communiste) 1575

10. Mai-Juin 68 une occasion manquée pour l’autonomie ouvrière (Mouvement communiste) 1577

11. Mai 68. Dix ans après (Combat Communiste)

La lutte

pour la réduction

du temps de travail

Dans Le Capital (1), Marx consacra tout un chapitre au problème du temps de travail. Il explique que, selon le capitaliste, « la journée de travail comprend 24 heures pleines, déduction faite de quelques heures de repos sans lesquelles la force de travail refuse absolument de reprendre son service ».

La seule loi du capital est en effet de s’accroître, d’augmenter la plus-value qu’il extorque aux salariés. C’est-à-dire d’augmenter l’exploitation, la part de travail non payé (plus-value) par rapport à la part de travail payé (salaire) nécessaire à la simple reproduction de la force de travail (pour que le travailleur puisse se nourrir, se vêtir, etc.). Or, pour parvenir à ce résultat, le capitaliste n’a que deux moyens :

– augmenter la plus-value absolue : en accroissant la durée du travail ou en augmentant les cadences ;

– augmenter la plus-value relative : en accroissant la productivité du travail (2). C’est cette tendance du capital à augmenter la durée du travail qui nous importe aujourd’hui. Son objectif est clair : il essaie de payer par le salaire le strict minimum nécessaire à l’entretien de l’ouvrier et donc tout ce que celui-ci produit en plus de cette valeur, tout le temps de travail supplémentaire, est la plus-value qui accroît le capital. D’où la possibilité, et la volonté d’accroître cette plus-value en augmentant le temps de travail.

Mais l’ouvrier, lui, a bien sûr une volonté inverse ; il ne veut pas perdre sa substance en se laissant pomper par ce vampire ; il essaie de réduire le temps pendant lequel la barbarie de l’exploitation, le travail forcé s’abattent sur lui le plus violemment.

« Voilà pourquoi, nous dit Marx, la réglementation de la journée de travail se présente dans l’histoire de la production capitaliste comme une lutte séculaire pour les limites de la journée de travail, lutte entre le capitaliste collectif, c’est-à-dire la classe capitaliste et le travailleur collectif, c’est-à-dire la classe ouvrière (3). »

Comme le rappelle Ernest Mandel (4), c’est le capitalisme qui fit « un effort incessant pour prolonger la durée du travail ». Ainsi, au Moyen Age, le travail de nuit était interdit, et il n’y avait que 240 jours ouvrables par an à cause des fêtes religieuses en particulier. Dans les mines de Bavière, par exemple, la moyenne de la semaine de temps de travail était d’environ 35 heures.

Le développement du capitalisme changea tout cela et les journées de travail en Angleterre au milieu du XIXe siècle allaient de 10 à 18 heures, et cela tous les jours de l’année ! La bourgeoisie alla d’ailleurs si loin, pour les raisons que nous avons indiquées, qu’à cette époque apparurent les deux facteurs fondamentaux de limitation de l’augmentation du temps de travail, puis de sa diminution :

– l’épuisement des ouvriers qui n’arrivaient plus à renouveler leur force de travail car ils n’avaient plus le temps de dormir suffisamment pour se refaire, ni même de manger assez. Les ouvriers mouraient donc très jeunes, restaient malingres et peu productifs. Le capitalisme ne put donc aggraver encore cette situation abominable des classes laborieuses, non par humanisme, mais parce que faire mourir rapidement les ouvriers fait tomber leur rendement bien bas !

– les luttes ouvrières qui se développèrent contre cet enfer et continuent aujourd’hui pour combattre l’exploitation. La classe ouvrière commença donc à s’organiser.

Le développement des luttes

De 1802 à 1833, sous la pression des deux raisons invoquées ci-dessus, le Parlement britannique vota trois lois sur le travail, mais elles restèrent lettre morte, de même que la loi du 22 mars 1841 (sous Louis-Philippe) qui limitait en France le travail des enfants à 8 heures de 8 à 12 ans, et 12 heures de 12 à 16 ans. C’est seulement en 1833 qu’une loi anglaise, le factory act, fut votée et à peu près appliquée. Elle touchait seulement les manufactures de coton, de laine, de lin et de soie. La journée fut fixée à 15 heures pour les adultes (90 heures par semaine) et 12 heures (72 heures par semaine) pour les enfants de 13 à 18 ans. Le travail de nuit fut interdit aux enfants de 9 à 18 ans. La semaine était donc limitée à 90 heures ! Cela donne une idée de la situation antérieure qui était encore plus barbare.

Les patrons n’appliquèrent pas volontiers cette loi et il fallut de nombreuses luttes pour y parvenir : des années durant, les ouvriers se battirent pour les 10 heures. En 1844, les femmes obtinrent les 12 heures et les hommes y parvinrent aussi dans la foulée. Enfin, au bout de quinze années de luttes, le Premier Mai 1848, tous obtinrent les 10 heures (en Angleterre).

Mais la défaite du premier parti ouvrier, les chartistes, dont les chefs furent emprisonnés et l’organisation détruite, l’écrasement dans le sang de la révolution de 1848 en France, redonnèrent l’avantage aux patrons qui s’attaquèrent non seulement aux 10 heures, mais aussi aux lois édictées depuis 1833. Ils supprimèrent jusqu’à la pause du repas et empêchaient même les enfants de manger pendant la journée de travail ! C’était illégal, mais les patrons, qui étaient aussi les juges, étaient toujours acquittés dans les procès que leur intentaient leurs ouvriers. En 1850, la loi des 10 heures fut officiellement abolie.

Les meetings ouvriers se firent alors de plus en plus menaçants, les luttes plus puissantes, et les 10 heures furent rétablies, cette fois pour tous les secteurs industriels les uns après les autres, les blanchisseurs les derniers en 1863. « Les règlements de la journée de travail avaient été arrachés lambeau par lambeau par une guerre civile d’un demi-siècle (5). » La France marchait à pas lents sur les traces de l’Angleterre. La révolution de février 1848 obtint les 12 heures. Aux Etats-Unis, la situation était particulière à cause de l’esclavage dans les Etats du Sud. « Le travail sous peau blanche, dit Marx, ne peut s’émanciper là où le travail sous peau noire est stigmatisé et flétri. Mais la mort de l’esclavage fit éclore une vie nouvelle (6). » Après la Guerre de Sécession et la défaite du Sud, une intense agitation se développa pour les 8 heures et triompha lors du célèbre Premier mai 1886. L’Association internationale des travailleurs, l’AIT, la Première Internationale, dans son congrès de 1866 déclara : « Nous proposons 8 heures pour la limite légale de la journée de travail. »

En France, l’écrasement de la révolution de 1848, la réaction bonapartiste, puis l’écrasement de la Commune de Paris supprimèrent dans le sang les acquis de la classe ouvrière et il fallut attendre de nouvelles luttes pour que les 10 heures (pour les adolescents de 13 à 18 ans) soient arrachées en 1892, les 12 heures pour les hommes et les 10 heures pour les femmes, et enfin les 10 heures pour tous, la journée de repos hebdomadaire (le dimanche) en 1906. Les « trois 8 » (voir l’encadré ci-dessous) finirent par être arrachés le 23 avril 1919, la bourgeoisie lâchant du lest pour bloquer la montée révolutionnaire du prolétariat consécutive au succès de la révolution d’Octobre.

Il faudra aussi la grève générale de juin 1936 pour obtenir, provisoirement, les 40 heures. En 1976, la moyenne reste de 42 heures 30 pour les ouvriers et un tiers des ouvriers travaillent plus de 45 heures par semaine. Or, aujourd’hui, la durée des transports, pour aller à son travail, est beaucoup plus longue qu’il y a un siècle. Les ouvriers parisiens sont absents de leur domicile pour leur travail 12 heures par jour en moyenne et 35% d’entre eux plus de 14 heures. Qui plus est, comme le rappelle Pierre Naville (dans La vie de travail et ses problèmes) « la réduction progressive de la journée de travail a été compensée bien au-delà, par la prolongation de la vie de travail, de sorte que le nombre total d’heures de travail fournies par un même individu s’est accru ».

Il faut aussi ajouter que la productivité du travail a triplé depuis 1936, les cadences aussi ont augmenté et les heures supplémentaires se sont généralisées pour arriver à vivre. Donc, les 40 heures de 1936 correspondent aujourd’hui à 30 heures par semaine.

Ce recul relatif s’explique, entre autres raisons, par la politique des syndicats et des partis réformistes qui ont sabordé toutes les luttes (dont Mai 68 en France ou le « Mai rampant » en Italie) qui auraient pu nous rapprocher de cet objectif. Il faut poursuivre le combat pour la diminution du temps de travail, la lutte pour les 35 heures tout de suite, premier pas vers la semaine de 30 heures.

Notes

1. Le Capital, IIIe section, chapitre X. 2. 3. Voir p. 54, Introduction à l’économie politique, Pierre Salama et Jacques Valier, Maspero et p. 168, Traité d’économie marxiste, Ernest Mandel. 4. 5. Œuvres, Economie, tome 2, Pléiade, p. 791, Karl Marx. 6. 7. P. 166, Traité d’économie marxiste, tome 1, 10/18, Ernest Mandel. 8. 9. Œuvres, Economie, tome 2, p. 828, Pléiade, Karl Marx. 10. 11. Œuvres, Economie, tome 2, p. 835, Pléiade, Karl Marx. 12.

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Les huit heures

Le Premier Mai 1886, les ouvriers américains conquirent les 8 heures. Cette revendication, déjà avancée par l’AIT en 1866, fut l’axe central des luttes ouvrières du début du siècle en France. La CGT (syndicaliste révolutionnaire à l’époque) reprend à son compte cette revendication et décide en 1904, à Bourges, qu’à partir du Premier Mai 1906 les ouvriers cesseront de travailler plus de 8 heures par jour. Cette lutte pour les « trois 8 » se développera pendant deux ans. Des centaines de milliers d’affichettes seront collées partout : on les retrouve sur les murs, dans les cafés, les restaurants, dans le métro et les tramways… Elles disent : « À partir du Premier 1906, faire plus de 8 heures sera trahir la cause ouvrière » ou « travailler au maximum 8 heures, c’est préparer la grève générale expropriatrice », ou encore « l’exploité faisant plus de 8 heures s’abrutit par le travail ».

700 000 tracts sont distribués, des centaines de milliers de brochures sont éditées. Dans l’une d’elles (celle de la Fédération du bâtiment), on peut lire : « La journée de 8 heures ne sera qu’un apéritif en attendant le plat de résistance : quand les travailleurs se décideront à abattre les parasites du capitalisme par la grève générale qui sera la révolution devant instaurer le régime communiste. » Des centaines de meetings sont organisés partout. Là-dessus éclate la catastrophe de Courrières, le 10 mars 1906. 1 500 mineurs meurent d’un coup de grisou, la direction a une grande responsabilité. Le 16 mars, il y a 40 000 mineurs en grève. Le 10, la marie de Lens est attaquée ; le 10 avril, le préfet est capturé. Le gouvernement de gauche (Clemenceau) envoie 20 000 soldats. Un lieutenant de dragons meurt lapidé. Le 23, Monatte (dirigeant de la CGT) est arrêté. Finalement, les mineurs vaincus par la répression cessent la grève quand les autres ouvriers entrent en lutte pour les 8 heures. Fin avril, il y a 200000 grévistes ; 60 000 soldats sont appelés à Paris. La lutte finale doit commencer le Premier Mai. Tous les leaders de la CGT, dont Griffuelhes, sont arrêtés le 30 avril. Le Premier mai commence. À 8h30, il y a déjà 150 arrestations ; à 9 heures, arrivent les cuirassiers, à 9h30 les dragons, à 10 heures les chasseurs à cheval. À la Bourse du Travail, les meetings se succèdent sans arrêt. À 12 h, l’état de siège est proclamé. À 14 heures, une première barricade se lève. À 22 heures les bagarres se poursuivent encore : 800 arrestations, 2 morts. Des drapeaux rouges et noirs ont flotté à Nantes, Brest et Bordeaux. Le 2 mai, la grève ne se poursuit pas. Les typos, les mineurs et les ouvriers du Livre obtiennent les 9 heures, les autres rien, même les maçons qui pourtant tiendront 42 jours (1 200 arrestations, 370 condamnations). La dernière flambée du syndicalisme révolutionnaire s’achève en fiasco. La grève générale, à elle seule, ne peut pas tout, il faut également préparer l’insurrection contre l’appareil d’Etat. Les élections législatives suivent les 6 et 20 mai. La gauche l’emporte, crée le ministère de Travail. Clemenceau (Premier ministre, lui qui venait d’envoyer l’armée contre les mineurs) fait voter la loi des 10 heures. Mais le syndicalisme révolutionnaire, lui, avait fait faillite le 2 mai 1906.

Combat communiste n° 46, avril 1979