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Le mouvement des « tea parties »

Journée de manifestation contre les impôts à Washington DC

lundi 13 septembre 2010

Ce texte est paru dans Echanges n° 133 (été 2010).

En m’approchant du Washington Monument, j’ai d’abord eu l’impression qu’il y avait très peu de monde. Pendant une heure, j’ai vu circuler de petits groupes mais aucune arrivée en nombre. Les manifestants occupaient une zone comprise entre le Monument et Constitution Avenue, longue d’environ un pâté de maisons et de même largeur, donc je dirais qu’il y avait moins de 5 000 personnes – et peut-être moins car la foule était peu dense (sur le podium, les organisateurs se vantaient d’avoir attiré 25 000 personnes). On pouvait voir une mer de drapeaux jaunes pré-imprimés avec le slogan et le serpent à sonnettes « Ne me marchez pas dessus ! », mais pas de pancartes ni de bannières révélatrices d’une présence organisatrice en coulisses. La foule était composée d’environ 99 % de Blancs, en grande majorité dans la cinquantaine et plus. Toutefois, les rares Noirs que j’ai vus étaient des femmes militantes qui n’hésitaient pas à se faire entendre.

J’ai eu plus de mal à discerner les classes sociales auxquelles appartenaient les manifestants, je dirais qu’ils étaient également répartis entre la classe moyenne et la classe ouvrière. La partie la plus jeune de la foule (55 ans et moins), d’après leurs vêtements, leur accent, leurs tatouages, etc. semblaient être des Sudistes de la classe ouvrière. Plusieurs sosies de ZZ Top (1). Peu de personnes en dessous de la trentaine – et ceux qui étaient dans cette tranche d’âge semblaient nettement appartenir à la classe moyenne supérieure, c’étaient peut-être des apparatchiks locaux du parti Républicain venus humer l’air du temps.

A en juger par les pancartes majoritairement artisanales, chacun entendait faire passer un message : « Obama, construisez le mur ! », accompagné d’une carte du Sud-Ouest dessinée à la main avec un mur rouge pour séparer le Texas du Mexique. Nombreuses pancartes sur le thème « Trop d’impôts ! » et des remarques loufoques sur la Constitution avec des citations de Jefferson, Madison, etc. (2).

Autre thème populaire : Obama transforme les Etats-Unis en pays socialiste (!!!). Une pancarte proclamait : « Si vous voulez le socialisme, allez en Europe ! Moi, j’aime les Etats-Unis ! » Beaucoup de remarques contre un gouvernement interventionniste sur le plan social. Très peu d’opinions s’écartant de la définition courante des idées du Tea Party (TP) (3). Une autre pancarte affichait : « Faire confiance au gouvernement ? Demandez à un Indien ! » (celui qui la tenait se disait Amérindien). Des partisans de Ayn Rand et de Ron Paul distribuaient des tracts longs et ennuyeux (4). Il est intéressant de noter que je n’ai vu aucun partisan de LaRouche (5), mais il est possible qu’ils aient circulé ailleurs dans la foule. J’ai vu pas mal de bannières et de pancartes sur le thème « montrez-moi votre extrait de naissance ». On pourrait résumer un autre thème récurrent par une seule pancarte : « Cessez de récompenser l’échec. » J’ai eu l’impression que cette remarque était dirigée vers le bas et non vers le haut, c’est-à-dire contre les détenteurs « irresponsables » de crédits immobiliers que l’on essayait de sortir d’affaire et non contre les banques. J’ai entendu une femme noire d’une cinquantaine d’années dire qu’elle venait du Mississippi et que, la Bible affirmant : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front », l’aide sociale ne devrait pas exister. Une petite flotte de camionnettes de Fox News (6), à l’écart, émettait en direct. Le premier présentateur que j’ai entendu était quelqu’un de « Saturday Night Live » (7) qui interprétait cette parodie glaçante qu’on chante en chœur (pensez à Chuck Berry dans My Ding A Ling). La chute, que les spectateurs étaient encouragés à reprendre tous ensemble, disait : « Il y a un communiste à la Maison Blanche. » La mère et le père d’Obama étaient marxistes, lui a travaillé pour Acorn (8) qui était marxiste, il a nommé un marxiste au poste de Tsar Vert (on appelle “tsar” aux Etats-Unis, depuis Nixon, une personne chargée par le président d’étudier et suivre un dossier particulier) et, le pire : quand le téléprompteur d’Obama s’éteint et qu’il doit improviser, il cite directement le Manifeste communiste en parlant de « répartir la richesse » ! Chaque accusation était rythmée et ponctuée par la foule. C’était là, nue et sans fard, la pire paranoïa du style John Birch (9) et la théorie du complot la plus loufoque.

Bien qu’elle soit irrationnelle, la peur est réelle : la base du mouvement Tea Party est paniquée à l’idée d’une dictature du genre 1984 (10). Le sentiment d’appartenir à une minorité visionnaire qui comprend ce qui se passe « réellement » est palpable et dope le moral et l’organisation des militants, leur permettant de faire le lien entre des programmes contradictoires et conflictuels qui entraîneraient une scission dans des circonstances normales – et à moyen terme, le Tea Party pourrait imploser et se dissoudre dans plusieurs groupes rivaux qui diront tous être le « vrai » Tea Party.

L’un des organisateurs a demandé aux manifestants de se méfier des « infiltrés » qui s’introduisent dans le Tea Party pour le discréditer par des remarques racistes. « Si vous en voyez, encerclez-les et accompagnez-les hors du rassemblement » : le Tea Party est soucieux de son image. Un autre orateur, qui faisait la liste des exigences du mouvement, y ajouta : « Reprenez l’Amérique aux grandes entreprises qui veulent se régaler à la mangeoire commune. » Mais ce fut la seule preuve d’un vague populisme économique que j’aie pu entendre. Le prochain événement marquant dans la stratégie du Tea Party est une répétition de la marche du 12 septembre que plusieurs orateurs ont évoquée en se vantant d’avoir attiré un « million » de personnes à Washington DC l’automne 2009.

Mais l’orateur le plus efficace, dont je n’ai pas saisi le nom, fut une femme noire assez jeune et passionnée. Ellei a recueilli les applaudissements les plus nourris, marquant adroitement des points grâce à ce genre de remarques : « Comment les Démocrates osent-ils jouer la carte raciale alors que l’un d’entre eux, Robert Byrd (11), portait autrefois la robe et le capuchon du Ku Klux Klan ? ». Et elle a démoli Charles Rangel (12) qui « veut nous écraser d’impôts alors qu’il ne peut pas payer les siens. » Elle a dit aussi : « Ils tentent de nous diviser en déclarant que le Tea Party est blanc comme neige. Eh bien, regardez-moi, cette couleur ne déteint pas ! ». Peu importe qui elle était, c’était une oratrice brillante et puissante qui appuyait sur tous les bons boutons rhétoriques.

A mon avis, les scènes les plus intéressantes ont eu lieu à la périphérie et y figuraient des gens de gauche qui étaient venus spontanément pour dialoguer avec les manifestants. L’un d’entre eux était un jeune anarchiste muni d’une pancarte qui disait : « Pas de médecine socialisée – Fermez les hôpitaux militaires ! » et il l’utilisait pour engager le dialogue. Il était absolument brillant et provoquait les gens gentiment pour les forcer à examiner leurs contradictions. Il était constamment entouré d’une petite foule animée et tenait bon, plaisantant beaucoup sans offenser quiconque.

Plus loin dans la rue et sans lien avec l’anarchiste, se tenait un type d’une cinquantaine d’années avec une pancarte qui disait : « Taxez les riches ». J’ai écouté plusieurs de ses conversations et il y avait un véritable échange avec des partisans du Tea Party plus réfléchis. Que se passerait-il si ce genre d’interventions se multipliait avec plus de gens de gauche engagés dans un dialogue comme ces deux personnes courageuses ?

Voici un bon exemple de ce qu’il NE FAUT PAS faire. Un couple âgé de plus de 35 ans, vêtu de joggings de marque coûteux, bien coiffés, genre jeunes cadres dynamiques, tenaient une pancarte peinte à la bombe avec ce message : « Défendez Obama. Mettez la Suprématie Blanche hors la loi. » Avec leurs petits sourires suffisants, ils regardaient imperturbablement au loin comme des gardes de Buckingham Palace et refusaient de discuter. Je suis resté pour voir comment les gens réagissaient. Incrédules, ils explosaient de colère et hurlaient : « Où voyez-vous des gens qui croient en la suprématie des Blancs ici ? ». Pas de réponse. Ces deux-là n’offraient ni discussion ni explication, ils se contentaient de cette posture silencieuse et arrogante et de leur supériorité morale présumée. Étaient-ils des infiltrés qui tentaient de déclencher une réaction violente dans la foule ? Ou bien était-ce juste, comme je l’ai entendu dire à un militant du Tea Party, qu’ils essayaient « de se montrer sur YouTube, faites comme s’ils n’étaient pas là. » Qui sait ? En raison des faibles relents de complot et de persécution qui circulaient, tous les scénarios étaient possibles.

Il y a de nombreuses contradictions dans l’article récent du New York Times au sujet de cette manifestation. Alors qu’on pouvait y lire que les partisans du Tea Party avaient des revenus supérieurs à la moyenne, on y lisait aussi qu’ils étaient moins éduqués que la moyenne, un tiers d’entre eux seulement étant titulaires d’une licence universitaire. A moins que des gens sans licence universitaire soient des petits bourgeois classiques (propriétaires de petits magasins, de stations d’essence, etc.), il est difficile de voir comment on pourrait associer peu d’éducation et des revenus élevés. Mais d’après ce que j’ai vu, beaucoup semblaient appartenir à la classe ouvrière blanche sudiste. Il m’est difficile de comprendre comment ils pourraient être embrigadés en grand nombre à cause du niveau de paranoïa et de victimisation qui rebondit d’un problème à l’autre. Cela ressemble bien peu à une montée du fascisme que beaucoup à gauche, comme Chomsky, prédisent imprudemment, prédiction qui leur sert de prétexte pour continuer à soutenir Obama.

Mais il est plus important de se faire une idée précise du nombre de jeunes soldats de la guerre d’Irak, entre autres, qui participent à ce mouvement. Il existe peu d’aide pour les vétérans qui reviennent, leur taux de chômage est plus élevé que la moyenne, et même si seule une petite minorité d’entre eux gravite autour de ces groupes loufoques, les choses pourraient changer si leur ressentiment envers un gouvernement qui les abandonne se traduit en action. Je ne pense pas que le mouvement contre la guerre se ralliera à ces groupes, leurs différences culturelles sont trop importantes. La plupart des soldats que j’ai entendu s’exprimer contre la guerre viennent de la classe moyenne bien éduquée.

C.P.

Washington, 15 avril 2010.

Pour se documenter sur le mouvement Tea Party , sur Internet :
- « Tea Party Patriots : le renouveau de la droite américaine », par Michael C. Behrent, sur www.laviedesidees.fr/Tea-Party-Patr...
- « The movement. The rise of Tea Party activism », de Ben McGrath, sur www.newyorker.com/reporting/2010/02...
- le site de Tea Party Patriot : www.teapartypatriots.org

NOTES

(1) Groupe de rock américain (Texas) célèbre pendant les années 1970 et 1980. Style cowboy texan avec Stetson et santiags, puis barbu façon prospecteur, lunettes noires. (Source Wikipedia.)

(2) Thomas Jefferson (1743-1826), troisième président des Etats-Unis ; James Madison (1751-1836), successeur de Jefferson. Jefferson a rédigé une partie de la Déclaration d’Indépendance et Madison est un des principaux auteurs de la Constitution.

(3) Le nom de ce mouvement populiste fait référence à la Boston Tea Party du 16 décembre 1773. La Grande-Bretagne pouvait taxer ses 13 colonies américaines dont les habitants n’étaient pas représentés au parlement de Westminster. Ils entendaient faire respecter le principe selon lequel il n’y a pas de taxation sans représentation. Le thé, soumis à des lourdes taxes, était devenu un point de discorde symbolique entre la métropole et ses colonies. En 1773, la Compagnie Anglaise des Indes Orientales fit passer le Tea Act qui l’autorisait à vendre du thé aux colonies sans payer les taxes, provoquant ainsi la ruine des marchands indépendants et la colère des Américains. Le 16 décembre 1773, 60 Bostoniens déguisés en Indiens montèrent à bord de 3 navires et détruisirent 45 tonnes de thé en les jetant par-dessus bord.

(4) Ayn Rand 1905-1982 ; Immigrée russe fuyant la révolution bolchévique, elle a offert à son pays d’adoption une philosophie fondée sur l’individualisme extrême et le capitalisme. Ses idées exercent une fascination sur les libertariens de droite. Pratiquement inconnue en Europe.

Ron Paul : libertarien dont la campagne pour l’investiture républicaine à la présidence en 2008 avait suscité l’enthousiasme chez les mêmes courants qui sont actuellement les fantassins du Mouvement Tea Party.

(5) Lyndon LaRouche né en 1922. Homme politique, économiste (autoproclamé), essayiste et polémiste américain. Il défend un programme de réorganisation complète du système financier international. Politiquement, il se dit dans le droit fil du Mouvement des Droits Civiques de Martin Luther King et dans la tradition du New Deal de Roosevelt. Il est aussi proche du mouvement extrémiste Nation of Islam dont il partage la culture du complot judéo-sioniste. Son représentant en France était Jacques Cheminade du parti Solidarité et Progrès aux élections de 1995 ; Son mouvement est classé dans les dérives sectaires. (Source Wikipedia.)

(6) Fox News, propriété de Ruppert Murdoch (qui détient Fox Entertainment, le Wall Street Journal, le site Internet communautaire MySpace, etc.) relaie abondamment et complaisamment les thèses du Tea Party.

(7) Emission de divertissement diffusée chaque semaine depuis 1975 sur la chaîne NBC ; elle se compose de sketches, de parodies et de segments musicaux. NBC comprend les chaînes câblées CNBC et MSNBC.

(8) Association of Community Organizations for Reform Now (Acorn) : défend les familles à faibles et moyens revenus en travaillant sur la sécurité dans les quartiers, l’inscription sur les listes électorales, le système de santé, le logement abordable et d’autres problèmes sociaux.

(9) La John Birch Society (créée en 1958) porte le nom d’un officier des services de renseignement et missionnaire baptiste tué en 1945 par des partisans du Parti communiste chinois. C’est une organisation politique d’extrême droite nationaliste qui prône l’anticommunisme, un gouvernement peu interventionniste et la liberté personnelle.

(10) 1984 : roman de l’écrivain britannique George Orwell paru en 1948.

(11) Robert Byrd (novembre 1917-juin 2010), démocrate et sénateur de Virginie occidentale depuis 1959. Chef local du Ku Klux Klan dans les années 1940, il s’est depuis « excusé » de cette « erreur ». Opposé à la guerre en Irak. Son nom est accolé à de nombreuses propositions de lois progressistes en matière sociale. (Source Le Monde.)

(12) Charles Rangel, né en 1930. Démocrate afro-américain, membre de la Chambre des Représentants depuis 1971. (Source Wikipedia.)

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