(Ce texte traite uniquement de certains des points abordés dans « À nouveau sur l’opéraïsme » (1513) et de mes divergences avec son auteur. Le lecteur, s’il est patient et veut suivre la discussion dans l’ordre chronologique, devra commencer par ce texte (1420) puis la réponse de JW (1513), avant de lire ma réponse... Y.C.)
Quelques points de forme
Il est regrettable que cette « réponse » mélange des citations tirées de polémiques indirectes et différentes dans des mails privés et un texte paru sur le site mondialisme.org qui ne contient pas les mêmes termes (le titre parle de « philostalinisme de gauche » et non de « vieux staliniens » – expression que je renie pas mais auquel je n’accorde pas le sens très limité que lui accorde Jacques Wajnsztejn et qui est d’ailleurs tout aussi faux, selon l’acception de JW, pour Badiou puisque ce dernier était au PSU et non au PCF avant de fonder l’UCF) et essaie d’être plus équilibré. J’ai tenté de reformuler mes quelques remarques polémiques privées en m’exprimant de façon plus modérée, moins abrupte.
À la demande de quelqu’un qui voulait rendre publique mon opinion sur une discussion dans le cadre d’une liste privée (à laquelle de surcroît je ne participais pas !), j’ai reformulé, très hâtivement, les bouts de mail que j’avais écrits sur Negri à des moments différents et pour des interlocuteurs différents.
La réponse de Jacques Wajnsztejn aurait donc dû tenir compte du dernier texte et non de ces péripéties successives, comme il l’a fait en mélangeant un texte public (paru sur le site mondialisme) et des bouts de mail privés (parus sur une liste de discussion). Cela lui aurait évité des commentaires du type « Coleman a cru bon d’ajouter un chapeau » alors que je n’ai pas seulement modifié le chapeau. J’ai rééquilibré l’argumentation et les formulations parce que je ne voulais pas que l’arbre cache la forêt. Que des propos privés sévères contre Negri puissent être publiquement utilisés contre l’opéraïsme dans son ensemble. Que l’arbre Negri cache la forêt de l’opéraïsme dont je maintiens qu’il n’en est pas le principal théoricien, comme le prouvent d’ailleurs les témoignages rassemblés dans Gli operaisti (Aprodi, 2000) et la date des premiers écrits politiques publiés par Negri.
Negri et l’opéraïsme
C’est Negri qui rejoint les “Quaderni Rossi” qui ont commencé à réfléchir et théoriser AVANT lui, et pas les “Quaderni Rossi” qui rejoignent Negri. « Ouvriers et Capital » de Mario Tronti paraît en 1966 et rassemble des textes antérieurs (publiés notamment dans Classe operaia à partir de 1963). À ma connaissance, le premier livre « opéraïste » de Negri (« La crise de l’Etat plan ») paraît 8 ans plus tard en 1974 et les textes qui y sont rassemblés datent au moins de 1970.
Avant (entre 1959 et 1974) les ouvrages de Negri portent essentiellement sur Kant, Hegel, Descartes, Dilthey, pas sur les sujets clés de l’opéraïsme (Je ne connais pas le contenu de son livre sur « Marx et la crise », peut-être fait-il exception, mais il est de toute façon postérieur à celui de Tronti). Les écrits de Negri acquièrent plus d’importance, quand l’opéraïsme est déjà divisé en de nombreux courants et sous-courants, et il est beaucoup plus un des théoriciens d’une des branches de l’Autonomie qu’un théoricien fondateur de l’opéraïsme.
De plus, au cours des années 1970, il s’éloignera de l’Autonomie ouvrière pour évoluer de plus en plus vers les positions de Deleuze, Guattari et Foucault (les trois seuls noms importants qu’il cite dans Gli operaisti, non seulement pour les années 70 mais pour les 30 années à venir !!). On m’accordera que le trio funeste qui a inspiré une grande partie des fantaisies du post-modernisme (marxiste ou pas) n’a rien à voir avec la démarche initiale de l’opéraïsme…
Ou alors, comme disait Pierre Dac, tout est dans tout et réciproquement…
De l’art de l’esquive à propos du stalinisme et du philostalinisme
Jacques Wajnsztejn ne veut discuter que des « bons » livres et ne veut même pas lire « Goodbye Mister Socialism » de Negri. C’est son droit, tout comme c’est le droit de certains trotskystes d’expliquer que « L’Etat et la révolution » est un texte conseilliste, voire libertaire… en ignorant le contenu des 50 et quelques tomes de Lénine.
Il ne veut pas non plus discuter de l’URSS, puisqu’il considère que cette question n’est plus importante depuis les années 60.
L’ennui, c’est qu’à l’époque le stalinisme ne se limitait pas à l’URSS ! Ou alors il faut que Jacques Wajnsztejn nous explique s’il y avait des modes de production différents et des régimes différents en URSS, dans les démocraties populaires, à Cuba, en Chine, au Vietnam, etc. Et lesquels ? Car je ne vois pas bien ce que viendrait faire le mode de production asiatique (qu’il évoque en passant à propos de la Chine) à Cuba, en Tchécoslovaquie ou en Allemagne de l’Est…
Il m’est arrivé à plusieurs reprises, au cours des cinq dernières années, de discuter avec des militants « révolutionnaires » (prudent, je mets des guillemets, voir pourquoi plus loin) d’Allemagne de l’Est, de Pologne, de Tchécoslovaquie et de Hongrie. Ce qui m’a frappé, contrairement à Jacques Wajnsztejn qui croit que le stalinisme est une question dépassée depuis 40 ans, c’est à quel point ces jeunes camarades ont du mal à expliquer (et comprendre) le fonctionnement des sociétés dans lesquelles ils ont grandi. Je ne pense pas du tout que la question du stalinisme se réduise à Cronstadt ou aux polémiques autour du trotskysme et de ses scissions concernant la nature de l’URSS. C’est une question vitale pour un milliard et demi de Chinois et pour les Cubains, les Coréens, les Vietnamiens, etc. d’aujourd’hui… qui ont besoin de comprendre leur histoire. Ils ont, à mon avis, besoin de comprendre pourquoi, si c’est un parti « communiste » qui les dirige, ce n’est pas le « communisme » dans leur pays… C’est aussi une question vitale pour l’extrême gauche japonaise, sud-coréenne, philippine, thaïlandaise, indienne, extrême gauche qui a été totalement stalinisée, comme nous avons encore pu le constater lors d’une récente rencontre avec des militants ouvriers coréens à Paris…Et c’est aussi une question fondamentale pour le mouvement altermondialiste…
Le maoïsme libertaire ? Un mythe !
Selon Jacques Wajnsztejn, le soutien des “Quaderni Rossi” et de toute une génération de jeunes étudiants à la Chine et au maoïsme AVANT la révolution culturelle serait d’inspiration libertaire. Malheureusement pour son hypothèse, le conflit sino-soviétique a commencé en 1959, pour culminer en 1963 ; dès 1964 Mao affirmait que le capitalisme était rétabli en URSS ; la révolution culturelle a véritablement commencé en mai 1966 avec la création des Gardes rouges.
Or, les “Quaderni Rossi” ont cessé de paraître en décembre 1965, plus de six mois AVANT la Révolution culturelle (même si quelques textes sont parus jusqu’en 1968). Les “Quaderni Rossi” n’ont donc pas pu être influencés par la sensibilité pseudo-libertaire de la Révolution culturelle !!! Les textes de Edoarda dans les “Quaderni Rossi” n’ont rien de libertaire, ils relèvent du maoïsme orthodoxe.
Quant à l’interprétation pseudo-libertaire du maoïsme et au mao-spontanéisme qui a fleuri dans les années 70, ou à Vive la Révolution que cite Jacques Wajnsztejn, c’est un phénomène qui intervient APRES 1968 et dans les marges des courants dominants du mouvement maoïste. La plupart des maoïstes des années 60 (y compris trois-quatre ans ans après mai 1968, donc y compris ceux de la Gauche Prolétarienne) portaient des badges avec l’effigie de Marx, Engels, Lénine, Staline et/ou de Mao tout comme la première page de leurs journaux. Ils diffusaient dans les usines et autour d’eux le « Petit Livre rouge » qui était tout sauf un livre libertaire. Leurs journaux abondaient en récits des exploits fulgurants de stakhanovistes, de paysans ou d’acupuncteurs opérant des tumeurs grosses comme 4 ballons de football. Ce n’était pas des journaux libertaires mais des journaux staliniens de la plus belle eau…. Ils distribuaient la prose de l’ambassade de Chine, ils étaient invités en Chine, ils recevaient de l’argent de la Chine, etc. Ils avaient le portrait de Mao dans leurs locaux. Ils le brandissaient dans leurs manifestations. Et ce, qu’ils soient italiens ou français…
La façade (pseudo) libertaire des groupes maoïstes est apparue dans leurs marges et après 1968… Et surtout elle a été théorisée dans les reconstructions/falsifications de leur histoire à partir de la fin des années 70 et au début des années 80, notamment en France quand une partie de leurs dirigeants ont voulu être acceptés par la bourgeoisie, en passant pour des « antitotalitaires », ce qu’ils n’avaient jamais été. C’est là que l’on retrouve la discussion sur Christofferson car cet auteur (dans son livre « Les intellectuels contre la gauche ») prend au pied de la lettre les mensonges des Glucksman, Lévy, Rolin and Co sur leur interprétation libertaire de la Grande révolution culturelle prolétarienne qui aurait plutôt dû s’appeler la Grande remise au pas du prolétariat et de la paysannerie.
Negri : « Révolutionnaire » ou pas ?
Jacques Wajnsztejn affirme que « Negri n’a jamais été jeune stalinien (il n’a jamais appartenu au PCI (1) mais à la gauche révolutionnaire minoritaire du PSI » , et ensuite qu’il n’utilise jamais le terme de révolutionnaire pour qualifier un individu…
Selon Jacques Wajnsztejn, Negri appartenait à la « gauche révolutionnaire » mais n’était pas lui-même un… révolutionnaire. Je veux bien accepter ce distinguo subti et je dirais même que je suis d’accord : autant réserver le terme de « révolutionnaire » à ceux qui ont participé à une… révolution. J’emploie habituellement ce terme de façon plus large (par facilité et aussi par volonté de me démarquer du sectarisme « ultragauche »), mais Jacques Wajnsztejn a raison. Mais il s’arrête à mi-chemin car pourquoi qualifier la gauche du PSI de « révolutionnaire » ? Et même le terme de gauche est ambigu car cette « gauche » du PSI (qui a donné naissance au PSIUP en 1964) privilégiait l’unité avec le PCI contre l’unité avec la Démocratie chrétienne… Est-ce cela que Jacques Wajnsztejn considère « révolutionnaire » dans cette gauche ? j’en doute, donc ce serait bien qu’il nous explique pourquoi cette gauche était « révolutionnaire » à ses yeux. Tout comme il serait utile qu’il nous explique comment Negri conciliait ses idées « révolutionnaires » avec ses activités de conseiller municipal socialiste jusqu’en 1964….
Il est aussi curieux que Jacques Wajnsztejn accepte aussi facilement la fable du PCI « déstalinisé », surtout dans les années 60. La latitude toute relative que le PCI accordait à certains de ses intellectuels n’influençait guère le régime interne du Parti, le contrôle du Parti sur les syndicats, l’usage de la violence contre ses opposants, sa conception du socialisme fondamentalement stalinienne. Le PCI, même au début des années 70, était loin d’être devenu un parti social-démocrate classique.
Ensuite, il affirme que Negri aurait été « communiste-léniniste-opéraïste ». Le problème est que Giacomo (Jacques) n’est pas d’accord avec Antonio (Toni) lui-même à propos de son itinéraire politique.
En effet, Negri se considère comme un fils et un petit-fils de « communiste » et a déclaré au moins à deux reprises qu’il avait découvert le « communisme » à travers son grand-père et les personnes qu’il avait fréquentées dans un kibboutz en Israël (dans l’interview parue dans "Gli operaisti" et aussi dans un entretien reproduit sur le site de Multitudes). Il évoque, dans ces interviews, son père « communiste » (mort quand il était très jeune), son grand-père « communiste » qui a eu une forte influence politique sur lui. Quand Negri explique qu’il a été « communiste avant d’être marxiste », je me permets de traduire : il a été influencé par un père et un grand-père staliniens (même pas stalinophiles) avant d’avoir lu Marx. Les staliniens de base seraient-ils spontanément « communistes » ? C’est une position que je verrais bien Negri défendre avec son sens du paradoxe et sa confusion politique, mais je doute que ce soit la position de Jacques Wajnsztejn.
La façon dont Negri raconte sa rencontre avec Souslov en URSS en tant que représentant d’une organisation de jeunes catholiques italiens aurait pu lui permettre d’émettre un jugement sur l’URSS stalinienne de 1956. Il s’en garde bien. Quant aux raisons de son adhésion aux jeunesses catholiques il explique candidement qu’il y a adhéré parce qu’à Padoue il n’y avait pas de section du PCI, tout en affirmant qu’il était catholique... Donc c’était un catholique-communiste-léniniste ? Voilà un homme (Negri) fort peu capable de rendre compte de ses engagements politiques passés, sinon par des pirouettes.
Mais Jacques Wajnsztejn me dira sans doute que ces interviews de Negri sont très mauvaises, qu’il ne les a pas lues et ne les lira pas….
Revenons à l’étiquette « communiste-léniniste ». Certes, c’est peut-être ainsi que lui et ses amis se nommaient… Mais si l’on en reste à l’étiquette que les militants de l’époque s’accordaient à eux-mêmes c’était aussi le cas des maoïstes, des trotskystes, et des staliniens des Partis communistes. C’étaient donc tous des « communistes léninistes » puisqu’ils se disaient et se pensaient tels… ?
Hum ! On me permettra d’être un peu plus exigeant.
Negri, les "Quaderni Rossi" et les "anarchoïdes"
Jacques Wajnsztejn accorde beaucoup d’intérêt aux « Quaderni Rossi », moi aussi, même si ce n’est pas tout à fait pour les mêmes raisons. Le problème est que Toni Negri dans "Gli operaisti " explique que les « ”Quaderni Rossi” » sont désormais « illisibles » et que cela n’a plus aucun intérêt de les lire aujourd’hui ! Visiblement Giacomo et Antonio ne voient pas les “Quaderni Rossi” et leur contenu avec les mêmes lunettes !!!
Dans la même interview, Negri n’arrête pas d’utiliser l’expression « anarchoïde » pour qualifier ceux qui prônaient la lutte armée en Italie durant les années 70. D’une part, cette expression suinte le mépris stalinien. D’autre part, cette expression est particulièrement mal venue quand on sait que la plupart des théoriciens de la « lutte armée » étaient des léninistes pur jus et certainement pas des « anarchoïdes ». Negri essaierait-il aujourd’hui de rejeter ses responsabilités d’hier (c’est quand même lui qui a expliqué pendant des années que la situation était « révolutionnaire » en Italie) sur quelques lampistes « anarchoïdes » ?
Une revue n’est pas un parti : justement….
Jacques Wajnsztejn argue du fait que les “Quaderni Rossi” n’étaient pas une organisation pour excuser (ou expliquer ?) ce que j’appelle leur « philostalinisme ». Mais justement si ce n’était pas une organisation pourquoi n’y a-t-il eu aucun débat sur le stalinisme ? Pourquoi n’y a-t-il eu aucun texte critique sur la nature sociale de la Chine ? S’il y avait vraiment des dissensions internes importantes sur le stalinisme et la Chine ou l’URSS, pourquoi ne se sont-elles pas manifestées publiquement ? N’était-ce tout simplement pas parce que ces divergences étaient minimes ?
L’anayse du rôle international du stalinisme reste à faire
Jacques Wajnsztejn dit sans sa « réponse » qu’il aurait été intéressant de discuter du léninisme de Negri mais il se garde bien de le faire. Il prétend que je confonds léninisme et stalinisme, mais il ne nous explique pas sa position à ce sujet.
Cela dit, je pense que la source de mon désaccord avec Jacques Wajnsztejn vient aussi d’une hypothèse et d’un mode de pensée que j’ai hérités de mon lointain passé trotskyste.
Comme le dit l’ "ultragauche" Munis, dans un texte écrit en 1970, la force originelle des trotskystes, dans leur lutte contre le stalinisme, est d’avoir été la seule force internationale significative à s’opposer à la dérive nationaliste du stalinisme et à y avoir réagi de façon internationale – pour le meilleur et pour le pire, ajouterai-je. Dans leur tentative d’analyser le stalinisme comme un phénomène INTERNATIONAL, et pas simplement russe, et pas simplement comme une addition hétéroclite de phénomènes nationaux divergents, temporairement unis par leurs liens matériels avec l’Etat soviétique, les trotskystes ont tenté de conserver une dimension révolutionnaire du « marxisme » qui me semble toujours féconde.
Les courants « ultragauches » n’ont pas su proposer une analyse internationale du stalinisme, plus fine, plus sophistiquée, que celle des trotskystes même s’ils ont mieux compris et la révolution d’Octobre et la nature sociale du régime que les bolcheviks ont mis en place, ou au moins la nature du stalinisme russe. Malheureusement, quand il s’est agi d’analyser le stalinisme comme un phénomène international, ils ont le plus souvent réduit les PC à des clones de la social-démocratie, s’épargnant ainsi de réfléchir à la nouveauté des partis staliniens, quitte à les différencier selon leurs zones géographiques, leur implantation sociale, le type de formation sociale dans laquelle ils sont nés, etc.
Ceux qui ont accordé au stalinisme un potentiel contre-révolutionnaire spécifique, différent de la social-démocratie, sont finalement très peu nombreux dans l’extrême gauche. Il y a eu les « collectivistes bureaucratiques » américains (Schachtman, puis Hal Draper) dans les années 1940/1960 et les « capitalistes d’Etat » britanniques (Tony Cliff) dans les années 1950/1960, mais leurs analyses du stalinisme, comme phénomène international, ne se sont plus développées entre les années 70 et jusqu’à aujourd’hui. Leurs descendants politiques ont finalement adopté les analyses de la plupart des trotskystes sur la social-démocratisation des PC, et ce bien avant 1989, l’effondrement du bloc soviétique, et la crise subséquente des PC.
On rejoint là une question soulevée par Philippe Raynaud, dans son livre sur "L’extrême gauche plurielle". Il donne comme clé principale pour comprendre les différentes scissions dans le mouvement trotskyste (et ce sans avoir besoin de rentrer dans le détail des querelles tactiques, stratégiques et personnelles qui peuvent expliquer la pluralité des groupes trotskystes et de leurs Internationales), l’attitude vis-à-vis de l’URSS et de l’impérialisme américain. Pour lui, il y a deux types de trotskystes : ceux qui sont avant tout antistaliniens (et donc pour certains enclins aux alliances les plus douteuses avec la social-démocratie, particulièrement attentifs à la défense des droits démocratiques dans les Etats staliniens, et moins attentifs à l’importance des mouvements de libération nationale) ; et ceux qui sont avant tout anti-sociaux démocrates (et donc qui ont toujours une tendresse particulière pour les PC, les mouvements de libération nationale du tiers monde ou les Etats nationalistes de gauche anti-américains ; et plus discrets quant à la dénonciation du « totalitarisme » des Etats staliniens).
Curieusement, cette clé d’interprétation simple fonctionne d’ailleurs aussi pour les différentes tendances du mouvement anarchiste, du mouvement maoïste, pour les groupes marxistes anti-léninistes indépendants. Et cette clé s’applique même aux scissions « de gauche » au sein des PS (PSU français, PSIUP italien) et de droite au sein des PC (depuis 1981, tous les individus ou petits groupes qui sont passés du PCF au PS ; en Italie, la transformation du PCI en PDS puis en PD).
Très peu de groupes militants (je ne parle pas des petites revues ultragauches qui ne se sont jamais posé de problèmes d’intervention pratique dans les luttes syndicales ou sociales en général) ont réussi à mener de front une critique pratique virulente contre la social-démocratie et contre le stalinisme.
Et dans le cas des “Quaderni Rossi”, il me semble particulièrement évident qu’il s’agissait d’intellectuels et de militants beaucoup plus critiques vis-à-vis de la social-démocratie que du stalinisme. Car ce qu’ils reprochaient au stalinisme italien, c’était de ressembler de plus en plus à la social-démocratie pas vraiment son… stalinisme !
Y.C. (juillet 2010)
1. Je n’ai écrit nulle part que Negri avait appartenu au PCI mais qu’il était un « ex-vieux stalinien ». J’aurais sans doute mieux fait d’écrire un "vieux philostalinien", cela aurait été plus adéquat. C’est-à-dire un individu qui soutenait les régimes staliniens même s’il n’était pas membre d’un parti lié aux Etats staliniens… Et qui continue à trouver des aspects positifs au stalinisme....
Il est curieux que Jacques Wajnsztejn ne saisisse pas que l’influence politique et intellectuelle du stalinisme dépassait et dépasse largement les simples militants encartés dans les partis dits « communistes ». Le mouvement altermondialiste actuel est en grande partie sous la coupe idéologique du stalinisme, de sa vision du monde divisée entre bons et mauvais Etats, même si l’URSS et les démocraties populaires ont disparu depuis 20 ans.
"L’anticapitalisme" des altermondialistes repose, pour l’essentiel, sur la défense des frontières nationales, la défense du petit commerce et de la petite paysannerie, la dénonciation des seuls méchants gros financiers, grosses banques, gros monopoles, ou multinationales, tous thèmes du stalinisme occidental depuis la Seconde Guerre Mondiale. Les mécanismes fondamentaux du capitalisme ne sont jamais remis en cause par ces anticapitalistes-là, certains allant même jusqu’à reprendre la fable d’un "socialisme de marché"....
Quant aux principaux thèmes de la propagande "antisioniste" (du moins la plus vulgaire et la plus proche de l’antisémitisme), ils ne sont qu’un recyclage de la propagande stalinienne soviétique.
De même pour la défense inconditionnelle d’Etats comme le Venezuela, la Bolivie, l’Equateur, etc., aujourd’hui. Ce sont tous des "Etats progressistes" comme dans les analyses géopolitiques des partis staliniens des années 60.