Conformément à l’orientation de la revue Ni patrie ni frontières, ce numéro triple (30-31-32) rassemble des textes de différentes tendances : anarchistes (Errico Malatesta, Pierre Besnard, Sébastien Faure, Georges Yvetot, Georges Bastien et E. Armand) ; trotskystes (Pierre Bois, Ernest Mandel) ; ex-trotskystes mais – hélas ! – toujours léninistes (Communistes Révolutionnaires, Combat communiste) ; syndicalistes révolutionnaires (Pierre Monatte) ; héritiers des « gauches communistes » (Mouvement communiste, Programme communiste) ou inclassables comme Socialisme ou barbarie…
Ce recueil d’articles écrits à des périodes très différentes (de 1926 à 2006) et par des auteurs de sensibilité parfois opposée, met l’accent sur le rôle des syndicats (et aussi des partis « ouvriers ») face aux luttes de classes, plus particulièrement entre 1871 et 1968, même si Pierre Besnard commence son historique du syndicalisme à la Révolution française, si ce n’est à la Préhistoire !
Ce livre s’arrête donc avant la crise économique mondiale de 1973 qui a provoqué toute une série de réactions en chaîne à l’échelle de la planète : licenciements, restructurations, concentrations et délocalisations qui ont profondément changé les conditions de vie et de travail des prolétaires ainsi que l’organisation interne des entreprises. La composition de la classe ouvrière mondiale est désormais beaucoup plus « fragmentée », en tout cas dans les grandes métropoles impérialistes (cf. « Classe ouvrière et travailleurs fragmentés » de João Bernardo dans le n°27/28 de Ni patrie ni frontières).
Ce numéro s’ouvre sur les extraits d’une brochure de l’économiste Ernest Mandel qui exposait (en 1978) les positions trotskystes face à la question posée par l’existence des bureaucraties « ouvrières » qui gangrènent les syndicats et partis de gauche. Ce texte abordait aussi les problèmes théoriques posés par ce que Mandel osait encore appeler à l’époque les « Etats ouvriers » « dégénérés » ou « déformés » ! Ces régimes capitalistes d’Etat ayant aujourd’hui pour la plupart disparu (à l’exception de Cuba et de la Corée du Nord), nous avons reproduit ici seulement les passages qui concernaient les rapports entre les travailleurs et « leurs » syndicats ou partis dans les pays capitalistes occidentaux. Cette analyse reste toujours actuelle pour la plupart des trotskystes et des néo-trotskystes qu’ils soient au Nouveau parti anticapitaliste (NPA), au Parti ouvrier international (les « lambertistes » du POI) ou même à Lutte ouvrière (LO).
En effet, quelles que soient les nuances qui séparent officiellement ces courants, tous trois croient, comme Mandel, qu’il n’y a pas de mouvement ouvrier possible sans permanents, sans appareils, bref sans bureaucrates… De là à penser qu’il faut infiltrer ou infléchir les appareils syndicaux pour en prendre la tête, ou pousser les appareils « vers la gauche », il n’y a qu’un pas, d’autant plus facile à franchir que Mandel affirme candidement que la bureaucratie syndicale ne joue aucun rôle économique dans le système capitaliste !
Après cette « mise en jambes » théorique, nous présentons six articles parus dans la revue Programme communiste, éditée par le Parti communiste international (1), appelé « bordiguiste » du nom d’Amadeo Bordiga, l’un des fondateurs du Parti communiste italien, puis de la « Gauche communiste italienne », tendance oppositionnelle née au début des années 20 dans la Troisième Internationale.
Le lecteur découvrira, en lisant leurs articles, que les « bordiguistes » savaient, dans les années 60 et 80, mettre leur solide culture historique au service d’une analyse subtile des grandes tendances du mouvement ouvrier français. Ils ne craignaient pas de rendre hommage aux qualités politiques et militantes des anarchistes et des syndicalistes révolutionnaires, tout en ne leur faisant aucun cadeau sur le plan théorique et politique. Il serait donc fort dommage d’ignorer leurs réflexions.
Le lecteur pourra se plonger ensuite dans une vingtaine d’articles (ou d’extraits d’articles) de l’Encyclopédie anarchiste. Les auteurs nous offrent une lecture assez différente de l’histoire du syndicalisme et des rapports entre les syndicats et les partis ouvriers. Principal contributeur, Pierre Besnard décrit en détail l’évolution du syndicalisme des années 1870 jusqu’en 1936. S’il critique le parlementarisme, prône la grève générale et défend l’indépendance des syndicats, il se livre aussi à un curieux plaidoyer en faveur de la cogestion des assurances sociales ou d’un contrôle ouvrier des entreprises capitalistes, peu cohérents avec la défense de l’action directe ou la critique de la démocratie bourgeoise (cf. notre « compil’ » n° 4 : De la violence politique).
Ces textes sont rudement critiqués et pris à partie par Programme communiste dans les articles qui précèdent, et un dialogue fructueux s’instaure entre les textes. Si les lecteurs prennent la peine de comparer les arguments avancés par les uns et les autres, ils pourront approfondir leur réflexion sur ces questions complexes et sortir des sentiers battus des habituelles polémiques groupusculaires fondées sur l’ignorance mutuelle…
Après les hypothèses théoriques audacieuses, l’histoire des syndicats et des bourses du travail, et l’exposé des principes du syndicalisme de classe, la seconde partie de ce livre est consacrée à l’histoire des principales grèves en France entre 1936 et 1968.
Une série d’articles du mensuel Combat communiste (publiés entre 1975 et 1986) propose une analyse critique du rôle des syndicats et de leurs bureaucraties en France, à travers quelques dates importantes de la lutte des classes : 1936, 1944, 1947, 1948, 1953, 1955 et 1963. « Nous voudrions montrer au travers de cette série d’articles, écrivait Combat communiste, comment les travailleurs ont eu à affronter non seulement le patronat, le gouvernement, les forces de répression (flics, milices patronales, armée) mais aussi les appareils syndicaux et les partis de gauche qui ont toujours trahi les espoirs que les travailleurs mettaient en eux. »
Ces articles ne furent pas été écrits par des historiens professionnels, ils contiennent sans doute quelques erreurs et n’ont pas été actualisés. Mais ce qu’il nous importe de souligner ici, c’est que les leçons de ces conflits ont été totalement oubliées aujourd’hui par la plupart des militants de la « gauche radicale ».
« Oubli » lié à la volonté des bureaucraties « ouvrières » de camoufler leur fonction ; à la progressive disparition de toute formation politique au sein de la plupart des organisations anarchistes ou trotskystes ; à l’enseignement de l’Histoire au collège et au lycée où fascisme et communisme sont présentés comme des idéologies équivalentes et les révolutions survolées très rapidement ; mais aussi aux calculs opportunistes de l’extrême gauche, toujours à l’affût d’accords « tactiques » avec de fantomatiques « ailes gauche » des syndicats.
Aux côtés des textes de Combat communiste nous avons placé des articles du syndicaliste révolutionnaire Pierre Monatte sur Juin 36 et du trotskyste Pierre Bois sur la grève Renault de 1947 ; un article sur les grèves de 1947 paru dans Courant alternatif, suivi d’une chronologie utile pour comprendre les années 1944-1947 ; un texte de Pierre Chaulieu (plus connu sous le nom de Cornelius Castoriadis) sur les grèves de 1956 publié dans Socialisme ou Barbarie ; plusieurs tracts et articles des Communistes Révolutionnaires/RKD sur la situation française entre 1944 et 1946, quand le PCF et la CGT faisaient retrousser leurs manches aux ouvriers au nom de l’union nationale et du prétendu programme social du Conseil national de la Résistance, dont les « antilibéraux » actuels, suppôts de la social-démocratie ou du néostalinisme, nous rabattent encore les oreilles.
Ce livre se termine par un texte de Mouvement communiste sur mai 68 qui offre une description précise de la plus grande grève générale de l’histoire du mouvement ouvrier français, et en souligne les points forts comme les points faibles.
D’autres anthologies suivront qui tenteront de retracer, à travers la reproduction de brochures ou d’articles, les conflits qui ont marqué les travailleurs dans leur lutte contre l’Etat, le Capital… et les bureaucraties « ouvrières ».
Ni patrie ni frontières, octobre 2010
1. Ce groupe minuscule aujourd’hui s’est malheureusement fait connaître des médias et de certains historiens réputés sérieux (Igounet, Vidal-Naquet, Dreyfus) ou amateurs (Bourseiller) pour avoir édité en 1960 une brochure calamiteuse (Auschwitz ou le Grand Alibi) que ces critiques n’ont manifestement pas lue attentivement, et en tout cas pas comprise, puisqu’ils la taxent de « négationnisme ». En effet, si son auteur se livre à une critique radicale de l’antifascisme démocratique orchestré par les grandes puissances impérialistes et la « gauche », ce n’est bien sûr pas pour faire l’apologie du nazisme, pour dissimuler l’amplitude de la barbarie nazie, mais au contraire pour affirmer que pour la combattre il n’y avait pas d’autre issue que la révolution communiste mondiale et la dictature du prolétariat. Plus prosaïquement nous dirons que son auteur (qui n’est pas Bordiga, contrairement à la légende) ne s’est livré à aucune analyse matérialiste de la « question juive » (pas plus que Marx dans son article homonyme de 1844, Karl Kautsky en 1914 dans Rasse und Judentum ou le trotskyste Abraham Léon en 1943 dans La conception matérialiste de la question juive). Réduisant la place des Juifs et des juifs dans l’histoire du capitalisme aux métiers de la banque, de l’artisanat et du commerce, cette brochure ne s’intéresse ni à la paysannerie ni au prolétariat juifs dont l’existence n’avait pourtant rien d’anecdotique aux XIXe et XXe siècles, et même durant les siècles antérieurs (cf. à ce sujet les quatre tomes de La société juive à travers l’histoire aux Editions Fayard). Elle ignore le rôle du Bund dans le mouvement ouvrier en Russie avant la Première Guerre mondiale et en Pologne jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Elle analyse de façon mécaniste les prétendus fondements économiques de l’antisémitisme, en ignorant d’autres dimensions sociales, politiques et religieuses tout aussi importantes. Malgré tous ses défauts ou ses tares, il est parfaitement absurde et mensonger d’accuser le PCI de nier l’existence des camps d’extermination. On peut seulement regretter que le PCI n’ait pas abandonné cet opuscule à la « critique rongeuse des souris ».
Sommaire
I) Pistes de réflexion sur l’histoire du mouvement ouvrier et du syndicalisme en France
De la bureaucratie (Ernest Mandel), 1554
Socialisme et syndicalisme dans le mouvement ouvrier français (1876-1914), 1555
* Cadre historique et social du mouvement ouvrier français, 36 ;
* Le Parti ouvrier et l’essor syndical : le réveil ouvrier passe par la formation du parti, 45 ;
* Le Parti ouvrier et l’essor syndical : Le Parti ouvrier et les syndicats, 58 ;
* Le syndicalisme révolutionnaire contre le réformisme, 71 ;
* Le mouvement syndical en France de 1900 à 1908, 117 (six articles extraits de la revue Programme Communiste)
Encyclopédie anarchiste , 147
* Assurances sociales (Pierre Besnard et A. Rey), 148
* Atelier (Pierre Besnard), 153
* Bourse du travail (Pierre Besnard), 156
* Chômage (Pierre Besnard), 164
* La Commune (Sébastien Faure), 170
* CGT (Pierre Besnard), 175
* Contrôle ouvrier (Pierre Besnard), 198
* Délégué, 208
* Grève (Pierre Besnard), 209
* Jaune (George Yvetôt), 218
* Magasins coopératifs (André Daudé-Bancel), 223
* Manœuvre (E. Cotte), 225
* Manuel (E. Rothen et A. Hillkoff), 227
* Mouvement social (George Bastien), 237
* Mutualité et Mutuellisme (George Bastien), 240
* Ouvrier (Pierre Besnard), 244
* Ouvriérisme (Jean Marestan), 246
* Prolétariat (Lashortes), 248
* Syndicalisme (Pierre Besnard), 263
* Syndicalisme et anarchisme (Errico Malatesta), 272
* Unité prolétarienne (Pierre Besnard), 277
II) Luttes ouvrières en France (1936-1968), 287
Il y a cinquante ans : Juin 36 (Combat communiste), 288
La classe ouvrière reprend confiance en elle (Pierre Monatte), 297
Luttes ouvrières 1944-1947 (Combat communiste), 312
1er Mai 1945 (Communistes Révolutionnaires), 320
L’expérience Berliet (Communistes Révolutionnaires), 322
Le PC et l’URSS en 1944-1947 (Combat communiste), 329
Maurice Thorez a dit (Communistes révolutionnaires), 332
Ouvriers du Livre (Communistes Révolutionnaires), 334
La grève des usines Renault (Pierre Bois), 336
Les grèves de 1947 en France Courant Alternatif), 349
Chronologie des grèves 1944/1947 (Courant Alternatif), 358
1948 : La grève des mineurs, (Combat communiste), 364
1950-1953 : Une période de recul (Combat communiste), 366
Août 1953 (Combat communiste), 368
1955 (Combat communiste), 371
Les ouvriers face à la bureaucratie (Cornelius Castoriadis, Socialisme ou Barbarie), 374
1961-1963 : Les mineurs en lutte (Combat communiste), 378
Luttes de classes en France (1964-1967) (Combat communiste), 396
Mai-Juin 1968 : une occasion manquée par l’autonomie ouvrière (Mouvement communiste), 403
Remerciements
Cette anthologie n’aurait pas été possible sans le travail des compagnons et camarades qui animent les sites suivants
http://bataillesocialiste.wordpress.com/
http://www.mouvement-communiste.com/
http://www.encyclopedie-anarchiste.org/
Nous tenons aussi à remercier le personnel de la bibliothèque de l’ISSG, Institut d’histoire sociale d’Amsterdam, toujours prêt à aider les visiteurs.
Qu’ils soient ici, toutes et tous, chaleureusement remerciés !
486 pages, 12 euros. (frais de port compris) Pour toute commande écrire à yvescoleman@wanadoo.fr