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Les luttes récentes en Grèce : il n’y a plus qu’une seule chose à régler : nos comptes avec le capital et son Etat

lundi 13 septembre 2010

Nous avons légèrement revu pour notre publication (Echanges n° 133 (été 2010)) la traduction de ce texte, qui circule sur de nombreux sites Internet.

***

Dans les périodes de crise, comme la période actuelle de suraccumulation, les capitalistes utilisent la politique de « dette publique » pour concevoir de nouvelles façons d’intensifier l’exploitation. Au contraire des moments de reprise capitaliste qui voient s’accroître la dette privée, les récessions sont caractérisées par l’accroissement de la « dette publique ». L’investissement privé en obligations d’Etat garantit des profits qui proviennent des contributions directes et indirectes des travailleurs, dans le but de percevoir des dividendes et menant, finalement, au renforcement du secteur bancaire. Ainsi, la « dette publique », contrairement à ce qu’on affirme généralement, vient en aide au capital privé et devrait donc être comptabilisée parmi ses profits.

De plus, au cours des vingt dernières années, la « dette publique » a triplé dans 20 des 27 pays de l’Union européenne (UE), du fait des énormes dépenses engagées pour renflouer le secteur financier. Cet argent n’a pas été prêté au capital privé (non bancaire) pour des investissements productifs. En outre, les emprunts publics ont été et sont toujours émis avec des conditions qui outrepassent largement le taux de profit moyen, rendant les investissements en obligations d’Etat bien plus rentables que les investissements en unités de production et d’autant plus intéressants qu’ils sont exempts de tout risque de luttes sur les sites de production.

La récession économique générale de ces dernières années, qui est la manifestation la plus récente d’une crise de reproduction permanente du capital qui dure depuis trente-cinq ans – une crise tout juste interrompue par des rétablissements temporaires –, a touché de façon inéluctable l’accumulation au niveau national. Toutefois, hormis les conséquences de la réduction de l’activité économique globale sur les exportations de capital grec, en particulier dans le fret maritime et le tourisme, la récession est aussi devenue l’occasion de mettre au jour les difficultés permanentes que connaissent la mise au pas du prolétariat et les possibilités de son exploitation. Après être parvenu, du milieu des années 1990 juqu’au milieu des années 2000, à accroître le taux d’exploitation et à augmenter sa rentabilité, le capital a vu en Grèce, ces dernières années, le taux de profit diminuer sans interruption, en raison d’une hausse de productivité trop faible par rapport aux salaires. Par conséquent, cette rentabilité a commencé à chuter davantage à partir de 2006, jusqu’à s’effondrer, au premier semestre 2009, pour ne représenter que 51,5 % de ce qu’elle était au premier semestre 2008, du fait de la récession globale. La chute du chiffre d’affaires et de la rentabilité des entreprises privées a conduit à son tour à une importante réduction des investissements, du fait de l’incapacité croissante des entreprises à obtenir des crédits de la part des banques. Les banques elles-mêmes ont été directement touchées, puisque leurs bénéfices ont dramatiquement diminué suite à l’importante augmentation des pertes provenant des retards de paiement ou des prêts impayés ; elles avaient, en sus, un problème de liquidités plus général à cause de la crise financière globale.

Naturellement, l’Etat n’est pas resté les bras croisés. Il s’est vite confronté aux problèmes provoqués par l’éclatement de la crise, en augmentant les dépenses publiques de 10,9 % en 2009, afin de soutenir l’accumulation, contribuant de la sorte à hauteur de 1,7 % au PIB. En même temps, l’Etat renflouait les banques avec des fonds de 28 milliards d’euros, ce qui correspond à 11,5 % du PIB, afin de préserver leur rentabilité. Cette politique sera poursuivie par le gouvernement du Pasok (1), qui fournira un apport supplémentaire de 10 milliards d’euros. A côté de ça, les dépenses publiques ont été augmentées aussi pour d’autres raisons, comme par exemple le financement du chômage – puisque le nombre de chômeurs s’était accru, alors que les taxes et les contributions avaient diminué à cause de la récession, c’est-à-dire du déclin du PIB (et encore plus à cause des baisses successives depuis vingt ans des taux d’imposition sur les bénéfices). Le résultat en a été, ce qui n’est pas surprenant, que le déficit public tout comme la dette publique ont rapidement gonflé pour atteindre respectivement 12,5 % et 112,6 % du PIB.

Depuis 2008, les institutions financières ont décidé d’investir principalement dans les obligations d’Etat qui se sont multipliées presque partout, du fait de la politique générale des Etats de renflouement des banques. Après la crise du fonds souverain de Dubaï, en octobre 2009, et l’absence de toute prévision des agences de notation, ces dernières se sont frénétiquement mises à rétrograder les obligations d’Etat grecques et à augmenter les dérivés sur événement de crédit (2). Le fait que la Banque centrale européenne (BCE) soit sur le point d’augmenter le taux minimal de crédit pour l’admission des obligations d’Etat comme garantie de provision en liquidités à partir du début 2011, a encouragé les institutions financières à se débarrasser des obligations d’Etat grecques qu’elles détenaient, précipitant la « crise de la dette » et augmentant les intérêts, ce qui, à son tour, a élevé le coût de refinancement de la dette. Ainsi, les dépenses publiques liées au payement des intérêts ont augmenté, tout comme les provisions nécessaires pour l’accroissement du déficit public et de la dette.

Ainsi, dans un climat de terrorisme fiscal qui avait été orchestré depuis quelques mois déjà par les médias, on en a appelé à un état d’urgence en Grèce, le capital international et l’Etat grec essayant de transformer ce pays en laboratoire d’une nouvelle politique de choc. L’énorme « dette publique » et la « banqueroute imminente du pays » sont les leitmotive employés pour terroriser et mettre au pas le prolétariat, légitimer la baisse des salaires directs et indirects et ainsi courber sous un joug néolibéral exemplaire, de dimensions internationales, ses attentes et ses revendications.

Les mobilisations sont restées jusqu’à présent assez tièdes et ne correspondent certainement pas au caractère critique de la situation et à la férocité des mesures. Il y a un sentiment général d’impuissance et de paralysie, mais aussi de colère ne pouvant trouver un débouché adéquat. Il ya certainement un vrai mécontentement envers la politique de choc que le gouvernement Pasok met en œuvre (baisse des salaires, baisses des aides, multiplication des taxes directes et indirectes, recul de l’âge de la retraite, intensification du contrôle policier, etc.). On peut percevoir ce mécontentement dans les conversations de tous les jours au travail ; un silence fragile l’emporte néanmoins, face à la dictature de l’économie et à la toute-puissance des « marchés ». Le mantra de « l’unité nationale » est un des outils préférés du gouvernement, comme on peut s’y attendre dans de pareils moments ; il n’a pourtant pas encore atteint un stade dangereux.

Les confédérations syndicales, la GSEE (Confédération générale du travail de Grèce, l’organisation qui chapeaute les syndicats du secteur privé) et l’Adedy (Syndicat des fonctionnaires), sont totalement contrôlés par le gouvernement socialiste et s’efforcent d’éviter toute véritable résistance à la récente offensive. Pour l’heure, il semble plutôt improbable que la crise et la pression exercée par la base sur ces dinosaures conduisent à des changements majeurs dans leur structuration et leur rôle, vu le comportement quasi léthargique des cadres syndicaux du plus bas niveau dans le Parti socialiste, qui remportent toujours la majorité des votes sur la plupart des lieux de travail.

Le 10 février eut lieu la première grève appelée par l’Adedy, avec une participation plutôt faible du secteur public. Nous essayerons ci-dessous de donner une description de la manif du 24 février à Athènes, la GSEE et l’Adedy ayant alors appelé à la première grève générale contre les mesures d’austérité. Le nombre de grévistes est estimé à 2 ou 2,5 millions. Dans certains secteurs (les ports, les chantiers navals, les raffineries, le bâtiment, les banques et les entreprises de services publics), la participation est allée de 70 % à 100 %. Dans le secteur public (éducation, santé, services publics et ministères, bureaux de poste), la participation a étét plus faible, entre 20 % et 50 %.

Les estimations du nombre de participants à la manifestation lors de la grève varient beaucoup. La police donne 4 000 manifestants, certains médias 100 000 et d’autres parlent de 9 000 à 30 000 manifestants. En termes de participation, on peut dire qu’un chiffre de 40 000 environ est une estimation fiable.

On peut distinguer deux caractéristiques principales de cette manifestation. La première est la participation notable de nombre d’immigrés, non seulement « sous le commandement » des organisations de gauche, mais aussi diffuse dans le cortège des manifestants. Il faut souligner que la participation des immigrés est aujourd’hui liée à la nouvelle loi sur « la citoyenneté pour les immigrés », qui crée des divisions parmi eux en distinguant la catégorie de ceux, très peu, qui sont éligibles à la citoyenneté et les milliers condamnés au no man’s land de l’illégalité.

La seconde caractéristique est que le combat de rue entre la police anti-émeute et les manifestants ne provenait pas nécessairement du milieu antiautoritaire-anarchiste – il y a eu plusieurs cas de combat rapproché, parce que le gouvernement socialiste avait donné instruction à la police anti-émeute de limiter l’utilisation des gaz lacrymogènes. Il y a eu des bris de vitrines de banques, des pillages de boutiques (librairies, grands magasins, supermarchés et cafés) et, bien qu’ils ne se soient pas généralisés, ces événements ont certainement donné une tonalité assez différente de celle qu’on pouvait attendre des manifs habituelles GSEE-Adedy. Un incident de fin de manifestation est peut-être un bon révélateur de ce changement d’ambiance : comme les manifestants marchaient rue Panepistimiou, où commence Kolonaki, un quartier branché du centre d’Athènes, ils virent dans le café Zonar, un établissement traditionnel bourgeois et très cher, des clients guindés et bien habillés en train de boire du champagne (!) et de déguster de délicieux breuvages, très chers. La foule enragée envahit le café, brisa ses vitrines et bientôt des gâteaux furent distribués à un prix bien plus abordable !

Ces caractéristiques, selon nous, montre le fort impact de la révolte de décembre 2008 sur la façon de protester. A l’évidence, les actes de violence envers les flics et les institutions capitalistes comme les banques et les magasins au cours de la manifestation était généralement approuvés. De fait, à plusieurs reprises, les manifestants ont attaqué les flics pour les empêcher d’arrêter les « fauteurs de troubles ». Bien sûr, les appels de gauche à une « manifestation pacifique » n’ont pas manqué, mais ils ont paru insignifiants aux yeux de la plupart des prolétaires.

Il y avait certainement un sentiment général de joie à lâcher son indignation contre les flics et ainsi à exprimer la colère contre cette récente attaque, et la grève et la manif ont ainsi fonctionné comme un antidépresseur puissant, bien qu’à effet passager.

Enfin, il nous faut citer une manœuvre spectaculaire du PC (3) (en fait de son front ouvrier, appelé PAME [4]) la veille de la grève : ils squattèrent la Bourse tôt le matin avec une banderole surréaliste et plutôt incompréhensible, disant en anglais « Crisis pay the ploutocracy » (la crise paye la ploutocratie). Leur but était, selon leurs propres termes, de « montrer aux inspecteurs de la Commission européenne, de la BCE et du FMI où était l’argent » – comme s’ils ne le savaient pas ! En fait, les services de la Bourse furent transférés dans un autre bâtiment et l’occupation prit fin à 14 heures. Nous reviendrons plus tard dans ce compte rendu sur les pratiques du PC et leur influence.

Le 3 mars, le gouvernement socialiste annonçait les nouvelles mesures pour le « salut du pays », comprenant une baisse de 30 % des treizième et quatorzième mois des travailleurs du public, une baisse de 12 % des subventions salariales, des hausses des taxes sur les carburants, l’alcool et le tabac, ainsi que des coupes dans les budgets de l’éducation et de la santé. Les premières réactions sont venues du PAME, qui a intensifié ses escarmouches spectaculaires, occupant cette fois le ministère des Finances et, le lendemain, quelques stations de télé dans les villes de province. C’est encore le PAME qui a été le premier à appeler pour le 4 mars à des manifestations d’après-midi à Athènes et dans plusieurs autres villes. Plus tard, quelques syndicalistes et organisations de gauche, rejoints par le syndicat des professeurs du secondaire et l’Adedy, ont appelé à une manif séparée à Athènes. Etant donné la brièveté du délai avant la manifestation et le sentiment général d’impuissance, environ 10 000 personnes ont manifesté dans les rues principales d’Athènes de façon plutôt terne, ce qui devait changer quelque peu dès le lendemain.

Une fois encore, l’initiative de la grève du 5 mars fut prise par le PC, qui avait appelé ce jour-là à une « grève générale » et à une manifestation. L’Adedy et la GSEE prirent la suite avec un débrayage de trois heures, alors que les autres syndicats (les syndicats du primaire et du secondaire, ceux des transports publics) appelaient à une journée complète de grève. La manif du PAME rassembla environ 10 000 personnes et prit fin avant que l’autre n’ait démarré. Les antiautoritaires et les jeunes gens étaient visiblement plus présents cette fois-ci, et l’atmosphère était tendue dès le départ de la place Syntagma, près du Parlement, où le Parti socialiste s’apprêtait à voter les nouvelles mesures.

Un moment plus tard, le dirigeant de la GSEE, Panagopoulos, commit l’erreur d’essayer de s’adresser à la foule, juste pour se voir couvert de yaourt, d’eau et de café, et finalement de coups. Ce qui est incroyable, c’est que ces attaques sont venues de différentes directions et que ses nervis ont été rapidement incapables d’empêcher une multitude de gens (dont les antiautoritaires et les gauchistes formaient sans doute la majorité) d’exprimer pratiquement leur haine envers lui et ce qu’il représente. Il fut pourchassé et frappé jusque dans l’entrée du Parlement, avant d’être protégé par la police anti-émeute. Une foule en colère se rassembla bientôt devant le bâtiment. Les folkloriques Gardes du Parlement durent très vite partir et un combat commença entre les gens enragés et les escadrons anti-émeute. C’est le moment que les parlementaires de la coalition Syrisa choisirent pour leur propre action spectaculaire, déployant en face de l’entrée du Parlement une banderole affirmant que « L’être humain est la réponse, quelle que soit la question », une citation de Breton (5) qui rendait probablement mal à l’aise les intellectuels althussériens anti-humanistes appartenant à Syriza, bien qu’on puisse la lire dans le sens social-démocrate propre à Syriza, comme « les gens au-dessus des profits », le crédo préféré de cette coalition à ce moment-là. Lorsque Glezos, un membre de Syriza âgé de 88 ans et symbole de la résistance nationale à l’occupation nazie, essaya d’empêcher la police anti-émeute d’arrêter un jeune homme, il fut battu et gazé en pleine tête, et l’affrontement avec la police devint rapidement généralisé. 300 personnes environ (principalement des antiautoritaires, mais pas seulement) leur jetaient des pierres, et les autres restèrent sur place, lançant pendant un certain temps des cris et des injures, jusqu’à ce que la police anti-émeute essaye de disperser la foule en un puissant assaut. Un vif incident survint lorsque quelques personnes, s’emparant des micros de la confédération syndicale, scandèrent des slogans contre l’esclavage salarié et les flics, que l’on pouvait entendre d’un bout à l’autre de la place, dans les nuages de lacrymo. Pendant ce temps, Tsipras, le dirigeant de Syriza, se précipitait dans le Parlement pour informer ses collègues parlementaires, qui venaient de voter les nouvelles mesures, des violences contre Panagopoulos, les condamnant de la façon la plus catégorique.

La manif commença alors à avancer vers le ministère du Travail, ce qui fut critiqué par nombre de manifestants comme une tentative des syndicalistes de diminuer la tension aux abords du Parlement. Toutefois, les esprits étaient échauffés et ainsi, quand la manif atteignit le bâtiment du Conseil d’Etat, certains manifestants attaquèrent l’escouade anti-émeute qui le gardait. Rapidement, une foule immense se mit à lancer des pierres et divers projectiles sur les policiers, les pourchassant à l’intérieur du bâtiment. L’un d’entre eux, pourtant, n’y parvint pas et fut capturé, et quasiment lynché par les gens en colère. L’incident montre à la fois l’acceptation de l’escalade de violence, même de la part de gens qui auraient réagi différemment en temps normal, et la haine envers la police, en particulier ces jours-là. Il dura quelque temps parce que les travailleurs licenciés d’Olympic Airways, qui se trouvaient à proximité, empêchaient les renforts d’approcher. Ces travailleurs, peu après l’annonce des mesures, avaient occupé le Trésor public, rue Panepistimiou, et avaient coupé le trafic routier jusqu’au 12 mars avec des voitures et des poubelles. La manif se dirigea vers le ministère, qui avait auparavant été évacué, dès l’approche des premiers manifestants. Bien que la présence policière se soit alors accrue, il y eut de la casse (banques, grandes librairies et grands magasins) et la manifestation prit fin plus tard à Propylea.

Bien que le gouvernement tente de faire porter la responsabilité des mobilisations aux « extrêmes » des partis de gauche, il faut souligner que Syriza a très peu d’influence sur les lieux de travail (excepté le syndicat du secondaire), alors que, d’un autre côté, l’idéologie et les pratiques staliniennes du PC appellent une analyse plus poussée.

La conjoncture actuelle constitue un terrain idéal pour les activités du PC, dans la mesure où la propagande gouvernementale elle-même et celle des médias concernant la prétendue imposition de mesures draconiennes par l’UE, les marchés internationaux et les spéculateurs, semblent confirmer sa rhétorique sur la « sortie de l’UE » et la « résistance aux monopoles et au grand capital », qu’il annonce religieusement depuis les années 1980. Etant l’un des principaux représentants de la classe ouvrière (en tant que classe du mode de production et de communication capitaliste) au sein de l’Etat grec et de ses institutions, le PC en appelle à l’établissement d’une économie nationale « populaire », dans laquelle la classe ouvrière profiterait des avantages du capitalisme social-démocrate, au parfum de stalinisme. En fait, le PC, par ses actions, fait tout pour engluer les luttes dans les limites des institutions capitalistes, et mieux encore, dans celles qui sont le plus fétichisées, les élections et le Parlement, puisque, pour le PC, voter pour le parti et s’organiser en son sein constitue l’apogée de la lutte de classe.

La caractéristique majeure de l’activisme du PC reste la séparation complète entre les mobilisations de son organe syndical (PAME) et le reste des prolétaires en lutte. Les manifestations organisées par le PAME et le PC ne se joignent jamais aux manifestations appelées par les autres syndicats et organisations étudiantes. Bien que nous ne soyons pas en mesure de savoir exactement ce qui se passe dans les appareils du PC et du PAME, du fait de leur mode d’organisation complètement impénétrable, l’expérience que nous avons de la participation aux réunions syndicales montre qu’ils exercent un contrôle total sur leur base. Nous tenons pour certain que les actions sont décidées par la direction du parti sans l’ombre d’une participation de la base, c’est pourquoi de nos jours les ex-membres du PC sont plus nombreux que ses membres.

Il faut reconnaître que le niveau d’activité de la classe est bas : aucune grève de longue durée n’a été organisée dans plusieurs secteurs simultanément, et l’on n’assiste pas non plus à des manifestations quotidiennes massives. Dans ce contexte, les activités du PAME (occupations de bâtiments publics tels que le ministère de l’Economie et la Bourse, manifestations et défilés massifs – pratiques du PC depuis au moins le milieu des années 2000) semblent impressionnantes, en particulier lorsqu’ils parviennent à être les premiers à appeler à la grève ou à une manif, obligeant la GSEE et l’Adedy à suivre. Il est possible qu’un plan visant à la division de la GSEE et de l’Adedy et à la création d’une troisième confédération syndicale « indépendante » sous-tende cette stratégie.

Bien sûr, il va sans dire que si la situation lui échappe par le dépassement des grèves hebdomadaires de 24 heures, c’est-à-dire si des grèves longues surviennent, accompagnées d’une présence prolétarienne et d’une activité militante permanente dans la rue, le PC assumera à nouveau son rôle de police en sapant les grèves qu’il ne contrôle pas, en appelant ses membres à déserter les rues et en tentant de réprimer violemment toute activité radicale. Après tout, cela a été sa pratique normale depuis la chute de la dictature, et il a fait exactement la même chose pendant la rébellion de décembre 2008. En ce qui concerne les petits syndicats de base qui se sont multipliés ces dernières années, qu’ils soient gauchistes ou anarchistes, ils ne sont pas en mesure de mobiliser les travailleurs en général, en dehors de leurs affiliés. Leurs pratiques militantes (blocages des entreprises, implication dans les manifs) reposent principalement sur la participation active d’antiautoritaires, sans que ceux-ci en soient membres.

Vendredi 5 mars, la GSEE et l’Adedy appelaient à une autre grève de 24 heures pour le mardi 11 mars, en réponse au climat de mécontentement général, bien que passif, vis-à-vis des mesures d’austérité annoncées, tentant par là de conserver un brin de légitimité. Il n’y a pas de chiffres définitifs disponibles concernant la participation à la grève, mais nous pouvons dire à coup sûr qu’elle fut plus élevée que précédemment (la GSEE affirme que la participation à la grève a atteint 90 %).

Ce fut aussi prouvé par le nombre de manifestants, presque du double de celui de la manifestation du 24 février. D’après nos estimations, quelque 100 000 personnes ont pris part aux deux manifestations, PAME et GSEE-Adedy (le PAME avait organisé une manifestation à part, poursuivant ainsi sa pratique habituelle), même si les médias estiment ce nombre de 20 000 à 25 000. La composition de la foule était aussi légèrement différente, puisqu’il y avait plus d’étudiants, quelques lycéens et plus de jeunes travailleurs, alors que cette fois-ci les immigrés étaient absents. De plus, un grand nombre de manifestants provenant de presque tout le milieu antiautoritaire ont pris part à la manif GSEE-Adedy, dispersés dans le cortège.

Les tactiques différentes, très offensives, de la police furent un autre trait caractéristique de la manifestation. Plus de 5 000 flics tentèrent de prévenir l’escalade de la violence prolétarienne en encadrant de près le cortège de part et d’autre. Ils y parvinrent dans une certaine mesure, puisque relativement peu de gens n’étant pas issus du milieu antiautoritaire soutinrent le combat de rue ou participèrent activement aux affrontements avec la police. Cela peut aussi être lié à la composition plus large (et donc plus conservatrice) des manifestants, la plupart d’entre eux n’ayant pas connu de telles expériences. Néanmoins, il y eut de nombreuses confrontations avec la police à différents endroits pendant la manifestation, qui se poursuivirent jusqu’à la fin et se propagèrent ensuite autour d’Exarchia, où se dirigeaient de nombreux manifestants, selon la « tradition » en vigueur dans de telles occasions.

Il faut de plus noter que cette fois la direction des confédérations syndicales n’a pas fait que coopérer ouvertement avec la police, mais a en fait donné des directives spécifiques aux escouades anti-émeute afin d’arrêter les manifestants sur l’avenue Patision, pour prendre la tête de la manif et éviter de possibles conflits avec la base et une répétition des événements du vendredi précédent, lorsque les membre de cette direction furent (activement) hués comme ils le méritaient. Bien que la police ait arrêté et attaqué les premières lignes de la manif (qui comprenaient des blocs de certains syndicats gauchistes de l’enseignement primaire) afin de permettre à la direction de la GSEE et de l’Adedy de venir à l’avant, le comité de coordination des syndicats du primaire précédemment évoqués et d’autres syndicalistes gauchistes (tel un groupe de syndicalistes de l’OTE, l’ex-compagnie nationale de communications) appuyèrent politiquement cette manœuvre de la GSEE et de l’Adedy en continuant leur chemin par un détour depuis l’avenue du 3-Septembre, leur fournissant l’espace nécessaire pour prendre la tête et ensuite se plaçant juste derrière eux ! De plus, la GSEE et l’Adedy firent tout ce qui était en leur pouvoir pour aider les flics à canaliser la manif. Quand ils atteignirent la place Syntagma, ils tentèrent de repousser les gens qui arrivaient après eux. Il n’est pas surprenant que la police ait divisé la manif à Propylea, où les affrontements éclatèrent, après que le bataillon des bureaucrates fut reparti vers leur QG.

Nous devons aussi signaler que les syndicalistes des forces de sécurité (la police, les pompiers, etc.) qui attendaient place Kolotroni que passe la manifestation séparée du PAME, furent applaudis par les manifestants et qu’ils les applaudirent à leur tour. Evidemment, ils disparurent rapidement, parce que le « rassemblement » avec les autres manifestants n’aurait pas été une très bonne expérience pour eux.

La composition de ces dernières manifestations est différente de celles de décembre 2008, comme on pouvait s’y attendre. Les lycéens ne se sont pas montrés du tout, du moins pas en blocs identifiables, à part quelques-uns à la dernière ; mais les étudiants étaient présents aux deux dernières manifs, alors qu’on appelait de plus en plus à des assemblées générales. En général, à part les étudiants, les segments précaires, « lumpen », marginaux de la classe qui étaient le sujet prédominant des émeutes sont absents, ce qui est compréhensible, puisque l’enjeu actuellement est le terrorisme fiscal imposé par les mesures d’austérité, menaçant les travailleurs ayant des emplois plus stables et ayant plus à perdre. Ainsi, ce qui mérite une explication, c’est plutôt l’inertie exprimée par cette partie du prolétariat, dans la mesure où ses mobilisations n’ont jusqu’à présent ni constitué un mouvement ni correspondu au caractère critique de la situation. Les grèves ont été appelées par les directions des fédérations ou des confédérations. Même quand les syndicats du primaire ont appelé à la grève, il n’y a pas eu d’assemblées massives extraordinaires auparavant, ce qui signifie qu’aucun processus à la base n’a été organisé.

L’influence destructrice et paralysante des syndicalistes socialistes et le contrôle qu’ils exercent toujours sur les syndicats sont encore l’obstacle majeur et on peut en donner une illustration avec l’exemple suivant. Les employés de l’Imprimerie nationale l’ont occupée le 5 mars, aux motifs que les nouvelles mesures accroîtraient encore de 30 % la baisse de revenu de employés du ministère de l’Intérieur. Les lieux occupés, toutefois, restaient fermés à quiconque « n’était pas employé par le ministère », comme l’ont entendu dire des camarades qui essayaient de leur rendre visite et qui furent, de fait, congédiés. Les cadres socialistes qui contrôlent le syndicat décidèrent de mettre fin à l’occupation brusquement, sans même introduire la question en assemblée, sous l’argument que le gouvernement « avait promis » de déroger à la règle particulière – une décision qui fut accueillie avec colère mais qui ne fut pas contrée.

L’occupation du Trésor public par les travailleurs licenciés d’Olympic Airways connut la même fin. Ce sont principalement des techniciens qui n’ont pas été payés pendant trois mois, à présent qu’Olympic Airways a été privatisée, ou des ouvriers à qui on avait promis d’être reclassés sur d’autres sites. Le premier jour de l’occupation, ils séquestrèrent un responsable pendant plusieurs heures et le même soir ils attaquèrent et pourchassèrent une escouade de la police anti-émeute. Bien qu’ils aient été ouverts aux discussions et qu’ils aient semblé déterminés à poursuivre le blocage autant que nécessaire, puisque, selon leurs propres mots, ils n’avaient « rien à perdre », ils ne laissèrent entrer personne dans le bâtiment occupé. Après dix jours d’occupation, leurs représentants socialistes (et de droite) décidèrent d’accepter la « promesse » du gouvernement de former un comité spécial pour examiner la question ! En l’espèce, les syndicalistes socialistes agirent comme des courroies de transmission des menaces du gouvernement contre les travailleurs et de l’ordre du ministère public de les faire arrêter.

Comme nous l’avons déjà fait remarquer en 2009 (voir Révoltes en Grèce (décembre 2008) et http://libcom.org/tags/tptg), à propos de l’incapacité de la rébellion de décembre 2008 à s’étendre aux lieux de travail, l’absence de formes autonomes d’organisation et de nouveaux contenus de lutte, au-delà des revendications syndicales, semble peser lourdement sur les prolétaires dans une période où la « dette publique » sert à faire taire les travailleurs. Les limites de cette rébellion, minoritaire, sont maintenant évidentes ; ceux qui se sont tenus à l’écart du mouvement vont bientôt s’apercevoir qu’ils devront le rejoindre pour s’en sortir.

Agence de notation de crédit

des prolos et des pauvres,

alias TPTG*

14 mars 2010

* TPTG (Ta Paidia Tis Galarias - « Les enfants de la tribune »), groupe anti-autoritaire athénien, conçoit le communisme non comme une idéologie politique ou un dogme, mais comme une nécessité pratique découlant de situations concrètes, les luttes du prolétariat, avec et contre elles. www.tapaidiatisgalarias.org

Notes

(1) Panellínio Sosialistikó Kínima, « mouvement socialiste panhellénique », le parti social-démocrate actuellement au pouvoir, depuis 2009.

(2) Les dérivés sur événement de crédit ou couvertures de défaillance (en anglais Credit Default Swaps, CDS) sont des contrats de protection financière entre acheteurs et vendeurs. L’acheteur de protection verse une prime ex ante annuelle calculée sur le montant notionnel de l’actif (souvent dit de référence ou sous-jacent), au vendeur de protection qui promet de compenser ex post les pertes en cas d’événement de crédit précisé dans le contrat. C’est donc, sur le plan des flux financiers, comme un contrat d’assurance. [Source Wikipedia.]

(3) Le Parti communiste (PC), Kommunistiko Komma Elladas (KKE).

(4) En grec, PAME (Front militant ouvrier) signifie « en avant », « allons-y ». Site : http://www.pamehellas.gr/

(5) Nous n’avons pu retrouver l’origine de cette supposée citation d’André Breton (NDE).

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